CEDH, Commission, NYSTRÖM c. la BELGIQUE, 7 novembre 1988, 11504/85
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 7 nov. 1988, n° 11504/85 |
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Numéro(s) : | 11504/85 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 5 octobre 1987 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | irrecevable |
Identifiant HUDOC : | 001-24104 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1988:1107DEC001150485 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 11504/85
présentée par Jean-Claude NYSTRÖM
contre la Belgique
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 7 novembre 1988 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
E. BUSUTTIL
G. JÖRUNDSSON
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
G. BATLINER
H. VANDENBERGHE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission,
Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 5 mars 1985 par Jean-Claude NYSTRÖM
contre la Belgique et enregistrée le 22 avril 1985 sous le No de
dossier 11504/85 ;
Vu la décision de la Commission, en date du 5 octobre 1987, de
porter la requête à la connaissance du Gouvernement défendeur et
d'inviter ce dernier à présenter par écrit ses observations sur la
recevabilité et le bien-fondé de la requête ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur
en date du 8 janvier 1988 ;
Vu les observations produites en réponse par le requérant le
13 mars 1988 ;
Vu les conclusions des parties développées à l'audience le
7 novembre 1988 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant est un ressortissant belge, né en 1939 à Liège et
résidant à Bruxelles. Il est docteur en médecine.
Dans la procédure devant la Commission, il est représenté par
Maîtres Pierre Lambert et Georges-Henri Beauthier, avocats au barreau
de Bruxelles.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
L'Ordre des médecins du Brabant reprocha au requérant d'avoir
manqué au respect des règles de déontologie et au maintien de
l'honneur, de la discrétion et de la probité des membres de l'Ordre
des médecins pour avoir :
- entretenu la toxicomanie des patients à qui il remettait des
prescriptions de "Burgodin", sans avoir eu de contact réel
avec eux,
- omis de procéder à un contrôle systématique du traitement
préconisé,
- omis d'établir un dossier médical des patients,
- pratiqué l'art de guérir comme une affaire commerciale.
Parallèlement à la déontologie médicale, le conseil de l'Ordre
des médecins du Brabant, dans une série de publications successives
(bulletins de l'Ordre des médecins du Brabant) en 1976, 1980, et 1982,
a indiqué les directives auxquelles les praticiens traitant la
toxicomanie devaient se conformer.
L'action disciplinaire a été entamée à l'encontre du requérant
en 1982, compte tenu de l'inquiétude manifestée dans plusieurs milieux
à la suite de l'émission d'un nombre important de prescriptions de
Burgodin (produit qui est une spécialité à base de bézitramide,
stupéfiant classé sous le no 14c dans l'article 1er de l'arrêté royal
du 31 décembre 1930).
La préoccupation des autorités responsables (Inspection de la
pharmacie, commission médicale du Brabant d'expression française) fut
d'autant plus grande que ces prescriptions étaient destinées, en
grande partie, à des toxicomanes originaires de Paris et des environs
qui, s'étant procuré ce stupéfiant dans une pharmacie bruxelloise,
regagnaient leur pays pour y consommer ou monnayer ce médicament,
contournant ainsi la législation française qui interdit la
bézitramide.
Cette situation de fait a donné lieu à des articles de presse
dans plusieurs journaux belges ou étrangers qui ont fait allusion à un
"trafic légal" : "une enquête médicale sur les pratiques du Dr. X" mis
en cause par la presse à Paris, et à un médecin bruxellois répondant
aux accusations lui imputant "la base d'un trafic de drogue".
Le médecin mis en cause se trouve être le requérant qui fut
poursuivi par l'Ordre des médecins.
Le conseil provincial de l'Ordre du Brabant a rendu le 19
octobre 1982 une sentence infligeant au requérant la peine
disciplinaire de la suspension du droit d'exercer l'art médical
pendant une durée de six mois. Cette décision fut notifiée au
requérant le 26 octobre 1982. Ce dernier interjeta appel.
Le 3 mai 1983, le conseil d'appel d'expression française de
l'Ordre des médecins a rendu par défaut une sentence par laquelle
elle réforma la sentence et prononça à charge du requérant la peine de
la radiation du tableau de l'Ordre des médecins, peine plus grave que
celle dont appel, alors que, par suite de diverses circonstances, le
requérant n'a pu être informé que le matin même de l'audience du 3 mai
1983 et que le conseil d'appel refusait la demande de remise
régulièrement formulée dès le 18 avril par l'un de ses conseils au
motif qu'il se trouvait à l'étranger le jour de l'audience.
