Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 9 novembre 2023, n° 23/00916

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CA Versailles, 6e ch., 9 nov. 2023, n° 23/00916
Juridiction : Cour d'appel de Versailles
Numéro(s) : 23/00916
Importance : Inédit
Décision précédente : Conseil de prud'hommes de Cergy-Pontoise, 22 mars 2023, N° F22/00228
Dispositif : Autre
Date de dernière mise à jour : 18 novembre 2023
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Texte intégral

COUR D’APPEL

DE

VERSAILLES

Code nac : 80A

6e chambre

ARRET N°

CONTRADICTOIRE

DU 09 NOVEMBRE 2023

N° RG 23/00916

N° Portalis : DBV3-V-B7H-VY2O

AFFAIRE :

[H] [B]

C/

S.A.R.L TUPPERWARE GLOBAL CENTER SARL

Décision déférée à la cour : Jugement rendu

le 23 mars 2023 par le Conseil de Prud’hommes – Formation paritaire de CERGY-PONTOISE

Section : E

N° RG : F 22/00228

Copies exécutoires et

certifiées conformes délivrées à :

Me Frédéric LALLEMENT

Me Blandine DAVID

le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

LE NEUF NOVEMBRE DEUX MILLE VINGT TROIS,

La cour d’appel de Versailles a rendu l’arrêt suivant, devant initialement être rendu le 26 octobre 2023 et prorogé au 09 novembre 2023, les parties en ayant été avisées, dans l’affaire entre :

Madame [H] [B]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentant : Me Frédéric LALLEMENT de la SELARL BDL AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0480 – et Me Jean-Michel CHEULA, Plaidant, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0699

APPELANTE

****************

S.A.R.L TUPPERWARE GLOBAL CENTER

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Blandine DAVID de la SELARL KÆM’S AVOCATS, Constitué, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : R110 – et Me Marie-Laure TREDAN, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, vestiaire : 1701 substituée à l’audience par Me BACHES Manon, avocat au barreau des Hauts-de-Seine

INTIMEE

****************

Composition de la cour :

En application des dispositions de l’article 805 du code de procédure civile, l’affaire a été débattue à l’audience publique du 7 juillet 2023 les avocats des parties ne s’y étant pas opposés, devant Madame Isabelle CHABAL, Conseiller chargé du rapport.

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :

Madame Catherine BOLTEAU-SERRE, Président,

Madame Valérie DE LARMINAT, Conseiller,

Madame Isabelle CHABAL, Conseiller,

Greffier lors des débats : Madame Marine MOURET,

La société Tupperware Global Center, dont le siège social est situé [Adresse 2] à [Localité 3], dans le département des Hauts-de-Seine, appartient au groupe Tupperware et est spécialisée dans le secteur d’activité de la fabrication, la vente et la commercialisation de tous produits et de tous accessoires en matière plastique à usage ménager et domestique. Elle emploie plus de 10 salariés.

La convention collective applicable est celle des bureaux d’études techniques, des cabinets d’ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (dite Syntec).

Mme [H] [B], née le 22 décembre 1974, a travaillé en qualité de salariée au sein de différentes entités du groupe Tupperware :

— dans la société Tupperware France en qualité d’assistante du contrôleur financier du 15 novembre 1999 au 30 juin 2002,

— dans la société Tupperware Global Center en qualité d’analyste financier du 1er juillet 2002 au

31 mars 2003 puis de responsable marketing du 1er avril 2003 au 31 mars 2005,

— dans la société Tupperware France en qualité de chef Produits et budgets du 1er avril 2005 au mois d’octobre 2005, démissionnant par courrier du 3 octobre 2005 pour suivre son conjoint muté,

— dans la société Tupperware Nederland BV à Amsterdam en qualité de marketing manager en contrat à durée déterminée de novembre 2005 à l’été 2006 pour remplacer un congé de maternité,

puis en contrat à durée indéterminée du 1er juin 2006 au mois de mai 2008, moment où elle a démissionné,

— après une interruption de juin à décembre 2008 où elle a travaillé à Amsterdam pour la société Diageo Brands BV, distincte du groupe Tupperware, elle a été engagée à compter de janvier 2009 par la société Tupperware Products SA, au siège européen de Tupperware à Nyon en Suisse, par contrat de travail à durée indéterminée en qualité de « Manager of Products and Promotions in T.E.A.M » (responsable des produits et des promotions chez T.E.A.M soit Tupperware Europe, Afrique et Moyen Orient). Suite à une démission début 2017, son contrat de travail a pris fin le 9 juillet 2017,

— dans la société Tupperware Brands Corporation à Orlando, Floride, aux Etats-Unis, à compter du mois de juillet 2017 selon proposition d’embauche signée le 2 février 2017, en occupant le poste de

« Senior manager, category development management ». A ce titre elle avait un visa de travail du 4 juillet 2017 au 4 juin 2020. Elle a été promue "Director, Product marketing & innovation, Tupperware US & Canada" à compter du 1er février 2019.

