CEDH, Commission, DOBBERTIN c. la FRANCE, 1er octobre 1990, 13089/87

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 1er oct. 1990, n° 13089/87
Numéro(s) : 13089/87
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 19 juin 1987
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Eckle du 15 juillet 1982, série A n° 51, p. 35, par. 80
Organisation mentionnée :
  • Comité des Ministres
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : RECEVABLE
Identifiant HUDOC : 001-24454
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1990:1001DEC001308987
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Sur les parties

Texte intégral

                               FINALE

                         SUR LA RECEVABILITE

                      de la requête No 13089/87

                      présentée par Rolf DOBBERTIN

                      contre la France

                            __________

        La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 1er octobre 1990 en présence de

        MM. C.A. NØRGAARD, Président

            J.A. FROWEIN

            S. TRECHSEL

            F. ERMACORA

            G. SPERDUTI

            E. BUSUTTIL

            A.S. GÖZÜBÜYÜK

            A. WEITZEL

            J.C. SOYER

            H.G. SCHERMERS

            H. DANELIUS

        Mme G.H. THUNE

        Sir Basil HALL

        MM. F. MARTINEZ

            C.L. ROZAKIS

        Mme J. LIDDY

        MM. L. LOUCAIDES

            J.C. GEUS

            A.V. ALMEIDA RIBEIRO

            M.P. PELLONPÄÄ

        M.  H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

        Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

        Vu la requête introduite le 19 juin 1987 par Rolf DOBBERTIN

contre la France et enregistrée le 22 juin 1987 sous le No de

dossier 13089/87 ;

        Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de

la Commission ;

        Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur

le 18 janvier 1989 ;

        Vu les observations en réponse produites par le requérant le

21 mars 1989 ;

        Après avoir délibéré,

        Rend la décision suivante :

EN FAIT

        Le requérant, de nationalité allemande, est né le 9 septembre 1934

à Schwerin.  Domicilié à Paris, il exerçait les fonctions de physicien

théoricien de formation, spécialiste en physique des plasmas, chargé

de recherches au C.N.R.S.

        Il est représenté dans la procédure devant la Commission par

Maître Yves Lachaud, avocat au barreau de Paris.

        Le requérant se plaint de la durée de la procédure pénale

engagée contre lui.

        En date du 6 décembre 1984, la Commission déclara recevables

deux requêtes (No 9863/83 et 10924/84) introduites par le requérant en

raison de griefs formulés au titre de l'article 5 par. 3 de la

Convention et dont les faits, du moins jusqu'au 14 mai 1985, sont les

mêmes que ceux de la présente requête.

        En date du 4 décembre 1985, la Commission adopta le rapport

qu'elle a établi, en application de l'article 31 par. 1 de la

Convention.

        Par une résolution (DH (88) 12), adoptée le 29 septembre 1988,

le Comité des Ministres ayant constaté que la majorité des deux tiers

requise par l'article 32 par. 1 de la Convention n'a pas été atteinte

sur la question de savoir s'il y a eu ou non une violation de

l'article 5 par. 3 de la Convention, a décidé qu'il n'y avait pas

d'autres suites à donner à cette affaire et, par conséquent, en a rayé

l'examen de son ordre du jour.

        Les faits de la cause, tels qu'ils ont été exposés par les

parties, peuvent se résumer comme suit :

        Le requérant a été interpellé par la police judiciaire le

19 janvier 1979 et placé en garde à vue jusqu'au 25 janvier 1979, date à

laquelle il fut présenté au juge d'instruction près la Cour de sûreté de

l'Etat.  Celui-ci le plaça sous mandat de dépôt sous l'inculpation

d'intelligence avec les agents d'une puissance étrangère, en

l'occurrence la République démocratique allemande, aux termes de

l'article 80 par. 3 du Code pénal, et délivra une commission

rogatoire.  Cette disposition du Code pénal se lit ainsi :

        Sera puni de la détention criminelle à temps de dix à vingt

ans quiconque :

        1° .....

        2° .....

