CEDH, Cour (quatrième section), PESCADOR VALERO c. l'ESPAGNE, 3 décembre 2002, 62435/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Quatrième Section), 3 déc. 2002, n° 62435/00
Numéro(s) : 62435/00
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 20 septembre 2000
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Devlin c. Royaume-Uni, n° 29545/95, §§ 25-26 - (30.10.01)
Arrêt Frydlender c. France [GC] n° 30979/96, § 32, CEDH 2000-VII - (27.6.00)
Arrêt Pellegrin c. France [GC], n° 28541/95, §§ 64-67, CEDH 1999-VIII - (8.12.99)
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-43939
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:1203DEC006243500
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Sur les parties

Texte intégral

QUATRIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 62435/00
présentée par Sixto José PESCADOR VALERO
contre l’Espagne

La Cour européenne des Droits de l’Homme (quatrième section), siégeant le 3 décembre 2002 en une chambre composée de

SirNicolas Bratza, président,
MM.M. Pellonpää,
A. Pastor Ridruejo,
MmeE. Palm,
MM.M. Fischbach,
J. Casadevall,
S. Pavlovschi, juges,
et de M. M. O’Boyle, greffier de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 20 septembre 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par le requérant,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Le requérant, Sixto José Pescador Valero, est un ressortissant espagnol, né en 1941 et résidant à Albacete. Il est licencié en droit et fonctionnaire à l’université de Castille-La Manche.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Par une décision du 11 juillet 1996, le recteur de l’université de Castille-La Manche (UCLM) ordonna la cessation du requérant de ses fonctions de directeur du personnel administratif et de service (gerente) du campus de l’université à Albacete, poste auquel il avait été désigné librement par le recteur de l’université en 1985. Contre cette décision, le requérant présenta, le 30 juillet 1996, devant le tribunal supérieur de justice de Castille-La Manche, un recours contentieux-administratif spécial de protection juridictionnelle des droits fondamentaux, conformément à la loi 62/78 du 26 décembre 1978 sur la protection des droits fondamentaux de la personne. Par une décision du 18 novembre 1996, le tribunal rejeta le recours pour défaut de fondement.

Parallèlement, le 17 septembre 1996, le requérant présenta contre la décision du 11 juillet 1996 un recours contentieux-administratif ordinaire devant le tribunal supérieur de justice de Castille-La Manche. L’affaire fut déférée à la section première du tribunal supérieur dont le président était J.B.L. Dans le cadre de l’instruction du recours, la section, présidée par J.B.L., ordonna plusieurs actes d’instruction.

Le 14 mai 1998, le requérant adressa un mémoire à la chambre contentieuse-administrative du tribunal supérieur de justice. Il y exposait, qu’ayant appris que le magistrat J.B.L. était professeur associé de droit à l’UCLM et percevait des émoluments à ce titre, il sollicitait la récusation du magistrat en question conformément aux articles 219 et 223.1 de la loi organique du pouvoir judiciaire (LOPJ) et formulait une demande d’administration de preuve sur ce fait conformément à l’article 225.4 de la LOPJ. Par une décision du 21 mai 1998, la chambre plénière du contentieux-administratif du Tribunal supérieur rejeta la demande de récusation présentée par le requérant aux motifs suivants :

« L’article 223.1 de la LOPJ exige comme condition ratione temporis que la récusation soit proposée « aussitôt que l’on a eu connaissance du motif sur lequel se fonde la récusation. Si la connaissance du motif s’est produite avant le litige, la demande de récusation devra être proposée au début de celui-ci » car, dans le cas contraire, la demande sera irrecevable.

C’est cette dernière conséquence juridique qu’il convient d’adopter dans le présent cas, à savoir l’irrecevabilité de la récusation du magistrat de cette chambre, Don J.B.L., eu égard au fait que depuis plusieurs années et, en tout cas, bien avant que soient rendues les décisions recourues, Don J.B.L. collabore avec l’université de Castille-La Manche en tant que professeur associé (ce qui, par essence, constitue le motif de récusation). Or cette circonstance ne pouvait passer inaperçue pour quelqu’un qui, jusqu’en juillet 1996, était le gérant de l’université au campus d’Albacete.

