Cour de discipline budgétaire et financière, Centre hospitalier spécialisé de St-Etienne du Rouvray (Seine-Maritime), 11 décembre 1991

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Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Des commandes d’un hôpital avaient été réparties entre plusieurs entreprises, dont certaines n’étaient que des prête-nom, pour éviter de devoir passer des marchés publics. Des prestations fictives de formation continue avaient été payées à une association para-administrative. Des dépenses avaient été faussement inscrites en charges à payer afin de reporter des crédits de fonctionnement sur l’exercice suivant.La Cour a jugé que ces irrégularités constituaient des infractions aux règles d’exécution des dépenses de l’hôpital (article 5 de la loi du 25 septembre 1948) et que les paiements à l’association para-administrative lui avaient procuré un avantage injustifié (article 6 de la loi).Elle a condamné le directeur de l’hôpital tout en tenant compte de ses efforts pour moderniser l’établissement. Le directeur de la formation continue du personnel, simple exécutant, a été condamné à l’amende minimale.

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Sur la décision

Référence :
CDBF, 11 déc. 1991, n° 257
Numéro(s) : 257
Publication : Arrêts, jugements et communications des juridictions financières, 1991, p. 136Journal officiel, 03/09/1992, p. 12098Revue du Trésor, n° 1, janvier 1993. - p. 31
Date d’introduction : 12 décembre 1991
Date(s) de séances : 11 décembre 1991, 12 décembre 1991
Identifiant Cour des comptes : JF00077394

Sur les parties

Texte intégral

LA COUR,

Vu la loi n° 48-1484 du 25 septembre 1948 modifiée tendant à sanctionner les fautes de gestion commises à l’égard de l’Etat et de diverses collectivités et portant création d’une Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu le réquisitoire en date du 11 janvier 1989 par lequel le procureur général de la République a saisi la Cour de discipline budgétaire et financière d’irrégularités ayant affecté la gestion du centre hospitalier spécialisé du ROUVRAY ;

Vu la décision du président de la Cour de discipline budgétaire et financière du 24 janvier 1989 désignant comme rapporteur M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le procureur général de la République le 10 octobre 1989 à MM. Henri DEHU et Mahomet BELMOKHTAR, respectivement directeur et directeur chargé de la formation continue et des affaires sociales du CHS du ROUVRAY à l’époque des faits, les informant de l’ouverture d’une instruction et les avisant qu’ils pouvaient se faire assister soit par un mandataire, soit par un avocat, soit par un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les avis émis le 13 septembre 1990 par le ministre de la Solidarité, de la santé et de la protection sociale et le 5 février 1991 par le ministre délégué chargé du budget ;

Vu les conclusions du procureur général de la République en date du 7 mai 1991 renvoyant devant la Cour de discipline budgétaire et financière MM. DEHU et BELMOKHTAR ;

Vu l’avis émis le 10 septembre 1991 par la commission nationale paritaire compétente à l’égard du personnel de direction des établissements d’hospitalisation publics concernant la situation de M. DEHU, ancien directeur du centre hospitalier du Rouvray, et de M. BELMOKHTAR, ancien directeur de la formation continue au centre hospitalier spécialisé du Rouvray ;

Vu les accusés de réception des lettres recommandées adressées par le président de la Cour de discipline budgétaire et financière le 4 octobre 1991 à MM. DEHU et BELMOKHTAR les avisant qu’ils pouvaient dans un délai de quinze jours prendre connaissance du dossier de l’affaire soit par eux-mêmes, soit par mandataire, soit par le ministère d’un avocat, d’un avoué ou d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation ;

Vu les accusés de réception des lettres adressées par le procureur général de la République le 21 novembre 1991 à MM. DEHU et BELMOKHTAR les citant à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu l’ensemble des pièces qui figurent au dossier, et notamment les rapports d’enquêtes administratives, les procès-verbaux d’audition et le rapport d’instruction établi par M. CHABROL ;

