Cour de discipline budgétaire et financière, Mission de coopération et d'action culturelles (MCAC) de N'Djaména, 24 décembre 2002

  • Mission·
  • Crédit·
  • Dépense·
  • Circonstance atténuante·
  • Résidence·
  • Administration centrale·
  • Cour des comptes·
  • Utilisation·
  • Fausse facture·
  • Tchad

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

La Cour a jugé un chef de mission de coopération à l’étranger, ainsi qu’un conseiller et une assistante de cette mission pour, d’une part, des irrégularités concernant l’engagement et le mandatement de dépenses non conformes à l’objet des crédits et, d’autre part, la constitution, l’alimentation au moyen de fausses factures notamment et l’utilisation d’une caisse noire. Une partie des fonds, estimée à 80 %, attribués en application d’une convention d’aide budgétaire de 800 000 F (121 970 €) passée entre les deux gouvernements concernés, placés sur un compte de dépôt ouvert au nom du Trésor dans les écritures du payeur de France et devant être décaissés sur instruction du chef de mission, ordonnateur désigné de l’emploi de ces crédits, avait été détournée de leur objet. Par ailleurs, une délégation de crédits destinés au renforcement de l’assistance technique financière française avait été mise en place en fin d’année, ce qui rendait leur utilisation difficile avant la fin de la clôture de l’exercice : 46 % au moins de ces crédits avaient également été détournés de leur objet, le chef de mission reconnaissant avoir décidé de leur utilisation globale. Enfin, des crédits destinés à financer des projets du Fonds d’aide et de coopération (FAC), décidés par le comité directeur du Fonds, avaient fait l’objet d’utilisations étrangères aux conventions signées. L’utilisation irrégulière de ces différents crédits s’est faite, soit au moyen de certifications de complaisance du service fait ou de pièces comportant des indications fallacieuses, afin de contourner notamment l’insuffisance des dotations du titre III, infractions sanctionnées par les dispositions de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières, soit au moyen de l’établissement de fausses factures ayant procuré un avantage injustifié à un fournisseur et de l’altération des mentions figurant sur les factures en violation des règles d’exécution des dépenses de l’Etat, infractions sanctionnées par les articles L. 313-4 et L. 313-6 du même code. D’autre part, l’existence d’une caisse occulte, alimentée par certaines recettes perçues pour l’utilisation d’infrastructures de la mission, par la vente de véhicules ainsi que par quatre fausses factures émises par une entreprise ayant perçu une commission à ce titre et par des certifications fallacieuses de service fait, a été niée par le chef de mission mais a été reconnue par les deux autres personnes mises en cause, ainsi que par plusieurs témoins. Cette infraction est sanctionnée par les articles L. 313-4 et L. 313-6 du code. La Cour a considéré que, pour l’ensemble de ces faits, la responsabilité des trois personnes mises en cause était engagée. En ce qui concerne l’engagement et le mandatement des dépenses, la Cour leur a toutefois reconnu des circonstances atténuantes tenant d’une part à une pratique ancienne connue de l’administration centrale, comme en a témoigné à l’audience l’ancien directeur adjoint à la direction de l’administration générale du ministère de la coopération, d’autre part à l’insuffisance des crédits des titres III et V, et enfin, en ce qui les concerne, à la qualité de subordonnés du conseiller et de l’assistante précités. Sur le second point la Cour a considéré que le chef de mission pouvait difficilement ignorer l’existence de la caisse noire, ayant signé lui-même trois des fausses factures l’ayant alimentée. Elle a condamné le chef de la mission à une amende de 5 000 €, le conseiller à une amende de 1 500 € et l’assistante à une amende de 750 €.

