Cour d'appel de Versailles, du 17 décembre 1997, 1996-22443

  • Modification imposée par l'employeur·
  • Contrat de travail, exécution·
  • Modification·
  • Indemnité kilométrique·
  • Sociétés·
  • Véhicules de fonction·
  • Frais de déplacement·
  • Charge des frais·
  • Licenciement·
  • Contrat de travail

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La dénonciation, par l’employeur, d’un usage instauré dans l’entreprise ne saurait constituer une modification substantielle du contrat de travail lorsque cet usage n’était pas incorporé au contrat de travail.En l’espèce, une entreprise étant fondée, dans le cadre de ses pouvoirs de bonne gestion, à substituer à un usage d’indemnisation kilométrique forfaitaire, un mode de défraiement des déplacements se rapprochant ou équivalant à la " prise en charge sur présentation de justificatifs " spécifiée au contrat de travail, un salarié ne saurait prétendre au paiement par l’employeur de sommes supérieures au montant des frais réels par lui exposés, ni alléguer d’une modification du contrat de travail à son désavantage, sans qu’ importent, à ce titre, d’éventuelles incidences fiscales, étrangères au droit du travail

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 17 déc. 1997, n° 96/22443
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 1996-22443
Importance : Inédit
Dispositif : other
Date de dernière mise à jour : 15 septembre 2022
Identifiant Légifrance : JURITEXT000006935170
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Texte intégral

Monsieur X… a relevé appel d’un jugement contradictoire rendu le 12 juin 1996 par le Conseil de Prud’hommes de NANTERRE qui l’a débouté de ses demandes contre la société STORA BILLERUD CARTON BOARD (SBCB).

Monsieur X… a été engagé à compter du 1er décembre 1983 par la société BEGHIN SAY en qualité de cadre rattaché à la direction commerciale de PARIS.

Le 1er janvier 1992, son contrat de travail a été transféré à la société STORA BILLERUD CARTON BOARD (SBCB).

Convoqué le 3 décembre 1993 à un entretien préalable fixé au 10 décembre suivant, Monsieur X… a été licencié par lettre recommandée en date du 15 décembre 1993 ainsi libellée:

« A la suite de notre entretien du 10 décembre 1993, nous vous informons que nous avons décidé de vous licencier pour les motifs suivants:

La période de récession que traverse actuellement notre profession nous a imposé de réaliser des économies importantes.

Comme nous l’avions indiqué à vos collègues et à vous-même, nous ne pouvions plus continuer à rembourser des frais kilométriques, calculés sur la base du barème interne à notre société et qui ont pu atteindre des montants oscillant entre 250 000 et 350 000 F/an pour certains cadres.

Afin de mieux maîtriser les frais, notre société a pris la décision de substituer au paiement d’une indemnité kilométrique versée au salarié par la mise à disposition d’un véhicule de société dont tous les frais (entretien, essence, assurance) sont pris en charge par la société.

Cette mesure a été prise en concordance avec votre contrat de travail qui stipule "les frais que vous aurez à engager au cours de vos déplacements professionnels ainsi que le téléphone professionnel et

les frais divers de bureau, seront pris en charge par la société sur présentation des justificatifs.

En novembre 1992, vous avez vous-même porté votre choix sur un véhicule Peugeot 405 SRDT avec un équipement spécifique selon vos besoins.

Vous avez jugé cette offre acceptable et le véhicule en question a été commandé pour vous.

Le Véhicule a été livré dans nos locaux et selon vos spécifications. Un contrat de mise à disposition du véhicule en date du 12 mars 1993, vous a été remis pour signature.

Ce contrat prévoyait une prise en charge des primes d’assurances et des frais d’entretien du véhicule et a été finalement signé par vous le 24 mars 1993 portant la mention "sous toutes les réserves énoncées dans les différentes notes et courriers y afférents.

En effet, vous avez qualifié cette mise à disposition d’un véhicule de fonction de modification substantielle de votre contrat de travail.

Modification que vous contestiez et refusiez.

Par la suite vous n’avez pas utilisé le véhicule commandé selon vos spécifications.

Notre société vous a donc remboursé les frais réels (essence, parking, etc…) afférent à l’utilisation de votre véhicule personnel.

La politique d’économies mise en place au sein de notre société fait partie de notre plan d’action commerciale et influence la marge que nous devons tenir en tant que distributeur de carton du groupe STORA en France.