Vu les mémoires en défense et productions présentés respectivement par Me VIER, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation, pour M. DEHU le 30 novembre 1989, le 21 février 1991 et le 22 novembre 1991 et par M. BELMOKHTAR le 20 novembre 1991 ;

Entendu M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, en son rapport ;

Entendu le procureur général de la République en ses conclusions ;

Entendu en leurs explications MM. DEHU, assisté de Me VIER, et BELMOKHTAR, assisté de M. FLOURENT, mandataire ;

Entendu le procureur général de la République en ses réquisitions ;

Entendu en sa plaidoirie Me VIER et en leurs observations MM. DEHU, FLOURENT, mandataire de M. BELMOKHTAR et M. BELMOKHTAR lui-même, les intéressés et leurs conseils ayant eu la parole les derniers ;

Sur la compétence de la Cour :

Considérant que la loi n° 82-13 du 2 mars 1982, en créant les chambres régionales des comptes, s’est bornée à répartir les compétences antérieurement dévolues à la Cour des comptes entre cette dernière et les chambres régionales des comptes ; qu’elle n’a donc eu ni pour objet ni pour effet de modifier la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière à l’égard de tout représentant, administrateur ou agent des organismes dont les comptes, depuis son entrée en vigueur, sont ou peuvent être vérifiés par une chambre régionale des comptes ;

Considérant que le centre hospitalier spécialisé du Rouvray, établissement public départemental, est soumis, depuis le 1er janvier 1983, en application de l’article 87 (1er alinéa) de la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 modifiée, au contrôle de la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie en premier ressort et à celui de la Cour des comptes par la voie de l’appel ; qu’en conséquence les « représentants, administrateurs ou agents » de cet établissement public local sont, en vertu de l’article 1er de la loi susvisée du 25 septembre 1948 modifiée, justiciables de la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant que la modification apportée à cet article premier par la loi n° 88-13 du 5 janvier 1988 a eu pour seule cause de rendre explicite la compétence de la Cour notamment à l’égard d’agents d’organismes publics créés postérieurement au 1er janvier 1983 ; qu’elle ne saurait donc être invoquée pour contester la compétence de la Cour de discipline budgétaire et financière à l’égard d’irrégularités commises dans la gestion du centre hospitalier antérieurement à l’entrée en vigueur de cette loi ;

Sur les droits de la défense :

Considérant que la défense allègue que M. DEHU n’aurait pas été mis en mesure de consulter le dossier au cours de l’instruction et que la procédure serait irrégulière de ce chef ;

Considérant d’une part qu’il ressort des pièces de la procédure que M. DEHU a été avisé le 4 octobre 1991 par lettre recommandée avec accusé de réception conformément aux dispositions de l’article 22 de la loi du 22 septembre 1948 qu’il pouvait prendre connaissance, au secrétariat de la Cour, du dossier de l’affaire et qu’il a d’ailleurs consulté ce dossier le 18 octobre 1991 accompagné de son avocat et en présence du greffier de la Cour ;

Considérant d’autre part que M. DEHU a reçu communication le 10 octobre 1989 par lettre recommandée avec accusé de réception, en application de l’article 18 de la loi du 22 septembre 1948, du réquisitoire du Procureur général sur la base duquel était ouverte l’instruction ; qu’il ne ressort pas de l’examen du dossier et qu’il n’est d’ailleurs pas allégué que, au cours de l’instruction, M. DEHU n’ait pas eu connaissance de pièces qui auraient figuré au dossier et dont l’ignorance aurait pu lui être préjudiciable ; qu’ainsi le moyen invoqué n’apparaît pas fondé ;

Sur la consultation de la commission administrative paritaire

Considérant qu’il est allégué par la défense que la commission administrative paritaire compétente à l’égard du personnel de direction des établissements hospitaliers se serait réunie le 10 septembre 1991 dans des conditions non conformes au décret n° 91-790 du 14 août 1991, publié au Journal officiel du 21 août suivant ; que ce décret était d’application immédiate et ne prévoyait pas de dispositions transitoires ; que l’avis de ladite commission serait ainsi intervenu selon une procédure irrégulière affectant par là même la procédure suivie devant la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Considérant, d’une part, que la convocation de ladite commission a été lancée le 13 août 1991, soit avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation ;