Par ailleurs, dès lors que le mémoire en récusation a été préparé, selon les termes utilisés par le requérant même, « aussitôt qu’il a eu connaissance du motif (de récusation) », il lui revenait de justifier cette affirmation, à savoir, qu’il a eu connaissance très récemment du fait que J.B.L. était professeur associé de l’université de Castille-La Manche et non antérieurement au litige. Or il n’a pas apporté cette preuve.

Ainsi, la récusation aurait dû être soumise dès lors que la partie eût été informée de la composition de la chambre dans laquelle intervenait comme président la personne récusée. Ne l’ayant pas fait, la demande est irrecevable. »

Sur le fond, par un jugement du 10 mai 1999, la section première de la chambre contentieuse-administrative du tribunal supérieur, composée de trois juges et présidée par le magistrat J.B.L., rejeta le recours du requérant et estima conforme en droit la décision de l’université de Castille-La Manche, du 11 juillet 1996, ordonnant sa cessation en tant que gérant du campus de l’université.

Invoquant notamment l’article 24 § 1 de la Constitution (droit à un procès équitable), le requérant forma un recours d’amparo devant le Tribunal constitutionnel. Dans son mémoire, le requérant, invoquant son droit à ce que sa cause soit examinée par un tribunal indépendant et impartial, se plaignait du rejet de sa demande de récusation du magistrat J.B.L., alors même qu’il avait sollicité la récusation aussitôt qu’il avait eu connaissance des liens professionnels de ce magistrat avec l’université de Castille-La Manche. Il soulignait qu’il ne connaissait pas cette personne en sa qualité de professeur, et qu’il n’avait aucune obligation de la connaître de par ses fonctions administratives au sein de l’université. A cet égard, il faisait valoir que les questions relatives au corps enseignant de l’université relevaient de la compétence du recteur et étaient centralisées à Ciudad Real, alors que lui avait son poste de travail à Albacete. En tant que gérant du campus d’Albacete, sa compétence se limitait au personnel administratif et de service de l’université. Il concluait que l’obligation de prouver le fait négatif qu’il ne connaissait pas J.B.L. à une date antérieure, revenait à lui demander une « preuve diabolique ». Le requérant estimait en conséquence que sa cause n’avait pas été examinée équitablement par le Tribunal supérieur de justice.

Par une décision du 10 avril 2000, le Tribunal constitutionnel rejeta le recours d’amparo comme étant mal fondé pour les motifs suivants :

« (...) Une atteinte à l’article 24.1 de la Constitution espagnole n’est possible que si l’organe judiciaire réalise une appréciation déraisonnable, manifestement erronée ou arbitraire d’une cause légale d’irrecevabilité (...) Dans la présente affaire, on ne saurait déduire de tels vices dans le fait de présumer que le requérant connaissait la condition de professeur associé de l’un des magistrats.

Les simples vices de procédure n’entraînent pas en soi une violation de l’article 24.2 de la Constitution espagnole. Une telle atteinte à l’article 24.2 n’a lieu que lorsque l’irrégularité de procédure est déterminante au regard des droits de la défense (...) Dans ces cas, il revient au requérant la charge de prouver l’importance de l’irrégularité alléguée sur la décision finale (...) Dans le cas présent, les motifs retenus par la chambre (du tribunal supérieur) pour rendre son jugement ne sont pas mis en doute par les irrégularités dénoncées dans l’administration des éléments de preuve. »

B.  Le droit interne pertinent

1.  La Constitution

Aux termes de l’article 24 de la Constitution :

« 1. Toute personne a le droit d’obtenir une protection effective des juges et tribunaux pour l’exercice de ses droits et intérêts légitimes, sans qu’en aucun cas, elle ne soit pas en mesure de se défendre.

2. De même, toute personne a droit à un juge de droit commun déterminé préalablement par la loi, de se défendre et de se faire assister par un avocat, d’être informée de l’accusation portée contre elle, d’avoir un procès public sans délais indus et dans le respect de toutes les garanties, d’utiliser les moyens de preuve pertinents pour sa défense, de ne pas déclarer contre elle-même, de ne pas s’avouer coupable et d’être présumée innocente.