Dans cet arrêt, la Cour a fait application de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières, qui ne joue que rarement et qui sanctionne les personnes ayant imputé ou fait imputer irrégulièrement une dépense pour dissimuler un dépassement de crédit. L’application de cette disposition devrait être de plus en plus rare dans le cadre de la loi organique du 1er août 2001. Elle avait déjà en 2001 rendu un précédent arrêt sur une mission de coopération et d’action culturelle à l’étranger, (cf. Recueil 2001, p. 117). Comme dans cet arrêt de 2001, la Cour a considéré que les intéressés bénéficiaient de circonstances atténuantes tenant en l’espèce à l’insuffisance des dotations du titre III, à la tolérance de l’administration centrale, à la défaillance du contrôle exercé par le payeur et à l’ancienneté du procédé. Cette affaire a été examinée lors de l’audience du 4 décembre 2002 ; l’arrêt a été lu le 23 décembre 2002 et publié au Journal officiel du 22 janvier 2003.

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Sur la décision

Référence :
CDBF, 24 déc. 2002, n° 405
Numéro(s) : 405
Publication : Journal officiel du 23 janvier 2003Arrêts , jugements et communications des juridictions financières, 2002 . - Journal officiel, 2004 , p. 120.Revue du trésor, janvier 2004, n°1, p. 51 ; note Lascombe et Vandendriessche.
Date d’introduction : 23 décembre 2003
Date(s) de séances : 24 décembre 2002
Textes appliqués :
Infraction : articles L. 313-2, L. 313-4 et L. 313-6 du code des juridictions financières
Identifiant Cour des comptes : JF00080026

Sur les parties

Texte intégral

REPUBLIQUE FRANÇAISE
Au nom du peuple français,

La Cour de discipline budgEtaire et financiEre, siégeant à la Cour des comptes, en audience publique, a rendu l’arrêt suivant :

La Cour,

Vu le titre Ier du livre III du code des juridictions financières, relatif à la Cour de discipline budgétaire et financière ;

Vu la lettre en date du 5 juillet 1996 adressée au procureur général près la Cour des comptes, ministère public près la Cour de discipline budgétaire et financière, enregistrée au parquet général le 10 juillet 1996, par laquelle le président de la quatrième Chambre de la Cour des comptes a déféré à la Cour de discipline budgétaire et financière des irrégularités concernant diverses opérations menées par la Mission de coopération et d’action culturelle (MCAC) auprès de l’ambassade de France à N’Djaména (Tchad) ;

Vu les réquisitoires des 30 juin et 11 septembre 1997 par lesquels le procureur général a saisi la Cour des faits susmentionnés, conformément à l’article L. 314-1 du code des juridictions financières ;

Vu les décisions du président de la Cour de discipline budgétaire et financière des 22 janvier 1998 et du 18 octobre 2001, désignant successivement comme rapporteur M. Bertrand Schwerer, conseiller référendaire à la Cour des comptes, et M. Arnaud Oseredczuk, auditeur à la Cour des comptes ;

Vu les lettres recommandées des 12 mars, 8 avril et 29 mai 1998 par lesquelles le procureur général a informé M. ND IL, conseiller des affaires étrangères, chef de la mission de septembre 1992 à février 1994, Mme RA BB, fonctionnaire territoriale, retraitée, ancienne assistante à la section intérieure du service financier, M. LA VO, ingénieur divisionnaire des travaux publics de l’Etat, conseiller à la mission pour le service financier et les infrastructures, et M. DO PO, successeur de M. IL, de l’ouverture d’une instruction dans les conditions prévues à l’article L. 314-4 du code susvisé, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu la lettre du procureur général au président de la Cour de discipline budgétaire et financière en date du 27 avril 1999 l’informant de sa décision de poursuivre la procédure, en application de l’article L. 314-4 du code des juridictions financières ;

Vu l’avis du 19 août 1999 du ministre délégué à la coopération et à la francophonie ;

Vu les deux décisions du procureur général, en date du 21 septembre 2001, renvoyant Mme BB, MM. IL et LO, devant la Cour de discipline budgétaire et financière, en application de l’article L. 314-6 du code susvisé, et ne retenant pas la responsabilité de M. PO ;

Vu la lettre du président de la Cour de discipline budgétaire et financière, en date du 17 octobre 2001, transmettant le dossier au ministre des affaires étrangères, en application des dispositions de l’article L. 314-8 du code susvisé ;

