CEDH, Cour (première section), SCHREIBER et BOETSCH c. la FRANCE, 11 décembre 2003, 58751/00

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 11 déc. 2003, n° 58751/00
Numéro(s) : 58751/00
Publication : Recueil des arrêts et décisions 2003-XII
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 30 mars 2000
Jurisprudence de Strasbourg : L'Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus c. France (déc.), n° 45053/98, 29 février 2000 Comm. Eur. D.H. No 18873/91, déc. 2.3.94, D.R. 76-A, p. 37
Ringeisen c. Autriche, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 39, § 94
König c. Allemagne, arrêt du 28 juin 1978, série A no 27, p. 30, § 89
W. c. Royaume Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 34, § 77
No 19231/91, déc. 9.1.95
No 20873/92, déc. 21.5.97
No 25308/94, déc. 2.9.96, D.R. 86, p. 96
Niveau d’importance : Publiée au Recueil
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-44633
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:1211DEC005875100
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

SUR LA RECEVABILITÉ

de la requête no 58751/00
présentée par Jean-Marie SCHREIBER et Jean-Claude BOETSCH
contre la France

La Cour européenne des Droits de l’Homme (première section), siégeant le 11 décembre 2003 en une chambre composée de

MM.C.L. Rozakis, président,
P. Lorenzen,

J.-P. Costa,
MmesF. Tulkens,
N. Vajić,
M.E. Levits,
MmeS. Botoucharova, juges,
et de M. S. Nielsen, greffier adjoint  de section,

Vu la requête susmentionnée introduite le 30 mars 2000,

Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles présentées en réponse par les requérants,

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

EN FAIT

Les requérants, Jean-Marie Schreiber et Jean-Claude Boetsch, sont des ressortissants français, nés respectivement en 1942 et 1946 et résidant à Lautenbach et Raedersheim (France). Ils sont représentés devant la Cour par Me Thomann, avocat au barreau de Mulhouse. Le gouvernement défendeur est représenté par M. R. Abraham, Directeur des affaires juridiques au Ministère des Affaires Etrangères.

A.  Les circonstances de l’espèce

Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se résumer comme suit.

Les requérants sont des victimes de l’accident de l’airbus A 320 survenu le 26 juin 1988 à Habsheim et ayant causé la mort de trois personnes ; une centaine d’autres furent blessées. Le premier requérant est également le président de l’association des victimes de cet accident.

Le vice-président chargé de l’instruction au tribunal de grande instance de Colmar conduisit l’information judiciaire relative à cet accident. Par un arrêt du 9 avril 1998, frappé d’un pourvoi en cassation, la cour d’appel de Colmar condamna, pour homicides et blessures involontaires, diverses personnes dont les pilotes de l’appareil.

L’un des pilotes déposa personnellement plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction de Mulhouse pour « bris de scellés et destruction, soustraction, recel, dissimulation ou altération de documents publics ou privés de nature à faciliter la recherche des crimes et délits, la découverte de preuves ou le châtiment de leur auteur », au motif que les enregistreurs de vol de l’avion avaient été volontairement falsifiés. Cette information fut confiée par la suite au juge d’instruction de Colmar et fut conclue par une ordonnance de non-lieu du 19 mars 1996 confirmée par un arrêt de la chambre d’accusation du 13 juin 1996.

Le juge d’instruction de Colmar fut saisi, soit directement, soit en raison du dessaisissement du juge d’instruction de Mulhouse, validé par un arrêt de la chambre d’accusation du 29 avril 1999, de cinq informations dont quatre sur constitution de parties civiles notamment des requérants.

Le 29 juillet 1999, les requérants saisirent personnellement le premier président de la cour d’appel de Colmar d’une requête tendant à la récusation du juge d’instruction de Colmar. Ils soutenaient qu’il y avait eu, au départ ou en cours de procédure, des actes de manipulation et de substitution frauduleux et émettaient des doutes quant à l’impartialité et l’objectivité de ce juge. Ils fondaient leur demande en récusation, notamment, sur l’article 6 de la Convention.

