CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE KATTE KLITSCHE DE LA GRANGE c. ITALIE, 27 octobre 1994, 12539/86
Chronologie de l’affaire
Sur la décision
Référence : | CEDH, Cour (Chambre), 27 oct. 1994, n° 12539/86 |
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Numéro(s) : | 12539/86 |
Publication : | A293-B |
Type de document : | Arrêt |
Niveau d’importance : | Importance moyenne |
Opinion(s) séparée(s) : | Non |
Conclusions : | Exception préliminaire rejetée (Article 35-1 - Epuisement des voies de recours internes) ; Non-violation de l'article 6 - Droit à un procès équitable (Article 6 - Procédure civile ; Article 6-1 - Délai raisonnable) ; Non-violation de l'article 1 du Protocole n° 1 - Protection de la propriété (article 1 al. 1 du Protocole n° 1 - Privation de propriété) |
Identifiant HUDOC : | 001-62448 |
Identifiant européen : | ECLI:CE:ECHR:1994:1027JUD001253986 |
Sur les parties
- Juges : C. Russo, John Freeland, N. Valticos, R. Pekkanen
Texte intégral
En l'affaire Katte Klitsche de la Grange c. Italie*,
La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée,
conformément à l'article 43 (art. 43) de la Convention de sauvegarde
des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales ("la Convention")
et aux clauses pertinentes de son règlement A**, en une chambre
composée des juges dont le nom suit:
MM. R. Ryssdal, président,
F. Gölcüklü,
C. Russo,
R. Pekkanen,
A.N. Loizou,
J.M. Morenilla,
F. Bigi,
Sir John Freeland,
M. J. Makarczyk,
ainsi que de M. H. Petzold, greffier f.f.,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 21 avril et
19 septembre 1994,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date:
_______________
Notes du greffier
* L'affaire porte le n° 21/1993/416/495. Les deux premiers chiffres
en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la
place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur
celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.
** Le règlement A s'applique à toutes les affaires déférées à la Cour
avant l'entrée en vigueur du Protocole n° 9 (P9) et, depuis celle-ci,
aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole
(P9). Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983
et amendé à plusieurs reprises depuis lors.
_______________
PROCEDURE
1. L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne
des Droits de l'Homme ("la Commission") le 12 juillet 1993, puis par
le gouvernement de la République italienne ("le Gouvernement") le
27 juillet 1993, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les
articles 32 par. 1 et 47 (art. 32-1, art. 47) de la Convention. A son
origine se trouve une requête (n° 12539/86) dirigée contre l'Italie et
dont un ressortissant de cet Etat, M. Adolfo Katte Klitsche de la
Grange, avait saisi la Commission le 10 novembre 1986 en vertu de
l'article 25 (art. 25).
La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48
(art. 44, art. 48) ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant
la juridiction obligatoire de la Cour (article 46) (art. 46), la
requête du Gouvernement aux articles 45, 47 et 48 (art. 45, art. 47,
art. 48). Elles ont pour objet d'obtenir une décision sur le point de
savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat
défendeur aux exigences des articles 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention et 1 du Protocole n° 1 (P1-1).
2. En réponse à l'invitation prévue à l'article 33 par. 3 d) du
règlement A, la veuve et les deux fils de M. Katte Klitsche de la
Grange, décédé le 31 décembre 1989, ont manifesté le souhait de voir
la procédure se poursuivre - comme déjà devant la Commission - et d'y
participer en se faisant représenter par l'avocat qu'ils avaient nommé
(article 30). Pour des raisons d'ordre pratique, le présent arrêt
continuera d'appeler M. Katte Klitsche de la Grange le "requérant" bien
qu'il faille aujourd'hui attribuer cette qualité à Mme Cocchi et à ses
deux fils (voir notamment, mutatis mutandis, l'arrêt Raimondo c. Italie
du 22 février 1994, série A n° 281-A, pp. 1-2, par. 2).
3. La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo,
juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention)
(art. 43), et M. R. Ryssdal, président de la Cour (article 21
par. 3 b) du règlement A). Le 25 août 1993, celui-ci a tiré au sort
le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Gölcüklü,
M. N. Valticos, M. A.N. Loizou, M. J.M. Morenilla, M. F. Bigi,
Sir John Freeland et M. J. Makarczyk, en présence du greffier
(articles 43 in fine de la Convention et 21 par. 4 du règlement A)
(art. 43). Ultérieurement, M. R. Pekkanen, suppléant, a remplacé
M. Valticos, empêché (articles 22 par. 1 et 24 par. 1 du règlement A).
4. En sa qualité de président de la chambre (article 21 par. 5
du règlement A), M. Ryssdal a consulté, par l'intermédiaire du
greffier, l'agent du Gouvernement, l'avocat du requérant et le délégué
de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure
(articles 37 par. 1 et 38). Conformément à l'ordonnance rendue en
conséquence, le greffier a reçu les 11 et 20 janvier 1994 les mémoires
du requérant et du Gouvernement. Par une lettre du 21 mars 1994, le
secrétaire de la Commission l'a informé que le délégué s'exprimerait
de vive voix.