Vu l’avis rendu par la commission consultative paritaire compétente à l’égard du corps des conseillers des affaires étrangères, dans sa séance du 22 novembre 2001, sur la mise en cause de M. IL ;

Vu les lettres recommandées du 5 mars 2002 du secrétaire général de la Cour de discipline budgétaire et financière avisant MM. IL, et LO qu’ils pouvaient prendre connaissance du dossier suivant les modalités prévues par l’article L. 314-8 du code susvisé, ensemble les accusés de réception de ces lettres ; vu les lettres recommandées des 5 et 22 mars, 22 juillet et 17 octobre 2002 avisant de même Mme BB, et revenues avec les mentions « non réclamé » ou « retour à l’envoyeur » ;

Vu les mémoires en défense transmis au greffe de la Cour le 2 avril 2002 par M. LO, le 15 mai et le 24 juillet 2002 par M. IL ;

Vu les lettres du 22 octobre 2002 par lesquelles le procureur général a cité Mme BB, MM. IL et LO, à comparaître devant la Cour de discipline budgétaire et financière, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu les convocations à témoin adressées le 22 novembre 2002 par le Président de la Cour de discipline budgétaire et financière à M. BI et Mme IL, ensemble les accusés de réception de ces lettres ;

Vu l’ensemble des pièces qui figurent au dossier, notamment les procès verbaux d’audition de Mme BB, de MM. IL, PO et LO et les dépositions de Mmes Ponroy, IL, GN, EC et PO, et de MM. UC, NG, HK, ES, GR, EC, RT, NG, IC, RE, OG et RN ainsi que les rapports d’instruction de M. Schwerer ;

Entendu M. Oseredczuk, auditeur, en son rapport ;

Entendu Mme le procureur général en ses conclusions et réquisitions ;

Entendu en leurs témoignages M. BI, ministre plénipotentiaire, ancien directeur de l’administration générale au ministère de la coopération, directeur adjoint à l’époque des faits, et Mme de VK épouse IL ;

Entendu en sa plaidoirie Me Sauvage et en leurs explications et observations Mme BB, MM. IL et LO, les intéressés et le conseil ayant eu la parole en dernier ;

Considérant que les personnes renvoyées devant la Cour étaient, au moment des faits, fonctionnaires de l’Etat ou agent contractuel en poste à la mission de coopération et d’action culturelle de N’Djaména, qu’elles sont en conséquence justiciables de la Cour en application de l’article L.312-1-I du code des juridictions financières ;

Considérant que le contexte particulier prévalant dans le pays considéré à l’époque des faits, s’il peut expliquer en partie l’origine des désordres constatés par la Cour, ne saurait justifier toutes les irrégularités en cause, qui concernent l’engagement et le mandatement de dépenses non conformes à l’objet des ouvertures de crédits consenties à la mission, ainsi que la constitution d’une caisse occulte ;

I – Sur l’engagement et le mandatement de dépenses non conformes à l’objet d’une convention d’aide budgétaire et de délégations de crédits consenties à la MCAC de N’Djaména

Considérant que les irrégularités en cause concernent l’utilisation des concours budgétaires du chapitre 41-43, des crédits délégués sur le chapitre 42-23 (appui logistique), la gestion du fonds d’aide et de coopération (FAC) et l’imputation de certaines dépenses de fonctionnement, d’équipement et de travaux de la MCAC ;

Sur les concours budgétaires du chapitre 41-43

Sur les faits :

Considérant qu’une convention pour l’attribution d’une aide budgétaire exceptionnelle de 800 000 F à la République du Tchad a été signée le 30 novembre 1992 par le gouvernement français et le gouvernement tchadien pour couvrir des dépenses prioritaires des administrations économiques et financières tchadiennes, que ces fonds imputés sur les crédits du chapitre 41-43 ont été placés sur un compte de dépôt ouvert au nom du Trésor tchadien dans les écritures du payeur de France et que ces fonds ne pouvaient être décaissés que sur instruction du chef de la mission ;