Considérant, d’autre part, que le décret du 14 août 1991 nécessitait au moins une mesure d’application à savoir la désignation des membres des nouvelles commissions administratives, notamment par l’élection des représentants du personnel, ce qui n’avait pas encore été fait au jour de la séance ; que la continuité du service impliquait que fût maintenue la commission administrative paritaire dans son ancienne composition jusqu’à la mise en place d’une commission conforme à la nouvelle composition, ainsi d’ailleurs que l’a prévu un arrêté ministériel du 9 avril 1991 qui a prorogé le mandat des membres des commissions nationales consultatives paritaires jusqu’au 31 décembre 1991 ; qu’en conséquence l’avis de la commission est intervenu à la suite d’une procédure régulière ;

Sur le fond

I – En ce qui concerne l’intervention d’un intermédiaire dans le compromis de vente du 9 mai 1986

Considérant que, par deux séries d’actes, en date respectivement du 15 octobre 1984 et du 12 avril 1985 pour la première série, du 9 mai 1986, du 6 octobre 1987 et du 17 novembre 1987 pour la seconde série, le CHS a procédé à la cession de diverses parcelles de terrains lui appartenant (1) ;

Que, notamment, la procédure utilisée a conduit à prévoir, dans le compromis de la seconde vente signé le 9 mai 1986, le concours et la rémunération d’un intermédiaire alors que le compromis passé pour la première vente prévoyait expressément que, dans le cas où une parcelle supplémentaire des terrains en cause deviendrait disponible à la vente, le CHS s’engageait à la proposer par priorité à l’acquéreur de la première tranche, ce qui paraissait exclure l’entremise d’un intermédiaire ;

Considérant que, nonobstant cette clause et le fait que ledit intermédiaire n’ait été titulaire, à la date de négociation de la seconde vente, ni d’une carte professionnelle valable dans le département où se trouvent les parcelles, ni d’un mandat écrit, il ressort des pièces du dossier éclairées par les débats, que cette intervention s’est révélée utile pour l’hôpital, particulièrement dans les négociations avec la commune qui étant titulaire d’un bail emphytéotique sur une partie de la parcelle en cause, pouvait contrarier la réalisation de l’opération ;

Considérant que, dans ces conditions, la tentative de procurer à autrui un avantage injustifié au sens de l’article 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée n’est pas établie ;

II – Sur les irrégularités ayant affecté l’exécution de certaines dépenses de l’hôpital

Considérant que le centre hospitalier spécialisé du Rouvray, établissement public local, est soumis pour la réalisation de travaux, fournitures et services aux dispositions du livre III du code des marchés publics ;

Qu’en vertu de l’article 321 dudit code, l’hôpital peut effectuer des achats ou réaliser des travaux sur simples mémoires ou factures dans le cas où le montant annuel présumé, toutes taxes comprises, de ces achats ou travaux, n’excède pas la somme de 150 000 F (montant fixé à 180 000 F à compter du 12 janvier 1985) ;

Que pour des travaux, fournitures ou services dont la valeur ne dépasse pas, pour le montant total de l’opération, la somme de 350 000 F l’établissement peut, en application de l’article 309 du code des marchés publics et de l’arrêté interministériel du 7 janvier 1982, conclure des marchés négociés ;

Qu’au-delà d’un montant de 350 000 F par opération, le centre hospitalier est tenu, conformément à l’article 279 du code des marchés publics, de procéder par adjudication ou appel d’offres, sauf exceptions prévues aux articles 312 et 312 bis du même code ;

Considérant qu’au cours des exercices 1984 à 1986, diverses prestations de service de caractère informatique, des travaux d’impression ainsi que des commandes pour le blanchissage du linge ont été réalisés en répartissant volontairement les montants entre différentes entreprises dont certaines n’étaient en réalité que la façade d’un même prestataire ;