La sentence, rendue par défaut, fut notifiée au requérant par
lettre recommandée du 4 mai 1983. Sur opposition du requérant, le
conseil d'appel a déclaré l'opposition recevable mais non fondée. Il
en a débouté le requérant et a prononcé à sa charge la radiation du
tableau de l'Ordre des médecins par décision du 22 novembre 1983.
Le requérant se pourvut en cassation contre cette décision.
Dans son pourvoi, il a invoqué l'article 6 par. 1 de la Convention et
l'article 107 de la Constitution ainsi que le principe général du
droit déduit du respect des droits de la défense et du principe
général du droit, consacré par l'article 202 du Code d'instruction
criminelle selon lequel, sur le seul appel de celui qui est l'objet
d'une accusation en matière pénale, sa situation ne peut être
aggravée.
La Cour de cassation rejeta le pourvoi par arrêt du 13
septembre 1984.
Répondant au moyen soulevé par le requérant au titre de
l'article 6 par. 1 de la Convention, la Cour de cassation estime que
"de la seule circonstance qu'une juridiction disciplinaire est
composée entièrement ou partiellement de membres élus qui exercent la
même profession ou une profession similaire ou qui possèdent la même
qualification professionnelle que ceux qui sont jugés par cette
juridiction, il ne peut se déduire que celle-ci n'est ni indépendante
ni impartiale, notamment au sens de l'article 6 par. 1 de la
Convention de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés
fondamentales".
La Cour de cassation considère qu'en définitive l'article 25 par.
4 de l'arrêté royal No 79 du 10 novembre 1967, qui dispose que le
conseil d'appel peut à la majorité des deux tiers aggraver la sanction
prononcée par le conseil provincial,
"n'est pas incompatible avec les exigences d'un procès
"équitable, formulé par l'article 6 par. 1 de la Convention ;
"Attendu que la règle suivant laquelle, sur le seul appel de
"celui qui est l'objet d'une accusation en matière pénale,
"sa situation ne peut être aggravée, est fondée sur l'article
"202 du Code d'instruction criminelle et n'est pas applicable
"à la matière régie par l'arrêté royal No 79 du 10 novembre
"1967 ;
"Attendu que la décision attaquée, qui a été rendue
"conformément à l'article 25 par. 4 de cet arrêté, ne viole
"dès lors ni ladite Convention ni les principes allégués par
"le demandeur".
Le requérant fit également l'objet de poursuites pénales. Le
tribunal correctionnel de Bruxelles, par jugement du 28 mars 1985,
condamna le requérant à une peine de prison de quatre ans et à une
amende. Sur appel interjeté par le requérant et le ministère public,
la cour d'appel de Bruxelles, par arrêt du 7 novembre 1985, condamna le
requérant à une peine unique de trois ans de prison avec sursis
pendant cinq ans quant aux deux tiers de cette peine, assortie de
l'interdiction de l'exercice des droits énumérés sub 1, 3, 4 et 5 de
l'article 31 du Code pénal et de l'interdiction à vie du droit
d'exercer l'art médical. Contre cet arrêt, le requérant ne s'est pas
pourvu en cassation.
GRIEFS
Le requérant allègue la violation de l'article 6 par. 1 de la
Convention en ce qui concerne la procédure disciplinaire devant les
organes de l'Ordre des médecins.
Il prétend que sa cause n'a pas été entendue par un tribunal
indépendant et impartial en ce que, sur son seul appel, le conseil
d'appel, se fondant sur les considérations émises par le conseil
provincial, a aggravé la sanction en prononçant la radiation du
tableau de l'Ordre.
Le conseil d'appel ne répond pas aux exigences d'un tribunal
indépendant et impartial de l'article 6 dans la mesure où il était
composé majoritairement de médecins (4 magistrats, l'un faisant
fonction de président et 5 médecins) élus par les conseils provinciaux
et rééligibles et qu'il a décidé, sur la base d'une instruction menée
par le bureau du conseil provincial - constitué, outre l'assesseur, de
seuls médecins - d'une prévention décidée par le conseil provincial
composé uniquement de médecins, et de normes déontologiques adaptées
par ce même conseil, celui-ci intervenant ainsi successivement comme
pouvoir réglementaire, partie poursuivante et enfin comme juge.