Considérant qu’une partie de ces fonds estimée à 80 % par le rapport d’enquête établi par le ministère chargé de la coopération a été détournée de leur objet, à savoir : 392 886 F pour des travaux immobiliers dans la résidence du chef de mission, notamment la construction d’une piscine, 125 911 F pour des équipements mobiliers dans la résidence du chef de mission, 64 750 F pour l’achat de vaisselle utilisée par les conseillers de la mission ; 56 725 F pour le fonctionnement de la mission ;

Considérant que de telles utilisations, qui sont établies et non contestées, de crédits ouverts pour le financement de dépenses prioritaires des administrations tchadiennes, constituent des violations des règles d’exécution des recettes et des dépenses de l’Etat sanctionnées par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

Considérant que M. IL a reconnu avoir décidé d’utiliser ce crédit au profit de la résidence du chef de mission, mais qu’il soutient ne pas avoir eu connaissance des autres dépenses effectuées au profit de la mission et des conseillers ; que, en sa qualité d’ordonnateur désigné de l’emploi de ces crédits aux termes mêmes de la convention budgétaire, il porte cependant la responsabilité de l’ensemble de leur utilisation irrégulière ; que M. IL fait état d’un accord du ministre tchadien du plan et de la coopération de l’époque pour la restauration de la résidence du chef de mission, compte tenu de la spoliation dont avait fait l’objet la résidence d’origine en 1991, accord attesté a posteriori par le ministre ; que l’infraction n’en est pas moins constituée ;

Que M. IL peut cependant bénéficier de circonstances atténuantes tenant à la pratique ancienne, connue de l’administration centrale et probablement fréquente dans les missions de coopération et d’action culturelle, comme en a témoigné M. BI, directeur adjoint à la direction de l’administration générale du ministère de la Coopération à l’époque des faits, d’utilisation sur place et sans autorisation des reliquats de crédits, ainsi qu’à l’insuffisance connue elle aussi de l’administration centrale des crédits d’équipement du titre V affectés à la mission et qu’à l’état médiocre de la résidence provisoire affectée au chef de mission à N’Djaména ;

Que M. LO a reconnu qu’il a géré le marché passé pour la construction d’une piscine à la résidence du chef de mission, qu’il a engagé les autres dépenses et piloté l’ensemble des opérations, qu’il est le signataire de la demande de règlement de l’achat de vaisselle ; qu’il porte également la responsabilité de ces opérations irrégulières et ne peut tirer argument de sa propre incompétence en affirmant être persuadé que les crédits ne devaient pas être rendus mais devaient impérativement être consommés ; que M. LO soutient que certaines dépenses de fonctionnement pourraient être considérées comme des dépenses de coopération, mais que les achats de vaisselle et de mobilier et les dépenses de rénovation pour la mission sont dépourvus de lien avec les dépenses d’urgence des administrations tchadiennes ;

Sur les ordonnances de délégation des crédits du chapitre 42-23 :

Sur les faits :

Considérant que la mission de N’Djaména a reçu le 3 novembre 1992 une délégation de crédit d’un montant de 4 536 000 F ; que ce crédit était destiné à un renforcement de l’assistance technique financière au Tchad ; que le montant du crédit dépassait largement les besoins courants de la mission en matière d’assistance technique, soit environ 1,5 MF ; que la date de délégation rendait difficile l’engagement de ces crédits avant la clôture de l’exercice ;

Considérant qu’au minimum 46 % des crédits délégués n’ont pas été employés conformément à leur objet ; que notamment des dépenses d’un montant de 1 766 800 F ont été réglées à tort au moyen de ces crédits, pour l’installation de dix climatiseurs dans la résidence du chef de mission (142 200 F), l’achat de trois véhicules de service, dont un affecté à M. IL et un autre à M. LO, l’acquisition de meubles et d’équipements pour la mission et la résidence du chef de mission (1 253 900 F), et celle de matériel informatique pour la mission (61 760 F) ;

