CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 02PA01786

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : appel de Versailles du 30 décembre 2004, commune de Taverny, n° 02VE02420
arrêt de Plénière du 4 juin 1998, Ville de Metz c/ Masson, n° 97NC02102
CE, 4 juillet 1997, M. Y, p. 282
CE, commune de Pertuis, 28 janvier 2004, n° 256544
CE, Section, 10 février 1995, Riehl, p. 66
CE, Section, 10 février 2005, Commune de Coudekerque-Branche c/ Devos, p. 67

Texte intégral

02PA01786
Commune d’Issy-les-Moulineaux
Lecture du 22 novembre 2005
Conclusions de A B, commissaire du gouvernement.
A la suite des élections municipales de mars 2001, le conseil municipal de la commune d’Issy-les-Moulineaux a adopté son règlement intérieur, par une délibération du 28 juin 2001, en application de l’article L. 2121-8 du code général des collectivités territoriales. Mme C X, conseillère municipale, a alors demandé au Tribunal administratif de Paris d’annuler certains articles de ce nouveau règlement, tout en sollicitant, par la voie du référé, sa suspension . La recevabilité de ces recours ne soulevait pas de difficultés, puisque l’ article L. 2121-8 du code, issu de la loi du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République, prévoit explicitement que les règlements peuvent faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat l’a confirmé à plusieurs reprises ( CE, Section, 10 février 1995, Riehl, p. 66 ; CE, Section, 10 février 2005, Commune de Coudekerque-Branche c/ Devos, p. 67).
La demande de suspension a été rejetée, mais par un jugement du 13 mars 2002, le tribunal a fait en grande partie droit aux conclusions à fins d’annulation, en annulant plusieurs articles du règlement intérieur : l’article 21, relatif aux modalités de prise de parole au sein du conseil municipal, l’article 38 concernant la répartition des conseillers municipaux en deux groupes, enfin l’article 39 relatif à la mise à disposition d’un local aux conseillers minoritaires.
Il faut préciser que ce premier jugement du 13 mars 2002 a été suivi d’un second jugement en date du 4 septembre 2002, uniquement consacré aux frais irrépétibles. En effet, des conclusions à fins de frais irrépétibles avaient été présentées par Mme X peu avant l’audience du 6 mars 2002, et ces conclusions avaient été communiquées à la commune la veille de celle-ci. Le Tribunal a donc préféré –un peu curieusement à notre avis- rouvrir l’instruction, après l’audience, afin de recueillir les observations de la commune sur ce point. C’est pourquoi le jugement du 13 mars 2002 correspond à un jugement mixte : il est avant dire droit en ce qui concerne les frais irrépétibles, comme le montre l’article 3 de son dispositif. Mme X a finalement obtenu, par le second jugement du 4 septembre 2002, qu’une somme représentative des frais exposés soit mise à la charge de la commune.
C’est uniquement le premier jugement du 13 mars 2002 que la commune d’Issy-les-Moulineaux vous demande aujourd’hui d’infirmer, en tant que ce jugement a annulé plusieurs articles du règlement intérieur.
La commune critique d’abord la régularité du jugement, mais cette critique ne nous paraît pas fondée. D’abord, la minute du jugement comporte bien l’analyse du mémoire que la commune avait produit en défense, avec le visa des conclusions et moyens contenus dans ce mémoire. Il n’y a donc pas de méconnaissance de l’article R. 200 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel (actuel article R. 741-2 du code CJA). Ensuite, si la commune d’Issy-les-Moulineaux fait valoir qu’elle n’a pas disposé d’un délai suffisant pour produire ses observations à la suite de la communication d’un mémoire en réplique de Mme X, la lecture de ce mémoire en réplique, enregistré le 1er mars 2002, ne contient pas de moyens nouveaux à l’appui des conclusions à fins d’annulation et se borne à réitérer ou développer des arguments déjà exposés précédemment. Nous ne voyons donc pas en l’espèce de méconnaissance de l’article R. 138 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
Abordons donc à présent le fond.
Pour cela, il faut examiner successivement les différents articles incriminés du règlement intérieur.
