CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 91PA00230

  • Non titulaire·
  • Beaux-arts·
  • Décret·
  • École nationale·
  • Professeur·
  • Conseil d'etat·
  • Gouvernement·
  • Éducation nationale·
  • Délai·
  • Délai raisonnable

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CAA
Juridiction : Cour administrative d'appel
Précédents jurisprudentiels : 1er juillet 1992, Société A B, requête n° 89PA02498
arrêt du 20 janvier 1989, MmeFrançoise Bomsel, n° 47287
Conseil d'Etat du 20 décembre 1985:ministre de l' éducation nationale contre Rouit, n° 47060
Conseil d'Etat du 23 octobre 1985, M.Netter, n° 49881

Texte intégral

N°91PA00230 M. D C-Z
Lecture du 2 février 1993
Conclusions de Madame X, Commissaire du gouvernement Monsieur D C-Z, recruté le 1er janvier 1969 comme professeur contractuel à l’unité pédagogique n°2 de l’école d’architecture de Paris La Seine, a, par lettre du 9 février 1989 adressée au ministre de l’équipement et du logement, sollicité, d’une part, sa titularisation dans le corps des professeurs à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts et,d’autre part, l’intervention du décret nécessaire à son intégration dans ce corps, demandant, en outre et à titre subsidiaire, qu’une indemnité en capital, destinée à réparer le préjudice résultant de son absence de titularisation, lui soit allouée.
Par décision en date du 18 avril 1989, le ministre a rejeté cette demande en arguant, à titre principal, de son incompétence au motif que la gestion du corps des professeurs à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts relevait du ministre de la culture. M. C-Z a alors saisi le 29 juin 1989 le tribunal administratif de Paris d’une demande tendant à l’annulation de la décision précitée et à la condamnation de l’Etat à lui verser la somme de 275.000F en réparation du préjudice subi.
Par jugement du 20 décembre 1990, le tribunal administratif a annulé la décision du 18 avril 1989 au motif que le ministre de l’équipement et du logement avait méconnu sa compétence mais a rejeté la demande d’indemnisation formulée par l’intéressé. C’est ce jugement, notifié le 28 janvier 1991 que M. C-Z vous défère aux fins de réformation par requête enregistrée au greffe de la cour le 25 mars 1991.
Pour demander réparation du préjudice subi, le requérant se fonde exclusivement, devant vous, sur la faute commise par le pouvoir exécutif en s’abstenant de prendre dans le délai prévu par l’article 24 de la loi n°83-451 du 11 juin 1983 les décrets relatifs à l’accès des agents non titulaires aux différents corps de fonctionnaires.
La première question qui se pose est de déterminer si ces décrets étaient un préalable nécessaire à l’intégration de M. C-Z dans le corps des professeurs à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts.
Si l’article 8 de la loi du 11 juin 1983 dont les dispositions ont été reprises par l’article 73 de la loi n° 84-16du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’Etat, prévoit que les agents non titulaires qui occupent un emploi permanent à temps complet des administrations, services et établissements publics de l’Etat ont vocation sur leur demande à être titularisés, sous réserve notamment d’être en fonctions au 14 juin 1983 et d’avoir accompli à la date de dépôt de leur demande des services effectifs d’une durée équivalente à deux ans au moins de services à temps complet, il résulte des dispositions des articles 79 et 80 de la loi du 11 janvier 1984 que cette titularisation est subordonnée à l’intervention de décrets en Conseil d’Etat fixant, pour chaque ministère, les corps auxquels les agents non titulaires peuvent accéder et organisant les modalités d’accès à ces corps. En conséquence, l’intervention d’un décret en Conseil d’Etat constituait le préalable indispensable à la titularisation de M. C-Z (voir en ce sens l’arrêt du Conseil d’Etat du 24 septembre 1990 : Mme Y de La Roche reproduit et commenté à l’AJDA du 20 janvier 1991, p. 65).
En l’espèce, si les intégrations des non titulaires dans les corps de catégories C et D étaient terminées en 1986, il n’en a pas été de même pour la catégorie B, où les titularisations sont encore en cours, et pour la catégorie A, à laquelle appartient le requérant. En effet, en ce qui concerne cette dernière catégorie, les décrets, à l’exception de ceux relatifs aux corps d’enseignants du secondaire et du supérieur relevant des ministères de l’éducation nationale et de la recherche, ne sont pas encore intervenus.
