CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE COLAK c. ALLEMAGNE, 6 décembre 1988, 9999/82
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CEDH, Cour (Chambre), 6 déc. 1988, n° 9999/82 |
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Numéro(s) : | 9999/82 |
Publication : | A147 |
Type de document : | Arrêt |
Niveau d’importance : | Importance faible |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusion : | Non-violation de l'Art. 6-1 |
Identifiant HUDOC : | 001-62019 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1988:1206JUD000999982 |
Sur les parties
- Juges : C. Russo, J.A. Carrillo Salcedo
Texte intégral
En l'affaire Colak*,
_______________
* Note du greffier: L'affaire porte le n° 15/1987/138/192. Les deux
premiers chiffres désignent son rang dans l'année d'introduction, les
deux derniers sa place sur la liste des saisines de la Cour depuis
l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission)
correspondantes.
_______________
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à
l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde des Droits de
l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention") et aux clauses
pertinentes de son règlement, en une chambre composée des juges dont
le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Matscher,
L.-E. Pettiti,
R. Macdonald,
C. Russo,
R. Bernhardt,
J.A. Carrillo Salcedo,
ainsi que de MM. M.-A. Eissen, greffier, et H. Petzold, greffier adjoint,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 26 octobre et
24 novembre 1988,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
PROCEDURE
1. L'affaire a été portée devant la Cour par la Commission
européenne des Droits de l'Homme ("la Commission") le
18 décembre 1987, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les
articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son
origine se trouve une requête (n° 9999/82) dirigée contre la
République fédérale d'Allemagne et dont un ressortissant turc,
M. Serif Colak, avait saisi la Commission le 7 juin 1982 en vertu de
l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 (art. 44,
art. 48) ainsi qu'à la déclaration allemande de reconnaissance de la
juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46). Elle a
pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits
de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux obligations
qui découlent de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
2. Le greffier a essayé d'adresser à M. Colak - notamment par
l'intermédiaire de Me A. Rosenberg, l'avocat qui avait représenté
celui-ci devant la Commission - l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d)
du règlement; en dépit de plusieurs tentatives il n'y a pas
réussi, faute de savoir où l'atteindre.
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit
M. R. Bernhardt, juge élu de nationalité allemande (article 43 de la
Convention) (art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour
(article 21 par. 3 b) du règlement). Le 29 janvier 1988, celui-ci en a
désigné par tirage au sort les cinq autres membres à savoir
MM. G. Lagergren, F. Matscher, R. Macdonald, J. Gersing et A. Donner,
en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et
21 par. 4 du règlement) (art. 43). Par la suite, MM. C. Russo,
J.A. Carrillo Salcedo et L.-E. Pettiti, suppléants, ont remplacé
MM. Donner et Lagergren, qui avaient donné leur démission avant les
audiences, et M. Gersing, décédé (articles 2 par. 3, 22 par. 1 et 24 par. 1 du
règlement).
4. Ayant assumé la présidence de la chambre (article 21 par. 5 du
règlement), M. Ryssdal a consulté par l'intermédiaire du greffier
adjoint l'agent du gouvernement allemand ("le Gouvernement") et le
délégué de la Commission au sujet de la nécessité d'une procédure
écrite (article 37 par. 1). Conformément à l'ordonnance ainsi rendue, le
greffier a reçu, le 30 mai 1988, le mémoire du Gouvernement; par une
lettre du 18 juillet, le secrétaire de la Commission lui a fait savoir
que le délégué s'exprimerait lors des audiences.
5. Le 3 août 1988, le président a fixé au 25 octobre la date de
l'ouverture de la procédure orale après avoir recueilli l'opinion des
comparants par l'intermédiaire du greffier adjoint (article 38). Le
26 août, il a autorisé l'agent du Gouvernement à s'exprimer en
allemand (article 27 par. 2).
6. Le 20 septembre 1988, la Commission a produit certaines pièces
que le président avait chargé le greffier de se procurer auprès d'elle;
le Gouvernement en a déposé deux autres le 10 octobre.