En outre, aux termes de l'article 6 par. 1, la procédure
doit respecter les droits de la défense et le principe général de
droit, selon lequel sur le seul appel de celui qui est l'objet d'une
accusation en matière pénale, sa situation ne peut être aggravée. Ce
principe est applicable en matière disciplinaire, en tout cas, lorsque
le manquement disciplinaire reproché constitue également une
infraction à la loi pénale, tel que l'entretien de la toxicomanie.
Il s'ensuit que le conseil d'appel, saisi sur seul appel du
requérant, ne pouvait aggraver la sanction prononcée par le conseil
provincial sans méconnaître l'article 6 par. 1 et les principes
généraux de droit et ne pouvait, par conséquent, appliquer l'article
25, par. 4 de l'arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967 sans violer
l'article 6 de la Convention.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 5 mars 1985 et enregistrée le
22 avril 1985.
Le 5 octobre 1987, la Commission a décidé de donner
connaissance de la requête au Gouvernement belge, en application de
l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, et d'inviter
celui-ci à présenter par écrit ses observations sur la recevabilité et
le bien-fondé de celle-ci.
Le Gouvernement a présenté ses observations sur la
recevabilité et le bien-fondé de la requête le 8 janvier 1988 et les
observations en réponse du requérant sont parvenues le 13 mars 1988.
Le 6 juillet 1988, la Commission a décidé d'inviter les
parties à lui présenter oralement, au cours d'une audience
contradictoire, des observations sur la recevabilité et le bien-fondé
de la requête.
L'audience a eu lieu le 7 novembre 1988.
Les parties ont comparu comme suit :
Pour le Gouvernement :
Madame Michèle AKIP, en qualité de Délégué de l'Agent
du Gouvernement
Maître Jean-Marie NELISSEN GRADE, Avocat à la Cour de cassation de
Bruxelles, en qualité de conseil
Pour le requérant :
Maîtres Pierre LAMBERT
et Georges-Henri BEAUTHIER, Avocats au barreau de Bruxelles
ARGUMENTATION DES PARTIES
Le Gouvernement
La première question qui aurait pu se poser est celle de
savoir si le requérant est susceptible d'être considéré comme
"victime" au sens de l'article 25 de la Convention dans la mesure où
il a fait l'objet, par ailleurs, d'une procédure pénale qui a aussi
abouti à la radiation à vie du tableau de l'Ordre des médecins.
Cette exception d'irrecevabilité tirée de l'article 25 de la
Convention n'a pas été davantage approfondie. La requête est en tout
état de cause manifestement mal fondée, les conditions énoncées à
l'article 26 de la Convention étant respectées quant à la procédure
disciplinaire, la seule mise en cause en l'espèce.
Le Gouvernement, après avoir rappelé la législation pertinente
en la matière et les modifications intervenues (loi du 13 mars 1985) à
la suite des arrêts de la Cour européenne dans les affaires Le Compte,
Van Leuven et De Meyere ainsi qu'Albert et Le Compte (Cour Eur. D.H.,
arrêt du 23.6.1981, série A no 43, et arrêt du 10 février
1983, série A no 58), en arrive aux deux griefs précis du requérant.
Le premier de ces griefs repose sur la constatation de fait
que dans la procédure ou tout au moins dans la procédure sur
opposition, le conseil d'appel était composé d'une majorité de cinq
médecins.
Il y a lieu de rappeler à cet égard que les conseils d'appel
sont en principe composés paritairement de cinq magistrats et de cinq
médecins effectifs et d'autant de magistrats et de médecins
suppléants. Mais il est exact que l'arrêté royal du 6 février 1970,
qui règle la procédure devant le conseil d'appel, dispose que les
conseils d'appel ne délibèrent valablement que si, outre le greffier,
trois membres élus et trois membres nommés au moins sont présents, les
membres élus étant bien entendu les médecins, les membres nommés étant
les magistrats. Il faut donc, dans cette juridiction d'appel composée
de cinq magistrats et de cinq médecins, que pour statuer celle-ci soit
composée effectivement d'au moins trois magistrats et d'au moins trois
médecins. Il peut arriver qu'à la suite de l'absence d'un ou de deux
médecins tout comme d'ailleurs d'un ou de deux magistrats, il y ait
dans l'une ou l'autre affaire une légère disparité entre magistrats et
médecins, et c'est ce qui est arrivé dans la présente affaire.
