CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE STAMOULAKATOS c. GRÈCE (N° 2), 26 novembre 1997, 27159/95

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Chronologie de l’affaire

Commentaire1

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CEDH · 26 novembre 1997

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Chambre), 26 nov. 1997, n° 27159/95
Numéro(s) : 27159/95
Publication : Recueil 1997-VII
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions ("Recueil") 1996-IV, p. 1210, §§ 66 et 68
Arrêt Brincat c. Italie du 26 novembre 1992, série A n° 249-A, p. 13, § 29
Arrêt Georgiadis c. Grèce du 29 mai 1997, Recueil 1997-III, p. 959, § 34
Arrêt Pauger c. Autriche du 28 mai 1997, Recueil 1997-III, p. 894, § 45
Arrêt Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1083, § 35, p. 1086, § 49
Arrêt Schouten et Meldrum c. Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 26, § 67
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner l'art. 13 ; Exception préliminaire rejetée (non-épuisement des voies de recours internes) ; Exception préliminaire rejetée (ratione temporis) ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Frais et dépens - demande rejetée
Identifiant HUDOC : 001-62681
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:1997:1126JUD002715995
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Sur les parties

Texte intégral

AFFAIRE STAMOULAKATOS c. GRÈCE (N° 2)

CASE OF STAMOULAKATOS v. Greece (No.2)

ARRÊT/JUDGMENT

STRASBOURG

26 novembre/November 1997

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1997, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

The present judgment is subject to editorial revision before its reproduction in final form in Reports of Judgments and Decisions 1997. These reports are obtainable from the publisher Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Köln), who will also arrange for their distribution in association with the agents for certain countries as listed overleaf.


Liste des agents de vente

Belgique : Etablissements Emile Bruylant (rue de la Régence 67,

  B-1000 Bruxelles)

Luxembourg : Librairie Promoculture (14, rue Duchscher

  (place de Paris), B.P. 1142, L-1011 Luxembourg-Gare)

Pays-Bas : B.V. Juridische Boekhandel & Antiquariaat

  A. Jongbloed & Zoon (Noordeinde 39, NL-2514 GC La Haye)


SOMMAIRE[1]

Arrêt rendu par une chambre

Grèce – durée d’une procédure devant la Cour des comptes

I.Exceptions préliminaires du Gouvernement

Non-épuisement des voies de recours internes : le Gouvernement n’a pas démontré que la Cour des comptes aurait donné priorité à l’affaire du requérant si celui-ci en avait fait la demande.

Incompétence ratione temporis : si la plainte du requérant reposait sur l’allégation qu’il avait subi des tortures entre 1967 et 1974, la Cour est seulement appelée à examiner le grief relatif à la durée de la procédure, engagée après la reconnaissance par la Grèce du droit de recours individuel.

Conclusion : rejet (unanimité).

II.Article 6 § 1 de la Convention

A.Applicabilité

Droit à pension : droit civil.

Conclusion : applicabilité (unanimité).

B. Observation

Période à considérer : a débuté à la date à laquelle le requérant a saisi la Cour des comptes, et court encore (neuf ans et demi à ce jour).

Caractère raisonnable de la durée de la procédure : affaire pas particulièrement complexe – requérant non responsable de la durée de la procédure – plusieurs périodes d’inactivité – prise en compte de la durée globale de la procédure et de l’importance de l’enjeu pour le requérant.

Conclusion : violation (unanimité).

III.Article 13 de la Convention

Non-lieu à examiner l’affaire sous l’angle de cette disposition (unanimité).


IV. Article 50 de la Convention

Dommage matériel : aucun lien de causalité établi entre violation constatée et perte alléguée.

Dommage moral : octroi d’une somme en équité.

Frais et dépens pour procédure interne : non établis.

Frais et dépens pour procédure de Strasbourg : requérant ne peut prétendre au remboursement du travail accompli par lui ; dépens non établis.