        3° Entretiendra avec les agents d'une puissance étrangère des

        intelligences de nature à nuire à la situation militaire ou

        diplomatique de la France ou à ses intérêts économiques

        essentiels.

    a)  Procédure devant la Cour de sûreté de l'Etat

        Entre le 25 janvier 1979 et le 20 mars 1980 eurent lieu

dix-neuf interrogatoires du requérant.  Entre le 21 mars 1980 et le 18

juin 1981 furent délivrées plusieurs commissions rogatoires à la

Direction de Surveillance du Territoire (DST) ainsi que des

ordonnances de transport sur les lieux et des interrogatoires

récapitulatifs.

        Le 18 juin 1981, l'instruction étant achevée depuis le 18 mai

1981, le Premier ministre prononça par décret la mise en accusation du

requérant devant la Cour de sûreté de l'Etat.  En application de

l'article 6 de la loi du 4 août 1981, portant suppression de la Cour

de sûreté de l'Etat, la procédure pendante contre le requérant fut

déférée à la juridiction de droit commun devenue compétente, en

l'occurrence la cour d'appel de Paris.

        Cependant, le Procureur général près la Cour de cassation

demanda à la chambre criminelle de cette juridiction de dessaisir la

juridiction de droit commun et de renvoyer la connaissance de

l'affaire au Tribunal permanent des Forces Armées de Paris (TPFA), en

application de l'article 1er de la loi du 4 août 1981.  Cette

disposition prévoyait une telle procédure lorsque "les faits

poursuivis constituent un risque de trahison ou d'espionnage ou une

autre atteinte à la défense nationale et qu'il existe un risque de

divulgation d'un secret de la Défense Nationale".

        Par arrêt du 19 septembre 1981 la chambre criminelle de la

Cour de cassation renvoyait le requérant devant le TPFA de Paris et

l'affaire fut inscrite au rôle de cette juridiction pour y être jugée

à l'audience du 25 janvier 1982.

    b)  Procédure devant le TPFA

        Le requérant reçut une citation à comparaître le 14 janvier

1982 mais l'audience fut différée et, le 2 février 1982, le président

du TPFA ordonna un supplément d'information.  Celui-ci fut achevé le

25 novembre 1982 et le juge d'instruction transmit le dossier au

président du TPFA.   Toutefois, du fait de l'entrée en vigueur au 1er

janvier 1983 de la loi du 21 juillet 1982 portant suppression des TPFA

en temps de paix, le dossier fut transmis au Parquet général de la

cour d'appel de Paris afin que la chambre d'accusation de cette

juridiction, après avoir statué sur la régularité de la procédure et

procédé à la qualification légale des faits objet de l'accusation

(art. 215 du Code de procédure pénale), puisse prononcer la mise en

accusation du requérant et ordonner son renvoi devant la cour

d'assises de Paris spécialement composée d'un président et de six

assesseurs, tous magistrats, en application de l'article 214 du Code

de procédure pénale.

    c)  Procédure devant les juridictions de droit commun

        La chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris fut saisie en

ce sens par le Procureur général près la cour d'appel de Paris le 3

mars 1983.

        Par arrêt du 23 mars 1983, la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Paris ordonna la mise en liberté du requérant sous contrôle

judiciaire après versement d'une caution de 150.000 francs, initialement

fixée par arrêt du 21 février 1983 de cette même juridiction à 250.000

francs.  La caution n'a pu être payée que le 9 mai 1983, date à

laquelle le requérant fut effectivement remis en liberté.

        Les conseils du requérant déposèrent un mémoire, le 11 mars

1983, dans lequel ils soutenaient notamment qu'il y avait nullité de la

procédure devant la Cour de sûreté de l'Etat pour violation

de l'article 5 de la Convention européenne des Droits de l'Homme quant

à la durée de la garde à vue et à la qualité de magistrat, ainsi que

nullité de la procédure devant le TPFA pour violation de l'article 6

de la Convention en raison du défaut d'indépendance et d'impartialité

de cette juridiction et, enfin, irrégularité de la détention pour

violation de l'article 5 par. 3 de la Convention en raison de la durée

de celle-ci.

