CEDH, Commission, DOBBERTIN c. la FRANCE, 1er octobre 1990, 13089/87
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Commission, 1er oct. 1990, n° 13089/87 |
---|---|
Numéro(s) : | 13089/87 |
Type de document : | Recevabilité |
Date d’introduction : | 19 juin 1987 |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | RECEVABLE |
Identifiant HUDOC : | 001-24454 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1990:1001DEC001308987 |
Sur les parties
- Avocat(s) :
Texte intégral
FINALE
SUR LA RECEVABILITE
de la requête No 13089/87
présentée par Rolf DOBBERTIN
contre la France
__________
La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en
chambre du conseil le 1er octobre 1990 en présence de
MM. C.A. NØRGAARD, Président
J.A. FROWEIN
S. TRECHSEL
F. ERMACORA
G. SPERDUTI
E. BUSUTTIL
A.S. GÖZÜBÜYÜK
A. WEITZEL
J.C. SOYER
H.G. SCHERMERS
H. DANELIUS
Mme G.H. THUNE
Sir Basil HALL
MM. F. MARTINEZ
C.L. ROZAKIS
Mme J. LIDDY
MM. L. LOUCAIDES
J.C. GEUS
A.V. ALMEIDA RIBEIRO
M.P. PELLONPÄÄ
M. H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;
Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ;
Vu la requête introduite le 19 juin 1987 par Rolf DOBBERTIN
contre la France et enregistrée le 22 juin 1987 sous le No de
dossier 13089/87 ;
Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de
la Commission ;
Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur
le 18 janvier 1989 ;
Vu les observations en réponse produites par le requérant le
21 mars 1989 ;
Après avoir délibéré,
Rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, de nationalité allemande, est né le 9 septembre 1934
à Schwerin. Domicilié à Paris, il exerçait les fonctions de physicien
théoricien de formation, spécialiste en physique des plasmas, chargé
de recherches au C.N.R.S.
Il est représenté dans la procédure devant la Commission par
Maître Yves Lachaud, avocat au barreau de Paris.
Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale
engagée contre lui.
En date du 6 décembre 1984, la Commission déclara recevables
deux requêtes (No 9863/83 et 10924/84) introduites par le requérant en
raison de griefs formulés au titre de l'article 5 par. 3 de la
Convention et dont les faits, du moins jusqu'au 14 mai 1985, sont les
mêmes que ceux de la présente requête.
En date du 4 décembre 1985, la Commission adopta le rapport
qu'elle a établi, en application de l'article 31 par. 1 de la
Convention.
Par une résolution (DH (88) 12), adoptée le 29 septembre 1988,
le Comité des Ministres ayant constaté que la majorité des deux tiers
requise par l'article 32 par. 1 de la Convention n'a pas été atteinte
sur la question de savoir s'il y a eu ou non une violation de
l'article 5 par. 3 de la Convention, a décidé qu'il n'y avait pas
d'autres suites à donner à cette affaire et, par conséquent, en a rayé
l'examen de son ordre du jour.
Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les
parties, peuvent se résumer comme suit :
Le requérant a été interpellé par la police judiciaire le
19 janvier 1979 et placé en garde à vue jusqu'au 25 janvier 1979, date à
laquelle il fut présenté au juge d'instruction près la Cour de sûreté de
l'Etat. Celui-ci le plaça sous mandat de dépôt sous l'inculpation
d'intelligence avec les agents d'une puissance étrangère, en
l'occurrence la République démocratique allemande, aux termes de
l'article 80 par. 3 du Code pénal, et délivra une commission
rogatoire. Cette disposition du Code pénal se lit ainsi :
Sera puni de la détention criminelle à temps de dix à vingt
ans quiconque :
1° .....
2° .....