Considérant que le montage financier a fait intervenir trois sociétés appartenant au groupe SOFIP-EXPORT, les sociétés SOFEXPORT, Alain SOUSTRE-BUREAU et SERIGEST ; que la mission a réglé, le 5 janvier 1993, cinq factures émises par la société SOFEXPORT pour un montant total de 1 460 755,17 F ; que ces factures ne correspondaient à aucune livraison et que les envois correspondant aux commandes réelles ont fait l’objet de huit factures entre le 18 décembre 1992 et le 22 juin 1993 qui n’ont pas été réglées ; que les matériels livrés sont des ustensiles de cuisine, de la vaisselle, du mobilier et divers équipements de la maison destinés à la résidence du chef de mission et à celles des assistants ; qu’un avoir de 62 588,10 F constitué auprès de la société SOFEXPORT a ensuite permis d’acquérir des fournitures de bureau au profit de la mission et de rembourser le prix du transport de champagne pour le personnel de la mission ;

Que la mission a commandé de même à la société SOUSTRE-BUREAU 13 réfrigérateurs, 13 cuisinières et 10 climatiseurs pour un montant total de 233 701 F et à la société SERIGEST 30 climatiseurs pour un montant de 178 400 F ; qu’en réalité le matériel a été fourni par SOFEXPORT qui a facturé respectivement 224 253,80 F et 172 194 aux deux sociétés ; que la mission a ainsi acquitté une commission de 15 653,20 F ;

Considérant que le fait que les anciens meubles ont été, pour partie, remis aux administrations tchadiennes ne suffit pas à établir que les crédits ont été utilisés conformément à leur objet, pas plus le fait que l’équipement de la mission n’était pas assuré ; que l’équipement en climatiseurs de la résidence du chef de mission, l’acquisition de véhicules de fonction, d’équipements informatiques et de mobilier ne se rattachent pas à l’assistance technique financière au Tchad, objet de la délégation de crédits ;

Considérant que ces faits constituent une violation du principe de spécialité des crédits énoncé aux articles 6 et 7 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances ; qu’ils sont ainsi constitutifs de l’infraction sanctionnée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Qu’en outre un avantage injustifié a été procuré à la société SOFEXPORT ; que ces faits exposent dès lors leurs auteurs à la sanction prévue par l’article L.313-6 du même code ;

Sur les responsabilités :

Considérant que M. IL ne pouvait ignorer l’emploi de ces fonds qui ont été utilisés en grande partie pour son usage ; qu’il reconnaît d’ailleurs avoir décidé de l’utilisation globale de ces crédits ; que le fait que cette globalisation ait été une pratique ancienne n’exonère pas M. IL de sa responsabilité ;

Considérant toutefois que M. IL peut bénéficier de circonstances atténuantes déjà mentionnées qui tiennent à la pratique ancienne, connue de l’administration centrale, d’utilisation sur place et sans autorisation des reliquats de crédits, à l’insuffisance des crédits d’équipement ouverts à la mission, enfin à l’état médiocre de la résidence provisoire affectée au chef de mission à N’Djaména ;

Considérant que M. LO, en sa qualité d’adjoint chargé de coordonner l’opération et qui a ordonné le paiement d’une partie des lots, doit voir sa responsabilité engagée ; qu’il peut toutefois bénéficier de circonstances atténuantes tenant à l’urgence de l’opération et à sa position de subordonné de M. IL ;

Considérant que la responsabilité de Mme BB, qui a géré l’avoir constitué auprès de la société SOFEXPORT et qui tenait les écritures, doit être également engagée mais qu’elle peut bénéficier des mêmes circonstances atténuantes que M. LO ;

Sur les crédits du fonds d’aide et de coopération :

Sur les faits :

Considérant que l’article 6 du décret n° 59-887 du 25 juillet 1959 relatif au financement des opérations d’aide et de coopération prévoit que les opérations du FAC sont décidées par le comité directeur du Fonds ; que des crédits destinés à financer des projets du fonds d’aide et de coopération (FAC) ont fait l’objet d’utilisations étrangères aux conventions signées ;