L’article 21 est rédigé de la manière suivante : « A l’exception du Président qui peut prendre la parole à tout moment, aucun conseiller ne peut parler sans avoir demandé la parole et l’avoir obtenue du Président. Le rapporteur devra s’efforcer de présenter la question de manière brève et succincte. Pour la discussion d’une délibération, il est prévu une intervention par groupe. Les conseillers ne doivent pas s’écarter de la question, sinon le Président les y rappelle. S’ils ne défèrent pas à ce rappel, de même s’ils parlent sans avoir obtenu l’autorisation ou lisent un discours, le Président peut leur retirer la parole. Le président de séance peut interrompre l’orateur et l’inviter à conclure rapidement. Sauf autorisation du Président de séance, aucun membre du conseil municipal ne peut reprendre la parole dans la discussion d’une délibération sur laquelle il est déjà intervenu ».
Il est évident qu’une police des débats est nécessaire pour assurer leur sérénité et leur efficacité. Pour autant, les limites au droit d’expression des conseillers municipaux ne doivent pas être excessives, puisque tant la Constitution elle-même, dans son article 72, que la loi (article 2121-29 du code général des collectivités territoriales ) prévoient que c’est le conseil élu qui règle, par ses délibérations, les affaires de la commune, ce qui implique l’existence d’un droit d’expression suffisant des conseillers . Le Tribunal en a déduit qu’en limitant à une intervention par groupe la discussion d’une délibération et en interdisant à l’un des conseillers étant déjà intervenu de reprendre la parole, l’article 21 du règlement était entaché d’illégalité.
Cette solution nous paraît rejoindre celle adoptée par d’autres juridictions.
Ainsi, la cour administrative d’appel de Nancy, dans un arrêt de Plénière du 4 juin 1998, Ville de Metz c/ Masson, n° 97NC02102, a rappelé que « les conseillers municipaux tiennent de leur qualité de membres de l’assemblée municipale appelés à délibérer sur les affaires de la commune, le droit d’être informés et de s’exprimer sur tout ce qui touche à ces affaires dans des conditions leur permettant de remplir pleinement leur mandat ». Elle a censuré en conséquence une disposition du règlement intérieur prévoyant que les conseillers municipaux n’appartenant pas ou ne pouvant être rattachés à un groupe déterminé ne pouvaient s’exprimer que par le biais d’un délégué, élu par eux au sein d’une « réunion administrative », et seul habilité à s’exprimer en leur nom. La cour a également reconnu, dans la même décision, l’existence d’un « droit d’amender », inhérent au pouvoir de délibérer des conseillers municipaux. De la même façon, s’il appartient au conseil municipal de réglementer ce droit, il ne peut porter atteinte à son exercice effectif.
Une décision récente de la cour administrative d’appel de Versailles du 30 décembre 2004, commune de Taverny, n° 02VE02420, concerne une hypothèse encore plus proche de la nôtre . Dans cette affaire, la cour a jugé que la limitation à 6 minutes du temps de parole total des conseillers municipaux, à l’exception du maire, de l’adjoint et du rapporteur sur chaque affaire inscrite avec débat à l’ordre du jour méconnaissait le droit à l’expression des conseillers municipaux.
Bien que le Conseil d’Etat ne semble pas s’être expressément prononcé à ce jour sur l’étendue du droit d’expression des conseillers municipaux, nous vous proposons en l’espèce de confirmer le jugement sur ce point, le souci d’efficacité et de rapidité reflété par la disposition en cause ne pouvant justifier une discipline des débats aussi sévère.
La confirmation du jugement nous paraît s’imposer encore davantage en ce qui concerne l’annulation de l’article 38 du règlement intérieur, rédigé de la manière suivante : « Conformément aux résultats des élections municipales du 11 mars 2001 et par respect du principe du suffrage universel, les membres du conseil se répartissent en deux groupes : le groupe « Issy l’Union » et le groupe « Enfin vivre Issy ». Contrairement à ce que soutient la commune, l’incidence de cet article ne se limite pas à la question de la présentation, par les conseillers, de questions orales. Elle s’étend à l’examen, en séance, des projets de délibérations, puisque la prise de parole est aménagée, pour l’examen des délibérations, en fonction des groupes.
Comme l’a relevé à bon escient le tribunal, aucune disposition légale ne confère au conseil municipal de décider, même « au nom du suffrage universel », de l’affiliation de ses membres dans des groupes. D’ailleurs, l’existence des groupes n’est prévue, selon l’article L. 2221-28 du code général des collectivités territoriales, que dans les communes de plus de 100 000 habitants, et même dans cas, la constitution de groupes d’élus s’effectue par la remise au maire d’une déclaration, signée des membres les composant. L’initiative doit donc provenir des conseillers municipaux, au terme d’une démarche individuelle, et non du conseil municipal par le biais du règlement intérieur.
