CAA de NANCY, 2ème chambre, 31 décembre 2021, 21NC01837, Inédit au recueil Lebon

  • Étrangers·
  • Asile·
  • Immigration·
  • Hébergement·
  • Justice administrative·
  • Cada·
  • Enfant·
  • Préjudice moral·
  • Centre d'accueil·
  • Tribunaux administratifs

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA Nancy, 2e ch., 31 déc. 2021, n° 21NC01837
Juridiction : Cour administrative d'appel de Nancy
Numéro : 21NC01837
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Décision précédente : Tribunal administratif de Strasbourg, 16 novembre 2020, N° 1801351, 1807802
Identifiant Légifrance : CETATEXT000044861269

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C… B… a demandé au tribunal administratif de Strasbourg d’annuler la décision par laquelle la directrice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration a retiré sa décision du 29 novembre 2017 admettant Mme B… au centre d’accueil pour demandeurs d’asile et de condamner l’Office français de l’immigration et de l’intégration à lui verser une somme de 46 000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle et ses deux enfants ont subi en raison de l’absence de proposition d’hébergement pendant toute la durée d’examen de sa demande d’asile.

Par un jugement n° 1801351, 1807802 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision du 19 janvier 2018 par laquelle la directrice de l’OFII a retiré sa décision du 29 novembre 2017 admettant Mme B… au centre d’accueil pour demandeurs d’asile de Strasbourg et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés respectivement le 25 juin et le 10 novembre 2021, Mme B…, représentée par Me Chebbale, demande à la cour :

1°) d’annuler ce jugement du 17 novembre 2020 en tant qu’il a rejeté ses conclusions indemnitaires ;

2°) de condamner l’Office français de l’immigration et de l’intégration de lui verser une somme de 46 000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle et ses deux enfants ont subi ;

3°) de mettre à la charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration une somme de 2 400 euros à verser à son conseil en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

 – le refus de l’héberger méconnaît les articles L. 744-1 et L. 744-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile en raison de la situation de vulnérabilité de la famille et du handicap de son fils ;

 – ce refus fondé sur le handicap de son fils méconnaît les stipulations des articles 8 et 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – ce refus de l’héberger pendant la durée d’examen de sa demande d’asile constitue une faute de l’administration ;

 – le lien de causalité entre la faute et son préjudice est établi puisqu’en l’absence d’hébergement en CADA elle s’est retrouvée dans une situation difficile et indigne ;

 – son préjudice moral est constitué par l’angoisse causée par l’absence de solution pérenne d’hébergement avec deux enfants, dont un en situation de handicap et par ses conditions de vie difficiles ;

 – le préjudice moral pour elle et ses enfants est évalué à la somme de 46 000 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2021, l’Office français de l’immigration et de l’intégration, représenté par Me de Froment, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme B… ne sont pas fondés.

Mme B… a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 3 mai 2021.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

 – la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

 – le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

 – la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée ;

 – le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

 – le rapport de Mme Mosser,

 – et les conclusions de Mme Haudier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C… B…, née le 28 novembre 1972 à Kinshasa (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, est entrée en France le 1er août 2016 avec ses deux enfants mineurs, dont le plus jeune est handicapé, afin d’y solliciter l’asile. Ayant accepté les conditions matérielles d’accueil, elle a perçu l’allocation pour demandeur d’asile à compter du mois d’août 2016. Le 29 novembre 2017, Mme B… a été invitée à se présenter dans un centre d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) mais le 4 décembre 2017, l’accès au centre lui a été refusé. Le 19 janvier 2018, elle a demandé à la directrice de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) les motifs du refus d’hébergement. La directrice lui a indiqué que le CADA n’était pas en mesure d’accueillir les personnes à mobilité réduite. Mme B… a introduit un recours aux fins d’annulation de cette décision et un recours aux fins de condamnation de l’OFII eu égard au préjudice moral qu’elle et ses enfants ont subi. Par un jugement en date du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Strasbourg a annulé la décision de la directrice de l’OFII en date du 19 janvier 2018 et rejeté le surplus des conclusions de ses demandes. Mme B… relève appel du jugement du 17 novembre 2020 en tant qu’il a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l’OFII à lui verser une somme de 46 000 euros en réparation du préjudice moral qu’elle et ses deux enfants ont subi en raison de l’absence de proposition d’hébergement pendant toute la durée de sa demande d’asile.