7. Les débats se sont déroulés en public le jour dit, au Palais
des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu immédiatement
auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. J. Meyer-Ladewig, Ministerialdirigent,
ministère fédéral de la Justice, agent,
M. D. Wanner, Staatsanwalt,
ministère fédéral de la Justice, conseiller;
- pour la Commission
M. E. Busuttil, délégué.
La Cour a entendu en leurs déclarations, ainsi qu'en leurs réponses à
ses questions, M. Meyer-Ladewig pour le Gouvernement et M. Busuttil
pour la Commission.
EN FAIT
8. Serif Colak, citoyen turc né en 1935, vivait et travaillait
depuis plusieurs années en République fédérale d'Allemagne.
9. Pendant la nuit du 20 au 21 avril 1979, au cours d'une bagarre
dans un restaurant de Francfort, il blessa un compatriote d'un coup de
couteau à l'abdomen.
Fortement soupçonné de tentative d'homicide (versuchter Totschlag -
articles 212 et 23 du code pénal), il fut arrêté le 27 avril. Le
lendemain, le tribunal cantonal (Amtsgericht) de Francfort le plaça en
détention provisoire; le mandat de dépôt se fondait sur l'existence
d'un soupçon de coups et blessures graves (gefährliche
Körperverletzung - articles 223 et 223a du code pénal).
10. Sur les réquisitions du parquet, le tribunal modifia le mandat
le 29 mai 1979 après avoir ouï l'intéressé et eu égard aux dépositions
de témoins ainsi qu'aux renseignements recueillis par la police:
M. Colak se voyait désormais soupçonné d'une tentative d'homicide
passible d'une très lourde peine.
Le nouveau mandat resta le titre de détention du requérant jusqu'à la
condamnation définitive.
1. La mise en accusation
11. Le 13 octobre 1979, le parquet déféra M. Colak au tribunal
régional (Landgericht) de Francfort: il lui reprochait d'avoir
perpétré une tentative d'homicide et demandait l'ouverture du procès
(Hauptverfahren) devant la cour d'assises (Schwurgericht;
article 74 par. 2 du code judiciaire - Gerichtsverfassungsgesetz).
Le 20 novembre 1979, le requérant reçut notification, en allemand et
en turc, de l'acte d'accusation (Anklageschrift) sur lequel il put se
prononcer lors d'une comparution devant le président de la cour
d'assises (article 201 du code de procédure pénale). Entendu par ce
dernier, il ne s'opposa pas à son renvoi en jugement pour le chef
d'accusation retenu.
12. Le 18 décembre 1979, la 20e chambre (Strafkammer) du tribunal
régional, rejetant la demande du ministère public en sens contraire,
ouvrit le procès devant la chambre criminelle (Grosse Strafkammer;
article 74 par. 1 du code judiciaire) et non devant la cour d'assises:
elle estima que le prévenu était fortement soupçonné non de tentative
d'homicide, mais de coups et blessures graves.
Sur recours du parquet, la cour d'appel (Oberlandesgericht) de
Francfort cassa cette décision le 31 janvier 1980 sur le point dont il
s'agit et ordonna l'ouverture du procès devant la cour d'assises
conformément aux termes de l'acte d'accusation. A ses yeux, il
existait assez d'indices pour conclure que l'intéressé avait agi avec
l'intention (dol éventuel) de tuer et commis ainsi une tentative
d'homicide.
2. Le procès devant la cour d'assises
13. Les débats devant la cour d'assises commencèrent le
28 avril 1980. Une fois M. Colak interrogé sur sa personne, le
ministère public donna lecture de ses réquisitions (Anklagesatz;
paragraphe 11 ci-dessus) telles qu'elles se trouvaient consignées dans
l'acte d'accusation (article 243 du code de procédure pénale).
14. A l'audience du 5 mai, la cour d'assises avisa l'intéressé,
ainsi que son défenseur (article 265 du même code), de la possibilité
d'une condamnation pour coups et blessures graves plutôt que pour
tentative d'homicide. D'après le procès-verbal de la séance, l'accusé
et son conseil eurent l'occasion de préparer leur défense à la lumière
de cette indication, laquelle ne suscita aucune réaction.
