CEDH, Commission, DIENNET c. la FRANCE, 2 décembre 1992, 18160/91

  • Gouvernement·
  • Conseil d'etat·
  • Ordre des médecins·
  • Commission·
  • Publicité des débats·
  • Jurisprudence·
  • Renvoi·
  • Impartialité·
  • Médecin·
  • Conseil régional

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission, 2 déc. 1992, n° 18160/91
Numéro(s) : 18160/91
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 18 avril 1991
Jurisprudence de Strasbourg : Cour Eur. D.H. Arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere, du 23 juin 1981, série A n° 43, p. 25, par. 59
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusion : Recevable
Identifiant HUDOC : 001-25087
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1992:1202DEC001816091
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITE

                 de la requête No 18160/91

                 présentée par Marcel DIENNET

                 contre la France

                              __________

      La Commission européenne des Droits de l'Homme (Première

Chambre), siégeant en chambre du conseil le 2 décembre 1992 en présence

de

           MM.   J.A. FROWEIN, Président de la Première Chambre

                 F. ERMACORA

                 G. SPERDUTI

                 E. BUSUTTIL

                 A. S. GÖZÜBÜYÜK

                 Sir Basil HALL

           M.    C. L. ROZAKIS

           Mme   J. LIDDY

           MM.   M. P. PELLONPÄÄ

                 B. MARXER

           M.   M. de SALVIA, Secrétaire de la Première Chambre,

      Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

      Vu la requête introduite le 18 avril 1991 par Marcel DIENNET

contre la France et enregistrée le 3 mai 1991 sous le No de dossier

18160/91 ;

      Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

22 mai 1992 et les observations en réponse présentées par le requérant

le 23 juillet 1992 ;

      Vu le rapport prévu à l'article 47 du Règlement intérieur de la

Commission ;

      Après avoir délibéré,

      Rend la décision suivante :

EN FAIT

      Le requérant est un ressortissant français, né en 1944 et

domicilié à Paris.  Il est médecin de profession et est représenté

devant la Commission par Maître Claire Waquet, avocate au Conseil

d'Etat et à la Cour de cassation.

      Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent

se résumer comme suit :

      Le 11 mars 1984, le conseil régional de l'Ile de France de

l'Ordre des médecins condamna le requérant à la radiation pour

manquement aux règles de la déontologie médicale.

      Le 30 janvier 1985, sur appel du requérant qui faisait valoir

entre autres le non-respect des droits de la défense dans la procédure

devant le conseil régional, la section disciplinaire du conseil

national de l'Ordre des médecins substitua à cette sanction celle de

l'interdiction d'exercer la médecine pendant trois ans.

      Par arrêt du 15 janvier 1988, le Conseil d'Etat annula la

décision de la section disciplinaire du conseil national pour une

irrégularité de procédure et renvoya l'affaire devant cette instance.

      Lors d'une séance du 26 avril 1989, la section disciplinaire du

conseil national examina de nouveau l'affaire.  Cette séance se déroula

à huis clos, et la section disciplinaire fut composée de sept membres,

dont trois avaient déjà participé à la décision cassée par le Conseil

d'Etat.

      La décision, rendue le même jour par la section disciplinaire du

conseil national, fut presque identique à celle du 30 janvier 1985. Le

requérant fut donc de nouveau condamné à la sanction de l'interdiction

d'exercer la médecine pendant trois ans.

      Le requérant se pourvut en cassation devant le Conseil d'Etat,

faisant valoir entre autres la non-conformité de la décision avec

l'article 6 par. 1 de la Convention, puisque la séance devant la

section disciplinaire n'avait pas été publique et que le tribunal, du

fait de la présence de trois membres ayant déjà connu de l'affaire, ne

satisfaisait pas aux conditions d'impartialité exigées par cette

disposition.

      Le 29 octobre 1990, le Conseil d'Etat rejeta le pourvoi du

requérant.  En ce qui concerne l'argument tiré de l'article 6 par. 1

de la Convention, le Conseil d'Etat  estima que cette disposition ne

s'applique pas en l'espèce, étant donné qu'il s'agissait d'une

procédure disciplinaire.

GRIEFS

      Le requérant se plaint de violations de l'article 6 par. 1 de la

Convention en ce que la procédure devant les instances disciplinaires

de l'Ordre des médecins s'est déroulée à huis clos et en ce que la

procédure devant ces instances était entâchée de partialité dans la

mesure où trois des membres composant le conseil national, statuant sur

renvoi après cassation, avaient déjà statué dans la même affaire.

