CEDH, Commission, BOITTELOUP c. la FRANCE, 12 décembre 1988, 12545/86

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 12 déc. 1988, n° 12545/86
Numéro(s) : 12545/86
Publication : D.R. N° 58, p. 126
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 10 novembre 1986
Jurisprudence de Strasbourg : Cour eur. D.H. Arrêt Dudgeon du 22 octobre 1981, série A no 45, p. 18 et s. par. 40 et s.
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-24154
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1988:1212DEC001254586
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Texte intégral

                         SUR LA RECEVABILITE

                      de la requête No 12545/86

                      présentée par Jack BOITTELOUP

                      contre la France

                            __________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 12 décembre 1988 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            J.A. FROWEIN

            S. TRECHSEL

            G. SPERDUTI

            E. BUSUTTIL

            G. JÖRUNDSSON

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H.G. SCHERMERS

            H. DANELIUS

            J. CAMPINOS

            H. VANDENBERGHE

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        M.  J. RAYMOND, Secrétaire adjoint de la Commission ;

        Vu l'article 25 de la Convention de Sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

        Vu la requête introduite le 10 novembre 1986 par Jack

BOITTELOUP contre la France et enregistrée le 10 novembre 1986 sous le

No de dossier 12545/86 ;

        Vu le rapport prévu à l'article 40 du Règlement intérieur de

la Commission ;

        Après avoir délibéré,

        Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Le requérant, de nationalité française, a son domicile à

Sainte-Geneviève-des-Bois.  Il est sous-brigadier à la Compagnie

Républicaine de Sécurité N° 5.

        Dans la procédure devant la Commission, le requérant est

représenté par Maître Sylvie Deniniolle, avocate au barreau de Paris.

        Les faits de la cause, tels qu'ils ont été présentés par le

requérant, peuvent se résumer comme suit.

        En juin 1982, le commandant de la Compagnie Républicaine de

Sécurité reçut une correspondance d'un travesti disant s'appeler

"Sabrina".  Dans sa lettre, cette personne accusait le requérant de

proxénétisme.

        Informé de cette correspondance, le requérant rédigea à

l'intention de son commandant un rapport qui établissait les faits

suivants.

        Le dénommé "Sabrina" n'était autre que R.S.C., connu comme

travesti et comme indicateur de police, et vivant exclusivement des

revenus que lui procurait la prostitution.  Le requérant connaissait

les activités de cette personne avec laquelle, entre le mois d'octobre

1981 et le mois d'octobre 1982, il avait cohabité d'une manière

sporadique.

        Après qu'une enquête administrative eut été menée par

l'Inspection Générale de la Police Nationale, le requérant comparut

devant le conseil de discipline des gradés et gardiens de la paix des

Compagnies Républicaines de Sécurité.  Ce dernier émit un avis de

révocation sans suspension des droits à pension à l'encontre du

requérant au motif d'un "comportement indigne d'un policier".

        Par un arrêté en date du 12 janvier 1983, le ministre d'Etat,

ministre de l'Intérieur et de la Décentralisation, confirma les

propositions du conseil de discipline.

        Le 16 mars 1983, le requérant saisit le tribunal administratif

de Versailles d'un recours en annulation de l'arrêté ministériel pris

à son encontre.

        Au cours de la procédure pendante devant le tribunal

administratif, deux décisions devaient être rendues au plan pénal en

faveur du requérant.  En effet, celui-ci avait été renvoyé devant le

tribunal correctionnel en juin 1983 par le juge d'instruction saisi à

la suite du déclenchement de l'action publique par le parquet, sous la

prévention

        "d'avoir à Paris, du mois d'octobre 1981 au mois de janvier

1982, en tout cas depuis temps non prescrit :

     1° sous une forme quelconque partagé les produits de la prostitution

        d'autrui et reçu des subsides d'une personne se livrant

        habituellement à la prostitution ;

     2° sciemment vécu avec une personne se livrant habituellement à la

        prostitution"

        délit prévu par les articles 334 2e et 3e, 335-1 quater et

        335-3 du Code pénal.

        La première chambre correctionnelle du tribunal de grande

instance de Paris, par jugement en date du 13 décembre 1983, relaxa le

requérant des fins de la poursuite, considérant notamment que ni la

remise de fonds ni un minimum de stabilité dans la cohabitation

n'étaient prouvés.

        La cour d'appel de Paris, par arrêt en date du 30 mars 1984,

confirma le jugement.

        En considération de ces décisions de justice, le tribunal

administratif de Versailles annula l'acte de révocation par jugement

en date du 7 juin 1985 aux motifs que l'arrêté ministériel reposait

sur un fait inexact (à savoir la cohabitation véritable entre Sabrina

et le requérant pendant la durée de leur relation).

        Le Conseil d'Etat, saisi par le ministre de l'Intérieur et de la

Décentralisation, annula par arrêt du 14 mai 1986 le jugement du 7

juin 1985 par lequel le tribunal administratif de Versailles avait

annulé l'arrêté ministériel du 12 janvier 1983 prononçant la

révocation du requérant.