        Par arrêt du 23 mars 1983 (arrêt distinct de celui rendu en

matière de mise en liberté sous contrôle judiciaire du requérant), la

chambre d'accusation se déclara incompétente pour prononcer le renvoi

du requérant devant la cour d'assises.  Cette juridiction a estimé que

l'acte de mise en accusation existait depuis le 18 juin 1981, date à

laquelle le Premier Ministre prit un décret de mise en accusation du

requérant devant la Cour de sûreté de l'Etat et que, par voie de

conséquence, du fait de la validation expresse par le législateur des

actes et décisions intervenus avant l'entrée en vigueur de la loi du

4 août 1981, d'une part, et de la loi du 21 juillet 1982, d'autre part

(article 6 de la loi du 4 août 1981 et article 14 de la loi du 21

juillet 1982), la mise en accusation n'avait pas à être renouvelée.

        En ce qui concerne les exceptions de nullité de procédure pour

violation de la Convention soulevées par le requérant, la chambre

d'accusation se déclara incompétente pour statuer.

        Sur pourvoi du Procureur général près la cour d'appel de

Paris, la chambre criminelle de la Cour de cassation cassait et

annulait le 14 juin 1983 l'arrêt de la chambre d'accusation de la cour

d'appel de Paris, au motif que "si les articles 6 de la loi des 4 août

1981 et 14 de la loi du 21 juillet 1982 prescrivaient que les actes,

formalités et décisions intervenus antérieurement à la date d'entrée

en vigueur de la présente loi demeureraient valables, ces dispositions

de caractère transitoire ne modifiaient en rien les règles applicables

devant les juridictions désormais compétentes".

        En revanche le requérant, qui s'était pourvu également contre

l'arrêt de la chambre d'accusation et avait personnellement déposé un

mémoire ampliatif reprenant les griefs exposés devant la chambre

d'accusation, vit son pourvoi rejeté comme étant irrecevable.  A cet

égard, en effet, la Cour de cassation releva que le mémoire n'avait

pas été présenté par ministère d'avocat, lequel est obligatoire devant

la Cour de cassation à l'exception de l'hypothèse d'un demandeur

condamné pénalement.  Or, tel n'était pas le cas du requérant.

        L'affaire fut donc renvoyée devant la chambre d'accusation de

la cour d'appel de Paris différemment composée, devant laquelle le

requérant réitéra ses demandes d'annulation de la procédure.  Par

arrêt du 9 décembre 1983, la chambre d'accusation de la cour d'appel

de Paris prononçait la mise en accusation du requérant devant la cour

d'assises de Paris spécialement composée, et rejetait le moyen

d'annulation de la procédure tiré de l'article 5 par. 3 de la

Convention.

        Le requérant se pourvut en cassation à l'encontre de cet

arrêt.  Par arrêt du 6 mars 1984, la Cour de cassation confirmait sur

ce point ledit arrêt, mais le cassait pour violation de l'article 157

du Code de procédure pénale et méconnaissance du caractère substantiel

et d'ordre public de cet article.  En effet, l'arrêt attaqué avait

négligé de constater la nullité d'une ordonnance du juge d'instruction

du 20 mai 1979 désignant des traducteurs sans motiver son choix opéré

en dehors d'une liste d'experts.

        La chambre d'accusation de la cour d'appel de Paris, saisie sur

renvoi, statuait le 20 juillet 1984 dans le même sens que l'arrêt

cassé.  Elle retenait, contrairement aux réquisitions du ministère

public, que les traductions effectuées par des personnes qualifiées ne

constituaient pas des opérations d'expertise, en dépit des termes

utilisés par le magistrat instructeur et que, par voie de conséquence,

aucune nullité n'était encourue malgré l'inobservation des règles

relatives à l'expertise.  Par ce même arrêt, le requérant était

renvoyé devant la cour d'assises de Paris spécialement composée.

        Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.  Par

arrêt du 19 octobre 1984, en assemblée plénière, la Cour de cassation

cassait l'arrêt et renvoyait l'affaire devant la chambre d'accusation

de la cour d'appel de Versailles.

        Celle-ci, par arrêt du 14 mai 1985, prononçait, en application

de l'article 206 du Code de procédure pénale, la nullité de

l'ordonnance de commission d'expert du 20 mai 1979, annulait donc

divers actes de procédure et ordonnait la cancellation d'un certain

nombre de pièces de la procédure ; elle renvoyait enfin la procédure à

l'un des juges d'instruction du tribunal de grande instance de

Versailles pour poursuivre l'information.

