CEDH, Commission (plénière), TEIXEIRA DE CASTRO c. PORTUGAL, 24 juin 1996, 25829/94

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Commission (Plénière), 24 juin 1996, n° 25829/94
Numéro(s) : 25829/94
Type de document : Recevabilité
Date d’introduction : 24 octobre 1994
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement recevable ; Partiellement irrecevable
Identifiant HUDOC : 001-28005
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1996:0624DEC002582994
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Texte intégral

                          SUR LA RECEVABILITÉ

                      de la requête N° 25829/94

                      présentée par Francisco TEIXEIRA DE CASTRO

                      contre le Portugal

     La Commission européenne des Droits de l'Homme, siégeant en

chambre du conseil le 24 juin 1996 en présence de

           MM.   S. TRECHSEL, Président

                 H. DANELIUS

                 E. BUSUTTIL

                 G. JÖRUNDSSON

                 A.S. GÖZÜBÜYÜK

                 A. WEITZEL

                 J.-C. SOYER

                 H.G. SCHERMERS

           Mme   G.H. THUNE

           M.    F. MARTINEZ

           Mme   J. LIDDY

           MM.   L. LOUCAIDES

                 J.-C. GEUS

                 M.P. PELLONPÄÄ

                 B. MARXER

                 G.B. REFFI

                 M.A. NOWICKI

                 I. CABRAL BARRETO

                 B. CONFORTI

                 N. BRATZA

                 I. BÉKÉS

                 J. MUCHA

                 D. SVÁBY

                 G. RESS

                 A. PERENIC

                 C. BÎRSAN

                 P. LORENZEN

                 K. HERNDL

                 E. BIELIUNAS

           M.    H.C. KRÜGER, Secrétaire de la Commission ;

     Vu l'article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de

l'Homme et des Libertés fondamentales ;

     Vu la requête introduite le 24 octobre 1994 par Francisco

TEIXEIRA DE CASTRO contre le Portugal et enregistrée le 2 décembre 1994

sous le N° de dossier 25829/94 ;

     Vu les rapports prévus à l'article 47 du Règlement intérieur de

la Commission ;

     Vu les observations présentées par le Gouvernement défendeur le

28 décembre 1995 et les observations en réponse présentées par le

requérant le 6 mars 1996 ;

     Après avoir délibéré,

     Rend la décision suivante :

EN FAIT

     Le requérant est un ressortissant portugais né en 1955.  Il est

actuellement détenu à l'établissement pénitentiaire de Paços de

Ferreira (Portugal).

     Devant la Commission, il est représenté par Maître Joaquim

Loureiro, avocat au barreau de Famalicão.

     Les faits, tels qu'ils ont été exposés par les parties, peuvent

se résumer comme suit.

     En décembre 1992, deux agents de la police de Sécurité publique

(PSP), infiltrés, déclarèrent à une personne V.S. vouloir acheter du

hachisch, ce dans le but d'identifier et d'arrêter son fournisseur.

V.S. accepta de leur trouver du hachisch, mais en dépit de l'insistance

des deux agents il n'a pu en trouver.

     Le 30 décembre 1992, les deux agents contactèrent à nouveau V.S.

à présent intéressés par l'achat d'héroïne.  V.S. mentionna le nom du

requérant comme susceptible de trouver un tel produit, mais ne

connaissant pas l'adresse de ce dernier contacta une personne F.O.  Ces

quatre personnes rendirent visite au requérant et les deux agents

exhibèrent 200 000 Escudos en billets, déclarant vouloir acheter de

l'héroïne.

     Le requérant accepta de leur fournir l'héroïne et se déplaça,

accompagné de F.O., chez une autre personne J.P.O. où il acheta

20 grammes de ce stupéfiant.

     De retour près des agents et de V.S., le requérant leur montra

l'héroïne.  Les deux agents procédèrent alors à l'arrestation du

requérant, ainsi qu'à celle de V.S. et F.O.

     Présenté le 31 décembre 1992 au juge d'instruction près le

tribunal de Famalicão, le requérant fut mis en détention provisoire.

     Le 29 janvier 1993, le requérant déposa une demande de mise en

liberté.  Il se fonda sur l'illégalité de sa détention et sur les

articles 3, 6 et 8 de la Convention et allègua avoir été incité par les

agents à commettre une infraction.  Ceux-ci avaient en effet agi en

tant qu'agents "provocateurs", d'autant que leur intervention n'avait

pas eu lieu dans le cadre d'une opération de répression du trafic de

stupéfiants ordonné par un magistrat.