Considérant qu’un reliquat non utilisé de crédits affectés à une opération de construction de la piste d’avion de Faya-Largeau réceptionnée en mars 1992 a pourtant servi à payer des travaux de réfection à la résidence du chef de mission ;

Qu’à cet effet il a été fait appel à la société SEC qui a émis deux factures, les 3 novembre et 7 décembre 1992, fallacieusement établies pour la réhabilitation des locaux de contrôle du terrain d’aviation et la construction d’une clôture pour un montant de 535 910 F ; que la réception de ces travaux, jamais réalisés, a été attestée par M. LO ; que les travaux commandés par ce dernier à la société SEC et à sa filiale ITRALU et effectivement réalisés ont concerné, selon un mémoire récapitulatif émis le 4 janvier 1993, la fourniture d’un abri au bord de la piscine à la résidence du chef de mission, la fourniture d’une bâche à eau, la réfection et la peinture de bureaux, de la cuisine, d’une chambre et d’une annexe, la peinture et la réparation d’une clôture, l’abattage d’arbres et divers petits travaux de plomberie et de serrurerie ;

Considérant que le même montage financier a été utilisé avec l’entreprise SATOM, qui a fourni pour 600 000 F de prestations au profit de la résidence du chef de mission ; que toutefois une seule commande d’un montant de 197 400 F a été retrouvée ;

Considérant que les utilisations irrégulières ayant affecté le projet de construction de la piste d’aviation de Faya-Largeau ne sont pas contestées par leurs auteurs ; qu’elles contreviennent aux règles rappelées ci-dessus relatives à l’engagement des crédits du fonds d’aide et de coopération, et partant à celles de l’Etat, en particulier à la règle de spécialité des crédits fixée par les articles 6 et 7 de l’ordonnance du 2 janvier 1959 ; que ces irrégularités sont constitutives des infractions sanctionnées par les articles L. 313-2 et L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Sur les responsabilités :

Considérant que M. IL a reconnu au cours de l’instruction et devant la Cour avoir décidé de l’imputation irrégulière des travaux en cause sur les crédits du FAC pour des dépenses étrangères à l’objet du projet concernant la piste d’aviation de Faya-Largeau ; que sa responsabilité doit donc être retenue de ce chef, d’autant qu’il a bénéficié des travaux effectués dans la résidence du chef de mission ; qu’il peut cependant se voir reconnaître les circonstances atténuantes déjà mentionnées qui tiennent à la pratique ancienne, connue de l’administration centrale, d’utilisation sur place et sans autorisation des reliquats de crédits, à l’insuffisance des crédits d’équipement affectés à la mission et enfin à l’état médiocre de la résidence provisoire affectée au chef de mission à N’Djaména ;

Considérant que M. LO qui réceptionnait les travaux prétendument effectués à Faya-Largeau, gérait les avoirs constitués auprès de l’entreprise SATOM, et supervisait les travaux réellement exécutés à N’Djaména, doit être également tenu pour responsable des irrégularités ; qu’il peut toutefois bénéficier de la circonstance atténuante qu’il pouvait s’estimer couvert par la décision de son supérieur hiérarchique ;

Sur l’imputation de dépenses de fonctionnement et d’équipement de la mission sur les crédits de coopération :

Considérant que l’instruction a confirmé qu’ont été imputées sur les crédits du titre IV du budget de la coopération diverses dépenses de fonctionnement et d’équipement, notamment des frais de téléphone, d’acquisition et d’entretien du parc de véhicules, la rémunération du pilote de l’avion de la mission et le paiement de vacataires, en violation des règles d’exécution des dépenses de l’Etat ;

Considérant toutefois que ces faits, qui n’ont été accompagnés d’aucune man’uvre frauduleuse, sont prescrits pour certains ou englobés dans d’autres infractions retenues, qu’ils s’inscrivent dans une logique de globalisation tolérée par l’administration centrale, de sorte que leurs auteurs, M. IL, en sa qualité d’ordonnateur, et, à un moindre degré M. LO et Mme BB, bénéficient de circonstances atténuantes telles qu’elles conduisent à ne pas prononcer de sanction ;