        Saisie une nouvelle fois d'un pourvoi, la chambre criminelle

de la Cour de cassation, par arrêt du 29 octobre 1985, prononçait

l'annulation de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles et renvoyait

l'affaire devant la chambre d'accusation de la cour d'appel d'Amiens

avec cette précision que si des charges suffisantes étaient relevées à

l'encontre de l'inculpé, l'affaire devrait être renvoyée devant la

cour d'assises de Paris spécialement composée.

        Cet arrêt de la Cour de cassation était signifié au requérant

le 16 décembre 1985.  Par réquisitoire du 20 janvier 1986, le

Procureur général près la cour d'appel d'Amiens demandait à la chambre

d'accusation, d'une part, de prononcer la nullité d'un certain nombre

de pièces de la procédure, notamment certains procès-verbaux

d'interrogatoires du requérant, certaines commissions rogatoires et

leurs pièces d'exécution, divers rapports et réquisitions et surtout

la quasi-totalité des traductions des documents en langue allemande

versés au dossier de la procédure le 3 avril 1979 par les

fonctionnaires de la DST, d'autre part, d'ordonner le retrait de la

procédure de tous les actes annulés, enfin, de désigner un juge

d'instruction du ressort de la cour d'appel d'Amiens pour poursuivre

l'information.

        Le 20 février 1986, le requérant ainsi que ses avocats

déposaient devant cette juridiction un mémoire tendant à voir déclarer

nulle la procédure suivie contre le requérant du fait de la violation

des articles 10, 6 et 5 de la Convention européenne des Droits de

l'Homme, et tendant également à ce que soit constaté que les charges

retenues contre lui n'étaient pas constitutives du crime

d'intelligence prévu et réprimé par l'article 80 par. 3 du Code pénal.

        Par arrêt du 15 avril 1986, la chambre d'accusation de la cour

d'appel d'Amiens prononçait l'annulation de l'essentiel de la procédure

subséquente à l'ordonnance de commission d'expert du 20 mai 1979 et

ordonnait que le dossier de la procédure fût transmis au premier juge

d'instruction au tribunal de grande instance d'Amiens pour que

l'information y fût poursuivie.  D'autre part, la chambre d'accusation,

statuant sur le mémoire du requérant, refusait de se prononcer sur la

qualification juridique des faits et l'existence des charges au motif

que ceux-ci ne pourraient être appréciés que lorsque l'information

aurait permis d'avoir de ces faits et charges une connaissance précise.

        En ce qui concerne les moyens de nullité tirés de la violation de

la Convention, la chambre d'accusation d'Amiens a jugé qu'en ce qui

concernait l'article 10, seule l'information judiciaire permettrait de

déterminer si oui ou non cet article avait été violé ; qu'en ce qui

concernait l'article 6, il ne saurait s'appliquer à la procédure

suivie devant la chambre d'accusation et qu'en ce qui concernait

l'article 5 par. 3, la Cour de cassation avait déjà rejeté ce moyen

d'annulation dans son arrêt du 6 mars 1984.

        Le requérant se pourvut en cassation contre cet arrêt.  Par

ordonnance du 31 juillet 1986, le Président de la chambre criminelle

de la Cour de cassation rejetait le pourvoi, considérant que ni

l'intérêt de l'ordre public, ni celui d'une bonne administration de la

justice ne commandaient l'examen immédiat du pourvoi.  Le premier juge

d'instruction au tribunal de grande instance d'Amiens était donc saisi

le 22 décembre 1986 du dossier de cette procédure.

        Par ordonnances des 13 février, 27 mars et 30 novembre 1987,

le juge d'instruction confiait à un expert de la cour d'appel d'Amiens

la traduction de 146 documents et, par ordonnances des 5 mars et 28

août 1987, il confiait à un expert de la cour d'appel de Besançon la

traduction de 641 documents ainsi que d'un certain nombre de rapports

manuscrits.

        Les 1er février, 22 mars et 18 avril 1988, le magistrat

instructeur procédait à l'interrogatoire du requérant.