3° Entretiendra avec les agents d'une puissance étrangère des
intelligences de nature à nuire à la situation militaire ou
diplomatique de la France ou à ses intérêts économiques
essentiels.
a) Procédure devant la Cour de sûreté de l'Etat
Entre le 25 janvier 1979 et le 20 mars 1980 eurent lieu
dix-neuf interrogatoires du requérant. Entre le 21 mars 1980 et le 18
juin 1981 furent délivrées plusieurs commissions rogatoires à la
Direction de Surveillance du Territoire (DST) ainsi que des
ordonnances de transport sur les lieux et des interrogatoires
récapitulatifs.
Le 18 juin 1981, l'instruction étant achevée depuis le 18 mai
1981, le Premier ministre prononça par décret la mise en accusation du
requérant devant la Cour de sûreté de l'Etat. En application de
l'article 6 de la loi du 4 août 1981, portant suppression de la Cour
de sûreté de l'Etat, la procédure pendante contre le requérant fut
déférée à la juridiction de droit commun devenue compétente, en
l'occurrence la cour d'appel de Paris.
Cependant, le Procureur général près la Cour de cassation
demanda à la chambre criminelle de cette juridiction de dessaisir la
juridiction de droit commun et de renvoyer la connaissance de
l'affaire au Tribunal permanent des Forces Armées de Paris (TPFA), en
application de l'article 1er de la loi du 4 août 1981. Cette
disposition prévoyait une telle procédure lorsque "les faits
poursuivis constituent un risque de trahison ou d'espionnage ou une
autre atteinte à la défense nationale et qu'il existe un risque de
divulgation d'un secret de la Défense Nationale".
Par arrêt du 19 septembre 1981 la chambre criminelle de la
Cour de cassation renvoyait le requérant devant le TPFA de Paris et
l'affaire fut inscrite au rôle de cette juridiction pour y être jugée
à l'audience du 25 janvier 1982.
b) Procédure devant le TPFA
Le requérant reçut une citation à comparaître le 14 janvier
1982 mais l'audience fut différée et, le 2 février 1982, le président
du TPFA ordonna un supplément d'information. Celui-ci fut achevé le
25 novembre 1982 et le juge d'instruction transmit le dossier au
président du TPFA. Toutefois, du fait de l'entrée en vigueur au 1er
janvier 1983 de la loi du 21 juillet 1982 portant suppression des TPFA
en temps de paix, le dossier fut transmis au Parquet général de la
cour d'appel de Paris afin que la chambre d'accusation de cette
juridiction, après avoir statué sur la régularité de la procédure et
procédé à la qualification légale des faits objet de l'accusation
(art. 215 du Code de procédure pénale), puisse prononcer la mise en
accusation du requérant et ordonner son renvoi devant la cour
d'assises de Paris spécialement composée d'un président et de six
assesseurs, tous magistrats, en application de l'article 214 du Code
de procédure pénale.
c) Procédure devant les juridictions de droit commun
La chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris fut saisie en
ce sens par le Procureur général près la cour d'appel de Paris le 3
mars 1983.
Par arrêt du 23 mars 1983, la chambre d'accusation de la cour
d'appel de Paris ordonna la mise en liberté du requérant sous contrôle
judiciaire après versement d'une caution de 150.000 francs, initialement
fixée par arrêt du 21 février 1983 de cette même juridiction à 250.000
francs. La caution n'a pu être payée que le 9 mai 1983, date à
laquelle le requérant fut effectivement remis en liberté.
Les conseils du requérant déposèrent un mémoire, le 11 mars
1983, dans lequel ils soutenaient notamment qu'il y avait nullité de la
procédure devant la Cour de sûreté de l'Etat pour violation
de l'article 5 de la Convention européenne des Droits de l'Homme quant
à la durée de la garde à vue et à la qualité de magistrat, ainsi que
nullité de la procédure devant le TPFA pour violation de l'article 6
de la Convention en raison du défaut d'indépendance et d'impartialité
de cette juridiction et, enfin, irrégularité de la détention pour
violation de l'article 5 par. 3 de la Convention en raison de la durée
de celle-ci.