C'est sur la base de cette circonstance, en quelque sorte
fortuite, que le requérant croit pouvoir déduire que le conseil
d'appel ne remplit plus les conditions d'indépendance et
d'impartialité requises par l'article 6 de la Convention.
Le Gouvernement estime que la thèse du requérant repose en
réalité sur une interprétation erronée de la jurisprudence de la Cour
européenne. La position du requérant se fonde sur un seul considérant
de l'arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere. Au paragraphe 58 de
cet arrêt, en effet, la Cour a considéré notamment que la présence de
magistrats occupant la moitié des sièges donne un gage certain
d'impartialité du conseil d'appel. Le requérant croit pouvoir en
déduire, sur la base d'un raisonnement a contrario, que lorsque cette
condition de parité n'est pas strictement respectée, l'article 6
serait violé.
En réponse à cette thèse, le Gouvernement souligne que ce
considérant de l'arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere est cité
sans qu'il soit tenu compte du contexte très particulier de cette
première affaire médicale dont les organes de la Convention avaient
eu à connaître.
Les préventions et les faits mis à charge du Dr Le Compte
procédaient tous d'une attitude foncièrement hostile à l'Ordre des
médecins. Le Dr Le Compte contestait la légalité et en tout cas la
légitimité même de l'Ordre des médecins. C'est en raison de ces
circonstances particulières, propres à l'affaire Le Compte, que la
Commission avait, dans un premier temps, considéré que la présence de
médecins dans les organes disciplinaires pouvait poser problème.
C'est dans le contexte de ces circonstances qu'il faut relire le
paragraphe 58 de l'arrêt précité. Il est clair que celles-ci font
totalement défaut dans la présente affaire.
L'analyse de cet arrêt ne permet pas de conclure que l'absence
d'une stricte parité, dans chaque cas particulier, entre les médecins
et les magistrats aurait pour effet de rendre la juridiction
disciplinaire partiale, contrairement aux prescriptions de l'article 6
de la Convention.
D'autre part, il faut relever que la jurisprudence des organes
de la Convention a évolué dans ce domaine. Il est intéressant de
noter que dans la seconde affaire portée devant la Cour, l'affaire
Albert et Le Compte, la Commission n'a plus soutenu qu'il fallait
considérer que les membres médecins du conseil d'appel étaient
défavorables au requérant et qu'elle a conclu à l'absence de
violation de l'article 6 sur ce point.
La Cour européenne suit la même voie en rappelant que
l'impartialité personnelle des membres du conseil d'appel se présume
jusqu'à preuve du contraire et elle ajoute qu'aucun élément du dossier
ne permet de douter de l'impartialité considérée sous un angle
objectif et organique. En ce qui concerne cette impartialité
objective et organique, la Cour relève "que le mode de désignation des
médecins siégeant dans les conseils d'appel n'autorisait pas à les
taxer de partialité. Quoique élus par les conseils provinciaux, ils
n'agissent pas en qualité de représentants de l'Ordre des médecins,
mais à titre personnel, tout comme les magistrats nommés eux par le
Roi". Donc, la Cour ne requiert pas, contrairement à ce que semble
penser le requérant, que la parité entre magistrats et médecins soit
assurée à tout moment dans le conseil d'appel. La Cour semble même
admettre dans ce second arrêt que l'impartialité des membres médecins
ne peut être mise en doute pour le seul motif qu'ils sont élus par les
conseils provinciaux, puisque ils ne siègent pas en qualité de
représentants de l'Ordre, mais à titre personnel, comme les
magistrats.
Cela rejoint la position adoptée, depuis des années, par la
Cour de cassation de Belgique, qui répète que la circonstance qu'une
juridiction disciplinaire soit composée entièrement ou partiellement
de membres de la même profession ne suffit pas à conclure au manque
d'indépendance ou d'impartialité au sens de l'article 6. Donc, dans
cette optique, la présence de magistrats serait une garantie
supplémentaire qui n'est pas strictement indispensable au respect de
la notion d'impartialité et d'indépendance prévue à l'article 6.
Quant à l'indépendance des conseils d'appel, le Gouvernement
croit pouvoir dire qu'elle est totale à l'égard du pouvoir exécutif et
qu'il en va de même en ce qui concerne l'indépendance des membres du
conseil à l'égard des parties, puisque comme l'a relevé la Cour
européenne, les médecins tout comme les magistrats siégent à titre
personnel, les garanties supplémentaires étant la durée du mandat qui
est de six ans et enfin le fait que la procédure elle-même prévoit des
garanties nécessaires au bon déroulement d'un procès équitable et
notamment le droit de récusation.