        Le 24 avril 1988, le requérant saisissait la chambre

d'accusation de la cour d'appel d'Amiens d'une requête par laquelle il

sollicitait l'accomplissement de certains actes d'information, la

restriction du champ d'application du supplément d'information,

l'annulation d'une commission rogatoire du 14 avril 1982 et de

l'interrogatoire du 1er février 1988.

        La chambre d'accusation statuait sur cette requête le 7 juin

1988 et, par arrêt du 6 septembre 1988, déclarait la requête

irrecevable en ce qu'elle n'était susceptible de donner lieu en l'état

à aucune décision juridictionnelle sur l'une ou l'autre de ses

diverses demandes.

        Le 11 mai 1988, le magistrat instructeur adressait une

commission rogatoire à la DST.

        Enfin, par arrêt du 9 mai 1989, la chambre d'accusation de la

cour d'appel d'Amiens constatait le dépôt au greffe de la procédure

après supplément d'information et, par arrêt du 19 septembre 1989,

prononçait la mise en accusation du requérant, renvoyant celui-ci

devant la cour d'assises de Paris spécialement composée.

        A l'issue d'une audience qui s'est tenue les 13, 14 et 15 juin

1990, la cour d'assises rendait un arrêt le 15 juin condamnant le

requérant à la peine de douze années de réclusion à l'encontre duquel

celui-ci formait un pourvoi en cassation.

GRIEFS

        Le requérant se plaint de la durée de la procédure et

allègue que sa cause n'a pas été entendue dans le délai raisonnable

prévu à l'article 6 par. 1 de la Convention.  Il rappelle que

cette procédure a débuté le 25 janvier 1979 par son inculpation et

qu'elle dure encore dans la mesure où il a formé un pourvoi en

cassation contre l'arrêt de la cour d'assises de Paris rendu le 15

juin 1990.  Il ajoute que la durée excessive, selon lui, de la

procédure a eu pour conséquence une ingérence dans sa liberté

d'expression au sens de l'article 10 de la Convention.

PROCEDURE

        La requête a été introduite le 19 juin 1987 et enregistrée

le 22 juin 1987.

        Le 12 juillet 1988, la Commission a décidé, conformément

à l'article 42 par. 2 b) de son Règlement intérieur, de donner

connaissance de la requête au Gouvernement français et de l'inviter à

présenter par écrit des observations sur la recevabilité et le

bien-fondé du grief portant sur la longueur de la procédure au regard

de l'article 6 par. 1 de la Convention et de déclarer la requête

irrecevable pour le surplus (griefs tirés des articles 6 et 10 de la

Convention).

        Le 5 décembre 1988, le Gouvernement a demandé une prorogation

de délai au 20 décembre 1988.

        Les observations du Gouvernement défendeur ont été présentées

le 18 janvier 1989.

        Les observations en réponse du requérant ont été présentées le

21 mars 1989.

        Par lettres des 6 et 11 juillet 1990, le requérant informait

la Commission des derniers développements intervenus dans la procédure

pénale.

EN DROIT

        Le requérant se plaint de la durée de la procédure.  Il

invoque sur ce point l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention

qui dispose notamment que "toute personne a droit à ce que sa cause

soit entendue ... dans un délai raisonnable par un tribunal ... qui

décidera ... du bien-fondé de toute accusation en matière pénale

dirigée contre elle". Il invoque également l'article 10 (art. 10) de

la Convention dans ce contexte.

        Le Gouvernement ne soulève pas d'exception tirée de ce que

l'épuisement des voies de recours internes ne serait pas réalisé en

l'espèce.

        Quant au bien-fondé du grief, le Gouvernement estime qu'aucune

violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne saurait être constatée.

S'appuyant sur une chronologie de la procédure visant à établir que

celle-ci n'a pas connu une durée excessive, il ajoute que l'affaire

était complexe en raison de la diversité des faits reprochés au

requérant et perpétrés par ce dernier pendant vingt ans, soit depuis

son arrivée en France en septembre 1959, ce qu'attestent la

multiplicité des expertises, les auditions de témoins, les

interrogatoires, commissions rogatoires et vérifications de toutes

natures.  Pour le Gouvernement, elle s'avérait également complexe en

raison des diverses juridictions saisies et des questions juridiques à

trancher, en raison enfin d'un établissement des faits délicat à

réaliser.