(...) »

2.  La Loi organique du pouvoir judiciaire

Article 217

« Les juges et magistrats doivent s’abstenir ou, le cas échéant, peuvent être récusés pour les causes déterminées par la loi. »

Article 219

« Constituent des causes d’abstention ou, selon le cas, de récusation :

(...)

9o Avoir un intérêt direct ou indirect dans le litige. »

Article 221

« Le juge ou magistrat qui est frappé par l’une des causes exposées aux articles précédents doit s’abstenir de connaître de l’affaire sans attendre d’être récusé.

(...) »

Article 223

« La demande en récusation doit être proposée par la partie dès qu’elle a connaissance de la cause de récusation. Si la partie avait connaissance de la cause de récusation dès avant le litige, elle doit, sous peine d’irrecevabilité, la proposer au début de la procédure.

(...) »

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, le requérant se plaint que la participation du juge J.B.L. à la procédure qu’il a engagée contre l’université de Castille-La Manche alors même qu’il était professeur associé de cette université, a porté atteinte au caractère équitable de la procédure et, notamment, au droit à un tribunal indépendant et impartial.

EN DROIT

Le requérant se plaint que la participation du juge J.B.L. à la procédure qu’il a engagée contre l’université de Castille-La Manche, alors même qu’il était professeur associé de cette université, a porté atteinte au caractère équitable de la procédure et, notamment, au droit à un tribunal indépendant et impartial. Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention dont la partie pertinente se lit ainsi :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal indépendant et impartial (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) »

1.  Sur l’applicabilité de l’article 6 § 1 de la Convention

A titre préliminaire, le Gouvernement excipe d’un motif d’irrecevabilité fondé sur l’inapplicabilité de l’article 6 § 1 à la procédure litigieuse. Se référant à l’arrêt Pellegrin c. France, le Gouvernement fait observer que le requérant est fonctionnaire à l’université de Castille-La Manche. A l’époque des faits, il était le gérant du campus universitaire de l’université à Albacete et, de ce fait, occupait un poste de libre désignation et avait le plus haut rang administratif du campus.

Pour sa part, le requérant fait valoir qu’il n’a jamais détenu l’exercice de la puissance publique ni exercé des fonctions visant à sauvegarder les intérêts de l’Etat ou d’autres administrations, institutions ou collectivités publiques. Il précise que le poste de gérant du campus de l’université à Albacete impressionne plus par son titre que par ses compétences qui sont purement administratives et déléguées. 

La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle, pour déterminer l’applicabilité de l’article 6 § 1 aux agents publics, qu’ils soient titulaires ou contractuels, il faut adopter un critère fonctionnel, fondé sur la nature des fonctions et des responsabilités exercées par le sujet concerné, et vérifier si son emploi implique une participation directe ou indirecte à l’exercice de la puissance publique et aux fonctions visant à sauvegarder les intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques ((arrêts Pellegrin c. France [GC], no 28541/95, §§ 64-67, CEDH 1999-VIII, Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 32,CEDH 2000, et Devlin c. Royaume-Uni, no 29545/02, §§ 25 -26).

La Cour a décidé d’adopter une interprétation restrictive, conformément à l’objet et au but de la Convention, consistant à limiter le nombre d’affaires où l’on peut refuser aux fonctionnaires la protection pratique et effective que la Convention, et notamment l’article 6, leur accorde comme à toute autre personne (arrêt Pellegrin c. France précité, § 64). Toutefois, la Cour a également reconnu qu’au sein des administrations nationales, certains postes comportent une mission d’intérêt général ou une participation à l’exercice de la puissance publique et que, leurs titulaires détenant ainsi une parcelle de la souveraineté de l’Etat, celui-ci a un intérêt légitime à exiger de ces agents un lien spécial de confiance et de loyauté (ibidem, § 65). Par conséquent, les litiges soustraits au champ d’application de l’article 6 § 1 de la Convention sont ceux soumis par des agents publics qui détiennent une parcelle de la souveraineté de l’Etat et dont l’emploi est caractéristique des activités spécifiques de l’administration publique, dans la mesure où celle-ci agit comme détentrice de la puissance publique chargée de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques, dont les forces armées et la police constituent un exemple manifeste (ibidem, § 66).