Par arrêt du 23 mars 1983 (arrêt distinct de celui rendu en
matière de mise en liberté sous contrôle judiciaire du requérant), la
chambre d'accusation se déclara incompétente pour prononcer le renvoi
du requérant devant la cour d'assises. Cette juridiction a estimé que
l'acte de mise en accusation existait depuis le 18 juin 1981, date à
laquelle le Premier Ministre prit un décret de mise en accusation du
requérant devant la Cour de sûreté de l'Etat et que, par voie de
conséquence, du fait de la validation expresse par le législateur des
actes et décisions intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi du
4 août 1981, d'une part, et de la loi du 21 juillet 1982, d'autre part
(article 6 de la loi du 4 août 1981 et article 14 de la loi du 21
juillet 1982), la mise en accusation n'avait pas à être renouvelée.
En ce qui concerne les exceptions de nullité de procédure pour
violation de la Convention soulevées par le requérant, la chambre
d'accusation se déclara incompétente pour statuer.
Sur pourvoi du Procureur général près la cour d'appel de
Paris, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassait et
annulait le 14 juin 1983 l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour
d'appel de Paris, au motif que "si les articles 6 de la loi des 4 août
1981 et 14 de la loi du 21 juillet 1982 prescrivaient que les actes,
formalités et décisions intervenus antérieurement à la date d'entrée
en vigueur de la présente loi demeureraient valables, ces dispositions
de caractère transitoire ne modifiaient en rien les règles applicables
devant les juridictions désormais compétentes".
En revanche le requérant, qui s'était pourvu également contre
l'arrêt de la chambre d'accusation et avait personnellement déposé un
mémoire ampliatif reprenant les griefs exposés devant la chambre
d'accusation, vit son pourvoi rejeté comme étant irrecevable. A cet
égard, en effet, la Cour de cassation releva que le mémoire n'avait
pas été présenté par ministère d'avocat, lequel est obligatoire devant
la Cour de cassation à l'exception de l'hypothèse d'un demandeur
condamné pénalement. Or, tel n'était pas le cas du requérant.
L'affaire fut donc renvoyée devant la chambre d'accusation de
la cour d'appel de Paris différemment composée, devant laquelle le
requérant réitéra ses demandes d'annulation de la procédure. Par
arrêt du 9 décembre 1983, la chambre d'accusation de la cour d'appel
de Paris prononçait la mise en accusation du requérant devant la cour
d'assises de Paris spécialement composée, et rejetait le moyen
d'annulation de la procédure tiré de l'article 5 par. 3 de la
Convention.
Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre de cet
arrêt. Par arrêt du 6 mars 1984, la Cour de cassation confirmait sur
ce point ledit arrêt, mais le cassait pour violation de l'article 157
du Code de procédure pénale et méconnaissance du caractère substantiel
et d'ordre public de cet article. En effet, l'arrêt attaqué avait
négligé de constater la nullité d'une ordonnance du juge d'instruction
du 20 mai 1979 désignant des traducteurs sans motiver son choix opéré
en dehors d'une liste d'experts.
La chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, saisie sur
renvoi, statuait le 20 juillet 1984 dans le même sens que l'arrêt
cassé. Elle retenait, contrairement aux réquisitions du ministère
public, que les traductions effectuées par des personnes qualifiées ne
constituaient pas des opérations d'expertise, en dépit des termes
utilisés par le magistrat instructeur et que, par voie de conséquence,
aucune nullité n'était encourue malgré l'inobservation des règles
relatives à l'expertise. Par ce même arrêt, le requérant était
renvoyé devant la cour d'assises de Paris spécialement composée.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Par
arrêt du 19 octobre 1984, en assemblée plénière, la Cour de cassation
cassait l'arrêt et renvoyait l'affaire devant la chambre d'accusation
de la cour d'appel de Versailles.
Celle-ci, par arrêt du 14 mai 1985, prononçait, en application
de l'article 206 du Code de procédure pénale, la nullité de
l'ordonnance de commission d'expert du 20 mai 1979, annulait donc
divers actes de procédure et ordonnait la cancellation d'un certain
nombre de pièces de la procédure ; elle renvoyait enfin la procédure à
l'un des juges d'instruction du tribunal de grande instance de
Versailles pour poursuivre l'information.