5. Le 19 novembre 1993, la Commission avait produit le dossier
de la procédure suivie devant elle; le greffier l'y avait invitée sur
les instructions du président.
6. Ainsi qu'en avait décidé ce dernier - qui avait autorisé le
conseil du requérant à employer la langue italienne (article 27
par. 3 du règlement A) -, les débats se sont déroulés en public
le 18 avril 1994, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La
Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.
Ont comparu:
- pour le Gouvernement
M. G. Raimondi, magistrat détaché au service du
contentieux diplomatique du ministère
des Affaires étrangères, coagent,
Me M.A. Lorizio, avocate, conseil,
M. L. Annibali, secrétaire de la mairie de Tolfa, conseiller;
- pour la Commission
M. B. Marxer, délégué;
- pour le requérant
Me R. Scarpa, avocat, conseil,
MM. M. Valentini, avoué,
N. Katte Klitsche de la Grange, conseillers.
La Cour a entendu en leurs déclarations et plaidoiries
M. Raimondi et Me Lorizio, M. Marxer et Me Scarpa, ainsi que
Mes Lorizio et Scarpa en leurs réponses à ses questions.
EN FAIT
I. Les circonstances de l'espèce
7. Avocat, M. Adolfo Katte Klitsche de la Grange habitait Rome
jusqu'à son décès, le 31 décembre 1989.
Il possédait une grande partie du parc de Cibona, situé sur
le territoire des communes d'Allumiere et de Tolfa (province de Rome).
La présente affaire ne concerne que les terrains situés dans cette
dernière, à savoir 68,87 hectares de forêt, de terres agricoles et
"stériles" et de prairies.
8. Le 9 juillet 1966, le conseil municipal de Tolfa approuva, à
l'unanimité, un projet de lotissement dudit parc, présenté par le
requérant, ainsi que le texte d'une convention destinée à régler,
notamment, la répartition des charges financières pour la réalisation
des infrastructures nécessaires à l'opération.
9. Le 18 novembre 1967, la Commission permanente pour
l'agriculture, les forêts et l'économie de montagne de la Chambre de
commerce de Rome autorisa le lotissement pour une superficie de
16 hectares en se réservant d'examiner une autre demande dès lors
qu'elle porterait sur tout le reste de la propriété. Le 15 mars 1968,
le ministère des Travaux publics informa la commune qu'il n'entendait
pas soulever d'objections à l'encontre de la proposition de convention.
10. Signée le 10 mai 1968, la convention exigeait "l'approbation
de l'autorité forestière pour la partie boisée restante des fonds de
l'intéressé" et "le respect des limitations découlant de toute autre
disposition législative qui devait être considérée intégralement
transcrite". Cette dernière réserve se référait notamment "à la loi
d'urbanisme [n° 1150 du 17 août 1942] et à ses modifications et ajouts
successifs", y compris la loi n° 765 du 6 août 1967 et l'arrêté
(decreto) du ministre des Travaux publics du 2 avril 1968, ainsi qu'aux
"lois en matière de protection des sites naturels et historiques".
M. de la Grange était en outre tenu d'accepter tout
"changement de la convention requis par la loi ou par des motifs
raisonnables et non controuvés d'intérêt public".
11. Le requérant entama alors la réalisation des infrastructures
nécessaires au lotissement (routes, recherche et adduction d'eau
potable, raccordement électrique, pose d'une ligne téléphonique,
égouts, etc.) et la transformation du bois de taillis en bois d'arbres
de haut fût.
De nombreuses parcelles du parc furent vendues - 130 sur
les 202 qu'il comptait - et les autorités compétentes accordèrent,
entre 1968 et 1976, 61 permis de construire, dont 3 à M. de la Grange.
12. Le 28 juin 1969, le conseil municipal de Tolfa adopta son plan
d'occupation des sols (le "POS"), qui excluait une partie des biens du
requérant de la zone dénommée RE1, destinée à la "construction
résidentielle".
13. Le 23 septembre 1974, M. de la Grange demanda au conseil
régional du Latium de corriger les planimétries annexées au POS en y
intégrant tous les terrains couverts par la convention de 1968. Le
conseil refusa le 18 juillet 1975. Dans sa décision, publiée le
20 octobre 1975, il précisait que rien n'empêcherait la commune de
Tolfa de prendre en considération une requête similaire lors de
l'adoption d'une variante éventuelle audit plan.
A. Les procédures devant les juridictions administratives
1. La procédure au fond
14. Le 14 février 1976, arguant du défaut de motifs d'intérêt
public justifiant les nouveaux choix de l'administration locale par
rapport à la convention de 1968, M. de la Grange s'adressa au tribunal
administratif régional (le "TAR") du Latium qui, le 14 juillet 1976,
annula le plan pour autant qu'il concernait la propriété du requérant.