Que l’établissement s’est ainsi irrégulièrement affranchi des différents seuils précités et soustrait à l’obligation de mise en concurrence imposée par le code des marchés publics ;

1 – S’agissant des dépenses informatiques

Considérant que, pour l’exercice 1985, l’ensemble des prestations de service de caractère informatique payées par l’établissement a représenté une dépense totale de 230 558,49 F ;

Que deux entreprises apparemment différentes ont bénéficié de règlements pour ces prestations ;

Qu’en premier lieu, l’entreprise HEXAGONE a reçu 52 836,39 F par mandat n° 4087 du 5 septembre 1985 après présentation de deux factures puis 92 863,80 F par mandat n° 7080 du 6 février 1986 en exécution d’un marché négocié n° 85 0046 passé entre cette entreprise et le CHS le 7 août 1985 et approuvé par la tutelle le 6 novembre 1985 ;

Qu’en second lieu, une société dénommée « Clef informatique appliquée aux entreprises » a perçu, par mandat n° 7079 du 6 février 1986, une somme de 84 858,40 F qu’elle avait facturée à l’hôpital ;

Considérant que l’instruction a révélé que le directeur technique qui a représenté la société HEXAGONE lors de la signature du marché n° 85 0046 susvisé et assuré lui-même un certain nombre d’interventions, était également gérant de « Clef informatique » ;

Considérant que M. DEHU, dont c’était pourtant la responsabilité d’ordonnateur, n’a pas fait définir clairement les obligations contractuelles des parties ; qu’en effet les missions confiées à chacune des deux entreprises étaient peu précises et largement substituables ;

Que, dans ce contexte, l’établissement n’a pas respecté la réglementation des marchés publics qui s’appliquait à lui ;

Considérant en effet que le marché négocié n° 85 0046 conclu avec la société HEXAGONE en application de l’article 309 du code des marchés publics n’a pas été précédé de la mise en compétition, « par une consultation écrite au moins sommaire, des candidats susceptibles d’exécuter un tel marché » imposée par l’article 308 du même code ;

Qu’aucune des conditions posées par l’article 312 bis n’étaient remplies pour justifier l’absence de mise en concurrence préalable ;

Qu’en outre l’obligation, faite par l’article 312 ter au représentant légal de la collectivité ou de l’établissement concerné d’établir un rapport écrit joint au dossier du marché mentionnant notamment le choix de l’entrepreneur et exposant le déroulement des négociations avec le titulaire, n’a pas davantage été respectée ;

Qu’enfin, en violation des dispositions de l’article 255 bis du même code, le montant maximum fixé par ledit marché lui-même pour 1985 (76 852 F) a été dépassé de plus de 20 % sans qu’il y ait eu d’avenant ni de décision relative à la poursuite de l’exécution des prestations ;

Que la méconnaissance de la réglementation des marchés tant lors de la signature du contrat n° 85 0046 qu’à l’occasion de son exécution constitue des infractions aux règles d’exécution des dépenses de l’hôpital au sens de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant toutefois qu’il n’est pas établi que des prestations aient été indûment payées et que le CHS ait cherché à procurer à autrui un avantage injustifié au sens de l’article 6 de la même loi ;

2 – S’agissant des travaux d’impression

Considérant qu’à partir de 1981 le CHS a fait appel à une société d’études et de réalisations de travaux d’imprimerie, la société HERAL, implantée à Paris, pour diverses prestations et fournitures, dont notamment la réalisation d’un annuaire de santé mentale et l’impression d’un journal ;

Que pour la seule année civile 1984 l’établissement a réglé à cette société un montant total de 247 235,22 F sur simples commandes dépassant ainsi la limite de 150 000 F fixée à cette date par l’article 321 du code des marchés publics pour les achats sur factures ; que notamment deux mandats n° 6760, pour un montant de 28 972,31 F et n° 6763, pour un montant de 122 576,15 F, ont été émis le 23 février 1984;