Aux termes de l'article 265 du code de procédure pénale,
"1. L'accusé ne peut être condamné sur la base d'une disposition
autre que celle mentionnée dans l'acte d'accusation accueilli par le
tribunal, sans avoir été préalablement informé de tout changement de
qualification légale et avoir eu l'occasion de se défendre.
(...)
3. L'audience doit être ajournée à la demande de l'accusé si,
alléguant n'avoir pu suffisamment préparer sa défense, il conteste des
circonstances nouvellement apparues et permettant de lui appliquer une
disposition plus sévère que celle mentionnée dans l'acte d'accusation
accueilli par le tribunal (...).
4. Le tribunal doit aussi ajourner l'audience, à la demande d'une
partie ou d'office, s'il le juge indiqué pour permettre à l'accusation
ou à la défense de se préparer suffisamment à la suite du changement
de situation.
(...)"
En droit allemand, une information fournie en vertu de l'article
précité permet de condamner sur la base soit de l'acte d'accusation
primitif, soit de la nouvelle qualification juridique des faits
reprochés. Lorsqu'un tribunal a expressément écarté des incriminations
initiales, il doit donner de nouvelles indications s'il entend y
revenir (arrêt de la Cour fédérale de Justice - Bundesgerichtshof - du
19 juillet 1972, Monatsschrift für Deutsches Recht 1972, p. 925).
15. Les débats furent suspendus le 13 mai 1980: la victime,
principal témoin, n'avait pas comparu. Le même jour, M. Colak
recouvra sa liberté moyennant le versement d'une caution
de 40.000 DM.
16. Les audiences recommencèrent le 15 janvier 1981. La cour
d'assises, dont la composition avait changé dans l'intervalle,
interrogea l'accusé sur sa personne, après quoi le parquet réitéra
oralement ses réquisitions du 13 octobre 1979 (paragraphes 11 et 13
ci-dessus).
17. Le lendemain, la cour d'assises indiqua derechef que M. Colak
pouvait aussi être condamné pour coups et blessures graves et lui
donna l'occasion de préparer sa défense en conséquence.
L'intéressé affirme que Me Rosenberg, son défenseur, s'entretint peu
après, en dehors de la salle d'audience, avec le président de la cour
d'assises. Celui-ci aurait déclaré:
"Inutile de vous inquiéter. Le tribunal ayant signalé l'éventualité
d'une condamnation pour coups et blessures graves, vous pouvez partir
de l'idée que seule entre en ligne de compte une condamnation sur
cette base. La chambre ne changera pas d'avis; si elle le faisait,
nous vous en informerions en temps voulu."
("Sie brauchen sich keine Sorgen zu machen. Nach dem Hinweis auf die
mögliche Verurteilung wegen gefährlicher Körperverletzung können Sie
davon ausgehen, dass auch nur insoweit die Verurteilung in Betracht
kommt. Die Kammer dreht sich nicht. Sollte die Kammer sich dennoch
drehen, sagen wir Ihnen rechtzeitig Bescheid.")
Le Gouvernement conteste ces allégations.
18. A la fin des débats du 23 janvier 1981, le ministère public
estima impossible d'attribuer à M. Colak une intention homicide et
que l'état d'ébriété de celui-ci au moment de l'incident autorisait à
conclure à une responsabilité pénale atténuée. Il demanda une peine
de trois ans de prison pour coups et blessures graves.
Le défenseur avança l'hypothèse que la victime avait été blessée par
un tiers. Si toutefois il s'agissait réellement du requérant, sa
responsabilité pénale se trouvait diminuée et il méritait au maximum
une condamnation pour ivresse (article 330a du code pénal).
19. A l'audience du 10 février 1981, la cour d'assises, se fondant
en grande partie sur le témoignage de la victime, jugea le requérant
coupable de tentative d'homicide et lui infligea cinq ans
d'emprisonnement.