15. Saisi par la commune de Tolfa, le Conseil d'Etat confirma le
jugement attaqué par un arrêt du 14 février 1978. La convention de
lotissement était valable aux termes de la législation en vigueur et
revêtait donc un caractère contraignant pour la commune. Celle-ci
gardait certes, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en
matière d'urbanisme, le droit de changer en tout ou en partie le POS,
mais elle était tenue de spécifier les motifs qui l'avaient amenée à
modifier ses choix antérieurs, choix qui avaient eu pour conséquence
de "consolider des positions juridiques dans le chef de personnes
privées". Or le plan litigieux était dépourvu d'une motivation idoine.
Les planimétries ne furent pas corrigées.
16. Le 15 mai 1979, en application de la loi régionale n° 43 du
2 septembre 1974 portant "Mesures pour la protection et le
développement du patrimoine boisé", le conseil régional du Latium
classa le parc de Cibona parmi les sites à protéger, interdisant
notamment la chasse et la pêche, la coupe d'arbres, l'ouverture de
carrières ainsi que toute construction.
17. Le 12 février 1980, M. de la Grange et certains des
propriétaires des terrains concernés par la décision susmentionnée en
demandèrent l'annulation au TAR. Par un jugement du 19 janvier 1983,
déposé au greffe le 2 février 1983, cet organe déclara le recours
irrecevable par défaut d'intérêt: la décision contestée ne portait pas
atteinte à la situation des propriétaires des terrains réputés boisés,
puisqu'elle ne définissait pas précisément les parcelles visées; un
préjudice ne pouvait découler pour les demandeurs que de mesures
complémentaires refusant d'autoriser une certaine utilisation des fonds
en raison des limitations prévues par la loi et après vérification de
leurs caractéristiques. L'intéressé ne se pourvut pas contre cette
décision devant le Conseil d'Etat.
2. La procédure tendant à l'exécution du jugement du
tribunal administratif régional du 14 juillet 1976
18. Le 14 juillet 1984, M. de la Grange saisit à nouveau le TAR.
Il demandait que la commune de Tolfa fût "obligée de conformer à la
convention de 1968 les planimétries annexées au POS (...), et de
délivrer les permis de construire sur lesquels elle ne s'était pas
encore prononcée". Il exigeait en outre la nomination d'un commissaire
ad acta en cas de non-exécution du jugement du 14 juillet 1976.
19. Le 28 novembre 1984, le tribunal déclara la requête
"irrecevable par défaut d'intérêt": sa décision de 1976 était
automatiquement exécutoire et avait rétabli "la situation juridique
(...) antérieure à l'acte annulé"; l'administration défenderesse
n'était donc pas tenue de corriger des documents qui n'avaient plus de
valeur normative.
Il précisa que la question relative aux permis de construire
"n'était pas couverte par le jugement susmentionné", de sorte qu'il
incombait au requérant d'entamer une autre procédure pour obtenir une
réponse à ce sujet.
20. Saisi par l'intéressé, le Conseil d'Etat confirma la décision
du TAR le 25 février 1986.
B. La procédure devant les juridictions civiles
21. Le 9 mai 1978, M. de la Grange avait assigné la commune de
Tolfa et la région Latium devant le tribunal de Rome. En ordre
principal, il sollicitait la réparation des dommages résultant de ce
qu'un acte illégal - le POS de 1969 - l'avait injustement privé du
droit de bâtir sur une partie du parc de Cibona. A titre subsidiaire,
il soutenait que, en supprimant également son droit de vendre les lots
prévus, les mesures litigieuses constituaient une expropriation de fait
et par conséquent indemnisable.
22. Les défenderesses plaidèrent l'incompétence des juridictions
civiles, le demandeur pouvant se prétendre titulaire non d'un "droit"
mais d'un simple "intérêt légitime" dont l'examen est réservé aux juges
administratifs.
23. Saisie par le requérant, le 12 septembre 1979, de la question
préjudicielle de compétence, la Cour de cassation rendit son arrêt le
29 janvier 1981; le texte fut déposé au greffe le 7 mai. Elle jugea
que "même en présence d'une convention de lotissement, la
réglementation du droit de bâtir n'affectait pas un droit du
propriétaire, mais seulement un intérêt légitime de ce dernier". Les
juridictions civiles ne pouvaient donc examiner la demande de
l'intéressé qu'à une condition: affirmer que l'interdiction absolue de
construire frappant ses terrains avait vidé de toute substance le droit
de propriété et constituait une expropriation de fait ouvrant droit à
indemnisation.
24. Le 7 juillet 1981, M. de la Grange reprit l'instance devant
le tribunal de Rome qui le débouta le 1er mars 1982. Son appel, du
15 juin 1982, et son pourvoi en cassation, du 21 décembre 1984,
échouèrent les 4 juillet 1984 et 11 novembre 1985, respectivement.