Le Gouvernement répond encore à un autre argument du
requérant qui fait valoir que le conseil d'appel manque
d'impartialité et d'indépendance parce qu'il aurait statué sur la base
d'une instruction menée par le bureau du conseil provincial, ce
dernier étant intervenu à la fois comme pouvoir réglementaire, comme
partie poursuivante et enfin comme juge. Pour le Gouvernement le
respect de l'article 6 de la Convention doit être examiné au niveau du
conseil d'appel. Or, celui-ci a procédé lui-même à un examen des
faits et des griefs. Il a, il est vrai, fait d'abord siennes les
considérations du conseil provincial mais il a ensuite retenu des
motifs qui lui sont propres.
De la même manière que l'on ne peut reprocher à un tribunal de
fonder sa décision sur des éléments qui lui sont soumis par le
parquet, le juge d'instruction ou les parties elles-mêmes, on ne peut
faire grief au conseil d'appel d'avoir fondé la sienne sur l'oeuvre du
conseil provincial, pour autant que le conseil d'appel lui-même
présente les garanties d'indépendance et d'impartialité nécessaires et
que la cause soit entendue équitablement.
De plus, comme le constate la Cour de cassation, dans l'arrêt
du 13 septembre 1984, prononcé en la cause, le conseil d'appel a
statué sur le fond du litige par une procédure qui, comme telle, n'est
l'objet d'aucun grief spécifique du requérant.
Le requérant a encore formulé des critiques à l'égard de
l'arrêt rendu, en l'espèce, par la Cour de cassation, suivant lequel
l'article 25 par. 4 de l'arrêté royal du 10 novembre 1967 relatif à
l'Ordre des médecins n'est pas incompatible avec les exigences d'un
procès équitable au sens de l'article 6 par. 1 de la Convention.
A cet égard, il faut relever que l'article 202 du Code
d'instruction criminelle n'est applicable qu'en matière pénale. Il ne
l'est donc pas en matière disciplinaire.
Cette disposition stipule que "la faculté d'appeler des
jugements rendus par les tribunaux de police et les tribunaux
correctionnels appartiendra :
1e aux parties prévenues ou responsables ;
2e à la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement ;
3e à l'administration forestière ;
4e au ministère public près la Cour ou le tribunal qui doit prononcer
sur appel ;
5e en matière correctionnelle, au procureur du Roi."
La jurisprudence belge a déduit de cette disposition que la
situation d'un prévenu ne peut être aggravée sur son seul appel (Cass.
10 octobre 1955, Pas. 1956, 1, 104).
En matière disciplinaire médicale, l'article 25 par. 4 de
l'arrêté royal précité dispose que le conseil d'appel peut à la
majorité des deux tiers aggraver la sanction prononcée par le conseil
provincial. La question de savoir si le disciplinaire ressortit au
civil ou au pénal a déjà fait l'objet d'examen des organes de la
Convention (arrêt Albert et Le Compte précité et arrêt Engel et autres
du 8 juin 1976, série A no 22).
Enfin, on ne saurait suivre le requérant lorsqu'il considère que,
dans la mesure où les poursuites disciplinaires dont il a fait l'objet
reposent sur des griefs qui constituent également des infractions
pénales, il peut se fonder sur le principe général selon lequel, sur
le seul appel de celui qui est l'objet d'une accusation en matière
pénale, sa situation ne peut être aggravée.
Quant au principe général déduit du respect des droits de la
défense, il n'empêche pas le législateur de s'écarter de la
jurisprudence relative à l'article 202 du Code d'instruction
criminelle pour décider dans une matière déterminée qu'il en sera
autrement. C'est ce que le législateur a expressément fait en matière
disciplinaire dans l'arrêté royal précité.
Même s'il s'agissait d'un principe général de droit, ce
principe ne pourrait prévaloir sur une volonté contraire expressément
manifestée par le législateur dans une matière déterminée. Au
demeurant le requérant ne cite ni texte légal, ni jurisprudence, ni
doctrine en faveur de la thèse qu'il défend.
Le requérant
Le requérant conteste l'argumentation développée par le
Gouvernement.
La procédure disciplinaire est totalement indépendante de la
procédure pénale dont le requérant a fait l'objet par la suite. Il ne
saurait dès lors se poser un problème au regard de l'article 25 de la
Convention.