En l’espèce, la Cour constate que le requérant occupait le poste de gérant du campus de l’université de Castille-La Manche à Albacete après sa désignation à ce poste par le recteur de l’université en 1985. Ses fonctions lui conféraient seulement des responsabilités en matière de gestion administrative du personnel administratif et de service dans cet établissement universitaire public. Nonobstant leur importance pour le bon fonctionnement de l’université, on ne saurait considérer que le requérant agissait pour autant en tant que détenteur de prérogatives de puissance publique chargé de la sauvegarde des intérêts généraux de l’Etat ou des autres collectivités publiques au sens de l’arrêt Pellegrin. Par voie de conséquence, l’article 6 § 1 trouve à s’appliquer.

2.  Sur le fond

Le Gouvernement fait observer tout d’abord que le requérant demanda la récusation du juge J.B.L. en mai 1998, soit presque deux ans après le début de la procédure dans le cadre de laquelle ce magistrat avait rendu plusieurs ordonnances d’ordre procédural. En outre, dans son recours en récusation, bien qu’il cite l’article 219 de la LOPJ, il omet d’indiquer le motif précis. Il considère que qualifier de « dépendance » le fait pour un professionnel de compétence reconnue, exerçant son activité professionnelle en dehors de l’université, de collaborer temporairement en donnant quelques cours par mois pour des honoraires de 3 000 euros mensuels, constitue une appréciation subjective dépourvue de fondement. Le Gouvernement estime qu’eu égard aux fonctions occupées par le requérant au sein de l’université, il ne saurait soutenir sérieusement qu’il ne savait pas avant 1998, que le juge J.B.L. collaborait avec l’université en tant que professeur associé. Il souligne que l’exigence légale de solliciter la récusation aussitôt que l’intéressé a connaissance du motif de récusation a pour objet d’éviter les comportements dilatoires dans une procédure. Or, présenter la demande de récusation après deux ans de procédure, alors que la quasi-totalité des actes de preuves ont été réalisés, relève, dans les circonstances de l’espèce, soit de la négligence soit d’une volonté de retarder l’issue du procès. Le Gouvernement insiste sur le fait que le requérant ne saurait arguer qu’il ne connaissait pas l’activité professionnelle dénoncée. Par ailleurs, il rappelle qu’il revient aux juridictions internes d’interpréter la législation interne relative aux conditions de recevabilité d’un recours et que l’Etat jouit à cet égard d’une certaine marge d’appréciation. En conclusion, le Gouvernement est d’avis que la requête doit être rejetée comme étant manifestement mal fondée.

Le requérant conteste la thèse du Gouvernement. Il souligne qu’on ne saurait déduire qu’il avait eu auparavant connaissance de la qualité de professeur associé de l’université du juge J.B.L., comme le soutient le Gouvernement. A cet égard, il précise qu’il eut connaissance de ce fait de manière confidentielle par l’intermédiaire du rectorat, à Ciudad Real. Ainsi, dès qu’il apprit le motif de récusation, il présenta sa demande en soulignant que le juge en question « pourrait être dépendant de l’administration attaquée ». Le requérant ajoute qu’exiger, à l’instar des juridictions internes, qu’il fournisse la preuve négative qu’il ne connaissait pas auparavant les fonctions du juge J.B.L. au sein de l’université,  revient à lui demande de fournir une « preuve diabolique ». En conclusion, il considère que les liens professionnels et financiers existants entre le juge J.B.L. et l’université, qui était la partie adverse dans la procédure, sont de nature à avoir porté atteinte au principe d’impartialité garanti par l’article 6 § 1.

Après avoir procédé à un examen préliminaire des arguments des parties, la Cour estime que la requête pose des questions de droit et de fait complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade de l’examen de la requête, mais nécessitent un examen au fond.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête recevable, tous moyens de fond réservés.

Michael O’BoyleNicolas Bratza              Greffier              Président

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  1. Constitution du 4 octobre 1958
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