A expiration de son visa de travail, Mme [B] a souhaité rentrer en France.

Le 16 juin 2020, la société Tupperware Global Center et Mme [B] ont signé une convention de prestations de services à durée déterminée de 3 mois du 16 juin 2020 au 15 septembre 2020,

Mme [B] s’étant immatriculée au registre du commerce et des sociétés.

Par avenant du 2 septembre 2020, les parties ont décidé de prolonger le contrat de prestation de services jusqu’au 31 décembre 2020.

Mme [B] a cessé définitivement ses relations contractuelles avec la société Tupperware Global Center le 31 décembre 2020.

Par requête du 20 avril 2022, Mme [B] a saisi le conseil de prud’hommes de Pontoise aux fins de voir :

— requalifier la convention de prestation de services en contrat de travail à compter du 16 juin 2020,

— juger, en conséquence, que le contrat de travail de Mme [B] a fait l’objet d’une rupture s’analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— condamner la société Tupperware Global Center à lui verser les sommes à caractère indemnitaire et/ou salariale suivantes :

. préavis de 3 mois : 26 454 euros brut,

. indemnité de licenciement : 105 816 euros net,

. dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 52 908 euros net,

. congés payés sur la période du 16 juin 2020 au 30 janvier 2021 : 5 291 euros,

. régularisation des charges sociales au titre de la période du 16 juin 2020 au 31 décembre 2020,

. dommages-intérêts qui ne sauraient être inférieurs à 6 mois de rémunération pour travail dissimulé ce dernier résultant de la non-déclaration du « salarié » auprès de l’Urssaf et de l’absence de paiement des cotisations sociales, l’employeur ayant eu recours à la prestation de service pour contourner le coût des charges sociales,

— exécution provisoire (article 515 du code de procédure civile),

— article 700 du code de procédure civile : 6 000 euros.

La société Tupperware Global Center avait, quant à elle, soulevé une exception d’incompétence matérielle, demandé que Mme [B] soit déboutée de ses demandes et sollicité sa condamnation à lui verser 3 000 euros sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.

Par jugement contradictoire rendu le 23 mars 2023, le conseil de prud’hommes de Pontoise, section encadrement :

— a dit que la société Tupperware Global Center est recevable en sa demande d’exception d’incompétence,

— s’est déclaré matériellement incompétent pour statuer sur les demandes présentées par Mme [B] au profit du tribunal de commerce,

— a renvoyé l’examen du litige devant le tribunal de commerce de Nanterre et dit qu’à défaut de recours, le dossier sera transmis à cette juridiction par les soins du greffe,

— a mis, selon les articles 695 et 696 du code de procédure civile, les éventuels dépens de l’instance à la charge de Mme [B].

Mme [B] a interjeté appel de la décision par déclaration du 5 avril 2023.

Par ordonnance rendue le 13 avril 2023, le délégué du premier président de la cour d’appel de Versailles a autorisé Mme [B] à assigner à jour fixe la société Tupperware Global Center à l’audience du 7 juillet 2023.

L’assignation a été délivrée à la société Tupperware Global Center, à personne, par acte de commissaire de justice en date du 27 avril 2023.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 juin 2023, Mme [H] [B] demande à la cour de :

— infirmer en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud’hommes de Pontoise en date du

23 mars 2023 qui, statuant sur la compétence, s’est déclaré incompétent,

— requalifier la convention de prestations de services en contrat de travail à compter du 16 juin 2020 et juger compétente la juridiction prud’homale,

— évoquer le fond et juger en conséquence que le contrat de travail de Mme [B] a fait l’objet d’une rupture s’analysant comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En conséquence :

— condamner la société Tupperware Global Center à verser les sommes suivantes :