D'après elle, il avait bien eu l'intention (dol éventuel) de tuer: il
en savait assez pour ne pas ignorer que l'on risquait de tuer une
personne si on la poignardait dans le haut de l'abdomen avec une lame
longue comme la main. La cour lui reconnut cependant une
responsabilité pénale fortement atténuée en raison, entre autres, de
l'alcool qu'il avait consommé.
20. Le jour même, M. Colak retourna en détention provisoire en
exécution du mandat de dépôt du 29 mai 1979 (paragraphe 10 ci-dessus).
Il s'en plaignit à la cour d'appel de Francfort qui rejeta son recours
le 6 mars 1981, notamment par les motifs ci-après:
"Pendant les procédures menées jusqu'ici, l'accusé a probablement
supputé que les conséquences juridiques probables seraient moins
graves que celles découlant (...) de l'arrêt de la [cour d'assises],
eu égard aux indications fournies par [elle] conformément à
l'article 265 du code de procédure pénale au cours des deux procès, à
savoir qu'une condamnation aux termes de l'article 223 a du code pénal
était également possible, et vu aussi le fait que la juridiction de
jugement avait à l'origine refusé le renvoi en jugement du chef de
tentative d'homicide (...). L'élargissement sous caution lui a
certainement été accordé parce que la [cour d'assises] considérait une
condamnation pour coups et blessures graves comme une perspective
sérieuse. Après qu'elle eut pris connaissance des preuves, son
appréciation juridique de la situation a changé."
3. La procédure de cassation (Revision)
21. Le 19 mai 1981, M. Colak se pourvut en cassation devant la
Cour fédérale de Justice. Il se plaignait entre autres de n'avoir pas
été informé, en dépit des assurances (Zusage) du président de la cour
d'assises, du revirement de celle-ci quant à la qualification
juridique des faits reprochés (paragraphe 17 ci-dessus). Il
dénonçait la violation de l'article 265 du code de procédure pénale
(paragraphe 14 ci-dessus) et de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention.
22. Le 19 juin 1981, le président de la cour d'assises déclara
(dienstliche Erklärung) ce qui suit au sujet de son prétendu entretien
avec Me Rosenberg (paragraphe 17 ci-dessus):
"Je ne me souviens plus du détail de conversations de couloir avec le
défenseur."
("Einzelheiten an Flurgespräche mit dem Verteidiger sind mir nicht
mehr in Erinnerung.")
Il réitéra cette affirmation le 4 juillet 1984, après que le requérant
eut saisi la Commission dans les termes suivants:
"Dans l'affaire précitée, je n'ai plus aucun souvenir de détails de
conversations que j'aurais eues avec le défenseur hors prétoire, qu'il
s'agisse du lieu, du moment ou du contenu."
("In der vorbezeichneten Sache kann ich mich an Einzelheiten über
Gespräche mit dem Verteidiger ausserhalb der Hauptverhandlung nach
Ort, Zeit und Inhalt nicht mehr erinnern.")
23. Le 1er décembre, le procureur fédéral (Generalbundesanwalt)
près la Cour fédérale de Justice conclut au rejet du pourvoi.
Le procès, rappela-t-il notamment, avait eu lieu sur la base d'une
accusation pour tentative d'homicide. Sans doute la cour d'assises
avait-elle mentionné l'éventualité d'une condamnation pour coups et
blessures graves, mais cela ne l'empêchait nullement de juger
l'intéressé coupable du crime que lui reprochait l'acte d'accusation.
Des "assurances" du président ne pouvaient rien y changer: il
appartenait à la cour d'assises tout entière, et à elle seule, de
déterminer, à l'issue de ses délibérations, si la première ou la
seconde des deux infractions se trouvait établie.
24. Le 10 février 1982, la Cour fédérale de Justice jugea le
pourvoi non fondé; elle constata, sans plus, qu'eu égard aux moyens
soulevés l'arrêt attaqué ne révélait aucune erreur de droit au
détriment de M. Colak.