Saisie une nouvelle fois d'un pourvoi, la chambre criminelle
de la Cour de cassation, par arrêt du 29 octobre 1985, prononçait
l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles et renvoyait
l'affaire devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens
avec cette précision que si des charges suffisantes étaient relevées à
l'encontre de l'inculpé, l'affaire devrait être renvoyée devant la
cour d'assises de Paris spécialement composée.
Cet arrêt de la Cour de cassation était signifié au requérant
le 16 décembre 1985. Par réquisitoire du 20 janvier 1986, le
Procureur général près la cour d'appel d'Amiens demandait à la chambre
d'accusation, d'une part, de prononcer la nullité d'un certain nombre
de pièces de la procédure, notamment certains procès-verbaux
d'interrogatoires du requérant, certaines commissions rogatoires et
leurs pièces d'exécution, divers rapports et réquisitions et surtout
la quasi-totalité des traductions des documents en langue allemande
versés au dossier de la procédure le 3 avril 1979 par les
fonctionnaires de la DST, d'autre part, d'ordonner le retrait de la
procédure de tous les actes annulés, enfin, de désigner un juge
d'instruction du ressort de la cour d'appel d'Amiens pour poursuivre
l'information.
Le 20 février 1986, le requérant ainsi que ses avocats
déposaient devant cette juridiction un mémoire tendant à voir déclarer
nulle la procédure suivie contre le requérant du fait de la violation
des articles 10, 6 et 5 de la Convention européenne des Droits de
l'Homme, et tendant également à ce que soit constaté que les charges
retenues contre lui n'étaient pas constitutives du crime
d'intelligence prévu et réprimé par l'article 80 par. 3 du Code pénal.
Par arrêt du 15 avril 1986, la chambre d'accusation de la cour
d'appel d'Amiens prononçait l'annulation de l'essentiel de la procédure
subséquente à l'ordonnance de commission d'expert du 20 mai 1979 et
ordonnait que le dossier de la procédure fût transmis au premier juge
d'instruction au tribunal de grande instance d'Amiens pour que
l'information y fût poursuivie. D'autre part, la chambre d'accusation,
statuant sur le mémoire du requérant, refusait de se prononcer sur la
qualification juridique des faits et l'existence des charges au motif
que ceux-ci ne pourraient être appréciés que lorsque l'information
aurait permis d'avoir de ces faits et charges une connaissance précise.
En ce qui concerne les moyens de nullité tirés de la violation de
la Convention, la chambre d'accusation d'Amiens a jugé qu'en ce qui
concernait l'article 10, seule l'information judiciaire permettrait de
déterminer si oui ou non cet article avait été violé ; qu'en ce qui
concernait l'article 6, il ne saurait s'appliquer à la procédure
suivie devant la chambre d'accusation et qu'en ce qui concernait
l'article 5 par. 3, la Cour de cassation avait déjà rejeté ce moyen
d'annulation dans son arrêt du 6 mars 1984.
Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt. Par
ordonnance du 31 juillet 1986, le Président de la chambre criminelle
de la Cour de cassation rejetait le pourvoi, considérant que ni
l'intérêt de l'ordre public, ni celui d'une bonne administration de la
justice ne commandaient l'examen immédiat du pourvoi. Le premier juge
d'instruction au tribunal de grande instance d'Amiens était donc saisi
le 22 décembre 1986 du dossier de cette procédure.
Par ordonnances des 13 février, 27 mars et 30 novembre 1987,
le juge d'instruction confiait à un expert de la cour d'appel d'Amiens
la traduction de 146 documents et, par ordonnances des 5 mars et 28
août 1987, il confiait à un expert de la cour d'appel de Besançon la
traduction de 641 documents ainsi que d'un certain nombre de rapports
manuscrits.