Considérant que, pour l’application de l’article 321 susvisé, il faut entendre par prestations de « nature identique ou similaire » toutes celles qui sont relatives à une même activité professionnelle du prestataire ;

Considérant que l’affirmation de M. DEHU selon lequel il y avait trois sociétés HERAL n’est pas exacte ;

Qu’en effet l’examen des factures montre qu’il existait en réalité seulement deux sociétés ayant le même siège et répondant au même numéro de téléphone et qu’en tout état de cause l’une d’entre elles, HERAL Publicité, a facturé et reçu en 1984 la somme de 217 962,85 F supérieure au seuil réglementaire sus-rappelé ;

Qu’en outre, des exemples relevés par l’instruction montrent que le même type de fourniture, sous des appellations différentes, a été facturé tantôt par l’une tantôt par l’autre des deux sociétés ;

Que dès lors l’établissement, en traitant exclusivement avec la société HERAL sans consultation écrite au moins sommaire et sans passation de marché fixant les conditions de réalisation d’un annuaire qui constituait l’opération principale, a violé les règles fixées par les articles 308, 309 et 321 du code des marchés publics ;

Considérant que ces irrégularités constituent une infraction aux règles d’exécution de la dépense au sens de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

3 – S’agissant des commandes pour le blanchissage du linge

Considérant que, pour faire effectuer le blanchissage de son linge, le CHS du Rouvray a décidé, à partir de 1981, de faire appel d’une part au centre hospitalier régional de Rouen, d’autre part au secteur privé;

Que, s’agissant de ce dernier secteur, on relève, pour les trois exercices 1984 – 1985 – 1986, l’intervention chaque année de six entreprises pour un chiffre d’affaire global qui s’est élevé à 839 878 F en 1984, 900 651 F en 1985 et 819 161 F en 1986 ;

Considérant qu’en dehors d’un marché négocié de 350 000 F passé avec la société NORMANDIE-LOCATION SERVICE en 1984, toutes les autres prestations ont été effectuées sur commandes et payées sur factures présentées par les entreprises concernées ;

Qu’en fait les chiffres globaux mentionnés ci-dessus auraient justifié le recours à un appel d’offres annuel faisant masse de tous les lots ;

Qu’au demeurant, le plafond fixé pour les achats sur factures a été ouvertement dépassé pour 3 des 6 entreprises en 1985 (« NLS », « BTS », « DLS ») et pour une autre en 1986 (« 4x4 LOCATION ») ;

Que de surcroît, certaines des entreprises ayant facturé des prestations au CHS n’étaient pas réellement concurrentes car appartenant à la même chaîne, au même groupe ou au même circuit commercial ;

Qu’il en allait notamment ainsi de BTS, DLS et NLS dont l’ensemble des prestations a atteint 570 657 F en 1984 et 559 266 F en 1985, ou encore de LABRUNYE, 4x4 LOCATION et PRESSING ECO NORMANDIE qui en 1986 ont reçu 486 173 F de commandes ;

Que d’autres éléments, tels le même barème utilisé par deux entreprises ou le changement de prestataire par l’hôpital au moment où le seuil réglementaire fixé pour les achats sur factures était sur le point d’être dépassé avec une société, démontrent que l’établissement hospitalier s’est livré à un fractionnement systématique de ces commandes en vue notamment d’échapper aux règles de la concurrence imposées par le code des marchés publics ;

Considérant que ces faits constituent une violation des dispositions combinées des articles 309 et 321 du code des marchés publics qui exigeaient le recours à un marché avec mise en compétition préalable au-dessus d’un seuil de 150 000 F porté à 180 000 F en 1985 ; que cette série d’irrégularités entre dans la catégorie des infractions aux règles d’exécution des dépenses de l’hôpital passibles des sanctions prévues à l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

III – En ce qui concerne le marché relatif à l’installation d’un système de « liaison froide » dans la cuisine du CHS du Rouvray

Considérant que, par une délibération du 7 mars 1986, le conseil d’administration de l’hôpital a adopté le principe de l’installation d’un nouveau système de distribution de repas ;