4. Le recours à la Cour constitutionnelle fédérale
(Bundesverfassungsgericht)
25. Le 25 février 1982, le requérant saisit la Cour
constitutionnelle fédérale; il invoquait les articles 20 par. 3
(principe de l'Etat de droit) et 103 (droit d'être entendu par un
tribunal - rechtliches Gehör) de la Loi fondamentale.
Il soutenait entre autres que les assurances du président de la cour
d'assises auraient dû être considérées comme liant celle-ci. Faute de
l'avoir averti de son revirement quant à la qualification juridique
des faits, elle avait selon lui porté atteinte aux droits de la
défense, le privant ainsi d'un procès équitable.
26. Statuant en comité de trois juges, la Cour constitutionnelle
décida, le 17 mai 1982, de ne pas retenir le recours; elle l'estima
dénué de chances suffisantes de succès, par les motifs suivants:
"La recevabilité du recours inspire des doutes, le requérant n'ayant
pas précisé de quelle autre manière il aurait organisé sa défense si
on l'avait expressément informé de la possibilité d'une condamnation
pour tentative d'homicide (...), mais il n'y a pas lieu d'approfondir
la question car le recours n'offre pas de chances suffisantes de
succès quant au fond.
La procédure pénale menée contre le requérant ne prête pas à critique
sur le plan du droit constitutionnel. Le requérant ne pouvait tabler
sur l'absence de condamnation pour tentative d'homicide. Ne l'y
autorisaient ni la circonstance que le tribunal régional avait d'abord
nié l'existence de motifs suffisants de le soupçonner d'avoir eu
l'intention de tuer et avait pour cette raison refusé de renvoyer
l'affaire à la cour d'assises, ni l'indication qu'une condamnation
pour coups et blessures graves entrait en ligne de compte à la place
d'une condamnation pour tentative d'homicide, ni les réquisitions
orales du ministère public tendant à une condamnation pour coups et
blessures graves. A la lumière de l'acte d'accusation pour tentative
d'homicide, tel que l'avait retenu la cour d'appel, le requérant
devait bien plutôt envisager, dans sa défense, l'éventualité de
pareille condamnation.
Il ne saurait en aller différemment même s'il était exact, comme le
prétend le requérant, que le président du tribunal assura le
défenseur, en dehors du prétoire, qu'il pouvait partir de l'idée que
la cour d'assises envisageait une simple condamnation pour coups et
blessures graves, et que dans le cas contraire il l'en aviserait en
temps utile. On ne pourrait avoir égard à 'un rapport de confiance'
(Vertrauenstatbestand) créé par un tribunal que s'il s'agissait d'une
déclaration faite soit à l'audience ou, sinon, au nom de l'ensemble du
tribunal à l'attention de toutes les parties. Or le requérant
n'avance rien de tel. Il se borne à mentionner une conversation
officieuse entre son avocat et le président du tribunal, au cours de
laquelle ce dernier aurait révélé une appréciation provisoire des
données de fait et de droit par la chambre criminelle, mais sans
donner à penser que celle-ci l'y eût habilité. Une promesse officieuse
de ce genre, le droit de la procédure pénale n'en prévoit pas. Elle
est impropre à créer un 'rapport de confiance' dont le droit du
requérant à un procès pénal équitable commanderait le respect, à moins
d'une confirmation officielle par le tribunal, que le défenseur aurait
dû solliciter pour bien s'acquitter de son mandat s'il voulait ajuster
son argumentation en conséquence.
Il ne s'impose donc pas de recueillir des éléments de preuve sur
l'allégation du requérant, dont l'exactitude peut éventuellement
s'inférer de la déclaration officielle du président de la chambre
criminelle au cours de l'instance en cassation. Que dans les
circonstances de la cause le non-respect des 'assurances', voire ces
assurances non autorisées elles-mêmes, soient sujets à caution au
regard du droit disciplinaire, ne suffit pas à établir une violation
de la Constitution dans la procédure pénale dirigée contre le
requérant."
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
27. Dans sa requête du 7 juin 1982 à la Commission (n° 9999/82),
M. Colak se plaignait de la procédure ayant conduit à sa condamnation;
d'après lui, elle avait méconnu l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention.