. préavis de trois mois, soit 26 454 euros bruts,

. indemnité de licenciement de 12 mois de rémunération brute en application de la convention collective Syntec au vu d’une ancienneté de 20 années d’exercice, soit 105 816 euros nets,

. dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse de 52 908 euros nets,

. congés payés sur la période du 16 juin 2020 au 31 décembre 2020, soit 5 291 euros,

. régularisation des charges sociales au titre de la période du 16 juin 2020 au 31 décembre 2020,

. dommages et intérêts supplémentaires qui ne sauraient être inférieurs à 6 mois de rémunération pour travail dissimulé, ce dernier résultant de la non-déclaration du salarié auprès de l’URSSAF et de l’absence de paiement des cotisations sociales, l’employeur ayant eu recours à la prestation de service pour contourner le coût des charges sociales,

— rejeter les conclusions de l’intimée en toutes leurs fins et les juger infondées,

— condamner la société Tupperware Global Center à verser à Mme [B] la somme de 6 000 euros au titre de l’article 700 du nouveau [sic] code de procédure civile.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 9 juin 2023, la société Tupperware Global Center demande à la cour de :

A titre principal et in limine litis :

— confirmer le jugement déféré,

— constater l’irrégularité des demandes de Mme [B],

— renvoyer l’affaire devant la juridiction compétente, à savoir le tribunal de commerce de Nanterre,

A titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans considérait que la juridiction prud’homale est compétente :

— renvoyer l’affaire devant le conseil de prud’hommes de Cergy-Pontoise pour qu’il soit statué sur le fond,

A titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans considérait la juridiction prud’homale compétente et entendait évoquer le fond de l’affaire, peu important l’absence d’un double degré de juridiction dans ce cas :

— débouter Mme [B] de l’ensemble de ses demandes,

A titre très infiniment subsidiaire, si par extraordinaire la cour de céans considérait la juridiction prud’homale compétente et requalifiait le contrat de prestation de services en contrat de travail :

— condamner la société Tupperware Global Center à verser (à) Mme [B] la somme de 26 454 euros bruts à titre d’indemnité compensatrice de préavis,

— débouter Mme [B] de sa demande d’indemnité de licenciement,

— débouter Mme [B] de sa demande d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

— débouter Mme [B] de sa demande de dommages et intérêts pour travail dissimulé,

En tout état de cause :

— fixer les intérêts légaux sur les sommes de nature salariale à compter de la date de convocation au bureau de conciliation et d’orientation et les intérêts légaux des sommes de nature indemnitaire à compter de la date de jugement à venir,

— condamner Mme [B] à verser à la société la somme de 3 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile ainsi qu’aux entiers dépens.

En application de l’article 455 du code de procédure civile, il est renvoyé aux conclusions des parties pour plus ample exposé de leurs prétentions et moyens.

MOTIFS DE L’ARRET

Sur la compétence de la juridiction prud’homale

Mme [B] fait valoir qu’elle n’a pas démissionné de son contrat américain mais que ce dernier a cessé à l’expiration de son visa ; qu’elle a quitté les Etats-Unis en espérant, après 20 ans d’ancienneté, être naturellement reclassée dans le groupe Tupperware en France où elle avait commencé à exercer ses fonctions salariées pendant plus de 5 années, alors qu’elle se retrouvait avec deux enfants à charge, sans allocations chômage, couverture santé et logement immédiat.

Elle soutient que la convention de prestations de services n’a pas été négociée de bonne foi et qu’elle est fondée à remettre en cause la qualification juridique de ce contrat au regard des conditions de fait dans lesquelles était exercée son activité, que le conseil de prud’hommes n’a pas cru devoir examiner, se tenant à une lecture littérale de la convention.

La société répond que Mme [B] a démissionné de son contrat américain pour rentrer en France s’occuper de sa fille ; qu’elle a contacté Mme [R], responsable des ressources humaines de la société Tupperware Global Center, pour lui proposer une mission temporaire basée en France, le temps qu’elle trouve un poste plus pérenne en France hors du groupe ; qu’il a été consenti à sa demande de signer un contrat de prestations de services et que les coordonnées d’interlocuteurs au sein d’un cabinet de recrutement lui ont été transmises ; que faute pour Mme [B] d’avoir retrouvé un emploi à l’issue de sa mission, il a été décidé de prolonger son contrat de prestations de services jusqu’au 31 décembre 2020.