Or, selon la jurisprudence, l’Etat qui s’abstient de prendre une mesure qu’il était légalement tenu de prendre dans le délai qui lui était imparti ou, à défaut, dans un délai raisonnable, commet une faute de nature à engager sa responsabilité, que cette abstention procède d’une volonté délibérée ou qu’elle résulte simplement d’une certaine inertie administrative. C’est ainsi que le Conseil d’Etat, dans un arrêt d’assemblée du 27 novembre 1964 : ministre des finances et des affaires économiques contre dame Veuve Renard, publié avec les conclusions du commissaire du Gouvernement, M. Galmot au recueil Lebon, p. 590, a confirmé le jugement du tribunal administratif condamnant l’Etat à indemniser Mme Renard, au motif qu’en s’abstenant de prendre dans un délai raisonnable les mesures réglementaires d’application prévues par l’article 13 du décret n°81-4445 du 12 décembre 1951, celui-ci avait commis une faute. De même, votre cour, dans un arrêt de plénière du 1er juillet 1992, Société A B, requête n° 89PA02498 publié à la RJF d’août/septembre 1992, p. 762, n°1280, a jugé que l’absence de transcription en droit interne des dispositions de la 6e directive de la Communauté Economique Européenne, qui exonéraient de la taxe sur la valeur ajoutée les opérations réalisées par les agents d’assurances, dans le délai imparti par ladite directive, était constitutive d’une faute de nature à engager la responsabilité de l’Etat, alors même que le délai de transcription initialement fixé ait été prolongé d’un an, par la 9e directive.
Enfin, dans un arrêt du 8 juillet 1992, M. Gimenez et autres, le Conseil d’Etat, statuant en matière de recours pour excès de pouvoir, a annulé, pour illégalité, sur la demande de plusieurs agents non titulaires du ministère de l’agriculture, le refus implicite de Premier ministre de prendre les décrets en Conseil d’Etat, qui auraient permis leur titularisation dans un corps de catégorie B, au motif que le gouvernement avait l’obligation de prendre les décrets prévus par les articles 79 et 80 de la loi du 11 janvier 1984 dans un délai raisonnable et que ce délai, en ce qui concerne les agents non titulaires du ministère de l’agriculture ayant vocation à être nommés dans un corps de catégorie B, était dépassé à la date de la décision attaquée.
Or vous êtes, en l’espèce, dans un cas de figure similaire à celui qui a fait l’objet de ce dernier arrêt. En effet, même si vous ne vous référez pas, comme l’a fait la cour de céans dans l’arrêt précité du 1er juillet 1992, à la date limite du 14 juin 1984 impartie par l’article 24 de la loi du 11 juin 1983, dans la mesure où ladite loi, abrogée par l’article 75 de la loi n° 87-588 du 30 juillet 1987, n’était plus en vigueur au 9 février 1989, date à laquelle M. C-Z a formulé sa demande de titularisation à l’origine du présent litige, il n’en demeure pas moins qu’un délai de près de six ans s’était écoulé entre la date de publication de la loi précitée du 11 juin 1983 et la date à laquelle le ministre de l’équipement et du logement a rejeté la demande de l’intéressé.
Or, bien que la loi du 11 janvier 1984, n’ait imparti, contrairement à celle du 11 juin 1983, aucun délai au gouvernement pour prendre les décrets prévus par ses articles 79 et 80 et que l’intégration des agents non titulaires dans des corps de catégorie A pose de sérieuses difficultés, compte-tenu notamment du niveau de rémunération plus élevé dont bénéficient les agents contractuels de cette catégorie par rapport aux titulaires, vous ne pourrez considérer le délai de six ans comme étant un délai raisonnable. Dans ces conditions, il y a lieu de juger que l’Etat en ne prenant pas lesdits décrets a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
Toutefois et comme vous le savez, il ne suffit pas qu’il y ait faute pour que l’Etat soit condamné à indemniser la victime. Encore faut-il que le préjudice invoqué par celle-ci soit direct et certain.