PROCEDURE

      La présente requête a été introduite le 18 avril 1991 et

enregistrée le 3 mai 1991.

      Le 3 février 1992, la Commission a décidé de porter la requête

à la connaissance du Gouvernement défendeur et de l'inviter à présenter

par écrit ses observations sur la recevabilité et le bien-fondé des

griefs tirés de l'article 6 par. 1 de la Convention.

      Le Gouvernement a présenté ses observations le 22 mai 1992 et le

requérant y a répondu le 23 juillet 1992.

EN DROIT

      Le requérant se plaint de l'absence de publicité devant les

instances disciplinaires de l'Ordre des médecins.  Il prétend en outre

que la procédure devant ces instances était entachée de partialité dans

la mesure où trois des membres composant le conseil national, statuant

sur renvoi après cassation, avaient déjà statué dans la même affaire.

Il invoque à cet égard l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention.

1.    Le Gouvernement soulève d'emblée une exception d'irrecevabilité.

Il souligne que la requête ne satisfait pas à la règle posée par

l'article 26 (art. 26) de la Convention selon laquelle la Commission

ne peut être saisie que dans le délai de six mois à partir de la date

de la décision interne définitive.

      Il observe que le Conseil d'Etat, par arrêt du 29 octobre 1990,

a réitéré sa jurisprudence constante selon laquelle l'article 6

(art. 6) de la Convention ne s'applique pas aux procédures

disciplinaires. Ainsi, selon le Gouvernement, le recours devant le

Conseil d'Etat devait-il être considéré comme inefficace.  Dès lors,

la dernière décision interne définitive à prendre en compte serait

celle du conseil national de l'Ordre des médecins du 26 avril 1989. Or,

le requérant n'a introduit sa requête devant la Commission que le 18

avril 1991 soit plus de six mois après cette décision.  Il conviendrait

donc, selon le Gouvernement, de déclarer la requête irrecevable pour

tardiveté.

      Le requérant estime pour sa part que l'article 6 (art. 6) trouve

à s'appliquer, en l'espèce, puisque l'interdiction d'exercer la

médecine pendant trois ans affecte gravement sa vie privée.  Il ajoute

que le pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat est une voie de

recours normale qu'il convenait d'exercer.

      La Commission note que le Conseil d'Etat a rejeté le pourvoi du

requérant en affirmant que l'article 6 (art. 6) de la Convention est

inapplicable en matière disciplinaire.  Il confirme ainsi sa

jurisprudence constante en la matière, dont le Gouvernement se prévaut

pour estimer le recours inefficace.

      La Commission constate qu'il s'agit en l'espèce d'un domaine dans

lequel le Conseil d'Etat n'a pas intégré la jurisprudence des instances

de la Convention, donnant ainsi, comme dans la présente affaire, une

interprétation qui lui est propre, de la notion des droits et

obligations de caractère civil et d'accusation en matière pénale.

      La Commission estime dès lors que le pourvoi en cassation du

requérant ne saurait être déclaré inefficace, dans la mesure où il se

fonde sur la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l'Homme

et sur la possibilité d'un éventuel revirement de jurisprudence du

Conseil d'Etat.

      Il s'ensuit que l'exception de non respect du delai de six mois

au sens de l'article 26 (art. 26) de la Convention ne saurait être

retenue.

2.    Quant aux griefs tirés de l'absence de publicité des débats

devant les instances ordinales, au sens de l'article 6 par. 1

(art. 6-1) de la Convention, le Gouvernement estime qu'ils ne sont pas

fondés.

      A titre principal, il rappelle que le requérant n'a sollicité la

publicité ni devant le conseil régional, ni devant le conseil national

de l'Ordre.  Il ne s'est plaint de cette absence de publicité qu'à

l'occasion de son pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat.  Selon

le Gouvernement, il a ainsi renoncé tacitement mais de manière non

équivoque à cette publicité, ainsi que le lui permettait l'article 6

(art. 6) tel qu'interprété par les organes de la Convention (voir Cour

eur. D.H., arrêt Le Compte, Van Leuven et De Meyere du 23 juin 1981,

série A no 43, p. 25, par. 59, et N° 13562/88, déc. 2.7.90, à paraître

dans D.R. 66).