     Le juge d'instruction rejeta la demande par décision du

16 février 1993, confirmée par arrêt de la cour d'appel (Tribunal da

Relação) de Porto en date du 21 avril 1993.

     Deux demandes d'habeas corpus présentées par le requérant devant

la Cour suprême (Supremo Tribunal de Justiça) furent rejetées par

arrêts des 11 mars et 13 mai 1993.  La haute juridiction estima dans

ce dernier arrêt que les agents de police avaient agi en tant

qu'"agents provocateurs" pour ce qui est de la vente de l'héroïne mais

que la détention du requérant était justifiée car il avait été trouvé

en possession de ce stupéfiant.

     Le 26 août 1993, le ministère public présenta ses réquisitions

à l'encontre du requérant et de V.S.  F.O. et J.P.O. ne furent pas

poursuivis.

     Le dossier fut transmis au tribunal de Santo Tirso.  L'audience

eut lieu le 25 novembre 1993.

     Par jugement du 6 décembre 1993, le tribunal de Santo Tirso jugea

le requérant coupable et le condamna à la peine de six ans

d'emprisonnement.  Le tribunal considéra d'abord que l'utilisation d'un

agent "infiltré" ou même "provocateur" ne semblait pas être prohibée

par la législation nationale, à condition que le sacrifice de la

liberté individuelle de l'accusé soit justifié par les valeurs à

sauvegarder.  Le tribunal souligna ensuite que le requérant ayant été

initialement contacté par F.O., la conduite des agents de la PSP

n'avait pas été "déterminante" dans la commission de l'infraction.  Par

ailleurs, le tribunal condamna V.S. à une amende correspondant à vingt

jours d'emprisonnement.  Le tribunal déclara avoir fondé sa conviction

sur les déclarations du témoin F.O., du co-prévenu V.S., du requérant

lui-même et, de manière "essentielle", sur les déclarations des deux

agents de police, qui furent entendus à l'audience.

     Le 14 décembre 1993, le requérant interjeta appel contre ce

jugement devant la Cour suprême.  Il allégua la violation du principe

du procès équitable et invoqua, entre autres, l'article 6 de la

Convention.

     Par arrêt du 5 mai 1994, la Cour suprême rejeta le recours.  La

haute juridiction s'exprima notamment ainsi :

     "Il y a sans conteste (dans le cas d'espèce) une très forte

insistance (...) des agents de la PSP jusqu'à ce qu'ils arrivent à

C. (...) (Le requérant) a répondu de manière favorable aux fausses

propositions des agents parce qu'il visait à obtenir des profits avec

l'affaire, ainsi explorant l'un des plus grands fléaux sociaux de nos

jours (...)  Les agents de la PSP ont ainsi vu justifiée leur

persistance, retrouvant l'accusé en possession d'une quantité déjà

significative de ce stupéfiant. (...) Le comportement des agents de la

PSP a respecté la loi et ne s'analyse pas en un moyen de preuve

prohibé."

GRIEFS

1.   Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès

équitable dans la mesure où il a été incité par des agents de police,

agissant en tant que véritables agents "provocateurs", à commettre une

infraction dont il a été ensuite reconnu coupable.  Il invoque

l'article 6 par. 1 de la Convention.  Pour le requérant cette situation

a aussi porté atteinte aux articles 3 et 8 de la Convention.

2.   Le requérant estime en outre avoir fait l'objet d'un traitement

discriminatoire en violation de l'article 14 de la Convention, vu la

lourde peine à laquelle il a été condamné alors que d'autres personnes

impliquées dans l'affaire n'ont soit pas été poursuivis, soit se

trouvent en liberté.

PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

     La requête a été introduite le 24 octobre 1994 et enregistrée le

2 décembre 1994.

     Le 11 septembre 1995, la Commission a décidé de porter la requête

à la connaissance du Gouvernement défendeur, en l'invitant à présenter

par écrit des observations sur sa recevabilité et son bien-fondé.

      Le Gouvernement a présenté ses observations le 28 décembre 1995,

après prorogation du délai imparti, et le requérant y a répondu le

6 mars 1996.

     Le 26 janvier 1996, la Commission a décidé d'accorder au

requérant le bénéfice de l'assistance judiciaire.