Votre désaccord manifeste sur les objectifs déterminés par la direction constitue à lui seul une cause de licenciement.

Ces faits mettent en cause la bonne marche de l’entreprise et les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien n’ont pas permis de modifier cette appréciation.

Votre préavis d’une durée de trois mois débutera à la date de la présentation de cette lettre et se terminera le 16 mars 1994, date à laquelle vous cesserez de faire partie de nos effectifs".

Contestant le nouveau mode de prise en charge des frais de déplacements mis en place par son employeur, Monsieur X… avait saisi le 8 septembre 1993 la juridiction prud’homale pour voir constater la rupture abusive de son contrat de travail en raison de la modification substantielle de ses conditions de travail.

Après la notification de son licenciement, Monsieur X… a modifié ses demandes, lesquelles dans leur dernier état, tendent à voir condamner son ex-employeur à lui régler les sommes de: – 800 000 F à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – 21 692 F à titre de rappel de congés payés, – 265,90 F à titre de complément de salaire de mars 1993, – 10 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

Rejetant ces demandes, le Conseil a estimé que le licenciement de Monsieur X… était fondé sur un motif réel et sérieux, du fait que l’intéressé avait refusé la modification de la prise en charge des frais de déplacement par l’employeur, ladite modification n’ayant pas un caractère substantiel.

Dans ses conclusions d’appel, Monsieur X… soutient qu’il n’a pas refusé en soi la décision prise par la société STORA de lui fournir un véhicule de fonction et de ne plus rembourser les indemnités kilométriques pour l’usage de son véhicule personnel, mais fait valoir qu’il n’entendait pas assurer les conséquence pécuniaires de cette modification qui entraînait une charge de 6 920 F (sur la base des revenus de 1992) d’impôts supplémentaires.

Faisant valoir que son contrat de travail stipulait le remboursement des frais sur présentation des justificatifs, l’appelant fait également observer que les faits articulés par la société SBCB remontent à juillet 1992 avec effet au 1er septembre 1992 et étaient donc prescrits à la date du licenciement en décembre 1993.

Estimant que la société SBCB a voulu l’évincer par des mesures vexatoires et discriminatoires depuis qu’il s’est présenté comme candidat aux élections de délégués du personnel, Monsieur X… demande en conséquence à la Cour d’infirmer le jugement entrepris et de condamner la société STORA à lui payer les sommes de: – 800 000 F à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, – 21 692 F à titre de complément de congés payés, – 10 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société SBCB, intimée, conclut à la confirmation du jugement et au débouté de toutes les demandes de Monsieur X…, en sollicitant la condamnation de celui-ci au paiement d’une amende civile de 10 000 F, ainsi qu’à lui verser les sommes de: – 10 000 F à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, – 15 000 F en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société intimée souligne que le remboursement des indemnités kilométriques à ses cadres commerciaux résultait d’un usage qu’elle était fondée à modifier dans l’intérêt de l’entreprise.

Elle ajoute qu’une nouvelle méthode de prise en charge des frais de déplacement par l’employeur ne saurait constituer une modification substantielle du contrat de travail, d’autant que la mise à disposition d’un véhicule avec prise en charge de tous les frais était plus avantageuse ou au moins équivalente au remboursement des indemnités kilométriques. SUR CE

Sur le licenciement

Considérant que par notes en date des 29 juillet et 12 août 1992, la

société SBCB a informé ses cadres commerciaux que lorsque leurs déplacements professionnels étaient supérieurs en moyenne mensuelle à 2 500 km, une voiture de société d’une valeur de 130 000 F serait mise à la disposition du personnel concerné, précisant en outre que deux solutions étaient offertes aux collaborateurs:

— soit la société SBCB rachetait la voiture du salarié en fonction,

— soit elle achetait une voiture neuve, étant précisé que les coûts de la mise à disposition d’un tel véhicule ne devaient pas excéder 4 600 F à 4 700 F par mois;

Considérant que tous les cadres ont adhéré à cette politique et ont signé, courant mars 1993, une convention qui réglait la mise à disposition du véhicule; que toutefois, Monsieur X…, après avoir choisi une voiture de marque Peugeot type 405, n’a signé la convention qu’en y apposant la mention manuscrite « sous toutes les réserves énoncées dans les différents courriers et notes y afférents »;

Considérant que Monsieur X… a finalement refusé de prendre la voiture mise à sa disposition qui était conforme à son choix et a réclamé le maintien à son égard des indemnités kilométriques;

Considérant que la société SBCB a continué pendant quelques mois à lui rembourser les frais d’essence et de lavage liés à l’utilisation de sa voiture personnelle, en cessant toutefois de verser une indemnité kilométrique forfaitaire et a adressé à Monsieur X… un courrier en date du 9 novembre 1992 ainsi libellé:

« Notre société dans le souci de mieux maîtriser ses coûts et d’harmoniser le montant des frais de déplacements de ses collaborateurs commerciaux, a décidé de substituer au système du paiement d’indemnité kilométriques, la mise à disposition d’un véhicule de fonction.