Les 1er février, 22 mars et 18 avril 1988, le magistrat
instructeur procédait à l'interrogatoire du requérant.
Le 24 avril 1988, le requérant saisissait la chambre
d'accusation de la cour d'appel d'Amiens d'une requête par laquelle il
sollicitait l'accomplissement de certains actes d'information, la
restriction du champ d'application du supplément d'information,
l'annulation d'une commission rogatoire du 14 avril 1982 et de
l'interrogatoire du 1er février 1988.
La chambre d'accusation statuait sur cette requête le 7 juin
1988 et, par arrêt du 6 septembre 1988, déclarait la requête
irrecevable en ce qu'elle n'était susceptible de donner lieu en l'état
à aucune décision juridictionnelle sur l'une ou l'autre de ses
diverses demandes.
Le 11 mai 1988, le magistrat instructeur adressait une
commission rogatoire à la DST.
Enfin, par arrêt du 9 mai 1989, la chambre d'accusation de la
cour d'appel d'Amiens constatait le dépôt au greffe de la procédure
après supplément d'information et, par arrêt du 19 septembre 1989,
prononçait la mise en accusation du requérant, renvoyant celui-ci
devant la cour d'assises de Paris spécialement composée.
A l'issue d'une audience qui s'est tenue les 13, 14 et 15 juin
1990, la cour d'assises rendait un arrêt le 15 juin condamnant le
requérant à la peine de douze années de réclusion à l'encontre duquel
celui-ci formait un pourvoi en cassation.
GRIEFS
Le requérant se plaint de la durée de la procédure et
allègue que sa cause n'a pas été entendue dans le délai raisonnable
prévu à l'article 6 par. 1 de la Convention. Il rappelle que
cette procédure a débuté le 25 janvier 1979 par son inculpation et
qu'elle dure encore dans la mesure où il a formé un pourvoi en
cassation contre l'arrêt de la cour d'assises de Paris rendu le 15
juin 1990. Il ajoute que la durée excessive, selon lui, de la
procédure a eu pour conséquence une ingérence dans sa liberté
d'expression au sens de l'article 10 de la Convention.
PROCEDURE
La requête a été introduite le 19 juin 1987 et enregistrée
le 22 juin 1987.
Le 12 juillet 1988, la Commission a décidé, conformément
à l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner
connaissance de la requête au Gouvernement français et de l'inviter à
présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le
bien-fondé du grief portant sur la longueur de la procédure au regard
de l'article 6 par. 1 de la Convention et de déclarer la requête
irrecevable pour le surplus (griefs tirés des articles 6 et 10 de la
Convention).
Le 5 décembre 1988, le Gouvernement a demandé une prorogation
de délai au 20 décembre 1988.
Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées
le 18 janvier 1989.
Les observations en réponse du requérant ont été présentées le
21 mars 1989.
Par lettres des 6 et 11 juillet 1990, le requérant informait
la Commission des derniers développements intervenus dans la procédure
pénale.
EN DROIT
Le requérant se plaint de la durée de la procédure. Il
invoque sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
qui dispose notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause
soit entendue ... dans un délai raisonnable par un tribunal ... qui
décidera ... du bien-fondé de toute accusation en matière pénale
dirigée contre elle". Il invoque également l'article 10 (art. 10) de
la Convention dans ce contexte.
Le Gouvernement ne soulève pas d'exception tirée de ce que
l'épuisement des voies de recours internes ne serait pas réalisé en
l'espèce.
Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement estime qu'aucune
violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne saurait être constatée.
S'appuyant sur une chronologie de la procédure visant à établir que
celle-ci n'a pas connu une durée excessive, il ajoute que l'affaire
était complexe en raison de la diversité des faits reprochés au
requérant et perpétrés par ce dernier pendant vingt ans, soit depuis
son arrivée en France en septembre 1959, ce qu'attestent la
multiplicité des expertises, les auditions de témoins, les
interrogatoires, commissions rogatoires et vérifications de toutes
natures. Pour le Gouvernement, elle s'avérait également complexe en
raison des diverses juridictions saisies et des questions juridiques à
trancher, en raison enfin d'un établissement des faits délicat à
réaliser.