Aux termes de l'arrêté royal no 79 du 10 novembre 1967, le
conseil d'appel de l'Ordre des médecins, connaissant en degré d'appel
de la décision prise par le conseil provincial, est composé
paritairement de magistrats et de médecins, avec une voix
prépondérante en cas de partage accordée au magistrat qui préside. Si
l'impartialité du conseil d'appel est assurée par cette situation,
selon les termes des arrêts de la Cour européenne précités, force est
de constater qu'elle n'a pu être assurée en l'occurrence, la parité
entre médecins et magistrats n'étant pas respectée et l'aggravation de
la peine disciplinaire devant légalement ressortir d'un vote adopté à
la majorité des deux tiers.
Le requérant relève que la Cour de cassation ne se préoccupe
pas du point, soulevé par lui, que la décision attaquée se fonde sur
l'oeuvre du conseil provincial, intervenu successivement comme pouvoir
réglementaire, partie poursuivante et juge, alors que le cumul de
fonctions n'est pas de nature à assurer l'impartialité et
l'indépendance requises. Bien au contraire, ceci porte gravement
atteinte aux droits de la défense.
La Cour de cassation reconnaît que "lorsque le conflit existe
entre une norme de droit interne et une norme de droit international
qui a des effets directs dans l'ordre juridique interne, la règle
établie par le traité doit prévaloir ; que la prééminence de celle-ci
résulte de la nature même du droit conventionnel international et non
pas de la Constitution". Cependant elle estime que le législateur a
le pouvoir de régler spécialement l'exercice du droit de défense dans
une matière déterminée et que, selon l'article 25 par. 4 de l'arrêté
royal précité, le conseil d'appel peut, à la majorité des deux tiers,
aggraver comme en l'espèce la sanction prononcée par le conseil
provincial.
Pour le requérant, cette loi interne va à l'encontre des
principes énoncés à l'article 6 de la Convention.
En définitive, la Cour de cassation estime que l'article 25
par. 4 de l'arrêté royal "n'est pas incompatible avec les exigences
d'un procès équitable, formulé par l'article 6 par. 1 de la
Convention". Une telle interprétation est erronée en raison de ce que
l'article 6 par. 1 de la Convention contredit l'arrêté royal en cause
et qu'il doit être appliqué par préférence, compte tenu de la
prééminence non contestée de la norme internationale sur la norme de
droit interne.
EN DROIT
Le requérant a fait valoir deux griefs tirés de l'article 6
par. 1 (Art. 6-1) de la Convention concernant exclusivement la
procédure dont il a fait l'objet devant les organes de l'Ordre des
médecins et qui a abouti à sa radiation du tableau de l'Ordre des
médecins.
Le requérant s'est plaint en premier lieu de ce que sa cause
n'a pas été entendue par un tribunal "indépendant" et "impartial" dans
la mesure où le conseil d'appel de l'Ordre qui a prononcé à son
encontre l'interdiction du droit d'exercer l'art médical était composé
majoritairement de médecins.
En outre, il a soutenu qu'aux termes de ladite disposition de
la Convention, la procédure devait respecter les droits de la défense
et le principe général de droit selon lequel, sur seul appel de celui
qui est l'objet d'une accusation en matière pénale, sa situation ne
saurait être aggravée.
Pour le requérant, ce principe est applicable en matière
disciplinaire lorsque, comme en l'espèce, le manquement reproché
constitue également une infraction à la loi pénale. Le conseil
d'appel devait donc faire application de l'article 202 du Code
d'instruction criminelle et non pas de la loi spéciale applicable en
matière de discipline médicale, à savoir l'article 25 par. 4 de
l'arrêté royal No 79 du 10 novembre 1987, moins favorable dans la
mesure où le conseil d'appel peut à la majorité des deux tiers
aggraver la sanction prononcée par le conseil provincial.
1. La Commission est appelée à se prononcer d'abord sur
l'applicabilité de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention.
Elle constate que l'allégation du requérant portant sur
l'absence d'indépendance et d'impartialité des organes de l'Ordre des
médecins, en particulier de son conseil d'appel, est similaire à celle
formulée dans les affaires qui ont donné lieu à deux arrêts de la Cour
européenne des Droits de l'Homme, à savoir l'arrêt du 23 juin 1981
dans l'affaire Le Compte, Van Leuven et De Meyere (série A no 43) et
l'arrêt du 10 février 1983 dans l'affaire Albert et Le Compte (série A
no 58).