Dans son arrêt déposé le 13 mai 1986, la Cour de cassation
rappela que les décisions de l'administration en matière d'urbanisme
et de permis de construire n'affectaient pas des "droits" mais
seulement des "intérêts légitimes" des propriétaires des terrains
concernés. Hormis le cas où de tels actes pouvaient anéantir la
"valeur économique d'usage ou d'échange d'un bien", les limitations au
droit de propriété qui en découlaient ne pouvaient s'analyser en une
expropriation et donner lieu à indemnisation.
En l'espèce, la suppression totale du droit de bâtir résultant
du POS avait dès le début une portée limitée dans le temps,
conformément aux articles 7 et 40 de la loi d'urbanisme, tels que
modifiés par la loi n° 1187 du 19 novembre 1968 (paragraphe 30
ci-dessous). Par conséquent, le requérant n'avait subi aucune
expropriation de facto et ne pouvait prétendre à aucune indemnité, pour
atteinte à un "droit".
Quant à l'interdiction de construire découlant de la
délibération du conseil régional du Latium du 15 mai 1979
(paragraphe 16 ci-dessus), elle ne pouvait donner lieu à une indemnité
pour expropriation. Elle touchait en effet une catégorie de biens
- une zone boisée ayant un intérêt particulier en raison de sa
végétation - dont la propriété subit des limitations intrinsèques et
qui est censée n'avoir jamais comporté un droit de bâtir.
II. Le droit interne pertinent
A. La jurisprudence relative à la réglementation du droit de
bâtir
25. L'arrêt rendu par la Cour de cassation dans la présente
affaire le 11 novembre 1985 (Il Foro Italiano - "Foro It." -
n° 3169/86, 1986, I, col. 3022) résume les principes, posés par sa
jurisprudence et celle de la Cour constitutionnelle, s'appliquant en
matière de réglementation du droit de bâtir.
Il rappelle tout d'abord "que selon une jurisprudence bien
établie (Cour de cassation n° 2951/81 [29 janvier 1981 - paragraphe 23
ci-dessus]), les propriétaires de terrains sont ab origine titulaires
d'un simple intérêt légitime, face au pouvoir de l'administration
d'utiliser le territoire à des fins de construction et d'urbanisme".
La situation du particulier ne peut jamais s'élever au point
de le rendre titulaire d'un droit subjectif sous l'angle de l'atteinte
alléguée au droit de propriété comme droit de vendre (jus vendendi) et
comme droit de bâtir (jus aedificandi). Par conséquent, la "réduction
de l'un ou de l'autre" résultant de l'imposition par l'administration
de limitations ou d'interdictions, n'ouvre jamais droit à réparation.
Certes, le propriétaire peut subir des dommages parfois même
importants, mais ceux-ci ne sauraient être indemnisés car il appartient
à l'Etat d'harmoniser le droit de construire des particuliers avec
l'intérêt général à un développement ordonné du territoire.
26. La Cour constitutionnelle, elle, a créé une forme de
protection de l'individu à l'égard des restrictions qui, y compris dans
le domaine de l'urbanisme, vident de toute substance le droit de
propriété, du moins pour la "faculté de bâtir"
L'administration garde le pouvoir d'imposer des limitations
jugées utiles, mais quand le droit de propriété se trouve anéanti, il
y a place pour l'application du troisième alinéa de l'article 42 de la
Constitution, qui prévoit une obligation d'indemnisation en cas
d'expropriation.
Les points saillants en la matière sont les suivants:
a) La loi détermine les catégories de biens susceptibles de
relever de la propriété privée et celles qui ne le sont pas (Cour
constitutionnelle, arrêt n° 55/68, Foro It. 1968, I, col. 1361). Dans
ce dernier cas, les propriétaires concernés peuvent ne pas être
indemnisés ou dédommagés.
b) Tout en admettant la propriété privée de certains biens, la
loi peut restreindre l'usage de ceux-ci "afin d'en assurer la fonction
sociale". Elle peut donc prévoir une interdiction totale de
construire. Elle peut aussi limiter de façon importante la jouissance
et même la vente de certains biens, par exemple les oeuvres d'art.
Aucune indemnisation n'est prévue pour le particulier dont les biens
ont été touchés (Cour constitutionnelle, arrêts n°s 56/68, Foro It.
1968, I, col. 1361, 202/74, Foro It. 1974, I, col. 2245, et 245/76,
Foro It. 1977, I, col. 581).
c) La loi admet l'expropriation à la double condition qu'elle
soit justifiée par un motif d'intérêt général et que l'exproprié soit
indemnisé.
d) Si, à la suite d'un acte administratif visant un bien
déterminé, l'intéressé garde la propriété mais avec des restrictions
telles que la valeur économique, d'usage ou d'échange, dudit bien est
pratiquement réduite à néant, on parle d'"expropriation de valeur"
(espropriazione di valore). Celle-ci ouvre droit à une indemnisation.
Cette hypothèse se réalise lorsque la limitation est très
grave - interdiction absolue - et qu'elle est prévue pour une période
indéterminée ou se prolonge au-delà des limites raisonnables.