Elle fait valoir à titre principal que la décision de première instance doit être confirmée en ce que d’une part Mme [B] ne produit aucun contrat de travail et d’autre part que la convention de prestations de services qu’elle a signée mentionne en son article 11 la qualification juridique du contrat qui la lie à la société Tupperware Global Center, à savoir un contrat d’entreprise, qui ne peut être remise en cause par le juge.

Elle soutient à titre subsidiaire que la convention de prestations de services était valide et ne peut être requalifiée en contrat de travail.

Par application des dispositions de l’article L.1411-1 du code du travail, la juridiction prud’homale est compétente pour statuer sur tout litige ayant pour objet un différend relatif à l’existence d’un contrat de travail opposant le salarié et l’employeur prétendus.

Il résulte des articles L.1221-1 et suivants du code du travail que le contrat de travail suppose un engagement à travailler pour le compte et sous la subordination d’autrui moyennant rémunération.

Le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.

Il existe ainsi trois éléments constitutifs d’un contrat de travail :

— la fourniture d’un travail,

— la contrepartie d’une rémunération,

— l’existence d’un lien de subordination entre les parties.

En l’absence d’écrit ou d’apparence de contrat, il appartient à celui qui invoque un contrat de travail d’en rapporter la preuve, par tous moyens.

En l’espèce, à défaut de contrat de travail signé avec la société Tupperware Global Center en 2020,

il appartient à Mme [B] de rapporter la preuve qu’elle est liée à cette société par un contrat de travail.

1 – sur l’existence d’une convention de prestation de services

Le contrat d’entreprise ou de prestation de service est un contrat aux termes duquel un client confie à un entrepreneur, moyennant rémunération, la réalisation d’un ouvrage ou d’un service déterminé, que celui-ci se charge d’exécuter en toute indépendance.

L’article L.8221-6 du code du travail dispose que 'I. – Sont présumés ne pas être liés avec le donneur d’ordre par un contrat de travail dans l’exécution de l’activité donnant lieu à immatriculation ou inscription :

1° Les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ; (…)

II – L’existence d’un contrat de travail peut toutefois être établie lorsque les personnes mentionnées au I fournissent directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de

celui-ci'.

La présomption légale de non-salariat qui bénéficie aux personnes immatriculées au registre du commerce et des sociétés peut être détruite s’il est établi qu’elles fournissent des prestations au donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci.

Mme [B] expose que le groupe Tupperware lui a conseillé, avec une apparence de bonne foi, un contrat de prestations de services sous le régime de l’auto-entrepreneur, qu’elle l’a signé sans en connaître les conséquences et sans que son consentement ne soit éclairé ; qu’en réalité la convention n’a pas été négociée de bonne foi, que les dispositions de l’article 12 alinéa 3 du code de procédure civile y ont été insérées insidieusement et qu’en tout état de cause, d’une part les parties ne peuvent contraindre le juge à respecter la qualification juridique qu’elles ont proposé et d’autre part, l’exercice d’une relation de travail dépend des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs. Elle ajoute qu’il s’agissait de son retour en Europe, perspective envisagée par le contrat de travail américain qui prévoyait la prise en charge du retour en Suisse, siège européen de Tupperware, en cas de rupture du contrat américain.

La société objecte que les parties se sont accordées sur la qualification juridique du contrat de prestation de services, qui s’impose au juge.

Mme [B] a été à plusieurs reprises salariée de sociétés du groupe Tupperware ainsi qu’indiqué dans l’exposé du litige.

La proposition d’embauche qu’elle a signée le 2 février 2017 avec la société Tupperware Brands Corporation pour occuper un poste aux Etats-Unis à compter du mois de juillet 2017 prévoyait en son paragraphe 8 que dans l’éventualité de la cessation de son emploi, la société Tupperware prendrait en charge les frais de son retour en Suisse (billets d’avion et déménagement) et son relogement pendant 30 jours (pièce 6 de la salariée). En aucun cas il ne prévoyait une réembauche en Suisse et encore moins en France.

Il importe peu pour la solution du litige de savoir si Mme [B] a démissionné de son poste aux Etats-Unis, ce qui ne ressort d’ailleurs pas expressément des pièces produites par l’employeur alors que la démission ne se présume pas, ou si elle a cessé de travailler en raison de l’expiration de son visa de travail.