Le Gouvernement avance encore que le requérant a, par son
attitude, contribué à l'allongement de la procédure dans la mesure où
il a introduit de multiples recours, notamment quatre pourvois en
cassation contre des arrêts des chambres d'accusation. Or, pour le
Gouvernement, si l'on ne peut reprocher au requérant d'avoir utilisé
les voies de recours qui lui étaient ouvertes et le tenir pour
responsable de la prolongation de la procédure, il est normal qu'il
subisse les conséquences de l'usage de ces voies de droit, d'autant
plus qu'en l'espèce l'attitude des autorités judiciaires ne saurait
être mise en cause quant à la longueur de la procédure. Lorsqu'elles
ont été à même de statuer, les juridictions l'auraient toujours fait
avec une diligence particulière. En conclusion, le Gouvernement
souligne que l'ampleur et l'importance des actes de la procédure
annulés par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 15 avril 1986,
nécessitaient que l'instruction fût refaite presque en totalité. Les
investigations auxquelles le magistrat instructeur a dû ensuite se
livrer ont justifié que cette instruction se fût poursuivie pendant
plusieurs années encore.
Le requérant quant à lui fait observer que lors de la
procédure diligentée contre lui entre le 25 janvier 1979 et le 15 juin
1990, plusieurs laps de temps se sont écoulés pendant lesquels sa
cause est demeurée en veilleuse. Il souligne que la durée de la
procédure doit être considérée dans son ensemble. En effet, la
procédure ne saurait être "découpée" en fractions successives pour
essayer de démontrer que, prise isolément, chacune des phases de la
procédure devant les diverses juridictions saisies n'a pas excédé le
délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.
En tout état de cause, selon lui, l'affaire ne revêtait pas
une complexité telle qu'elle ait nécessité une procédure si longue.
Cette justification avancée par le Gouvernement et qui repose sur la
confusion entre complexité intrinsèque de l'affaire et complexité
procédurale, laquelle résulterait essentiellement de l'attitude des
autorités judiciaires françaises, ne saurait prospérer. En l'espèce,
l'instruction s'est trouvée achevée dès 1981 devant la Cour de Sûreté
de l'Etat. A supposer que d'autres actes se soient avérés nécessaires
dans le cadre de la procédure suivie devant le TPFA, courant 1982,
puis dans le cadre de la procédure suivie postérieurement à
l'annulation de la procédure devant la cour d'appel d'Amiens, courant
1987 et 1988, il n'en demeure pas moins que de telles vérifications
complémentaires ne sauraient justifier une prolongation de neuf ans.
Selon le requérant, les autorités judiciaires n'ont pas fait
preuve de diligence pour accélérer la procédure ; il suffit de
reprendre la chronologie des faits pour s'en convaincre.
La Commission note que le requérant a été inculpé le 25
janvier 1979, qu'il a été renvoyé devant la cour d'assises de Paris,
spécialement composée le 19 septembre 1989, que celle-ci a rendu son
arrêt le 15 juin 1990, que le requérant s'est pourvu en cassation à
l'encontre de cet arrêt mais que la Cour de cassation ne s'est pas
encore prononcée. La procédure dure donc depuis plus de onze ans.
Elle rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la
procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de
l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités
judiciaires (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982,
série A n° 51, p. 35, par. 80).
La Commission estime que la requête pose de sérieuses
questions de fait et de droit concernant la durée de la procédure,
qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête,
mais nécessitent un examen au fond.
Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement
mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.
La Commission constate en outre que la requête ne se heurte
à aucun autre motif d'irrecevabilité.
Par ces motifs, la Commission, à la majorité,
DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE,
tous moyens de fond réservés.
Le Secrétaire Le Président
de la Commission de la Commission
(H.C. KRÜGER) (C.A. NØRGAARD)
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