CEDH, Cour (première section comité), ASPISI c. ITALIE, 14 février 2023, 44453/19

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section Comité), 14 févr. 2023, n° 44453/19
Numéro(s) : 44453/19
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 23 août 2019
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-223588
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2023:0214DEC004445319
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

DÉCISION

Requête no 44453/19
Sophie Anouk ASPISI
contre l’Italie

La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant le 14 février 2023 en un comité composé de :

 Péter Paczolay, président,
 Gilberto Felici,
 Raffaele Sabato, juges,
et de Liv Tigerstedt, greffière adjointe de section,

Vu :

la requête no 44453/19 contre la République italienne et dont une ressortissante française, Mme Sophie Anouk Aspisi (« la requérante ») née en 1968 et résidant à Rome, représentée par Me S. Menichetti et Me G. Suparaku, avocates à Rome, a saisi la Cour le 13 août 2019 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »),

la décision de porter la requête à la connaissance du gouvernement italien (« le Gouvernement »), représenté par son agent, L. D’Ascia, avocat d’État,

les observations des parties,

la décision du gouvernement français de ne pas user de son droit d’intervenir dans la procédure (article 36 § 1 de la Convention),

Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :

OBJET DE l’AFFAIRE

1.  L’affaire concerne l’impossibilité pour la requérante, à la suite de la rupture de la relation de couple, de maintenir une relation à l’égard de l’enfant de son ex-compagne.

2.  Souhaitant avoir un enfant dans le cadre d’un projet parental que la requérante et son ex-compagne, A.R., avaient conçu ensemble, elles choisirent J.H. qui donna son accord pour être le père biologique de l’enfant.

3.  Le 26 mai 2008, la requérante et A.R. conclurent un pacte civil de solidarité (« PACS ») à l’ambassade française de Rome.

4.  Le 5 août 2008, V. naquit à Montpellier.

5.  Le 16 août 2008, la requérante et A.R. conclurent un accord écrit dans lequel elles déclarèrent que A.R. était la mère biologique de l’enfant, que la requérante avait participé et assisté à la conception de l’enfant et que J.H. renonçait à reconnaitre l’enfant et à exercer son rôle de père. Elles s’engageaient également en cas de séparation à suivre la loi française et prévoyaient des dispositions en cas de décès.

6.  En 2012 le couple se sépara.

7.  Le 10 avril 2014, le PACS fut dissout.

8.  N’ayant plus de contacts avec l’enfant depuis 2015, le 27 novembre 2017 la requérante saisit le tribunal pour enfants (ci-après « le tribunal ») de Rome en lui demandant de reconnaître leur relation. Elle demanda également de communiquer les actes de la procédure au parquet pour qu’il puisse intervenir et demander une expertise afin d’évaluer la nécessité de reprendre les contacts avec l’enfant.

9.  A.R. s’opposa en faisant valoir que la requérante n’avait jamais exercé un rôle parental vis-à-vis de l’enfant, qu’elle avait vécu dans une autre ville pendant un certain temps et qu’elle était rentrée dans la maison familiale seulement en 2011, pour la quitter définitivement en 2012. L’enfant n’avait aucun lien avec la famille de la requérante.

10.  Le tribunal entendit les deux femmes et transmit le dossier au parquet afin qu’il se prononce sur les demandes de mesures demandées par la requérante.

11.  Le 3 décembre 2018, le parquet donna un avis défavorable étant donné que l’existence d’une relation parentale entre la requérante et l’enfant n’était pas prouvée. Il donna, en revanche, un avis favorable à une enquête plus approfondie au cas où le tribunal l’estime opportun.

12.  Par une décision du 5 mars 2019, le tribunal, en déclarant la requête irrecevable en raison de l’absence de légitimation de la requérante, en vertu des dispositions combinées de l’article 81 du code de procédure civile et de l’article 336 du code civil, rappela que la demande proposée par la requérante, même avec l’intervention obligatoire du parquet, ne pouvait pas être requalifiée comme une demande proposée par le même parquet au sens de l’article 336 du code civil.

13.  La requérante allègue avoir subi une atteinte à son droit au respect de la vie familiale (article 8 de la Convention) en raison de l’impossibilité de maintenir une relation avec l’enfant conçu par son ex-compagne avec J.H., suite à la rupture de la relation de couple. Elle se plaint, en outre, de l’impossibilité de demander, devant une autorité judiciaire, la reconnaissance du droit de visite à l’égard de cette enfant, avec qui elle avait vécu pendant une période de quatre ans. Elle soutient qu’elle ne disposait pas d’un recours effectif devant une instance nationale pour faire valoir son droit reconnu par l’article 8 de la Convention et, à cet égard, elle invoque l’article 13 de la Convention.

14.  La requérante fait valoir également que la loi no 40 du 19 février 2004, en prévoyant la possibilité de reconnaitre l’enfant conçu par procréation médicalement assistée uniquement pour les couples hétérosexuels, constitue une discrimination fondée sur l’orientation sexuelle au sens de l’article 14 combiné avec l’article 8 de la Convention.