Quant à la question de savoir si "la contestation" mise en
cause devant les organes disciplinaires portait sur un droit de
caractère civil, la Commission, confirmant sa jurisprudence constante,
souscrit à l'opinion exprimée par la Cour dans ses deux arrêts
précités, opinion selon laquelle "le droit de continuer à exercer la
profession de médecin revêtait dans le cas des intéressés, un
caractère privé, donc civil, au sens de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1),
nonobstant la nature spécifique et d'intérêt général de la profession
de médecin et les devoirs particuliers s'y rattachant".
Compte tenu du fait que "la contestation" des décisions prises
contre le requérant portait sur un "droit de caractère civil", le
requérant avait le droit à l'examen de sa cause par "un tribunal"
réunissant les conditions de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1).
La thèse du requérant, il est vrai, consiste à soutenir que le
conseil d'appel de l'Ordre des médecins en prononçant à son encontre
la sanction de la radiation du tableau de l'Ordre des médecins, a eu à
décider du bien-fondé d'une "accusation en matière pénale". En
aggravant la sanction prononcée par le conseil provincial, il aurait
méconnu l'article 6 par. 1 (Art. 6-1), en particulier les droits de la
défense et le principe général de droit selon lequel, sur seul appel
de celui qui est l'objet d'une accusation pénale, sa situation ne
saurait être aggravée.
La Commission doit cependant rappeler à cet égard la
jurisprudence de la Cour européenne, qui dans l'arrêt Albert et Le
Compte précité (par. 30) a déclaré que les deux aspects, civil et
pénal, de l'article 6 (Art. 6-1) ne s'excluent pas nécessairement,
qu'elle ne croyait pas devoir trancher la question de savoir s'il y
avait en l'espèce "accusation en matière pénale" car le paragraphe 1
de l'article 6 (Art. 6-1) vaut en matière civile aussi bien que dans
le domaine pénal.
La Commission estime devoir suivre, en l'espèce, la même
démarche.
2. La Commission est donc amenée à examiner le premier grief du
requérant tiré de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention, soit
la question de savoir si sa cause a été entendue par un tribunal
"indépendant et impartial", au sens de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1).
Ce grief repose sur la constatation de fait que dans la
procédure sur opposition le conseil d'appel était composé d'une
majorité de cinq médecins et de quatre magistrats, l'un faisant
fonction de président. Le requérant croit pouvoir déduire, au vu de
la jurisprudence de la Cour européenne, en particulier l'arrêt Le
Compte, Van Leuven et De Meyere précité (par. 58), que le conseil
d'appel ne remplit pas les conditions d'indépendance et d'impartialité
requises par l'article 6 par. 1 (Art. 6-1).
Dans cet arrêt, la Cour a déclaré que "l'indépendance" du
conseil d'appel ne saurait être mise en doute et elle a ajouté : "En
effet, sa composition assure une parité complète entre praticiens de
l'art médical et magistrats de l'ordre judiciaire, et sa présidence
incombe à l'un de ces derniers, désigné par le Roi et détenteur d'une
voix prépondérante en cas de partage. La durée du mandat des membres
du conseil (six ans) offre d'ailleurs une garantie supplémentaire à
cet égard .. "
Pour ce qui est de "l'impartialité" du conseil d'appel, la
Commission, avait, il est vrai, exprimé l'avis qu'il ne constituait
pas, en l'espèce, un tribunal impartial : si ses membres magistrats
devaient être réputés neutres, il fallait en revanche considérer ces
membres médecins comme défavorables aux requérants, puisqu'ils avaient
des intérêts très proches de ceux d'une des parties à la procédure.
Toutefois, la Cour n'avait pas partagé cette opinion relative à la
composition de la juridiction ; elle a considéré que "la présence ...
de magistrats occupant la moitié des sièges, dont celui de président
avec voix prépondérante ( ... ), donne un gage certain d'impartialité
et le système de l'élection des membres médecins par le conseil
provincial ne saurait suffire à étayer une accusation de partialité".
Dans le deuxième arrêt rendu dans l'affaire Albert et Le
Compte (par. 32) la Cour a précisé : "Quant à l'impartialité considérée
sous un angle objectif et organique ( ... ), aucun élément du
dossier ne permet à la Cour d'en douter. Spécialement, le mode de
désignation des médecins siégeant dans les conseils d'appel n'autorise
pas à les taxer de partialité : quoique élus par les conseils
provinciaux ( ... ), ils n'agissent pas en qualité de représentants de
l'Ordre des médecins mais à titre personnel, tout comme les membres
magistrats nommés, eux, par le Roi."