Sur les irrégularités dans la certification du service fait :

Considérant que, dans la plupart des cas mentionnés ci-dessus, l’utilisation irrégulière des crédits s’est effectuée au moyen de certifications de complaisance du service fait ou de pièces comportant des indications fallacieuses consistant notamment en un descriptif inexact des prestations ou de leur localisation ; qu’il en a été ainsi pour des travaux à la mission (facture SAC pour la construction de placards, facture SEC pour l’aménagement du hall d’entrée du centre médico-social, d’un montant de 9 640 F), pour des travaux à la résidence du chef de mission (qualification de la piscine comme réserve d’eau sur une facture de l’entreprise SEC, factures SEC de 535 910 F et SATOM de 197 400 F faisant fallacieusement référence à la construction de la piste de Faya-Largeau) et pour des travaux d’entretien des logements des conseillers de la mission (diverses factures pour un montant total de 73 017,70 F) ;

Considérant que ces pratiques avaient pour objet de contourner le caractère limitatif des crédits d’entretien des bâtiments inscrits sur le titre III ; qu’il s’agit d’une irrégularité tombant sous le coup des dispositions de l’article L. 313-2 du code des juridictions financières ; que l’établissement de fausses factures ou l’altération des mentions figurant sur les factures présentées par les fournisseurs constituent une violation des règles d’exécution des dépenses de l’Etat sanctionnée par l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant que M. IL porte, en tant qu’ordonnateur, la plus grande responsabilité de ces opérations irrégulières, soit du fait de son implication directe, soit du fait d’un défaut de surveillance sur ses services ; mais que la responsabilité de M. LO et de Mme BB est également engagée dans les limites que leur confère leur position de subordonnés ;

Considérant que les auteurs de ces irrégularités peuvent toutefois bénéficier de circonstances atténuantes tenant à l’insuffisance des dotations du titre III, à la tolérance de l’administration centrale qui connaissait ces pratiques, comme en a témoigné à l’audience M. BI, à la défaillance du contrôle exercé par le payeur de France et enfin à l’ancienneté du procédé qui existait avant l’arrivée de M. IL ;

II – Sur la constitution d’une caisse occulte, son alimentation notamment par des fausses factures et son utilisation

Sur les faits :

Considérant que l’existence d’une « caisse noire » à la MCAC de N’Djaména a été reconnue au cours de l’instruction par la personne qui la tenait, Mme BB, et par plusieurs témoins, notamment Mmes IL et GN, MM. SC et EC, mais que la comptabilité occulte a été délibérément détruite ;

Considérant que l’existence de cette « caisse noire » préexistait à l’arrivée de M. IL, mais que les sommes en cause étaient d’une ampleur très réduite ; que les irrégularités se sont développées à compter de l’arrivée de M. IL ; que l’approvisionnement de la caisse noire à partir de septembre 1992 a fait appel à trois montages financiers irréguliers ;

Qu’en premier lieu certaines recettes perçues pour l’utilisation d’infrastructures de la mission (avion, cases de passage), n’ont pas été retracées dans la comptabilité de la mission mais, selon plusieurs témoignages, ont alimenté une comptabilité occulte ;

Qu’en deuxième lieu des recettes issues de la vente de véhicules ont été versées de manière analogue dans la caisse occulte ;

Qu’enfin cette « caisse noire » a été alimentée, avec la complicité d’une entreprise locale, à l’aide de quatre fausses factures de la société Amalgame et de certifications fallacieuses du service fait, certifications signées dans trois cas sur quatre du chef de mission ; que cette pratique a été reconnue au cours de l’instruction par M. NG, directeur de ladite société, qui a indiqué avoir établi quatre fausses factures pour un montant total de 120 240 F, ainsi que par M. LO et Mme BB, qui n’ont toutefois reconnu que la remise de