Conclusion : Etat défendeur tenu de verser au requérant une certaine somme pour dommage moral (unanimité).

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

26.11.1992, Brincat c. Italie ; 9.12.1994, Schouten et Meldrum c. Pays-Bas ; 16.9.1996, Akdivar et autres c. Turquie ; 28.5.1997, Pauger c. Autriche ; 29.5.1997, Georgiadis c. Grèce ; 27.6.1997, Philis c. Grèce (n° 2) 


En l’affaire Stamoulakatos c. Grèce (n° 2)[2],

La Cour européenne des Droits de l’Homme, constituée, conformément à l’article 43 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention ») et aux clauses pertinentes de son règlement A[3], en une chambre composée des juges dont le nom suit :

MM.R. Bernhardt, président,

L.-E. Pettiti,

R. Macdonald,

C. Russo,

A. Spielmann,

N. Valticos,

MmeE. Palm,

MM.K. Jungwiert,

E. Levits,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 30 août et 22 octobre 1997,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCéDURE

1.  L’affaire a été déférée à la Cour par le gouvernement grec (« le Gouvernement ») le 9 décembre 1996, dans le délai de trois mois qu’ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention. A son origine se trouve une requête (n° 27159/95) dirigée contre la République hellénique et dont un ressortissant de cet Etat, M. Nicolas Stamoulakatos, avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 1er avril 1995 en vertu de l’article 25.

La requête du Gouvernement renvoie aux articles 44 et 48. Elle a pour objet d’obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l’Etat défendeur aux exigences de l’article 6 § 1 de la Convention.


2.  En réponse à l’invitation prévue à l’article 33 § 3 d) du règlement A, le requérant a manifesté le désir de participer à l’instance et a sollicité l’autorisation de présenter lui-même sa cause. Le président de la chambre n’y a pas consenti et a invité l’intéressé à nommer pour le représenter un conseil habilité à exercer dans l’un quelconque des Etats contractants et résidant sur le territoire de l’un d’eux (article 30 § 1 du règlement A). Le requérant n’ayant pas désigné de représentant dans le délai que le président lui avait imparti à cette fin, la Cour a supposé qu’il ne souhaitait pas participer à l’instance.

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. N. Valticos, juge élu de nationalité grecque (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement A). Le 20 janvier 1997, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, a tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. L.-E Pettiti, M. R. Macdonald, M. C. Russo, M. A. Spielmann, Mme E. Palm, M. K. Jungwiert et M. E. Levits, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement A).

4.  Le 25 avril 1997, la chambre a décidé de se passer d’audience en l’espèce, après s’être assurée que les conditions de pareille dérogation à sa pratique habituelle se trouvaient remplies (articles 26 et 38 du règlement A).

5.  Les 20 et 22 mai 1997, le requérant a produit des documents exposant sa demande de satisfaction équitable au titre de l’article 50 de la Convention. Le 18 juin 1997, le Gouvernement a déposé un mémoire puis, le 19 juin, une lettre en réponse aux prétentions de l’intéressé au titre de l’article 50. Le 22 juillet, le délégué de la Commission a présenté ses observations sur ces documents.

EN FAIT

I.Les circonstances de l’espèce

6.  Le requérant, ressortissant grec né en 1936, est actuellement domicilié au Royaume-Uni.

7.  Le 23 février 1987, il présenta à la préfecture d’Athènes une demande de pension d’invalidité en vertu de l’article 31 de la loi n° 1543/85.

8.  A la demande de la préfecture, une enquête administrative fut menée par la municipalité de Moshato, qui conclut le 15 décembre 1987 que le requérant avait droit à une pension, au motif qu’il avait subi pendant la dictature des tortures qui avaient irrémédiablement altéré sa santé.


9.  Le 29 janvier 1988, la commission sanitaire de la préfecture d’Athènes recommanda à la Comptabilité publique (Geniko Logistirio tou Kratous) d’accorder une pension au requérant. La commission sanitaire estima que celui-ci avait été incarcéré en raison de ses activités contre la dictature militaire et avait subi des tortures, qui avaient entraîné une paralysie de sa main droite.