Considérant que le 3 juillet 1986, M. DEHU a adressé à l’UGAP une commande se référant à un devis établi le 18 juin 1986 par un fournisseur avec lequel l’UGAP avait préalablement conclu un marché de clientèle ;

Considérant qu’en application de l’article 25 du décret n° 85-801 du 30 juillet 1985 relatif au statut et au fonctionnement de l’Union des groupements d’achats publics « les commandes passées à l’établissement public sont dispensées de marchés au sens des articles 1er et 39 du code des marchés publics » ;

Considérant que, dans ces conditions et sans qu’il soit besoin d’examiner plus au fond les circonstances de l’espèce, le CHS du Rouvray a utilisé une procédure régulière ; que les faits ne tombent donc pas sous le coup des dispositions de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

IV – Sur les irrégularités relatives aux relations du CHS du Rouvray avec l’association ALPHA

Considérant que, pour « répondre aux souhaits de promotion, de perfectionnement et de développement du personnel hospitalier », il a été créé en 1983 une association dénommée ALPHA étroitement liée au CHS tant par ses dirigeants, – le président du conseil d’administration et le directeur de l’hôpital, – que par les moyens en personnels et locaux, ceux-ci étant mis à sa disposition par l’établissement public ;

Considérant qu’au cours de la période complémentaire de l’exercice 1985, le CHS a émis une série de mandats destinés à régler des factures présentées le 18 décembre 1985 par ALPHA et correspondant à des actions de formation que cette association était censée avoir effectuées au profit du CHS au cours de l’année 1985 ;

Que, plus d’un an après ces mandatements, par courrier des 17 et 19 février 1987, M. BELMOKHTAR, directeur de la formation continue de l’hôpital et secrétaire général de l’association, faisait savoir que la majorité des actions de formation correspondantes n’avaient pu être réalisées et qu’un montant total de 631 704 F devait être restitué à l’hôpital ;

Considérant que l’instruction menée devant la Cour de discipline budgétaire et financière a confirmé que les factures adressées par l’association ne correspondaient à aucun service fait et que les dépenses correspondantes avaient été ainsi imputées dans les comptes 1985 de l’hôpital à la suite de fausses certifications ;

Que, quand bien même il s’agissait de mettre en place une provision au profit de l’association ALPHA, comme l’a soutenu M. DEHU, tant au cours de l’instruction qu’à l’audience, il n’en demeure pas moins que les fausses facturations ainsi établies pour utiliser des reliquats budgétaires ont permis :

— d’une part, de payer des dépenses sans service fait ;

— d’autre part, d’apporter un complément de ressources injustifiées à l’association, qui pouvait s’expliquer par les difficultés financières de celle-ci, qui se sont effectivement matérialisées en 1986, exercice au cours duquel l’association a enregistré une perte de 220 199 F ;

Qu’en définitive, compte tenu de la régularisation intervenue le 25 février 1987, à la suite de la découverte de ces faits par les enquêteurs de l’IGAS, l’hôpital ayant émis un titre de recette de 631 704 F à l’encontre de l’association, les versements indus du CHS ont pour l’essentiel constitué une avance de trésorerie ;

Que, dès lors, en attestant la réalité d’actions de formation qui n’ont jamais été fournies par l’association ALPHA et en mandatant la somme de 631 704 F qui correspondait à des factures injustifiées, les responsables du CHS ont commis une infraction aux règles d’exécution de la dépense de l’hôpital au sens de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Qu’en outre les mêmes faits, qui visaient à procurer des ressources injustifiées à l’association et qui, en tout état de cause, ont permis à cette dernière de bénéficier irrégulièrement d’un avantage de trésorerie, tombent sous le coup des dispositions de l’article 6 de la même loi ;