Par une ordonnance du 2 novembre 1999, insusceptible de voie de recours, le premier président rejeta cette requête en récusation et condamna in solidum ses auteurs à une amende civile de 1000 francs, soit environ 150 euros. Il estima notamment :

« Attendu qu’un juge ne méconnaît pas l’exigence d’impartialité par le seul fait qu’il intervient dans la même affaire s’il n’a pas préalablement apprécié les faits qui font l’objet de sa seconde saisine ; que sauf à lui faire un procès d’intention, il n’existe pas en l’espèce de raisons objectives de douter de l’impartialité de M. G. dont les actes d’information seront effectués sous le contrôle de la chambre d’accusation ;

Attendu que le fait que dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont légalement conférés, il ait précédemment refusé de faire procéder à des investigations ou auditions sollicitées par les mis en examen ou les victimes par des décisions qui ont été approuvées par la juridiction du second degré quand celle-ci a été saisie, ne permet pas de considérer que les inquiétudes des requérants sont objectivement justifiées ; ».

Il ordonna également que cette ordonnance soit notifiée aux demandeurs, au procureur général et au juge concerné.

B.  Le droit interne pertinent

Les articles pertinents du code de procédure pénale se lisent comme suit :

Article 669

« La personne mise en examen, le prévenu, l’accusé et toute partie à l’instance qui veut récuser un juge d’instruction, un juge de police, un, plusieurs ou l’ensemble des juges du tribunal correctionnel, des conseillers de la cour d’appel ou de la cour d’assises doit, à peine de nullité, présenter requête au premier président de la cour d’appel.

Les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés.

La requête doit désigner nommément le ou les magistrats récusés et contenir l’exposé des moyens invoqués avec toutes les justifications utiles à l’appui de la demande.

La partie qui aura procédé volontairement devant une cour, un tribunal ou un juge d’instruction ne sera reçue à demander la récusation qu’à raison des circonstances survenues depuis, lorsqu’elles seront de nature à constituer une cause de récusation. »

Article 671

« Le premier président reçoit le mémoire complémentaire du demandeur, s’il y a lieu, et celui du magistrat dont la récusation est proposée ; il prend l’avis du procureur général et statue sur la requête.

L’ordonnance statuant sur la récusation n’est susceptible d’aucune voie de recours. Elle produit effet de plein droit. »

Article 673

« Toute ordonnance rejetant une demande de récusation prononce la condamnation du demandeur à une amende civile de 500 à 5.000 francs. »

GRIEF

Invoquant l’article 6 § 1 de la Convention, les requérants se plaignent de ce que l’examen de leur requête en récusation du juge d’instruction n’a pas eu un caractère équitable. Ils se plaignent du caractère non-contradictoire de la procédure suivie, du fait que l’ordonnance de rejet était insusceptible de voie de recours et du fait que cette décision fut notifiée au président du tribunal de grande instance, non-partie à la procédure, et aux avocats des parties civiles mais non à elles directement.

EN DROIT

Les requérants se plaignent de ce que l’examen de leur requête en récusation du juge d’instruction n’a pas eu un caractère équitable. Ils invoquent l’article 6 § 1 de la Convention, dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (...) ».

Le Gouvernement estime, tout d’abord, que l’article 6 § 1 de la Convention n’est pas applicable, en l’espèce, sous son volet pénal, les requérants n’ayant la qualité d’accusé ni dans le cadre de la procédure en récusation soumise au premier président de la cour d’appel de Colmar, ni dans le cadre des procédures principales diligentées en 1998 à la suite de leurs plaintes avec constitution de partie civile.