En revanche, il n'y a pas de dommage indemnisable lorsque la
restriction est à durée illimitée mais n'a pas une incidence aussi
profonde sur le droit en question, ou encore est appelée à disparaître
dans un délai raisonnable, même si elle est qualitativement très
sévère.
27. Dans son arrêt du 29 janvier 1981 concernant le conflit de
juridiction soulevé par M. de la Grange (paragraphe 23 ci-dessus), la
Cour de cassation a déclaré ce qui suit: d'abord, le requérant ne
pouvait se prévaloir d'aucun droit à réparation pour les dommages
prétendument subis du fait de l'atteinte à son droit de propriété dans
ses deux aspects du "jus aedificandi" et du "jus vendendi" par suite
de l'illégalité du POS litigieux; ensuite, dans la mesure où
M. de la Grange faisait valoir que ledit plan avait eu pour effet de
vider de tout contenu son droit de propriété et constituait une
"expropriation de valeur", il appartenait aux juridictions ordinaires
de statuer sur le point en question et de fixer, le cas échéant, le
montant de l'indemnité à accorder.
28. Statuant au fond le 11 novembre 1985 (paragraphe 24
ci-dessus), la Cour suprême estima qu'en l'espèce on se trouvait bel
et bien devant une interdiction absolue de bâtir. Toutefois elle
constata que le POS avait une validité limitée dans le temps,
conformément à la loi n° 1187 du 19 novembre 1968 (paragraphe 30
ci-dessous), de sorte que les restrictions y relatives étaient
forcément temporaires et que leur durée apparaissait raisonnable. Par
conséquent, les deux conditions nécessaires pour que l'on pût parler
d'"expropriation de valeur" ne se trouvaient pas réunies, et le
requérant ne pouvait prétendre de ce chef à une indemnité.
B. La loi d'urbanisme
29. La loi n° 1150 du 17 août 1942 réglemente le développement
urbanistique du territoire. De nombreux amendements, dont les plus
pertinents concernent la durée des POS, y ont été apportés.
30. Dans ce contexte, la Cour constitutionnelle a constaté, dans
son arrêt n° 56 du 29 mai 1968, l'inconstitutionnalité de certaines
dispositions de ladite loi en ce qu'elles ne prévoyaient aucune
indemnisation pour les limitations aux biens ayant un effet immédiat,
présentant une durée indéterminée et revêtant un caractère
d'expropriation.
Modifiés par la loi n° 1187 du 19 novembre 1968, les
articles 7 et 40 de la loi d'urbanisme se lisent ainsi:
Article 7
"Les dispositions du plan d'occupation des sols qui
touchent des terrains donnés ou qui assujettissent ces mêmes
biens à des limitations comportant l'interdiction de bâtir,
perdent leur efficacité si, dans un délai de cinq ans de
l'adoption, les plans détaillés ou les conventions de
lotissement n'ont pas été approuvés."
Article 40
"Aucune indemnisation n'est prévue pour les limitations et
les interdictions découlant des plans d'occupation des sols
(...)"
31. En ce qui concerne le régime des autorisations forestières,
il y a lieu de citer l'article 14 du décret royal du 16 mai 1926, aux
termes duquel:
"Les demandes visant la levée des limitations
hydrogéologiques doivent être présentées aux chambres de
commerce par l'intermédiaire des maires des communes
intéressées.
Après en avoir assuré la publication pendant 30 jours dans
les registres municipaux, les maires les communiquent
auxdites chambres (...)"
PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION
32. M. de la Grange a saisi la Commission le 10 novembre 1986.
Il se plaignait: a) d'une atteinte à ses biens causée par
l'interdiction de construire qui frappa ses terrains et de l'absence
de réparation des dommages qu'il aurait subis (article 1 du Protocole
n° 1) (P1-1); b) d'une discrimination par rapport aux propriétaires de
fonds de nature différente ou autrement situés (articles 14 de la
Convention et 1 du Protocole n° 1, combinés) (art. 14+P1-1); c) d'une
violation de son droit à un procès équitable résultant de la
non-exécution de l'arrêt du Conseil d'Etat ainsi que de la durée des
procédures engagées devant les juridictions administratives et civiles
(article 6 par. 1 de la Convention) (art. 6-1); d) de ce que les
limitations imposées à son droit de propriété ne visaient pas l'intérêt
général et le pénalisaient sans raison (article 18 de la Convention)
(art. 18).
33. Le 20 octobre 1992, la Commission a retenu la requête
(n° 12539/86) quant au premier grief et à la deuxième partie du
troisième; elle l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du
6 avril 1993 (article 31) (art. 31), elle conclut qu'il y a eu
violation de l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) (huit voix contre
trois), à raison de l'absence de réparation des dommages résultant de
l'interdiction de bâtir qui frappa les terrains du requérant jusqu'au
14 février 1978 et produisit ses effets jusqu'au 15 mai 1979, ainsi que
de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention quant à la durée de
la procédure civile engagée devant le tribunal de Rome le 9 mai 1978
(unanimité). Le texte intégral de son avis et de l'opinion dissidente
dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt*.
