CEDH, Cour (deuxième section), MIEG DE BOOFZHEIM c. la FRANCE, 3 décembre 2002, 52938/99

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 3 déc. 2002, n° 52938/99
Numéro(s) : 52938/99
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2002-X
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 7 mars 1999
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Adolf c. Autriche du 26 mars 1982, série A n° 49, p. 15, § 30
Arrêt Bendenoun c. France du 24 février 1994, série A n° 284, pp. 20-21, §§ 46-47
Arrêt Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A n° 35, p. 23, § 44
Arrêt Ferrazzini c. Italie [GC], n° 44759/98, §§ 29, CEDH 2001-VII - (12.07.01)
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-43951
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2002:1203DEC005293899
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 52938/99
présentée par Pierre et Marie-Louise MIEG DE BOOFZHEIM
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant le 3 décembre 2002 en une chambre composée de

MM.A.B. Baka, président,
J.-P. Costa,
Gaukur Jörundsson,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 7 mars 1999,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, Pierre et Marie-Louise Mieg de Boofzheim, sont des ressortissants français, nés en 1925 et résidant à Saint Martin de la Place. Ils sont représentés devant la Cour par Me Prioux, avocat au barreau de Saumur.

Les requérants firent l’objet d’un examen de leur situation fiscale personnelle pour les années 1990, 1991, 1992, engagé par avis du 9 mars 1993. L’examen porta sur les conditions de cession d’un appartement situé à Neuilly-sur-Seine d’une part et sur les déficits fonciers relatifs au château de Boumois dans lequel demeurent les requérants d’autre part.

Les redressements furent notifiés à la SCI de Boumois, propriétaire du château (et dont la requérante est la gérante et détentrice de la majorité des parts), le 4 octobre 1993 et aux requérants le 14 octobre 1993. Ces derniers contestèrent l’intégralité des rappels notifiés. En date des 7 décembre 1993 et 17 février 1994, les redressements furent confirmés.

Les rappels d’impôt sur le revenu mis à la charge des requérants furent mis en recouvrement le 31 mai 1994, assortis, outre les intérêts de retard, d’une majoration de 40 % pour mauvaise foi s’agissant des déficits fonciers, ou pour retard dans le dépôt de la déclaration en ce qui concerne la plus-value immobilière. Ces rappels portèrent au total sur les montants de 17 48 francs au titre de l’année 1990 et 452 87 francs au titre de l’année 1991.

Le 21 juin 1994, les requérants présentèrent une réclamation. Ils firent valoir qu’en ce qui concerne la taxation de la plus-value dégagée sur la cession de l’immeuble de Neuilly en 1991, le délai de détention retenu par l’administration était erroné en indiquant avoir acquis l’immeuble en 1954. Ils demandèrent ainsi l’exonération de la plus-value réalisée, le délai de détention étant supérieur à trente deux ans, délai au delà duquel aucune taxation de la plus value ne peut légalement intervenir. Ils demandèrent également à ce que soient incluses dans les charges déductibles des résultats de la SCI de Boumois certaines dépenses mobilières et de personnel en faisant valoir que ces dépenses mobilières avaient été engagées dans le but d’offrir un attrait supplémentaire à la visite du château et que l’entretien de celui-ci nécessitait la présence constante d’une employée de maison.

Suite au silence de l’administration fiscale, qui n’a pas statué dans le délai légal de six mois, les requérants saisirent, le 11 janvier 1995, le tribunal administratif de Nantes d’une requête tendant à la décharge des impositions supplémentaires à l’impôt sur le revenu et des pénalités y afférentes.

Par une décision du 19 juin 1995 du directeur des services fiscaux, les cotisations supplémentaires relatives à la plus-value immobilière, les intérêts de retard et les pénalités y afférentes, firent l’objet d’un dégrèvement au titre de l’année 1991 pour les montants de 250 01 francs sur les droits en principal et de 130 08 francs au titre des intérêts et pénalités.

Par une décision du 22 mai 1996, l’administration prononça le dégrèvement des majorations initialement appliquées, au titre de la mauvaise foi aux impositions demeurant en litige (revenus fonciers  au titre des années 1990 et 1991) soit les sommes de 4 459 francs au titre de l’année 1990 et 16 661 francs au titre de l’année 1991.

Par une décision du 17 février 1997, un dégrèvement supplémentaire de 325 francs en droits et 38 francs de pénalités fut accordée afin de rectifier une erreur de calcul commise au titre de l’année 1991.

Par un courrier du 20 juillet 1998, le greffier du tribunal fit savoir aux requérants qu’en raison de l’encombrement du rôle, il n’était pas possible de prévoir la date à laquelle l’affaire pourrait être appelée à l’audience.

Après une audience en date du 21 mars 2000, le tribunal administratif de Nantes rendit son jugement le 3 mai 2000 et prononça un non lieu à statuer à hauteur de 402 092 francs. Il débouta les requérants pour le surplus (à savoir 60 303 francs de droits contestés et 8 240 francs d’intérêts de retard).

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de la durée de la procédure.