La société Tupperware Global Center (TGC) produit en pièce 13 une attestation de sa responsable des ressources humaines, Mme [N] [R], qui relate : "J’ai été en contact avec Mme [B] en juin 2020 pour établir une convention de prestations de services entre Mme [B] et la société TGC pour la période du 16 juin au 15 septembre 2020. Selon les informations données par Tupperware US/Canada qui employait Mme [B] depuis 2017, Mme [B] avait décidé de rentrer en France, pour des raisons personnelles. Je précise qu’il n’a jamais été évoqué avec Mme [B] d’autre option que la formalisation d’une relation de prestataire de services. Mme [B] revenant de plusieurs années en dehors de France et n’étant pas familière avec les démarches pour s’immatriculer en tant que travailleur indépendant, je lui ai fourni des renseignements sur le statut d’auto-entrepreneur et sur les modalités d’immatriculation. En parallèle, je lui ai proposé de la mettre en relation avec des cabinets de recrutement pour l’aider dans sa recherche d’emploi. Une fois que le contrat de prestation a été signé entre Mme [B] et TGC, mes contacts avec Mme [B] se sont limités à la réception de ses factures de prestations et à l’établissement, sur proposition de

TW US/Canada, d’une prolongation de sa convention de prestations jusqu’au 31/12/2020. Pendant tout le temps où Mme [B] a fourni sa prestation à la société TGC, elle n’a jamais évoqué avec moi une quelconque demande relevant d’un contrat de travail."

Une convention de prestations de services a ainsi été signée le 16 juin 2020 entre Mme [B]

et la société Tupperware Global Center (pièce 14 de la salariée), pour une durée déterminée de 3 mois du 16 juin 2020 au 15 septembre 2020, pour répondre au « besoin d’une aide ponctuelle pour la finalisation du choix des produits des deux prochains catalogues de la marque Tupperware », prévoyant pour Mme [B] la mission suivante :

« - finalisation de la gamme de produits 2020-2021,

— détermination des produits introduits et les sorties des deux prochains catalogues,

— réservation des moules pour les 18 prochains mois,

— transfert de connaissance,

— établir un plan de formation produit / des supports produits/des démos avec l’expert culinaire,

— faire la transition avec le nouveau chef de département."

Il était prévu que les parties conviendraient début septembre 2020 s’il convenait de prolonger le contrat. Une rémunération de 8 818 euros HT par mois de prestation était prévue, outre le remboursement des éventuels frais, sur justificatifs.

Par avenant du 2 septembre 2020, la convention de prestations de services a été prolongée jusqu’au

31 décembre 2020 (pièce 15 de la salariée), avec une mission ainsi complétée :

« - représentation de TW US/Canada au sein du groupe de travail sur les innovations produits :

. identifier les besoins de nouveaux produits et de « pick-up products » pour soutenir les plans

2021-2022,

. préparer des résumés des plans et prévisions des nouveaux produits répartis entre pick-up products and réels nouveaux produits".

Mme [B], ayant exercé des fonctions de directeur, était en mesure de comprendre la portée de ses engagements et du statut d’auto-entrepreneur qui a nécessité une démarche d’immatriculation au registre du commerce et des sociétés.

L’article 11 de la convention prévoyait que "Dans un souci de précision et afin d’éviter toute fausse interprétation de leurs intentions réciproques et des termes et conditions des présentes, les soussignés déclarent, en application expresse de l’article 12 alinéa 3 du nouveau [sic] code de procédure civile, que le présent contrat est un contrat d’entreprise."

L’article 12 du code de procédure civile dispose que : " Le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables.

Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée.

Toutefois, il ne peut changer la dénomination ou le fondement juridique lorsque les parties, en vertu d’un accord exprès et pour les droits dont elles ont la libre disposition, l’ont lié par les qualifications et points de droit auxquels elles entendent limiter le débat.

Le litige né, les parties peuvent aussi, dans les mêmes matières et sous la même condition, conférer au juge mission de statuer comme amiable compositeur, sous réserve d’appel si elles n’y ont pas spécialement renoncé."

Si en vertu de ces dispositions, le juge ne peut modifier la dénomination du contrat qui a été choisie d’un commun accord par les parties, il n’en demeure pas moins que l’existence des relations de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

En conséquence, l’article 11 de la convention signée entre les parties ne fait pas obstacle à l’examen par le juge des conditions de fait dans lesquelles Mme [B] exerçait ses fonctions, aux fins de déterminer s’il existait une relation de travail salariée.