Vous affectez de considérer que ces modalités nouvelles de prise en

charge des déplacements professionnels constitueraient une modification d’un élément substantiel de votre contrat de travail.

Une telle affirmation est totalement inexacte.

Votre contrat de travail ne vous garantit aucun mode particulier d’indemnisation des frais professionnels que vous exposez dans l’exercice de vos fonctions.

Il nous est donc loisible d’adopter le système qui nous apparaît correspondre le mieux à l’intérêt de la gestion de la société.

Précisément, la mise à votre disposition d’un véhicule de fonction vous assure de la prise en charge complète par la société des frais afférents à vos déplacements professionnels.

Le type de véhicule choisi est parfaitement adapté à la nature des déplacements que vous avez à accomplir.

Les modalités nouvelles n’apportent donc aucun changement à la situation antérieure, puisqu’elles aboutissent aux mêmes résultats, à savoir la prise en charge par la société de la charge des déplacements professionnels que vous accomplissez.

Vous ne sauriez donc contester cette mesure parfaitement légitime, conforme aux impératifs de bonne gestion de la société , et qui ne sauraient vous léser";

Considérant que malgré plusieurs échanges de courriers postérieurs, Monsieur X… a maintenu tout au cours de l’année 1993 son refus d’accepter la mise à disposition d’un véhicule de fonction, en saisissant même le Conseil de Prud’hommes le 8 septembre 1993 pour voir constater la rupture abusive de son contrat de travail;

Considérant que c’est dans ces conditions que la société SBCB a procédé au licenciement de Monsieur X… par la lettre précitée du 15 décembre 1993;

Considérant, d’abord, que Monsieur X… qui estime par ailleurs dans ses écritures d’appel que son licenciement a un caractère

économique, est mal fondé à invoquer le délai de prescription de deux mois prévu à l’article L.122-44 du code du travail, dès lors que le motif essentiel de son licenciement étant son refus d’accepter le nouveau mode de prise en charge des frais de déplacements avec la mise à disposition d’un véhicule de fonction, ce refus ne s’est exprimé pleinement qu’après de nombreux mois d’échanges de courriers avec l’employeur qui a pu croire que son salarié accepterait finalement, après tous ces pourparlers la nouvelle formule; que par ailleurs, le refus de Monsieur X… s’est poursuivi ensuite jusqu’en décembre 1993 de sorte qu’à cette date, son employeur était recevable à sanctionner le comportement de son salarié qui se poursuivait malgré ses mises en garde, comme la lettre précitée du 9 novembre 1992, et de nombreux autres courriers au cours de l’année 1993;

Considérant qu’aux termes du contrat de travail de Monsieur X… les frais de déplacements étaient « pris en charge par la société sur présentation des justificatifs »;

Considérant que même si l’usage s’est instauré au sein de la société SBCB de rembourser à ses collaborateurs commerciaux des indemnités kilométriques forfaitaires, cet usage ne s’est nullement incorporé au contrat de travail de Monsieur X… de sorte que la dénonciation de cet usage par l’employeur ne saurait constituer une modification substantielle du contrat de travail;

Considérant qu’avant de mettre en vigueur un nouveau mode de prise en charge des frais de déplacements, la société SBCB, qui n’avait pas d’institutions représentatives du personnel, a dénoncé par note du 29 juillet 1992 à chaque salarié concerné, et en particulier à Monsieur X…, le remboursement des frais sous forme d’indemnités kilométriques et leur a détaillé les nouvelles modalités, en leur laissant un long délai de réflexion pour permettre les négociations

cas par cas, puisque le nouveau système a été mis en place seulement en mars 1993;