Il estime, ensuite, que cet article n’est pas applicable non plus sous son volet civil. Il explique, d’une part, que la procédure en récusation ne porte pas en elle-même sur des droits et obligations de caractère civil. Il admet qu’elle porte sur une contestation mais souligne qu’elle n’a pas trait à un différend d’ordre patrimonial. Elle a pour objet de solliciter la récusation d’un juge et ne permet pas d’allouer des dommages et intérêts. De plus, les requérants n’ont pas allégué avoir subi de préjudice financier.

Il expose, d’autre part, que les plaintes avec constitution de partie civile n’entrant pas dans le champ d’application de l’article 6 de la Convention, puisque les requérants n’y avaient fait état d’aucun préjudice financier, la procédure en récusation ne peut y entrer « par connexité ».

Il explique, en outre, qu’en tout état de cause, la procédure en récusation doit être considérée comme une procédure autonome, dont la nature est indépendante des contentieux qui l’ont générée. Même si la révocation du juge pouvait avoir une influence sur le déroulement des instructions, elle n’aurait pas modifié l’issue de l’affaire, sauf à spéculer sur les investigations qui auraient alors été menées. En effet, quel qu’ait été le résultat de la procédure en récusation, les requérants pouvaient continuer à saisir le juge chargé des instructions de demandes d’actes puis à faire appel des éventuelles ordonnances de rejet. Il ajoute qu’à chaque étape de la procédure, les requérants disposaient des moyens nécessaires pour obtenir, au moins par voie d’appel, l’accomplissement des actes qu’ils souhaitaient.

Le Gouvernement affirme que ces procédures parallèles étaient complètement distinctes. Il explique, d’une part, que la requête en récusation n’a pas d’effet suspensif et ne dessaisit pas le magistrat visé et, d’autre part, que la procédure en récusation ne comporte aucune investigation sur les faits dont est saisi le juge d’instruction et se limite à la question de la récusation. Il souligne enfin que ces procédures ne présentent pas d’identité de parties, d’objet, de cause ou de moyens. Ainsi, la nature de la procédure en récusation ne peut être fonction de la nature des contentieux à l’occasion desquels elle apparaît. Il s’agit d’une procédure d’administration de la justice, régie par un régime juridique propre et qui n’est ni civile ni pénale.

Le Gouvernement rappelle que l’amende civile infligée aux requérants n’est prononcée qu’à titre incident en conséquence du rejet de ladite demande, sans que cela puisse conférer à la procédure dans son ensemble la nature d’une contestation en matière civile.

Finalement, estimant que les plaintes avec constitution de partie civile à l’origine de la procédure en récusation étaient des tentatives indirectes d’obtenir au principal ce qu’ils n’avaient pu obtenir auparavant, le Gouvernement affirme que la demande en récusation ne concerne pas une contestation sur les droits et obligations de caractère civil des requérants.

Il considère, en conséquence, que l’article 6 § 1 de la Convention est inapplicable à la procédure en récusation du juge d’instruction.

Les requérants contestent cette analyse. Ils disent, également, ne pas remettre en cause la procédure de récusation dans son ensemble, mais le fait que, en tant que victimes, ils ont été condamnés à une amende sans que le principe du contradictoire soit respecté, sans qu’une audience ait lieu et sans aucune voie de recours.

Ils expliquent, également, que l’action en récusation est distincte de toute procédure antérieure, puisque la plainte pénale principale a été régularisée par d’autres victimes de l’accident et est encore en cours d’instruction.

La Cour constate que le seul objet de la procédure en cause était la récusation du magistrat chargé d’instruire l’affaire dans laquelle les requérants s’étaient constitués partie civile. Elle estime dès lors que la procédure en récusation est une procédure incidente et indépendante de la procédure principale qui l’a fait naître.

La question se pose de savoir si cette procédure emportait « décision » d’une contestation sur des « droits de caractère civil » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention. Selon la jurisprudence constante de la Cour, l’article 6 § 1 de la Convention n’est applicable que si trois conditions sont réunies : il doit y avoir, au moins de manière défendable, un droit en jeu, le droit en jeu doit avoir fait l’objet d’une contestation et il doit revêtir un caractère civil (W. c. Royaume‑Uni, arrêt du 8 juillet 1987, série A no 121, p. 34, § 77).