En l’espèce, M. C-Z, qui ne chiffre plus devant vous son préjudice mais vous demande d’ordonner une expertise aux fins de l’évaluer, soutient que son absence de titularisation est à l’origine d’une perte de revenus résultant du fait qu’il ne pourra poursuivre son activité jusqu’à son soixante-huitième anniversaire, comme le permet la loi n° 86-1304 du 23 décembre 1986 en son article 2, mais devra prendre sa retraite au 1er octobre 1991, à l’âge de 65 ans et qu’il ne percevra à compter de cette date que la retraite de l’IRCANTEC,inférieure aux traitements auxquels il aurait pu prétendre jusqu’au 1er octobre 1994 ainsi qu’à la pension civile de l’Etat qui lui aurait été versée à compter de cette date. Si le lien direct entre l’absence de titularisation et le préjudice invoqué n’est pas contestable, il n’en est pas de même en ce qui concerne le caractère certain dudit préjudice.
En effet, pour retenir ce caractère, la jurisprudence apprécie si l’intéressé avait des chances sérieuses d’obtenir satisfaction dans l’hypothèse où l’administration aurait respecté ses obligations légales. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a condamné l’Etat à indemniser la victime quand celle-ci, compte tenu de l’unanimité des avis favorables recueillis avait une chance sérieuse d’être titularisée dès l’année 1973, si l’administration n’avait pas commis une erreur de droit dans l’interprétation d’un décret (arrêt du 20 janvier 1989, Mme Françoise Bomsel, n° 47287) ou quand celle-ci, qui avait été ajournée illégalement, a subi avec succès les épreuves d’un examen à la date à laquelle elle a été enfin admise à s’y présenter (arrêt du 6 avril 1973 : ministre de l’éducation nationale contre Demoiselle Andrieu, publié au Lebon p. 287) ou avait, eu égard à sa formation et aux offres d’emploi dans sa spécialité, des chances sérieuses de trouver un emploi dès l’obtention de son diplôme (arrêt du 27 mai 1987 : M. Legoff, publié au Lebon p. 186).
Il convient donc de déterminer en l’espèce si l’absence d’intervention des décrets en cause a fait perdre à M. C-Z une chance sérieuse de titularisation dans le corps des professeurs à l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts.
Cette titularisation dépendait en premier lieu de la condition que le corps en cause fasse partie des corps où l’intégration d’agents non titulaires était possible. En effet, si l’article 80 de la loi du 11 janvier 1984 prévoit que les décrets en Conseil d’Etat visés à l’article 79 fixent, pour chaque ministère, les corps de fonctionnaires auxquels les non titulaires peuvent accéder, il ressort du libellé même dudit article que certains corps peuvent être fermés aux non titulaires. En l’espèce, compte-tenu de l’absence de recrutement de titulaires depuis 1964 et des dernières intégrations de non titulaires qui remontent, selon les dires mêmes du requérant, à 1972, il y a peu de chance que ce corps, aux effectifs restreints, noyé parmi les corps techniques que gère le ministère de l’équipement et balloté entre celui-ci et le ministère de la culture au rythme des changements de gouvernement, ait figuré parmi les corps ouverts à l’intégration des non titulaires.
En second lieu, si M. C-Z remplissait les conditions requises par l’article 73 de la loi du 11 janvier 1984 et occupait un emploi vacant de fonctionnaire, sa titularisation ne pouvait, en vertu de l’article 79 de ladite loi, se faire par intégration directe dans le corps mais était subordonnée soit à la réussite à un examen professionnel, soit à l’inscription sur une liste d’aptitude établie en fonction de la valeur professionnelle des candidats après avis de la CAP du corps d’intégration. Or, eu égard au nombre de non titulaires que semble employer l’Ecole nationale des Beaux-Arts, rien ne permet de présumer qu’il aurait réussi aux épreuves d’un examen professionnel qui aurait pris des allures de concours ou qu’il aurait été inscrit en rang utile sur la liste d’aptitude. D’ailleurs D-E F, dans un article de décembre 1985, publié à l’ADJA 1986 p. 61, souligne que les conditions de titularisation prévues par les décrets existants sont dissuasives, l’intégration équivalant dans les faits à un nouveau recrutement. Par suite, M. C-Z, qui ne vous donne aucun argument quant à ses chances de titularisation et semble ainsi assimiler vocation et droit à titularisation, ne peut être regardé comme ayant subi, du fait de l’absence d’intervention des décrets prévus par les articles 79 et 80 de la loi du 11 janvier 1984, un préjudice certain (voir en ce sens dans le cas d’inscription sur une liste d’aptitude, l’arrêt du Conseil d’Etat du 20 décembre 1985 : ministre de l’éducation nationale contre Rouit, n° 47060, cité aux tables Lebon p. 773).