V – Sur les irrégularités relatives aux reports de crédits inutilisés

Considérant que le décret n° 83-744 du 11 août 1983 relatif notamment à la gestion et au financement des établissements d’hospitalisation publics prévoit, à l’article 18, que « les crédits budgétaires de la section d’exploitation du budget non engagés à la clôture d’un exercice ne peuvent être reportés au budget de l’exercice suivant » et que « les dépenses de fonctionnement régulièrement engagées mais non mandatées à la clôture d’un exercice, sont notifiées par l’ordonnateur au comptable avec les justifications nécessaires et rattachées au résultat dudit exercice » ; qu’en application de l’article 61 du même décret, ces dispositions étaient applicables dès le 1er janvier 1984 ;

Considérant que l’examen des comptes 1984 à 1986 du CHS a révélé qu’à la clôture de chaque exercice un montant important de dépenses de fonctionnement non encore engagées a été imputé sur les crédits budgétaires de l’exercice et porté au crédit du compte 470 « charges à payer » ;

Qu’à titre d’exemple, il apparaît qu’une somme de 353 000 F a été portée sous le titre « réparation liaison informatique » dans l’état des restes à payer de l’année 1984 alors que les engagements correspondants n’ont été pris qu’en octobre 1985 ;

Considérant que, d’une façon générale, les mandats qui ont servi de fondement à ces rattachements de charges ont été établis le plus souvent sans les justifications requises par le décret susvisé du 11 août 1953 et ne permettaient pas au comptable de vérifier la nature de la dépense, les bases de liquidation, la référence de l’engagement correspondant ou la désignation du créancier ; que ces pratiques, qui ont été explicitement reconnues par le président du conseil d’administration du CHS du Rouvray dans sa réponse au rapport public de la Cour des comptes de 1989, ont ainsi permis d’imputer sur les crédits d’un exercice des dépenses engagées au cours de l’exercice suivant en violation des dispositions réglementaires en vigueur ;

Considérant que l’ensemble de ces irrégularités constituent des infractions aux règles d’exécution des dépenses de l’hôpital au sens de l’article 5 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Sur les responsabilités encourues

. En ce qui concerne M. DEHU :

Considérant que, dans les établissements hospitaliers, les fonctions d’ordonnateur sont assurées par le directeur qui, conformément aux principes généraux de la Comptabilité publique et à la loi du 31 décembre 1970 portant réforme hospitalière, est responsable notamment de l’engagement, de la liquidation et du mandatement des dépenses, de la passation des contrats, des conventions et marchés publics et de la tenue de la comptabilité administrative ;

Considérant que, dans une première série de faits, M. DEHU a lui-même signé les pièces administratives et comptables : marché, lettre de commande et certification des factures HEXAGONE, lettre de commande et certification de la facture CLE INFORMATIQUE, bons de commande HERAL ; que sa responsabilité est engagée sur ces divers points ;

Considérant que, dans une seconde série de faits, (blanchissage, fonds versés à ALPHA et reports de crédits) où la signature de M. DEHU n’apparaît pas directement sur les factures, mandatements ou comptabilités en cause, les arguments avancés par le directeur pour sa défense et tendant principalement à faire porter la responsabilité des irrégularités sur ses collaborateurs sont démentis tant par les faits que par divers témoignages concordants ;

Que s’agissant du blanchissage, les procès-verbaux du conseil d’administration, notamment pour les séances des 10 avril et 26 octobre 1984, établissent clairement que la répartition des travaux entre différentes entreprises a été proposée par le directeur qui a même indiqué le nom des futurs titulaires ; que le directeur des services économiques n’a fait qu’appliquer une directive qui lui était imposée ;

Qu’en ce qui concerne les relations avec l’association ALPHA, M. DEHU s’est déclaré « étranger à la procédure irrégulière qui a été utilisée » ; qu’il apparaît toutefois qu’en présentant, lors de la séance du conseil d’administration du 7 mars 1986, une décision modificative n° 3 relative au budget de l’exercice 1985 qui comportait des « ajustements » « opérés au vu des dépenses réelles constatées en fin d’exercice », M. DEHU ne pouvait ignorer qu’une telle rectification qui portait sur des crédits de formation, devait nécessairement s’appuyer sur des justifications précises relatives à des actions de formation réellement menées ; qu’au surplus, il ne peut valablement soutenir, alors qu’il était à la fois directeur de l’établissement hospitalier et vice-président de l’association ALPHA, qu’il ignorait la réalité des faits ;