_______________
* Note du greffier: pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera
que dans l'édition imprimée (volume 293-B de la série A des
publications de la Cour), mais chacun peut se le procurer auprès du
greffe.
_______________
CONCLUSIONS PRESENTEES A LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT
34. Dans son mémoire du 20 janvier 1994, le Gouvernement a prié
la Cour
"de bien vouloir dire et juger que le grief tiré de
l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) est irrecevable et qu'il
n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la
Convention ou, subsidiairement, qu'il n'y a pas eu
méconnaissance de ces deux dispositions".
EN DROIT
I. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 1 DU PROTOCOLE N° 1
(P1-1)
35. M. de la Grange se plaint d'abord de l'interdiction de
construire qui a grevé ses biens et qui n'a donné lieu à aucune
indemnisation. Il se prétend victime d'une violation de l'article 1
du Protocole n° 1 (P1-1), ainsi libellé:
"Toute personne physique ou morale a droit au respect de
ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour
cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par
la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au
droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois
qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens
conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement
des impôts ou d'autres contributions ou des amendes."
A. Sur l'exception préliminaire du Gouvernement
36. Le Gouvernement soulève, comme déjà devant la Commission, une
exception d'irrecevabilité tirée du non-épuisement des voies de recours
internes. Il se fonde sur l'article 31, alinéas 5 et 6, de la loi
d'urbanisme, selon lequel "les décisions du maire relatives aux
demandes de permis de construire doivent être notifiées aux intéressés
dans les soixante jours de leur réception. Si le maire ne s'est pas
prononcé dans ledit délai, le particulier a le droit de [saisir les
juridictions administratives] contre le silence-refus".
M. de la Grange aurait donc négligé ce recours qui, s'il avait été
accueilli pour un seul lot, aurait obligé la commune de Tolfa à se
conformer, pour l'ensemble des terrains en question, à la décision
judiciaire.
37. La Cour rappelle d'abord que l'article 26 (art. 26) de la
Convention n'exige l'épuisement que des recours accessibles, adéquats
et relatifs aux violations incriminées (voir, entre autres, l'arrêt
Brozicek c. Italie du 19 décembre 1989, série A n° 167, p. 16,
par. 32).
Or, si les deux premières conditions paraissent réunies en
l'espèce, il n'en va pas de même de la dernière. Avec la Commission
et l'intéressé, la Cour note que celui-ci se plaint non pas de ce que
la commune de Tolfa aurait refusé de lui octroyer des permis de
construire, mais bien des restrictions à l'exercice du droit de
propriété par le plan d'occupation des sols (le "POS") de 1969. La
voie de recours invoquée par le Gouvernement ne saurait donc entrer en
ligne de compte. Par conséquent, l'exception se révèle non fondée.
B. Sur le bien-fondé du grief
1. Sur l'existence d'une ingérence
38. Le Gouvernement conteste qu'il y ait eu ingérence dans le
droit de propriété de M. de la Grange. Bien qu'ayant annulé le POS
litigieux pour défaut de motifs, les arrêts du tribunal administratif
régional (le "TAR") du Latium et du Conseil d'Etat (de 1976 et 1978
respectivement) ne reconnaîtraient aucun droit de bâtir à l'intéressé.
Au demeurant, celui-ci aurait pu se prévaloir dès 1976 de la convention
de 1968 et demander les permis de construire à la municipalité de Tolfa
(paragraphe 36 ci-dessus).
39. Le requérant marque son désaccord.
40. La Cour admet, à l'instar de la Commission, que la conclusion
d'une convention du genre de celle dont il s'agit, entre un particulier
et l'administration, n'a pas d'incidence sur les pouvoirs de cette
dernière en matière d'urbanisme. Elle estime en outre que la seule
approbation du POS suffisait à limiter l'exercice par M. de la Grange
de son droit au respect de ses biens.
Avec le Gouvernement et la Commission, elle note que le litige
relève de la première phrase du premier alinéa de l'article 1 (P1-1),
car il ne s'agit ni d'une expropriation au sens de la seconde phrase
dudit alinéa ni d'une réglementation de l'usage des biens, au regard
du second.
Bref, il y a eu ingérence dans le droit de propriété de
l'intéressé.
2. Sur la justification de l'ingérence
41. Reste à savoir si ladite ingérence a enfreint l'article 1 du
Protocole n° 1 (P1-1).
42. Il y a lieu de rechercher si un juste équilibre a été maintenu
entre les exigences de l'intérêt général et les impératifs de
sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu (voir notamment
l'arrêt Sporrong et Lönnroth c. Suède du 23 septembre 1982, série A
n° 52, p. 26, par. 69).