2 – sur l’existence d’un contrat de travail

Pour faire valoir qu’elle se trouvait en réalité dans les liens d’un contrat de travail, Mme [B] invoque différents faits.

— sur l’appartenance passée à la société Tupperware Global Center en qualité de salariée et la mission exercée

Mme [B] fait valoir que sa mission était celle qu’elle exerçait aux Etats-Unis, au sein et sous l’autorité de la société Tupperware Global Center, à laquelle elle avait déjà appartenu.

Or en premier lieu, ainsi que le fait valoir la société, le fait que Mme [B] a exercé par le passé des fonctions salariées au sein de différentes entités du groupe Tupperware, en France ou à l’étranger selon des contrats locaux, n’a pas d’effet sur la qualification des relations contractuelles à compter de juin 2020.

La société réplique en second lieu que Mme [B] ne démontre pas en quoi ses missions auraient été les mêmes qu’aux Etats-Unis faute de produire aucun élément relatif aux tâches qu’elle réalisait lorsqu’elle travaillait pour la société américaine.

En effet, la seule production du courrier de la société Tupperware Brands en date du 8 janvier 2019 lui offrant un poste de "Director, Product Marketing & Innovation, Tupperware US and Canada" (pièce 8 de la salariée) ne saurait suffire à justifier de ses missions exactes aux Etats-Unis et de leur similitude avec les missions exercées au titre du contrat de prestations de services, lesquelles avaient nécessairement été confiées à Mme [B] au regard de la compétence acquise dans ses postes et en particulier le dernier exercé aux Etats-Unis.

En tout état de cause, comme le fait valoir la société, la similarité des fonctions exercées dans le cadre du contrat de travail conclu avec la société américaine est sans incidence sur la nature des relations contractuelles avec la société française.

— sur le travail au sein d’un service organisé

Il y a intégration à un service organisé lorsque l’activité s’exerce au sein d’une structure organisée mettant à la disposition de l’intéressé une structure matérielle (locaux, secrétariat, fournitures) qui implique pour lui de se soumettre à un minimum de contraintes (notamment horaires). Elle peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

Mme [B] fait valoir en premier lieu que basée en France, elle a travaillé au sein du service organisé de Tupperware Global Center, avec l’équipe de création globale basée à [Localité 4] qui réalisait des photos pour les Etats-Unis et le Canada, les brochures, les catalogues, sous l’autorité de Mme [G] [C], directrice de la création mondiale en poste à Tupperware Global Center, prenant également en charge des projets supplémentaires avec ses collègues pour le développement de nouveaux produits et leurs lancements.

Or, ainsi que le fait remarquer la société, Mme [B] ne produit aucune pièce pour en justifier.

La seule pièce produite par la salariée rendant compte de son travail au sein de la société Tupperware Global Center, outre les factures qu’elle a émises qui mentionnent « pour services rendus » pour chaque période (pièce 17), est un tableau de planning d’opérations, établi en anglais et non traduit, qui comporte son prénom au titre des « Product Maketing Lead » pour les brochures mensuelles des mois d’octobre 2020 à août 2021 (pièce 16).

Si ce document montre a priori qu’elle travaillait en lien avec les équipes de la société Tupperware Global Center, il ne démontre pas son positionnement dans la société et notamment le fait qu’elle était placée sous l’autorité hiérarchique de Mme [C].

Mme [B] invoque en second lieu le fait qu’elle a conservé tous ses accès informatiques, qu’elle a travaillé avec le même matériel qui lui avait été confié aux Etats-Unis (ordinateur et téléphone portables), que les conditions de télétravail étaient les mêmes qu’aux Etats-Unis ou que celles qu’elle avait pratiquées comme salariée de la société entre 2002 et 2005, sans produire aucune pièce pour en justifier.

Elle fait valoir que son adresse mail professionnelle est restée la même, mais il ressort des pièces 6 et 7 de l’employeur que l’adresse "StephanieVermander@Tupperware.com« était identifiée en interne comme »[B], Stephanie-Contractor", soit celle d’un prestataire.

Elle indique qu’elle disposait d’un badge d’accès aux locaux de la société dans lesquels elle se rendait fréquemment pour travailler avec l’équipe et la directrice des études marketing monde.