Considérant, dans ces conditions, que la société SBCB était tout à fait fondée, dans le cadre de ses pouvoirs de bonne gestion de l’entreprise, à mettre fin au paiement des indemnités kilométriques forfaitaires et à lui substituer un mode de prise en charge des frais de déplacement se rapprochant beaucoup plus des frais réels et comportant la mise à la disposition du salarié d’un véhicule de fonction et la prise en charge complète des frais afférents au fonctionnement de ce véhicule;

Considérant, par ailleurs, qu’il n’est pas démontré que le paiement d’indemnités kilométriques forfaitaires constituait en soi un mode de remboursement plus favorable au salarié que les nouvelles modalités décrites ci-dessus; qu’en tout état de cause, Monsieur X… ne pouvait légitimement prétendre au paiement par l’employeur de sommes supérieures au montant des frais réels par lui exposés et que, comme l’a souligné la société SBCB dans son courrier précité du 9 novembre 1992, la mise à disposition d’un véhicule de fonction lui assurait la prise en charge complète des frais afférents à ses déplacements professionnels, de sorte qu’il est mal fondé à alléguer une modification à son désavantage, peu important les incidences fiscales qui sont étrangères au droit du travail; qu’au surplus, Monsieur X… pouvait tout à fait, pour éviter toute incidence fiscale au titre des avantages en nature, restreindre l’utilisation de son véhicule à ses déplacements professionnels;

Considérant que c’est à tort que Monsieur X… prétend qu’il aurait dû être licencié pour motif économique alors que son licenciement ne résulte ni d’une suppression de poste, ni d’une modification substantielle et trouve essentiellement sa cause première et déterminante dans la persistance de son refus d’utiliser la voiture

de fonction mise à sa disposition;

Considérant que c’est également à tort que Monsieur X… prétend avoir été l’objet de discrimination en raison de sa candidature aux élections de délégués de personnel de novembre 1992 alors que la modification de la prise en charge des frais de déplacements a concerné tous les salariés et a été annoncée par note du 29 juillet 1992, soit antérieurement à la candidature de Monsieur X… auxdites élections; qu’il ne saurait davantage se plaindre de déqualification du seul fait que la direction générale lui avait retiré la gestion du client BEGUIN-SAY, alors qu’il n’en conservait pas moins un portefeuille important de clients;

Considérant, enfin, que concernant le prix de rachat de son véhicule proposé par la société SBCB à un montant inférieur à l’argus, la société intimée n’avait aucune obligation à cet égard et que si Monsieur X… estimait le prix proposé insuffisant, il avait tout loisir de vendre son véhicule à meilleur prix à l’acquéreur de son choix;

Considérant qu’il résulte de l’ensemble de ces énonciations que c’est à juste titre que les premiers juges ont estimé que le licenciement de Monsieur X… était fondé sur un motif réel et sérieux et qu’ils ont débouté celui-ci de sa demande de dommages et intérêts.

Sur la demande de rappel de congés payés

Considérant qu’au vu de son dernier bulletin de paie de mars 1994, Monsieur X… a perçu ses congés payés pour la période 1993-1994 en cours, ainsi qu’une somme de 8 243,05 F à titre de solde de la période antérieure 1992-1993; que cette somme est suffisante pour le remplir de ses droits au titre des exercices antérieurs, l’intéressé ne rapportant pas la preuve qu’il n’aurait pas pris, du fait de son employeur, les jours de congé dont il demande le paiement en sus de la somme réglée par la société SBCB;

Considérant, en définitive, qu’il convient de confirmer le jugement entrepris et de débouter Monsieur X… de son appel, en le condamnant aux dépens, ainsi qu’à participer aux frais et honoraires non inclus dans les dépens que la société intimée a dû exposer pour faire assurer sa défense;

Considérant qu’en introduisant la présente action prud’homale, Monsieur X… n’a commis aucun abus de droit et qu’il convient donc de débouter la société SBCB de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive;

Considérant qu’il n’y a pas lieu à amende civile; PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Statuant publiquement et contradictoirement;

Déboute Monsieur X… de son appel;

Confirme le jugement entrepris;

Y ajoutant,

Condamne Monsieur X… à payer à la société STORA BILLERUD CARTON la somme de 3 000 F (TROIS MILLE FRANCS) en application de l’article 700 du nouveau code de procédure civile;

Dit n’y avoir lieu à dommages et intérêts pour procédure abusive, ni à amende civile;

Condamne Monsieur X… aux dépens;

Et ont signé le présent arrêt, Madame BELLAMY, Président de Chambre et Madame Y…, Greffier.

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Textes cités dans la décision

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