La Commission reconnaît avec le Gouvernement que c'est dans le
contexte des circonstances propres à l'affaire Le Compte, Van Leuven
et De Meyere, à savoir l'attitude des requérants qui contestaient la
légitimité même de l'Ordre des médecins, que la Commission avait dans
un premier temps considéré que la présence de médecins dans les
organes disciplinaires de l'Ordre pouvait poser problème. Ainsi qu'il
a été relevé, la Cour n'avait pas partagé ce point de vue.
Il échet de relever que dans la présente affaire, de telles
circonstances n'existent pas. Le requérant a été poursuivi pour avoir
manqué au respect des règles de la déontologie et au maintien de
l'honneur, de la discrétion et de la probité des membres de l'Ordre
des médecins du fait qu'il avait "entretenu la toxicomanie" de
patients, infraction qui relève également de la loi pénale et pour
laquelle le requérant a d'ailleurs fait l'objet, par la suite, de
poursuites et condamnations par le tribunal correctionnel et la cour
d'appel de Bruxelles.
La Commission souligne en outre que rien dans le dossier ne
permet de conclure que l'absence dans le cas particulier d'une stricte
parité entre médecins et magistrats aurait eu pour effet de rendre
l'organe disciplinaire "partial", en violation des prescriptions de
l'article 6 par. 1 (Art. 6-1).
En effet, et le Gouvernement ne manque pas de le souligner, la
Cour ne requiert pas que la parité entre magistrats et médecins soit
assurée à tout moment dans le conseil d'appel dans la mesure où les
médecins ne siégent pas en qualité de représentants de l'Ordre, mais à
titre personnel, comme les magistrats dont la présence constitue une
garantie supplémentaire. A cet égard, la Commission constate à la
suite de la Cour de cassation dans l'arrêt du 13 septembre 1984,
prononcé en la cause, que le conseil d'appel a statué à la majorité
des deux tiers des membres présents, dans le cadre d'une procédure
qui, comme telle, n'est l'objet d'aucun grief particulier du
requérant.
Le requérant a encore avancé l'argument suivant lequel le
conseil d'appel manquerait d'indépendance et d'impartialité en raison
de ce qu'il aurait statué sur la base d'une instruction menée par le
bureau du conseil provincial, ce dernier étant intervenu à la fois en
tant que pouvoir réglementaire, partie poursuivante et juge.
La Commission estime que de la même manière que l'on ne
saurait reprocher à un tribunal de fonder sa décision sur des éléments
qui lui sont soumis par le ministère public, le juge d'instruction ou
les parties elles-mêmes, on ne saurait faire grief au conseil d'appel
de l'Ordre d'avoir fondé la sienne sur l'oeuvre du conseil provincial,
pour autant, bien entendu, que le conseil d'appel lui-même présente
les garanties d'indépendance et d'impartialité nécessaires et que la
cause soit entendue équitablement, ce qui a été le cas en l'occurrence.
La Commission parvient ainsi à la conclusion que, dans les
circonstances de l'espèce, la cause du requérant a été entendue
équitablement par un tribunal "indépendant et impartial" au sens de
l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement
mal fondée et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2
(Art. 27-2) de la Convention.
3. La Commission est encore appelée à examiner le second grief
tiré de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention, portant sur le
fait que le conseil d'appel de l'Ordre, saisi sur seul appel du
requérant, a infligé à ce dernier la sanction de l'interdiction
d'exercer l'art médical, en violation du principe général de droit qui
interdirait l'aggravation de la sanction.
La Commission considère qu'un tel grief peut s'analyser comme
relevant d'une prétendue atteinte au principe de l'équité de la
procédure sur le terrain de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la
Convention. Toutefois, elle est d'avis, au vu des éléments mis à sa
disposition dans le contexte de la présente affaire, que le conseil
d'appel en prononçant la sanction litigieuse de la radiation n'a pas
porté atteinte à des droits dont le requérant pourrait se prévaloir au
regard de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) et que, dès lors, aucune
violation de la Convention ne saurait être décelée en l'occurrence.
Il s'ensuit que cette partie de la requête est manifestement
mal fondée et doit également être rejetée, en application de l'article
27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.
Par ces motifs, la Commission
DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
Textes cités dans la décision