La Commission a déclaré la requête recevable le 9 décembre 1985.
Dans son rapport du 6 octobre 1987 (article 31) (art. 31), elle
arrive, par dix voix contre deux, à la conclusion qu'il n'y a pas eu
violation de cet article (art. 6-1). Le texte intégral de son avis et de
l'opinion séparée dont il s'accompagne figure en annexe au présent
arrêt.
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR
28. A l'audience du 25 octobre 1988, le Gouvernement a prié la
Cour de "constater que l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention
n'est pas violé".
EN DROIT
29. Le requérant prétend ne pas avoir bénéficié d'un procès
équitable: il aurait été condamné, sans avertissement, pour tentative
d'homicide, en dépit des assurances que son conseil aurait reçues du
président de la cour d'assises et sur lesquelles il avait axé sa
défense. Il en résulterait un manquement aux exigences de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1), aux termes duquel
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement
(...) par un tribunal (...) qui décidera (...) du bien-fondé de toute
accusation en matière pénale dirigée contre elle (...)".
Le Gouvernement conteste que le président de la cour d'assises se soit
entretenu de l'affaire avec l'avocat de l'accusé en dehors du
prétoire. Quand bien même une telle conversation aurait eu lieu, elle
ne saurait avoir revêtu la portée que lui prête M. Colak. En aucun
cas l'article 6 par. 1 (art. 6-1) ne se trouverait enfreint.
La Commission conclut elle aussi à l'absence de violation. Cinq de
ses membres se fondent sur le manque de preuves de l'entretien
litigieux; cinq autres estiment qu'au demeurant l'intéressé ne
pouvait légitimement s'attendre à voir la cour d'assises le juger,
sans plus, pour coups et blessures graves.
30. La Cour constate d'abord l'impossibilité d'établir avec
certitude l'existence de la conversation alléguée par le requérant.
Ni les déclarations officielles du président de la cour d'assises, des
19 juin 1981 et 4 juillet 1984 (paragraphe 22 ci-dessus), ni aucun
autre élément du dossier ne lui fournissent de quoi trancher ce point
de fait controversé. Toutefois, le libellé desdites déclarations
n'exclut pas que le président ait eu avec Me Rosenberg, en dehors de
la salle d'audience, un entretien relatif à la qualification juridique
des actes reprochés à M. Colak; la Cour constitutionnelle fédérale a
du reste mentionné cette hypothèse dans son arrêt du 17 mai 1982
(paragraphe 26 ci-dessus). Cependant, même alors la Cour ne
disposerait d'aucun moyen de connaître la nature exacte des propos
échangés.
31. A supposer qu'il se soit exprimé de la manière relatée par
Me Rosenberg, le président de la cour d'assises ne pouvait parler au
nom de ses collègues.
Aux termes des réquisitions écrites lues à l'ouverture des débats
devant la cour d'assises (paragraphe 16 ci-dessus), M. Colak se voyait
accusé de tentative d'homicide. A l'audience du 16 janvier 1981, la
cour n'écarta point l'éventualité d'une condamnation de ce chef: elle
précisa seulement, comme la loi l'y obligeait eu égard aux
circonstances de la cause, que l'infliction d'une peine pour coups et
blessures graves se concevait elle aussi (paragraphes 14 et 17
ci-dessus). Ni à ce moment ni à aucun autre, elle ne laissa entendre
qu'elle ne songeait plus à statuer sur l'incrimination de tentative
d'homicide.
Or le conseil de M. Colak savait que la cour d'assises se prononcerait
après en avoir délibéré, en se fondant uniquement sur les données
discutées pendant les audiences. Partant, il aurait dû s'assurer que
les appréciations attribuées au président reflétaient bien celles de
la cour elle-même; il lui était loisible d'en demander la
confirmation officielle.
32. La Cour conclut donc à l'absence de violation de
l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1).
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au
Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg, le 6 décembre 1988.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Marc-André EISSEN
Greffier
Textes cités dans la décision