Dans son mémoire en réplique, enregistré au greffe de la cour le 7 janvier 1993, M. C-Z fait valoir qu’il aurait pu bénéficier d’une intégration directe dans le corps des professeurs de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts sur le fondement de la loi du 11 janvier 1984. Il va de soi que dans untel cas, le problème serait différent. En effet, quand l’intégration directe est possible, l’illégalité commise par l’administration en s’abstenant de prendre les textes permettant cette intégration entraîne l’indemnisation de l’agent victime de la carence administrative, la condition liée à la perte de chances sérieuses étant alors présumée remplie (voir notamment en ce sens l’arrêt du Conseil d’Etat du 23 octobre 1985, M. Netter, n° 49881, cité aux tables Lebon p. 764).
Toutefois, et comme il a été dit, une telle intégration n’était pas possible en l’espèce. En effet, l’article 79 de la loi du 11 janvier 1984 ne prévoit l’intégration directe que pour les agents des corps C et D remplissant certaines conditions d’ancienneté et pour les corps créés spécialement pour l’application de ladite loi, et encore, dans cette dernière hypothèse, ne s’agit-il que d’une option possible. Or le corps des professeurs de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, dans lequel le requérant demande sa titularisation était un corps existant, institué par le décret n°51-747 du 13 juin 1951. Si un projet de création d’un corps de professeurs d’architecture est, selon les dires de M. C-Z, en cours de discussion, non seulement ce corps n’existait pas, et pour cause, au 9 février1989, date à laquelle l’intéressé a formulé sa demande de titularisation, mais en tout état de cause, rien ne permet de présumer que c’est l’intégration directe, et non l’examen professionnel ou l’inscription sur une liste d’aptitude, qui sera choisie par les décrets en Conseil d’Etat.
Enfin, dans ce mémoire en réplique, M. C-Z semble invoquer un autre terrain, à savoir : l’administration a commis une faute en ne l’intégrant pas, soit dans le corps des professeurs de l’Ecole nationale supérieure des Beaux-Arts, en application du décret n° 72-155 du 25 février 1972, soit dans le corps des professeurs d’université. Toutefois comme l’intéressé, dans sa lettre du 9 février 1989 ne sollicitait sa titularisation que sur le fondement des lois du 11 juin 1983 et du 11 janvier 1984, sa demande d’indemnisation fondée sur l’illégalité du refus de titularisation au regard de textes autres que ceux invoqués dans la lettre précitée et devant le tribunal administratif, constitue une demande nouvelle, présentée pour la première fois en appel et irrecevable en tant que telle. En outre, et en tout état de cause, elle n’apparaît pas fondée. En effet, d’une part, M. C-Z ne peut prétendre à l’intégration dans le corps des professeurs d’université, dès lors qu’il n’appartient pas aux personnels enseignants non titulaires de l’éducation nationale. Il reconnaît d’ailleurs lui-même que certains de ses collègues, qui ont été titularisés dans ce corps, l’ont été à titre individuel, c’est-à-dire intuitu personae.
D’autre part, le décret n° 72-155 du 25 février 1972 concerne, selon les dires mêmes du requérant (voir sa lettre en date du 9 février 1989), les enseignants nommés stagiaires de 1965 à 1968. Or, non seulement, il ne résulte pas des pièces du dossier qu’il appartienne à cette catégorie, mais, en tout état de cause, ce décret, dont la portée était automatiquement limitée dans le temps, n’était plus en vigueur au 9 février 1989, date à laquelle il a formulé sa demande de titularisation.
Pour ces motifs,
Je conclus au rejet de la requête de M. C-Z.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CAA de Paris, conclusions du rapporteur public sur l'affaire n° 91PA00230