Sur la responsabilité :

2. D’une part, l’article L. 744-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers dispose que : « Les conditions matérielles d’accueil du demandeur d’asile, au sens de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale, sont proposées à chaque demandeur d’asile par l’Office français de l’immigration et de l’intégration après l’enregistrement de la demande d’asile par l’autorité administrative compétente, en application du présent chapitre. Les conditions matérielles d’accueil comprennent les prestations et l’allocation prévues au présent chapitre. (…) ». Aux termes de l’article L. 744-9 de ce code : « Le demandeur d’asile qui a accepté les conditions matérielles d’accueil proposées en application de l’article L. 744-1 bénéficie d’une allocation pour demandeur d’asile s’il satisfait à des conditions d’âge et de ressources. (…) ». L’article D. 744-26 du même code dispose que : « En application du cinquième alinéa de l’article L. 744-9, l’allocation pour demandeur d’asile est composée d’un montant forfaitaire, dont le niveau varie en fonction du nombre de personnes composant le foyer, et, le cas échéant, d’un montant additionnel destiné à couvrir les frais d’hébergement ou de logement du demandeur. Le montant additionnel n’est pas versé au demandeur qui n’a pas manifesté de besoin d’hébergement ou qui a accès gratuitement à un hébergement ou un logement à quelque titre que ce soit. (…) ».

3. Il résulte des dispositions énoncées ci-dessus que lorsqu’un demandeur d’asile n’est pas hébergé, l’allocation dont il bénéficie est composée d’un montant forfaitaire et d’un montant additionnel destiné à compenser l’absence d’une solution d’hébergement en nature. Dès lors que l’allocation dont bénéficie un demandeur d’asile qui n’est pas hébergé comporte le montant additionnel prévu à l’article D. 744-26 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’absence d’hébergement en nature ne saurait constituer, par elle-même, une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique.

4. D’autre part, aux termes de l’article L. 744-6 du même code : « A la suite de la présentation d’une demande d’asile, l’Office français de l’immigration et de l’intégration est chargé de procéder, dans un délai raisonnable et après un entretien personnel avec le demandeur d’asile, à une évaluation de la vulnérabilité de ce dernier afin de déterminer, le cas échéant, ses besoins particuliers en matière d’accueil. Ces besoins particuliers sont également pris en compte s’ils deviennent manifestes à une étape ultérieure de la procédure d’asile. Dans la mise en œuvre des droits des demandeurs d’asile et pendant toute la période d’instruction de leur demande, il est tenu compte de la situation spécifique des personnes vulnérables. »

5. Il résulte de l’instruction que le 5 août 2016, Mme B… a déposé une demande d’asile et a accepté l’offre de prise en charge de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (l’OFII) pour elle-même, ses deux enfants. A… B… soutient, sans être contredite, qu’elle a informé à cette occasion l’OFII que son plus jeune fils, né en 2012, est paraplégique et se déplace en fauteuil roulant. Or si le 29 novembre 2017, un hébergement en CADA lui a été proposé, l’accès au centre lui été refusé le 4 décembre suivant au motif que la structure du centre ne permettait pas d’accueillir des personnes à mobilité réduite. Si l’OFII fait valoir, sans être utilement contredite, qu’à compter du mois de novembre 2017, Mme B… et ses deux enfants ont été pris en charge de manière pérenne par le dispositif d’hébergement d’urgence, ainsi qu’il ressort notamment d’un courriel daté du 15 mars 2018, il n’en demeure pas moins que cet hébergement leur a été fourni plus d’un an après l’introduction de sa demande d’asile alors que la famille se trouvait en situation de vulnérabilité. Le manquement ainsi commis par l’OFII à son obligation d’assurer à Mme B… et à ses deux enfants, selon leurs besoins et leurs ressources, des conditions d’accueil comprenant notamment l’hébergement est constitutif d’une faute de nature à engager sa responsabilité.

Sur le préjudice :

6. Il résulte de ce qui a été dit au point précédent que Mme B… et ses deux enfants ont vécu plus de douze mois sans solution d’hébergement pérenne. Dans ces conditions, Mme B… est en droit d’obtenir la condamnation de l’OFII à réparer le préjudice moral direct et certain résultant pour elle et ses enfants de cette situation. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en condamnant l’OFII à verser à Mme B… une somme de 2 000 euros.

Sur l’application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

7. Mme B… a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Chebbale, son avocate, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, de mettre à la charge de l’OFII la somme de 1 000 euros à verser à cet avocat au titre des frais exposés devant le tribunal et dans le cadre de la présente instance.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 17 novembre 2020 est annulé en tant qu’il a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par Mme B….

Article 2 : L’OFII est condamné à verser à Mme B… une indemnité de 2 000 euros en réparation du préjudice subi.

Article 3 : L’OFII versera à Me Chebbale, avocate de Mme B…, une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C… B… et à l’Office français de l’immigration et de l’intégration .

Une copie du présent arrêt sera adressée à la préfète du Bas-Rhin.

2

N° 21NC01837

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CAA de NANCY, 2ème chambre, 31 décembre 2021, 21NC01837, Inédit au recueil Lebon