      Subsidiairement, le Gouvernement fait observer que si le

requérant avait réclamé la publicité des débats, sa demande aurait été

rejetée car l'examen des manquements qui lui étaient reprochés

imposaient de mettre en cause la vie privée des patients et le secret

professionnel.  Or, l'article 6 (art. 6) prévoit dans ce cas des

exceptions au principe de la publicité des débats.  Pour le

Gouvernement, cette partie de la requête est donc manifestement mal

fondée.

      Le requérant rappelle que les instances ordinales refusent

systématiquement la publicité des débats et qu'ainsi toute demande en

ce sens était vouée à l'échec.  Son silence n'équivaudrait donc pas à

renonciation implicite.  Il ajoute qu'aucun motif ne justifiait, selon

lui, une audience en chambre du conseil, susceptible de faire échec à

ses propres droits de procédure.

      Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur

ce point à la lumière de sa propre jurisprudence et de celle de la Cour

européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que cet aspect

de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit

concernant la publicité des débats dans la procédure disciplinaire mise

en cause, qui ne peuvent être résolus à ce stade de l'examen de la

requête mais nécessitent un examen au fond.

      Dès lors cette partie de la requête ne saurait être déclarée

manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de

la Convention.

3.    Quant au grief tiré du caractère prétendument partial du conseil

national au sens de l'article 6 (art. 6) de la Convention, le

Gouvernement estime qu'il est irrecevable pour non-épuisement des voies

de recours internes et subsidiairement pour défaut manifeste de

fondement.

      Le Gouvernement rappelle que trois des membres composant la

section disciplinaire qui a statué sur renvoi après cassation par

décision du 26 avril 1989, avaient déjà statué sur son appel par

décision du 30 janvier 1985.  Il note que l'unicité de la section

disciplinaire ne permet pas le renvoi vers une autre juridiction de

même nature, et que sa nature lui interdit de statuer dans une autre

formation de jugement.  Toutefois, le requérant pouvait faire usage de

son droit de récusation.  Or le Gouvernement constate qu'il n'a pas

fait usage de cette faculté.

      Subsidiairement, le Gouvernement estime que l'on ne saurait poser

en principe général qu'une juridiction manque au devoir d'impartialité

dès lors que trois de ses membres ont statué antérieurement dans la

même affaire.

      Le requérant quant à lui souligne que la récusation est une voie

de recours exceptionnelle dont l'utilisation ne s'imposait pas. Il doit

dès lors être considéré comme ayant épuisé les voies de recours

normales.  Il ajoute que sa demande de récusation aurait en tout état

de cause été rejetée puisque le Gouvernement affirme que la composition

de la juridiction de renvoi était, en l'espèce, conforme au droit

interne.

      Quant au fond, le requérant rappelle qu'un tiers de la

juridiction était commun aux deux formations, et que la décision

émanant de la juridiction de renvoi en 1989 était identique à la

décision contestée de 1985.  Le requérant en conclut que la formation

de renvoi, après cassation, s'est bornée à reprendre les termes de la

première décision sans réexaminer son dossier, faisant ainsi douter de

son impartialité.

      Sur ce point la Commission est appelée à rechercher si, compte

tenu des circonstances de l'affaire en cause, le requérant a bénéficié

dans le cadre de la procédure disciplinaire des garanties

d'impartialité prévues à l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la

Convention, en raison de ce que trois des membres composant le Conseil

national statuant sur renvoi après cassation, avaient déjà statué dans

la même affaire.

      Après avoir considéré les thèses formulées par les parties sur

ce point à la lumière de sa propre jurisprudence et de celle de la Cour

européenne des Droits de l'Homme, la Commission estime que cette partie

de la requête pose de sérieuses questions de fait et de droit

concernant notamment l'impartialité des instances ordinales, qui ne

peuvent être résolues à ce stade de l'examen de la requête, mais

nécessitent un examen au fond.

      Dès lors cette partie de la requête ne saurait non plus être

déclarée manifestement mal fondée au sens de l'article 27 par. 2

(art. 27-2) de la Convention.

      Par ces motifs, la Commission, à la majorité,

      DECLARE LA REQUETE RECEVABLE, tous moyens de fond réservés.

  Le Secrétaire de la                       Le Président de la

   Deuxième Chambre                          Deuxième Chambre

      (K. ROGGE)                              (S. TRECHSEL)

Chercher les extraits similaires
highlight
Chercher les extraits similaires
Extraits les plus copiés
Chercher les extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CEDH, Commission, DIENNET c. la FRANCE, 2 décembre 1992, 18160/91