        Dans son arrêt, le Conseil d'Etat considéra que

        "ces décisions de relaxe du juge pénal, si elles ont jugé que

la cohabitation n'avait pas présenté en l'espèce les caractères requis

pour que le délit de proxénétisme fût constitué, ne comportent pas

négation des faits retenus par l'autorité disciplinaire ; qu'il

appartient dans ces conditions au juge de l'excès de pouvoir de se

prononcer, en l'état des éléments qui lui sont soumis et qui peuvent

d'ailleurs être différents de ceux qu'avaient connus le juge pénal,

sur l'exactitude matérielle de ces faits ;

        qu'il ne ressort pas du dossier qu'en relevant que M. B. avait

cohabité au cours du dernier trimestre de 1981 avec une personne dont

il n'ignorait pas qu'elle se livrait habituellement à la prostitution,

l'arrêté du 12 janvier 1983 ait retenu des faits matériellement

inexacts ; que c'est dès lors à tort que, pour annuler ledit arrêté,

le tribunal administratif s'est fondé sur l'inexactitude matérielle

des faits  reprochés à M. B. ; qu'il appartient au Conseil d'Etat,

saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel,

d'examiner les autres moyens soulevés par M. B. devant le tribunal

administratif ;

        .........

        que les faits reprochés à M. B., lesquels ainsi qu'il a été

dit ci-dessus, doivent être tenus pour matériellement exacts, et qui

étaient de nature à porter la déconsidération sur le corps auquel il

appartenait, pouvaient légalement justifier une sanction disciplinaire ;

qu'en prononçant, à raison de ces faits, la sanction de la révocation

sans suspension des droits à pension, le ministre s'est livré à une

appréciation qui n'est pas entachée d'erreur manifeste ; ...  "

GRIEFS

        Le requérant allègue en premier lieu la violation de l'article

8 de la Convention.  Les relations qu'il a entretenues avec un

homosexuel n'étaient pas constitutives d'une infraction pénale.  Or, il

a été en fait sanctionné pour homosexualité, ce qui rend compte d'une

immixtion et d'une ingérence de l'autorité publique dans sa vie

privée.

        Le requérant se plaint en outre d'une violation de l'article

14 de la Convention en ce qu'il aurait subi un traitement

discriminatoire dans la mesure où des poursuites ont été engagées

contre lui alors qu'aucune action pénale n'a été entamée à l'encontre

du partenaire homosexuel travesti.

        Le requérant se plaint enfin de la violation de l'article 6 de

la Convention.  L'arrêt du Conseil d'Etat porte atteinte au principe

de la chose jugée au pénal, ce qui constitue a posteriori une

violation des règles du procès équitable.

EN DROIT

        Le requérant se plaint de la décision par laquelle le ministre

de l'Intérieur et de la Décentralisation l'a révoqué sans suspension

de ses droits à pension du poste qu'il occupait en tant que

sous-brigadier de la police nationale et allègue à cet égard la

violation de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la Convention ainsi que

de ses articles 8 et 14 (Art. 8, 14).

1.      Pour ce qui est des griefs soulevés au titre de l'article 6

(Art. 6) de la Convention, le requérant estime qu'il n'a pas bénéficié

d'un procès équitable devant les juridictions administratives.  En

particulier, le Conseil d'Etat, en annulant par son arrêt du 14 mai

1986 le jugement du tribunal administratif  qui avait annulé l'arrêté

ministériel du 12 mars 1983 prononçant sa révocation, aurait porté

atteinte au principe de l'autorité de la chose jugée au pénal, ce qui

constituerait dès lors une violation du principe du procès équitable

tel qu'il est garanti à l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de la

Convention.

        Ainsi que la Commission a déjà eu l'occasion de le dire

(voir par ex.  No 8496/79, X. c/Royaume-Uni, D.R. 21 p. 168 et suiv.),

un litige ayant trait au droit d'un agent de police de continuer à

exercer ses fonctions en tant qu'agent de la fonction publique n'entre

pas dans le domaine d'application de l'article 6 par. 1 (Art. 6-1) de

la Convention.

        La Commission considère dès lors que la procédure litigieuse,

selon laquelle le requérant s'est vu révoquer sans suspension de ses

droits à pension de son emploi de sous-brigadier de la police

nationale, ne saurait être considérée comme affectant des "droits et

obligations de caractère civil" au sens de l'article 6 (Art. 6) de la

Convention.

        Il s'ensuit que les garanties prévues dans cet article ne

s'appliquent pas à ladite procédure et que le grief est incompatible

ratione materiae avec les dispositions de la Convention au sens de

l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de la Convention.

2.      Le requérant a encore soutenu que la sanction disciplinaire

dont il a fait l'objet a porté atteinte à son droit au respect de sa

vie privée garanti par l'article 8 (Art. 8) de la Convention.

        La Commission examinera le point de savoir si la mesure

dénoncée par le requérant constitue une ingérence dans ses droits

garantis par l'article 8 (Art. 8) de la Convention et, dans

l'affirmative, si cette ingérence peut se justifier au regard du

paragraphe 2 (Art. 8-2) de cette même disposition.