APPRÉCIATION DE LA COUR

15.  La Cour rappelle qu’elle est maîtresse de la qualification juridique des faits et qu’elle n’est pas liée par celle que leur attribuent les requérants (voir, notamment, Radomilja et autres c. Croatie [GC], nos 37685/10 et 22768/12, § 126, 20 mars 2018). En l’espèce, elle estime plus approprié d’examiner les griefs formulés par la requérante exclusivement sous l’angle de l’article 8 de la Convention.

16.  Le Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de recours internes car la requérante n’a pas interjeté appel et ensuite ne s’est pas pourvue en cassation afin de soulever la question du défaut de légitimation. À cet égard, le Gouvernement expose que par l’ordonnance no 4198 du 17 février 2021, la Cour de cassation dans une affaire similaire a souligné l’importance particulière et la nouveauté des questions concernant le parent social et le parent d’intention dans le contexte d’une relation entre personnes du même sexe. La Haute juridiction, soulignant également la nécessité d’examiner la question de la légitimité à agir, avait décidé de traiter ces questions en audience publique, demandant également un rapport de recherche à son bureau de documentation.

17.  La requérante s’oppose et fait valoir qu’il n’y avait pas de recours effectif pour se plaindre du défaut de légitimation, preuve est le fait que la Cour de cassation ne s’était pas encore prononcée sur ce point. De toute manière n’ayant pas la légitimation à agir, elle ne pouvait pas interjeter appel de la décision.

18.  La Cour note, tout d’abord, que la requérante n’a pas mis le juge interne en mesure de se prononcer en premier lieu sur les griefs qu’elle soumet à l’examen de la Cour.

19.  En deuxième lieu, la Cour tient à rappeler que le droit italien prévoit la possibilité pour une personne ayant développé un lien familial de facto avec un enfant d’obtenir des mesures visant à la préservation de ce lien. À cet égard elle rappelle que la Cour constitutionnelle, dans sa décision no 225 de 2016, a statué que l’interruption injustifiée d’une relation significative établie et entretenue par le mineur avec un tiers (sans lien de parenté) pourrait relever de l’article 333 du code civil, qui permet au juge d’adopter des « mesures appropriées » lorsque le comportement de l’un ou des deux parents porte préjudice au mineur. Et ce sur la demande du parquet (ainsi prévue par l’article 336 du code civil), également « sur sollicitation » de l’adulte (non‑parent) impliqué dans la relation en question.

20.  La Cour note que dans le cas d’espèce, la requérante a saisi le tribunal pour enfants en demandant l’intervention du parquet, sans saisir ce dernier au préalable d’une demande d’adoption de mesures appropriées pour sauvegarder son lien avec l’enfant. Le tribunal a entendu la requérante et son ex-compagne, a transmis le dossier au parquet, mais a ensuite estimé qu’une telle procédure n’était pas équivalente à celle prévue par la loi, selon laquelle le tribunal doit être directement saisi par le parquet – qui remplit un rôle institutionnel dans la magistrature – après avoir évalué la situation de l’enfant.

21.  Par conséquent, la Cour estime que le cadre juridique interne aurait donné à la requérante la possibilité de demander un examen judiciaire de la question de la préservation du lien qu’elle affirmait avoir développé avec l’enfant, possibilité dont elle a usé même si elle n’a pas correctement respecté la procédure interne, comme souligné par le tribunal. En tout état de cause, même si l’irrecevabilité prononcée par le tribunal pour défaut de légitimation de la requérante avait été le résultat d’une erreur, de cette erreur – comme mentionné ci-dessus – la requérante aurait pu et dû se plaindre devant la cour d’appel et la Cour de cassation qui ont, par ailleurs, examiné des cas similaires (voir paragraphe 16 ci-dessus). À cet égard la Cour constate que la procédure mentionnée s’est conclue pour des raisons procédurales, par un arrêt du 19 mai 2022, sans que la question de la légitimation à agir soit examinée.

22.  Quant au grief portant sur la discrimination subie en raison de l’impossibilité de reconnaitre l’enfant, la Cour prend acte de ce que la requérante n’a pas tenté de la reconnaître lors de sa naissance et n’a pas soulevé expressément la question de la discrimination devant les juridictions nationales. De plus, elle note que, comme le souligne le Gouvernement, la loi no 40 du 19 février 2004 qu’elle cite ne s’applique pas étant donné qu’il n’y a pas eu de procréation médicalement assistée, mais une union naturelle entre A.R. et J.H.

23.  À la lumière de ce qui précède, après une analyse approfondie des observations des parties, des décisions des juridictions internes et de la jurisprudence pertinente, la Cour considère que, eu égard aussi à l’ample marge d’appréciation dont il disposait, l’État défendeur n’a pas méconnu son obligation positive de garantir le respect effectif du droit de la requérante à sa vie familiale.

Il s’ensuit que la requête doit être rejetée en application de l’article 35 § 4 de la Convention.

Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,

Déclare la requête irrecevable.

Fait en français puis communiqué par écrit le 9 mars 2023.

 Liv Tigerstedt Péter Paczolay
 Greffière adjointe Président

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