43. M. de la Grange ne conteste pas que les restrictions imposées
légalement et pour une durée limitée par le POS n'ouvrent aucun droit
à indemnisation. Il prétend en revanche que, même si les juges
administratifs annulèrent le plan litigieux, les autorités municipales
ont toujours omis de corriger les planimétries concernant le parc de
Cibona. L'interdiction totale de bâtir continuerait donc à produire
ses effets négatifs en lui causant un préjudice énorme du fait que des
lots non susceptibles d'être construits ne trouveraient pas acquéreur.
Ainsi que l'illustrent divers courriers, des sociétés et particuliers,
intéressés par ses terrains, se seraient désistés en raison de la
prohibition planant sur ses biens. Cette situation pourrait se
comparer à une expropriation de fait, voire même à une confiscation "au
bénéfice de la collectivité", pour laquelle il devrait être indemnisé.
En ce qui concerne la réalisation du lotissement, il aurait
incombé au maire de Tolfa de demander à la Commission permanente pour
l'agriculture, les forêts et l'économie de montagne les autorisations
nécessaires.
Par conséquent, une violation des obligations découlant de la
convention de 1968, si elle avait eu lieu, serait entièrement imputable
à l'Etat défendeur.
44. La Commission, elle, se demande dans quelle mesure, en
adoptant à treize mois d'intervalle (10 mai 1968 - 28 juin 1969) la
convention de lotissement et le POS, la municipalité de Tolfa n'a pas
dépassé les limites de son pouvoir discrétionnaire. Compte tenu de ce
que l'interdiction de construire a déployé ses effets même après
l'annulation du POS et que le droit interne ne prévoit pas
d'indemnisation, l'ingérence dans le droit de propriété de l'intéressé
enfreindrait l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1).
45. La Cour ne partage pas cette opinion.
Tout d'abord, elle note que le TAR a, dans le cadre de la
procédure d'exécution de son arrêt du 14 juillet 1976 annulant le plan
en question (paragraphe 19 ci-dessus), déclaré irrecevable par défaut
d'intérêt la demande de M. de la Grange: ladite décision était
automatiquement exécutoire et avait eu pour effet de rétablir la
situation juridique antérieure au POS. Tolfa n'était donc pas tenue
de corriger les planimétries annexées audit plan puisqu'elles n'avaient
plus de valeur normative (ibidem).
46. La convention de lotissement était donc à nouveau en vigueur
et le requérant aurait pu exiger de la Commission permanente pour
l'agriculture, les forêts et l'économie de montagne les autorisations
nécessaires à la poursuite de l'opération immobilière car la commune
n'avait pas demandé, dans son acte d'appel au Conseil d'Etat, un sursis
à exécution.
Il faut aussi considérer que, d'après l'article 14 du décret
royal de 1926, il appartient aux particuliers d'activer la procédure
visant l'octroi desdites autorisations (paragraphe 31 ci-dessus).
L'intéressé aurait eu tout le loisir d'agir de la sorte dès
l'annulation du plan par le TAR, le 14 juillet 1976, mais il ne l'a pas
fait.
La Cour ignore les raisons du comportement de M. de la Grange,
mais ne saurait accepter l'explication du Gouvernement selon laquelle
le requérant aurait continué à déboiser en dépassant les limites des
16 hectares pour lesquels l'autorité forestière avait donné son accord
en 1967 (paragraphe 9 ci-dessus). Elle se borne à constater que ce
dernier affirme avoir procédé à la vente de 130 lots sur les 202 que
comptait le parc de Cibona (paragraphe 11 ci-dessus).
De plus, les éléments du dossier montrent qu'il n'exista
jamais d'interdiction absolue de bâtir sur tous les terrains du
requérant. Seule une partie de ceux-ci fut exclue du plan de 1969;
pour le reste, il s'agissait d'une réduction de l'indice de
construction, passé de 0,50 à 0,40 m3/m2.
47. Quant à la question de l'indemnisation, la Cour souligne que
la jurisprudence italienne subordonne le dédommagement des intéressés
à des conditions: il faut que les limitations imposées à leurs biens
par un acte de l'administration aient une importance considérable et
une durée indéterminée de sorte que l'on se trouve en présence d'une
expropriation de fait.
Or la Cour de cassation constata en 1985 que ces deux
conditions n'étaient pas réunies en l'occurrence car "le plan
d'occupation des sols avait une durée limitée dans le temps" - cinq ans
(paragraphe 30 ci-dessus) - "et les restrictions y relatives étaient
forcément temporaires" (paragraphe 28 ci-dessus). De surcroît, la loi
d'urbanisme ne prévoit pas d'indemnisation pour les limitations et
interdictions découlant des POS (paragraphe 30 ci-dessus). Par
conséquent, faute d'avoir subi une expropriation de fait, l'intéressé
ne pouvait prétendre à une indemnité pour atteinte à un droit.
48. Au vu de ces considérations, la Cour estime qu'il n'y a pas
eu rupture de l'équilibre entre les intérêts de la collectivité et ceux
de M. de la Grange.
En conclusion, l'article 1 du Protocole n° 1 (P1-1) n'a pas
été enfreint.