        Le Gouvernement avance encore que le requérant a, par son

attitude, contribué à l'allongement de la procédure dans la mesure où

il a introduit de multiples recours, notamment quatre pourvois en

cassation contre des arrêts des chambres d'accusation.  Or, pour le

Gouvernement, si l'on ne peut reprocher au requérant d'avoir utilisé

les voies de recours qui lui étaient ouvertes et le tenir pour

responsable de la prolongation de la procédure, il est normal qu'il

subisse les conséquences de l'usage de ces voies de droit, d'autant

plus qu'en l'espèce l'attitude des autorités judiciaires ne saurait

être mise en cause quant à la longueur de la procédure.  Lorsqu'elles

ont été à même de statuer, les juridictions l'auraient toujours fait

avec une diligence particulière.  En conclusion, le Gouvernement

souligne que l'ampleur et l'importance des actes de la procédure

annulés par l'arrêt de la cour d'appel d'Amiens du 15 avril 1986,

nécessitaient que l'instruction fût refaite presque en totalité.  Les

investigations auxquelles le magistrat instructeur a dû ensuite se

livrer ont justifié que cette instruction se fût poursuivie pendant

plusieurs années encore.

        Le requérant quant à lui fait observer que lors de la

procédure diligentée contre lui entre le 25 janvier 1979 et le 15 juin

1990, plusieurs laps de temps se sont écoulés pendant lesquels sa

cause est demeurée en veilleuse.  Il souligne que la durée de la

procédure doit être considérée dans son ensemble.  En effet, la

procédure ne saurait être "découpée" en fractions successives pour

essayer de démontrer que, prise isolément, chacune des phases de la

procédure devant les diverses juridictions saisies n'a pas excédé le

délai raisonnable au sens de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

        En tout état de cause, selon lui, l'affaire ne revêtait pas

une complexité telle qu'elle ait nécessité une procédure si longue.

Cette justification avancée par le Gouvernement et qui repose sur la

confusion entre complexité intrinsèque de l'affaire et complexité

procédurale, laquelle résulterait essentiellement de l'attitude des

autorités judiciaires françaises, ne saurait prospérer.  En l'espèce,

l'instruction s'est trouvée achevée dès 1981 devant la Cour de Sûreté

de l'Etat.  A supposer que d'autres actes se soient avérés nécessaires

dans le cadre de la procédure suivie devant le TPFA, courant 1982,

puis dans le cadre de la procédure suivie postérieurement à

l'annulation de la procédure devant la cour d'appel d'Amiens, courant

1987 et 1988, il n'en demeure pas moins que de telles vérifications

complémentaires ne sauraient justifier une prolongation de neuf ans.

        Selon le requérant, les autorités judiciaires n'ont pas fait

preuve de diligence pour accélérer la procédure ; il suffit de

reprendre la chronologie des faits pour s'en convaincre.

        La Commission note que le requérant a été inculpé le 25

janvier 1979, qu'il a été renvoyé devant la cour d'assises de Paris,

spécialement composée le 19 septembre 1989, que celle-ci a rendu son

arrêt le 15 juin 1990, que le requérant s'est pourvu en cassation à

l'encontre de cet arrêt mais que la Cour de cassation ne s'est pas

encore prononcée.  La procédure dure donc depuis plus de onze ans.

        Elle rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la

procédure doit s'apprécier eu égard notamment à la complexité de

l'affaire, au comportement du requérant et à celui des autorités

judiciaires (voir Cour Eur. D.H., arrêt Eckle du 15 juillet 1982,

série A n° 51, p. 35, par. 80).

        La Commission estime que la requête pose de sérieuses

questions de fait et de droit concernant la durée de la procédure,

qui ne peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête,

mais nécessitent un examen au fond.

        Dès lors, la requête ne saurait être déclarée manifestement

mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la Convention.

        La Commission constate en outre que la requête ne se heurte

à aucun autre motif d'irrecevabilité.

        Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

        DECLARE LE RESTANT DE LA REQUETE RECEVABLE,

        tous moyens de fond réservés.

          Le Secrétaire                         Le Président

        de la Commission                      de la Commission

         (H.C. KRÜGER)                         (C.A. NØRGAARD)

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