EN DROIT

1.   Le requérant se plaint de ne pas avoir bénéficié d'un procès

équitable dans la mesure où il a été incité par des agents de police,

agissant en tant que véritables agents "provocateurs", à commettre une

infraction dont il a été ensuite reconnu coupable.  Il invoque, en sus

des articles 3 et 8, l'article 6 par. 1 (art. 3, 8, 6-1) de la

Convention, qui dispose dans sa partie pertinente :

     "Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue

     équitablement (...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du

     bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre

     elle."

     Le Gouvernement estime qu'il n'y a aucune apparence de violation

de cette disposition de la Convention.  Il relève d'abord, en général,

que l'on peut raisonnablement estimer que dès que les moyens de preuve

soient recueillis dans le respect du libre arbitre de la personne, il

n'y aura d'atteinte ni à l'équité du procès ni à l'équilibre qui doit

prévaloir entre les exigences publiques d'enquête et d'investigation

et les droits fondamentaux des intéressés.

     Le Gouvernement fait valoir que le combat à certains types de

criminalité comme celui du trafic de stupéfiants admet l'usage de

certains moyens de preuve, dans le respect des limites imposées par les

droits fondamentaux des intéressés.  Ceci a été mis en exergue par des

conventions internationales adoptées en ce domaine, y compris par le

Conseil de l'Europe, dans la Convention relative au blanchiment, au

dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime,

signée le 8 novembre 1990.

     Appliquant ces principes au cas d'espèce, le Gouvernement estime

que les agents de police en question ne sauraient être qualifiés de

"provocateurs".  Pour le Gouvernement, il faut distinguer les cas où

l'action de l'agent infiltré crée une intention criminelle jusqu'alors

inexistante de ceux où l'intéressé est déjà potentiellement disposé à

commettre l'infraction.  D'après lui, l'on est en présence en l'espèce

du deuxième cas de figure, dans la mesure où les agissements des agents

de police se sont limités à révéler une intention d'accomplissement du

forfait qui existait déjà.

     Enfin, le Gouvernement souligne que le requérant a eu

l'opportunité d'interroger les agents en question lors de l'audience

contradictoire.  Prenant en considération l'ensemble de la procédure,

le Gouvernement conclut que le requérant a eu droit à un procès

équitable.

     Le requérant conteste ces arguments.  Il estime avoir

indéniablement été provoqué à accomplir une infraction qui n'aurait

jamais eu lieu sans l'intervention des agents de police.  Le requérant

souligne que les agents en question agissaient en dehors de tout

contrôle judiciaire et de leur propre initiative.  Selon le requérant,

cela suffit à qualifier le comportement des agents en cause comme

"provocateur".

     Le requérant conteste également l'argument du Gouvernement selon

lequel il aurait été déjà potentiellement disposé à commettre

l'infraction.  Il souligne qu'admettre un tel argument reviendrait à

accepter les thèses de Lombroso, incompatibles avec une conception

démocratique de la procédure pénale.  Le requérant relève au demeurant

qu'il n'avait pas d'antécédents pénales.

     Le requérant conclut ne pas avoir disposé d'un procès équitable.

     La Commission a procédé à un examen préliminaire de l'ensemble

des arguments des parties.  Elle estime que cette partie de la requête

soulève des questions complexes qui ne peuvent être résolues à ce stade

de la procédure et qui appellent un examen au fond.  Cette partie de

la requête ne saurait donc être rejetée comme étant manifestement mal

fondée.  Aucun autre motif d'irrecevabilité n'a été décelé.

2.   Le requérant estime en outre avoir fait l'objet d'un traitement

discriminatoire en violation de l'article 14 (art. 14) de la

Convention, vu la lourde peine à laquelle il a été condamné alors que

d'autres personnes impliquées dans l'affaire n'ont soit pas été

poursuivies, soit se trouvent en liberté.

     Toutefois, au vu de l'ensemble du dossier et dans la mesure où

les allégations du requérant à cet égard ont été étayées, la Commission

n'a décelé aucune apparence de violation de la disposition invoquée.

Cette partie de la requête est ainsi manifestement mal fondée et doit

être rejetée conformément à l'article 27 par. 2 (art. 27-2) de la

Convention.

     Par ces motifs, la Commission, à l'unanimité,

     DECLARE RECEVABLES, tous moyens de fond réservés, les griefs du

     requérant concernant le caractère équitable de son procès ;

     DECLARE LA REQUETE IRRECEVABLE pour le surplus.

     Le Secrétaire                            Le Président

    de la Commission                        de la Commission

      (H.C. KRÜGER)                         (S. TRECHSEL)

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CEDH, Commission (plénière), TEIXEIRA DE CASTRO c. PORTUGAL, 24 juin 1996, 25829/94