Elle n’en justifie cependant pas, alors que la société affirme qu’elle ne disposait pas d’un badge nominatif mais qu’elle se voyait simplement remettre un badge visiteur les rares fois où elle se rendait dans les locaux de la société car elle travaillait généralement chez elle.

Mme [B] invoque encore le fait que ses horaires de travail étaient souvent imposés sur la journée de travail américaine et qu’ils dépendaient totalement des meetings qui lui étaient imposés.

Là encore, elle ne produit aucune pièce pour en justifier alors que, ainsi que le souligne la société, le contrat de prestations de services prévoyait en son article 2 que « Le prestataire exercera son activité en toute indépendance et liberté, au mieux des intérêts de la société sans qu’aucun horaire lui soit assigné, hors les sessions auxquelles il participera et les réunions de travail dont les parties conviendront de la périodicité. »

— sur le lien de dépendance

Mme [B] fait valoir qu’elle travaillait dans une relation exclusive, à temps complet et de dépendance vis à vis de Tupperware Global Center, que sa rémunération était établie mensuellement, sans devis ni bon de commande préalable, pour un montant fixe constant chaque mois, sans détail sur le contenu des prestations fournies et qu’elle n’a pas eu d’autre revenu en 2020 que cette rémunération.

Ces éléments ne constituent cependant pas des critères d’existence du contrat de travail et le contrat de prestations de service prévoyait en son article 2 que le prestataire avait la faculté d’exercer pour son compte toute autre activité de son choix et de recruter au besoin le personnel nécessaire, d’effectuer des opérations pour son compte personnel et d’intervenir pour d’autres entreprises.

— sur le lien de subordination

Mme [B] affirme que tout en poursuivant son activité en France au sein de la société Tupperware Global Center, elle était également placée sous l’autorité hiérarchique de M. [M] [I], successeur de Mme [Y] [J] à qui elle reportait lorsqu’elle était en poste aux

Etats-Unis ; qu’il lui donnait des instructions, la guidait et entretenait avec elle une relation similaire à celle qu’elle avait eue avec ses précédents N+1 aux Etats-Unis.

Outre le fait qu’elle ne produit aucune pièce pour en justifier, un lien hiérarchique avec un membre de la société américaine Tupperware Brands Corporation est inopérant pour caractériser un contrat de travail avec la société française Tupperware Global Center, ainsi que le fait remarquer l’intimée.

Mme [B] fait valoir qu’elle recevait des instructions et des dates pour réaliser ses tâches.

A ce titre, elle invoque à nouveau le tableau qu’elle produit en pièce 16 qui comporte un planning de travail. Or le fait de rendre un travail à une date précise ne constitue pas en soi un indice de lien de subordination, le respect d’un planning pouvant être tout autant requis d’un prestataire de services.

Ainsi, Mme [B] ne démontrant pas qu’elle travaillait avec la société Tupperware Global Center dans un lien de subordination caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné, il ne peut être retenu qu’il existait un contrat de travail entre elle et la société Tupperware Global Center donnant compétence au conseil de prud’hommes pour statuer sur ses demandes financières.

La décision de première instance par laquelle le conseil de prud’hommes s’est déclaré matériellement incompétent pour statuer sur ses demandes au profit du tribunal de commerce de Nanterre sera en conséquence confirmée.

Sur les demandes accessoires

La décision de première instance sera confirmée en ses dispositions relatives aux dépens et frais irrépétibles.

Mme [B] sera condamnée aux dépens d’appel et à payer une somme de 1 000 euros à la société Tupperware Global Center au titre de l’article 700 du code de procédure civile, sa demande du même chef étant rejetée.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

Confirme en toutes ses dispositions le jugement rendu le 23 mars 2023 par le conseil de prud’hommes de Pontoise,

Y ajoutant,

Condamne Mme [H] [B] aux dépens d’appel,

Condamne Mme [H] [B] à payer à la société Tupperware Global Center une somme de 1 000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile,

Déboute Mme [H] [B] de sa demande formée au titre de l’article 700 du code de procédure civile.

Arrêt prononcé publiquement à la date indiquée par mise à disposition au greffe de la cour d’appel, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile et signé par Madame Valérie de Larminat, conseiller, pour Mme Catherine Bolteau-Serre, président empêché, et par Mme Domitille Gosselin, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Le greffier, P/ Le président empêché,

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Cour d'appel de Versailles, 6e chambre, 9 novembre 2023, n° 23/00916