II. SUR LA VIOLATION ALLEGUEE DE L'ARTICLE 6 PAR. 1 (art. 6-1) DE
LA CONVENTION
49. Le requérant se plaint aussi de la durée de la procédure en
réparation. Il invoque l'article 6 par. 1 (art. 6-1) de la Convention,
ainsi libellé:
"Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue
(...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui
décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...)"
Le Gouvernement combat cette thèse, tandis que la Commission
y souscrit.
A. Période à prendre en considération
50. La période à considérer a commencé le 9 mai 1978, avec
l'assignation de la commune de Tolfa et de la région Latium devant le
tribunal de Rome, pour s'achever le 13 mai 1986, date du dépôt au
greffe de l'arrêt de la Cour de cassation. Elle s'étend donc sur un
peu plus de huit ans.
B. Caractère raisonnable de la durée de la procédure
51. Le caractère raisonnable de la durée d'une procédure
s'apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux
critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la
complexité de l'affaire, le comportement du requérant et celui des
autorités compétentes (voir, entre autres, l'arrêt Monnet c. France du
27 octobre 1993, série A n° 273-A, p. 12, par. 27).
1. Complexité de l'affaire
52. Selon le Gouvernement, la raison principale de la longueur
alléguée de l'instance réside dans la complexité en fait comme en droit
de l'affaire. Il souligne que "le traitement par les juridictions
saisies de questions délicates - à cause, d'une part, de l'application
de dispositions de rang différent touchant des questions techniques et,
d'autre part, des implications jurisprudentielles des décisions -
demandait un examen attentif et une évaluation prudente des faits".
53. La Commission estime que la cause était complexe en droit mais
pas en fait.
54. Quant à l'intéressé, il soutient que, quel que soit le degré
de difficulté, il incombe aux juges compétents de s'acquitter de leur
tâche dans un "délai raisonnable".
55. La Cour, comme le Gouvernement, trouve l'affaire complexe en
fait et en droit.
2. Comportement du requérant
56. D'après le Gouvernement, le requérant aurait contribué à
augmenter les retards dont il se plaint aujourd'hui en portant devant
la Cour de cassation, en première instance, une question préjudicielle
de compétence alors qu'il aurait eu la possibilité d'inclure le moyen
dans un acte d'appel ou un pourvoi en cassation.
57. Avec l'intéressé, la Cour note que, en demandant à la Cour de
cassation de trancher le conflit de compétence, soulevé d'ailleurs par
la commune de Tolfa et la région Latium (paragraphe 22 ci-dessus),
M. de la Grange visait à éliminer d'emblée tout doute sur la compétence
de la juridiction saisie. On ne saurait donc critiquer son
comportement sur ce point.
3. Comportement des autorités judiciaires
58. Le Gouvernement affirme qu'aucun atermoiement ne peut être
reproché aux autorités qui examinèrent l'affaire. Un délai de huit
années pour quatre degrés de juridiction n'aurait rien d'excessif.
59. La Commission dénonce le peu de renseignements fournis par les
parties, ce qui l'aurait empêché de relever "des délais significatifs".
Toutefois, et même en tenant compte du laps de temps nécessaire à
chaque organe pour statuer, elle considère que la période litigieuse
a dépassé les limites raisonnables.
60. Le requérant souscrit à son avis.
61. La Cour rappelle qu'en exigeant le respect du "délai
raisonnable", la Convention souligne l'importance qui s'attache à ce
que la justice ne soit pas administrée avec des retards propres à en
compromettre l'efficacité et la crédibilité.
En l'espèce, trois périodes au moins pourraient sembler
anormales: la première va du 12 septembre 1979 (saisine de la Cour de
cassation sur la question préjudicielle) au 7 mai 1981 (dépôt au greffe
de l'arrêt); la deuxième, du 15 juin 1982 (interjection de l'appel) au
4 juillet 1984 (rejet de l'appel); la dernière, du 11 novembre 1985
(arrêt de la Cour suprême sur le fond) au 13 mai 1986 (dépôt au greffe
de ladite décision).
62. Néanmoins, eu égard à l'ensemble des circonstances de la cause
et à sa complexité en fait comme en droit, ces laps de temps ne
permettent pas de considérer comme excessive la durée du procès,
d'autant plus que les décisions concernaient un domaine aussi sensible
que celui de l'urbanisme et de la protection de l'environnement et
pouvaient avoir et ont eu des répercussions importantes sur la
jurisprudence italienne relative à la distinction entre droit et
intérêt légitime (paragraphes 25-28 ci-dessus).
63. En conclusion, l'article 6 par. 1 (art. 6-1) n'a pas été
violé.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, A L'UNANIMITE,
1. Rejette l'exception préliminaire du Gouvernement;
2. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 1 du
Protocole n° 1 (P1-1);
3. Dit qu'il n'y a pas eu violation de l'article 6 par. 1
(art. 6-1) de la Convention.
Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience
publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le
27 octobre 1994.
Signé: Rolv RYSSDAL
Président
Signé: Herbert PETZOLD
Greffier f.f.
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