EN DROIT

Les requérants se plaignent d’une violation de l’article 6 § 1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent ainsi :

« (...) Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. »

Le Gouvernement soulève, à titre principal, une exception d’incompatibilité ratione materiae du grief avec les dispositions de la Convention. Il soutient que le litige en cause, de nature exclusivement fiscale, n’a pas trait à des contestations sur des droits et obligations de caractère civil et ne porte pas sur un accusation en matière pénale dirigée contre les requérants.

En premier lieu, il estime que l’accusation en matière pénale a disparu. Certes, l’article 1729 § 1 du code général des impôts peut parfois entraîner majoration du montant des droits mis à la charge du contribuable en cas de mauvaise foi qui revêt une coloration pénale (arrêt Bendenoun c. France du 24 février 1994, série A no 284, p. 20, § 47). Or, selon le Gouvernement, dans la présente espèce, si une majoration de 40 % a bien été décidée par l’administration fiscale dans un premier temps, elle a été abandonnée lors du dégrèvement prononcée le 22 mai 1996. Et le fait que celui-ci ait été décidé après l’enregistrement de la requête devant le tribunal administratif ne saurait modifier la nature du litige finalement soumis au tribunal. En l’absence d’un désistement partiel de la requête, le tribunal ne pouvait que prononcer un non-lieu partiel, l’objet du litige ayant en partie disparu, notamment en ce qui concerne la totalité des majorations d’impôts. Le tribunal se serait ainsi finalement prononcé au fond sur un litige exclusivement fiscal, les droits contestés n’étant assortis que des intérêts de retard et seule étant en cause l’existence de l’obligation fiscale des requérants envers l’Etat, laquelle ne relève que du droit public.

En second lieu, le Gouvernement rappelle que la Cour a expressément exclu que les litiges fiscaux puissent être regardés comme ayant trait à une contestation sur des droits et obligations de caractère civil (arrêt Ferrazzini c. Italie, [GC], no 44759/98, 12.07. 2001).

Les requérants rappellent que le litige a été présenté initialement en raison de la position de l’administration fiscale comme un litige comportant une sanction de caractère quasi pénale puisqu’une majoration de 40 % avait été décidée par ladite administration jusqu’à ce que la procédure soit engagée devant le tribunal administratif. Le fait que le dégrèvement ait été décidé ne modifie pas la nature du litige initialement soumis au tribunal. C’est bien la saisine du tribunal qui donne au litige son caractère quasi pénal et non le résultat final d’une procédure.

La Cour rappelle que, dans le système français, les majorations d’impôt en cas d’absence de bonne foi confèrent à l’« accusation » litigieuse un « caractère pénal » au sens de l’article 6 § 1, lequel trouve donc à s’appliquer (arrêt Bendenoun précité, p. 20-21, §§ 46-47).

Elle admet aussi que de simples intérêts de retard, qui impliquent que la bonne foi du contribuable est admise, ne revêtent pas, en principe, le même caractère de majorations d’impôts et ne constituent pas une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1.

La Cour rappelle également que la place éminente occupée par le droit à un procès équitable dans une société démocratique la conduit à opter pour une conception « matérielle » et non « formelle » de l’« accusation » visée à l’article 6 § 1, et lui commande de regarder au-delà des apparences et d’analyser les réalités de la procédure en litige (arrêts Deweer c. Belgique du 27 février 1980, série A no 35, p. 23, § 44 ; Adolf c. Autriche du 26 mars 1982, série A no 49, p. 15, § 30)

En l’espèce, la Cour doit examiner la question de savoir si la disparition des pénalités pour mauvaise foi, en cours de procédure, est de nature à rendre les dispositions de l’article 6 inapplicables. Sur ce point, si la Cour constate que la question des pénalités pour mauvaise foi constituait un élément des redressements intervenus en l’espèce, il n’en est pas de même de toute la procédure y afférent. De l’avis de la Cour, la procédure n’a pas revêtu de « coloration pénale » dans son ensemble car les dégrèvements accordés dès 1995 reconnaissant la bonne foi des requérants - celui résultant de la décision du 19 juin 1995 étant le plus important - soit près de six mois après l’acte introductif d’instance devant le tribunal administratif, ont été de nature à faire disparaître l’applicabilité des dispositions de l’article 6 § 1 de la Convention sous son volet pénal.

En conséquence, le litige n’étant pas de nature pénale, c’est la jurisprudence Ferrazzini citée par le Gouvernement qui s’applique au cas d’espèce. La Cour a en effet considéré que “la matière fiscale ressortit encore au noyau dur des prérogatives de la puissance publique, le caractère public du rapport entre le contribuable et la collectivité restant prédominant (...). Elle estime que le contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil, en dépit des effets patrimoniaux qu’il a nécessairement quant à la situation des contribuables” (ibid. § 29).

Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que l’exception soulevée par le Gouvernement doit être acceptée et que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas d’application en l’espèce.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée comme étant incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention, selon l’article 35 §§ 3 et 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

S. DolléA.B. Baka
GreffièrePrésident

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Textes cités dans la décision

  1. Code général des impôts, CGI.
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