108 000 F en espèces à la mission par M. NG ; qu’il ressort des déclarations de Mme BB que la part de cette somme qui a transité par la « caisse noire » a été d’un montant minimum de 70 300 F ;

Considérant que les bénéficiaires des fonds susceptibles d’avoir transité par la caisse occulte n’ont pu être identifiés au cours de l’instruction ; que Mme de VK épouse IL a reconnu lors de l’audience avoir bénéficié à plusieurs reprises de fonds remis en espèces par Mme BB, afin de faire des achats lors de déplacements au Cameroun voisin, qu’elle affirme avoir ignoré l’origine des fonds qui lui étaient remis, mais a déclaré en avoir fait usage pour l’achat de produits d’entretien pour la résidence ;

Considérant que le versement, dans une caisse distincte de celle de la mission, du produit de la location des cases de passage, de recettes liées à l’utilisation de l’avion et de recettes de cession de véhicules constitue une gestion irrégulière de fonds publics et une violation du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables, que les montants en cause ne sont toutefois pas établis ; que le versement dans la même caisse occulte d’espèces extraites irrégulièrement de la caisse du payeur au moyen de fausses factures revêtues d’une certification fallacieuse de service fait relève des dispositions de l’article L. 313-4 du code des juridictions financières ;

Considérant en outre que le règlement à la société Amalgame, émettrice des fausses factures, d’une commission de 10 % en l’absence de service fait constitue l’octroi d’un avantage injustifié ; que dès lors ces faits sont constitutifs de l’infraction sanctionnée par l’article L. 313-6 du code ;

Sur les responsabilités :

Considérant que les responsabilités de Mme BB et de M. LO sont établies, chacun pour deux opérations de fausse facturation ;

Considérant que M. IL, bien qu’il conteste en avoir eu connaissance, pouvait difficilement ignorer l’existence d’une comptabilité occulte dans sa mission ; qu’il a d’ailleurs signé l’attestation du service fait sur trois factures, alors même qu’il ne le faisait pas couramment, et qu’il a accompagné l’une d’elles d’une note de sa main au payeur ; considérant également qu’il est très peu vraisemblable que M. IL, qui avait organisé à la même période plusieurs fausses imputations pour des dépenses d’achat de climatiseurs, ne se soit pas enquis de la destination et de l’origine de sommes présentées comme servant à l’acquisition des mêmes matériels ;

Sur le montant des amendes :

Considérant qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances des affaires en infligeant une amende de 5 000 euros à M. IL, de 1 500 euros à M. LO et de 750 euros à Mme BB ;

Sur la publication :

Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de publier le présent arrêt au Journal officiel de la République française ;

ArrEte :

Article 1er : M. IL est condamné à une amende de 5 000 € (cinq mille euros).

Article 2 : M. LO est condamné à une amende de 1 500 € (mille cinq cents euros).

Article 3 : Mme BB est condamnée à une amende de 750 € (sept cents cinquante euros).

Article 4 : Le présent arrêt sera publié au Journal officiel de la République française.

Délibéré par la Cour de discipline budgétaire et financière, le 4 décembre 2002, par M. Logerot, Premier président de la Cour des comptes, président, M. Fouquet, président de section au conseil d’Etat, M. Massot, président de section au Conseil d’Etat maintenu en activité, M. Capdeboscq, conseiller maître.

Lu en séance publique le vingt-quatre décembre deux mil deux.

En conséquence, la République mande et ordonne à tous huissiers de justice sur ce requis de mettre ledit arrêt à exécution, aux procureurs généraux et aux procureurs de la République près les tribunaux de grande instance d’y tenir la main, à tous commandants et officiers de la force publique de prêter main-forte lorsqu’ils en seront légalement requis.

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le Président de la Cour et le greffier.



Le président,

François Logerot

La greffière,

Maryse Le Gall

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Cour de discipline budgétaire et financière, Mission de coopération et d'action culturelles (MCAC) de N'Djaména, 24 décembre 2002