Qu’en outre, toutes les personnes qui ont visé les documents litigieux s’accordent pour souligner que cette procédure ne pouvait être mise en oeuvre, sans instruction du directeur, M. BELMOKHTAR précisant bien qu’il a « exécuté les directives reçues » ;

Qu’enfin les anomalies relatives aux reports de crédits relèvent directement de la responsabilité de l’ordonnateur, seul habilité à présenter et aussi à justifier ces reports dans les décisions modificatives soumises au conseil d’administration ;

Considérant que M. DEHU a donc engagé sa responsabilité au titre des articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant toutefois qu’il y a lieu de tenir compte des efforts déployés et des succès remportés par M. DEHU au service de la modernisation de l’hôpital et, d’une manière générale, de son action pour l’amélioration de la qualité des prestations dans les établissements pour malades mentaux ;

. En ce qui concerne M. BELMOKHTAR :

Considérant que ses fonctions de directeur de la formation continue du personnel, telles qu’elles ressortaient de l’organigramme établi par M. DEHU et diffusé à toute la direction, imposaient à M. BELMOKHTAR de suivre la réalisation des actions de formation programmées par l’établissement ;

Considérant que le directeur du personnel et le directeur des finances qui ont visé sans réserve les factures incriminées ne pouvaient de bonne foi mettre en doute l’exécution du service décrit avec précision dans lesdites factures dès lors que, par sa signature, M. BELMOKHTAR en avait à leurs yeux garanti fonctionnellement la réalité ; que ce dernier a ainsi contribué à la réalisation des infractions qualifiées aux articles 5 et 6 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant cependant qu’il convient de retenir comme circonstance atténuante le fait que M. BELMOKHTAR a agi comme simple exécutant dans ce montage qui le dépassait ;

Considérant que les faits incriminés qui se sont produits et poursuivis postérieurement au 11 janvier 1984 ne sont pas couverts par la prescription de cinq ans instituée par l’article 30 de la loi du 25 septembre 1948 modifiée ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’affaire en infligeant à M. DEHU une amende de 5 000F et à M. BELMOKHTAR une amende de 500 F ;

ARRETE :

Article 1er : M. Henri DEHU est condamné à une amende de cinq mille francs (5 000 F).

Article 2 : M. Mahomet BELMOKHTAR est condamné à une amende de cinq cents francs (500 F).

Article 3 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française, le nom des intéressés y figurant par les initiales X et Y.

(1) Ces opérations avaient donné lieu à une déclaration définitive de gestion de fait, à l’encontre notamment du directeur de l’hôpital et du notaire, par jugement de la chambre régionale des comptes de Haute-Normandie du 30 novembre 1988. La Cour, statuant en appel, a infirmé ce jugement, par arrêt du 3 octobre 1990 (voir recueil 1990, p. 132).

Fait et jugé en la Cour de discipline budgétaire et financière. Présents : M. ARPAILLANGE, premier président de la Cour des comptes, président ; M. DUCAMIN, président de section au Conseil d’Etat, vice-président ; Mme BAUCHET, conseiller d’Etat, MM. ISNARD et CAMPET, conseillers maîtres à la Cour des comptes, membres de la Cour de discipline budgétaire et financière ; M. CHABROL, conseiller référendaire à la Cour des comptes, rapporteur.

Les onze et douze décembre mil neuf cent quatre vingt onze.

Le Président, Le Greffier,

P. ARPAILLANGE, AM MINARD

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le Greffier.

Le Président, Le Greffier

P. ARPAILLANGE, AM MINARD

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Cour de discipline budgétaire et financière, Centre hospitalier spécialisé de St-Etienne du Rouvray (Seine-Maritime), 11 décembre 1991