Enfin, reste à examiner l’article 39 du règlement, qui prévoit la mise à disposition d’un local aux élus du groupe « Enfin vivre Issy », une mise à disposition qui se limite à deux heures par jour, de 18 h à 20 h, et à l’exception des samedis, dimanches et jours fériés .
Le Tribunal a considéré que cet article méconnaissait les articles L. 2121-27 et D. 2121-12 du code général des collectivités territoriales. Le premier de ces articles dispose que dans les communes de plus de 3500 habitants, les conseillers n’appartenant pas à la majorité et qui en font la demande , peuvent disposer sans frais du prêt d’un local commun, ainsi que l’article D. 2121-12 précise que « les modalités d’aménagement et d’utilisation du local commune mis à la disposition des conseillers n’appartenant pas à la majorité municipale sont fixés par accord entre ceux-ci et le maire. En cas de désaccord, il appartient au maire d’arrêter les conditions de cette mise à disposition. Dans les communes de 10 000 habitants et plus, les conseillers municipaux concernés peuvent, à leur demande, disposer d’un local administratif permanent ». Le tribunal a constaté que la commune comptait plus de 10 000 habitants et que la mise à disposition du local n’était pas permanente. Il a, en outre, émis un doute quant à la compétence du conseil municipal pour arrêter les modalités de la mise à disposition du local, puisque l’article D 2121-12 attribue cette compétence au maire.
Il est exact que le droit, pour les élus n’appartenant pas à la majorité municipale, de disposer d’un local, a été consacré par la jurisprudence, laquelle a précisé que cette mise à disposition devait intervenir dans un délai raisonnable (CE, 4 juillet 1997, M. Y, p. 282, Z 1997, p. 584 ; CE, commune de Pertuis, 28 janvier 2004, n° 256544, Z p. 932, à propos de l’illégalité de la disposition d’un règlement intérieur limitant à une matinée par semaine la mise d’un local à disposition des élus de l’opposition..
En l’espèce, il nous semble toutefois que cet article 39 du règlement intérieur n’entend pas, et pour cause, répondre à une demande présentée par des élus n’appartenant pas à la majorité municipale.
En réalité, le conseil municipal a tiré les conséquences de son article 38 créant de manière impérative deux groupes de conseillers, et, dans sa générosité, a octroyé à ce groupe un local, de façon partielle. Il a adopté une logique applicable, en vertu de l’article L. 2221-28, aux communes de plus de 100 000 habitants : « Dans les conseils municipaux des communes de plus de 100 000 habitants, le fonctionnement des groupes d’élus peut faire l’objet de délibérations … Dans ces mêmes conseils municipaux, les groupes d’élus se constituent par la remise au maire d’une déclaration, signée de leurs membres, accompagnée de la liste de ceux-ci et de leur représentant. Dans les conditions qu’il définit, le conseil municipal peut affecter aux groupes d’élus, pour leur usage propre ou pour un usage commun, un local administratif, du matériel de bureau… ». Mais cette procédure n’est pas applicable en l’espèce, puisque la commune n’a pas 100 000 habitants, et surtout, nous l’avons vu, que les groupes ont été constitués en l’espèce de manière impérative.
Par conséquent, cet article 39 est illégal en conséquence de l’article 38, lequel crée illégalement des groupes.
Il est vrai que c’est la confusion entretenue par la commune entre la notion de « groupe d’élus », qui s’applique le cas échéant aux communes de plus de 100 000 habitants , et la notion d’ « élus n’appartenant pas à la majorité municipale », applicable à toutes les communes de plus de 3500 habitants, qui explique la solution retenue par le Tribunal. Si l’on tient compte de cette confusion, il est également possible, à titre subsidiaire, de considérer que les dispositions de l’article L. 2121-27 du code général des collectivités territoriales ont été méconnues.
Au total, par ces motifs, nous concluons au rejet de la requête de la commune d’Issy-les-Moulineaux, et à sa condamnation à payer à Mme X une somme de 1500 euros au titre des frais de procédure.

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