        Cet article est ainsi libellé :

"1.      Toute personne a droit au respect de sa vie privée et

familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.      Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans

l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue

par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société

démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté

publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et

à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé

ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui."

        Se référant à la jurisprudence des organes de la Convention

(cf. notamment Cour Eur.  D.H., arrêt Dudgeon du 22 octobre 1981, série

A no 45, p. 18 et suiv. par. 40 et suiv.), la Commission considère

qu'une telle mesure pourrait constituer une ingérence dans l'exercice

des droits reconnus au paragraphe premier de l'article 8 (Art. 8),

notamment du droit au respect de la vie privée de l'intéressé.

        Le paragraphe 2 de l'article 8 (Art. 8-2) autorise cependant

certaines restrictions à l'exercice des droits visés au paragraphe

premier et il y a lieu de se demander si l'ingérence prévue par la

législation française répond aux conditions prévues par ledit

paragraphe.

        Pour ne pas enfreindre l'article 8 (Art. 8) de la Convention,

l'ingérence doit d'abord avoir été "prévue par la loi".  Cette

exigence se trouve remplie en l'espèce car la sanction était prévue

par l'ordonnance du 4 février 1959 relative au Statut Général des

fonctionnaires et plus particulièrement par le décret du 24 janvier 1968

fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires des

services actifs de la police nationale, tel qu'il a été modifié par le

décret du 8 février 1973.

        Se fondant sur ces textes, le ministre relève dans son arrêté

de révocation "qu'au cours du dernier trimestre 1981, l'intéressé a

cohabité avec un travesti se livrant habituellement à la prostitution,

qu'il a été établi que l'intéressé n'ignorait rien des activités

auxquelles se livrait la personne dont il partageait la chambre, enfin

que l'intéressé ne présente plus les qualités morales requises par un

fonctionnaire de Police", et il a ainsi appliqué au requérant la

sanction disciplinaire de la révocation sans suspension des droits à

pension.

        En outre, l'ingérence doit poursuivre un des buts qui sont

énoncés au paragrpahe 2 de l'article 8 (Art. 8-2).

        A supposer que la mesure prise à l'égard du requérant

constitue une ingérence dans l'exercice des droits garantis à

l'article 8 (Art. 8), la Commission constate que cette ingérence a eu

lieu dans le cadre de la procédure telle qu'elle est prévue par les

textes susmentionnés.  Les buts en étaient légitimes et visaient "la

défense de l'ordre" dans la mesure où un fonctionnaire d'un service

actif de la police nationale concourt au maintien de l'ordre public.

        Enfin, la Commission doit examiner si la mesure d'ingérence

était "nécessaire" dans une société démocratique et donc proportionnée

aux buts légitimes poursuivis par la législation.

        La Commission relève que les décisions de relaxe du juge

pénal, si elles ont jugé que la cohabitation n'avait pas présenté le

caractère requis pour que le délit de proxénétisme fût constitué, ne

comportent pas négation des faits retenus par l'autorité

disciplinaire.  Ceux-ci, ainsi que le souligne la plus haute

juridiction administrative, "étaient de nature à porter la

déconsidération sur le corps auquel il <le requérant> appartient et

pouvaient légalement justifier une sanction disciplinaire ; qu'en

prononçant, à raison de ces faits, la sanction de la révocation sans

suspension des droits à pension, le ministre s'est livré à une

appréciation qui n'est pas entachée d'erreur manifeste ; ..."

        La Commission relève en particulier que la mesure de

révocation n'a pas comporté la suspension des droits à pension.  Elle

souligne en outre que l'appréciation à laquelle se sont livrées les

autorités nationales quant aux répercussions que le comportement du

requérant pouvait avoir sur la considération dont un corps de police

doit bénéficier, n'a été, compte tenu de la marge d'appréciation

ménagée aux autorités de l'Etat, ni arbitraire ni déraisonnable.

        Prenant en considération l'ensemble de ces éléments, la

Commission parvient à la conclusion que l'ingérence dénoncée ne va pas

au-delà de ce qui est nécessaire dans une société démocratique, à la

défense de l'ordre.  La mesure d'ingérence a été par conséquent

proportionnée aux buts poursuivis.

        Il s'ensuit que sur ce point la requête est manifestement mal

fondée et doit être rejetée, en application de l'article 27 par. 2

(Art. 27-2) de la Convention.

3.      Enfin, quant au surplus, à savoir la prétendue violation de

l'article 14 (Art. 14) de la Convention, la Commission relève que le

requérant n'articule aucune argumentation susceptible d'étayer ses

griefs.  Dès lors, le restant de la requête doit être rejeté comme

manifestement mal fondé au sens de l'article 27 par. 2 (Art. 27-2) de

la Convention.

        Par ces motifs, la Commission

        DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE.

        Le Secrétaire adjoint                    Le Président

           de la Commission                    de la Commission

            (J. RAYMOND)                        (C.A. NØRGAARD)

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