La Cour constate que le premier président de la cour d’appel de Colmar n’était pas appelé à « décider » du bien-fondé de la plainte avec constitution de partie civile des requérants. Son rôle ne consistait en aucune manière à décider d’une contestation, mais à se prononcer sur la question incidente de la demande de récusation du juge d’instruction (voir, notamment, Maino c. Suisse no 19231/91, décision de la Commission du 9 janvier 1995).

La Cour rappelle également que c’est au regard non de la qualification juridique, mais du contenu matériel et des effets que lui confère le droit interne de l’Etat en cause, qu’un droit doit être considéré ou non comme étant de caractère civil au sens de cette disposition (König c. Allemagne, arrêt du 28 juin 1978, série A no 27, p. 30, § 89).

Or, aux yeux de la Cour, le droit d’obtenir une décision judiciaire sur la composition d’un tribunal n’est pas un droit de caractère civil. Il s’agit là, tout au plus, d’un droit de nature procédurale qui n’emporte pas la détermination de droits de caractère civil des requérants (Maino c. Suisse, précité, et Ocelot S.A. c. Suisse, no 20873/92, décision de la Commission du 21 mai 1997 et, mutatis mutandis, Courtet c. France, no 18873/91, décision de Commission du 2 mars 1994, Décisions et rapports (DR) 76-A, p. 37). Il en va d’autant plus ainsi lorsque la demande ne porte pas sur la composition d’une juridiction de jugement mais sur le remplacement d’un juge d’instruction.

Dans la mesure où la  procédure incidente pouvait avoir une influence sur la procédure principale relative à la plainte avec constitution de partie civile et, même à supposer que l’article 6 § 1 de la Convention soit applicable à la procédure principale, la Cour rappelle que l’article 6 § 1 de la Convention ne se contente pas d’un lien ténu ni de répercussions lointaines : l’issue de la procédure doit être directement déterminante pour des droits et obligations de caractère privé (Ringeisen c. Autriche, arrêt du 16 juillet 1971, série A no 13, p. 39, § 94). En conséquence, la Cour estime que l’éventuelle applicabilité de l’article 6 § 1 à la procédure principale ne ferait pas entrer, par connexité, la procédure en récusation dans le champ d’application de cet article.

La question se pose, finalement, de savoir si le premier président de la cour d’appel de Colmar, en infligeant aux requérants une amende civile a décidé d’une contestation sur un droit ou une obligation de caractère civil des requérants ou a décidé du bien-fondé d’une accusation en matière pénale au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

La Cour souligne qu’une mesure de ce type présente le caractère de sanction procédurale et n’emporte pas détermination d’un droit ou d’une obligation « de caractère civil » (L’Association des amis de Saint-Raphaël et de Fréjus c. France (déc.), no 45053/98, du 29 février 2000 et Veriter c. France, no 25308/94, décision de la Commission du 2 septembre 1996, DR 86, p. 96) ; en outre, une telle sanction ne saurait soulever une question d’accès à la justice « civile » au sens de l’article 6 § 1 lorsque, comme en l’espèce, la procédure à l’issue de laquelle elle a été infligée échappe à l’emprise de cette disposition (ibidem). Enfin, en principe, en infligeant une amende pour recours abusif, une juridiction ne décide pas du bien fondé d’une « accusation en matière pénale » au sens dudit article (ibidem). 

La Cour en conclut que la procédure en cause ne concernait pas le bien-fondé d’une accusation en matière pénale et qu’elle ne portait pas davantage sur une contestation sur des droits et obligations de caractère civil des requérants au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.

Il s’ensuit que cette requête est incompatible ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de l’article 35 § 3 et doit être rejetée en application de l’article 35 § 4.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Søren NielsenChristos Rozakis
Greffier adjointPrésident

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