10.  Le 23 mai 1988, le service des pensions (Ypiressia Kanonismou Syntaxeon) de la Comptabilité publique rejeta la demande du requérant au motif que les conditions de l’article 31 de la loi n° 1543/85 n’étaient pas remplies (paragraphe 19 ci-dessous). Pour la direction, les allégations de l’intéressé n’étaient étayées par aucune décision judiciaire ni aucun document public établi avant le 14 juin 1984, et ses blessures n’étaient pas dues à sa participation directe à la lutte contre le régime dictatorial ou à son opposition à ce régime. Le 14 juin 1988, le requérant saisit la Cour des comptes (Elenktiko Synedrio).

11.  Le recours fut examiné le 2 décembre 1988 par la troisième chambre de la Cour des comptes, qui le rejeta le 10 mars 1989, considérant que les allégations de l’intéressé n’étaient étayées par aucune décision judiciaire ni aucun document public établi avant le 14 juin 1984. La troisième chambre estima également que les tortures subies par le requérant pendant la dictature n’avaient pas occasionné une « blessure » mais une « maladie ». Or la loi prévoyait l’octroi d’une pension aux personnes qui avaient été « blessées » du fait de leur opposition à la dictature.

12.  Le 17 avril 1989, le requérant se pourvut en cassation devant la Cour des comptes siégeant en formation plénière ; il prétendait que la troisième chambre avait commis une erreur de droit.

13.  Le 9 octobre 1991, la Cour des comptes, siégeant en formation plénière, tint une audience à laquelle le requérant ne comparut pas. Le 24 juin 1992, elle décida qu’il n’avait pas été cité à comparaître en bonne et due forme et ajourna l’examen de l’affaire.

14.  Le 4 novembre 1992 eut lieu une autre audience à laquelle le requérant fut dûment représenté. Le 26 mai 1993, la Cour des comptes accueillit le recours au motif, entre autres, que la troisième chambre n’avait pas procédé à un examen approfondi des causes de la paralysie de la main droite de l’intéressé. Elle renvoya l’affaire à la troisième chambre pour réexamen.

15.  Le 22 octobre 1993, la troisième chambre tint une audience à laquelle le requérant n’était ni présent ni représenté. Le 28 janvier 1994, elle décida d’ajourner l’examen de l’affaire et ordonna à M. Stamoulakatos de produire dans un délai de deux mois plusieurs décisions rendues dans le cadre d’une procédure pénale dont il avait fait l’objet avant le 14 juin 1984. Elle adressa également le dossier du requérant à la commission sanitaire de l’Attique, et lui ordonna d’examiner l’intéressé et d’émettre un avis sur les questions suivantes : la paralysie du requérant résultait-elle d’une « blessure » ou d’une « maladie » ? Quel était son taux d’invalidité ? Y avait-il une relation quelconque entre son invalidité et ses activités pendant la dictature ?

16.  Le 25 novembre 1994, la commission sanitaire estima qu’elle ne pouvait émettre aucun avis sur le cas du requérant en l’absence de tout élément établissant que l’état de santé de l’intéressé était lié à ses activités pendant la dictature. Le 29 mars 1995, le requérant fut informé de la décision de la commission de ne pas émettre d’avis.

17.  Le 6 octobre 1995, la troisième chambre de la Cour des comptes tint une nouvelle audience.

18.  Une autre audience se déroula le 29 novembre 1996. La Cour n’a eu connaissance d’aucune décision de la troisième chambre de la Cour des comptes. Le Gouvernement déclare qu’un arrêt doit être prononcé prochainement.

II.LE DROIT INTERNE PERTINENT

19.  L’article 31 de la loi n° 1543/85 est ainsi libellé :

« Tout citoyen grec qui a été blessé du fait de sa participation directe à la lutte contre le régime dictatorial en place du 21 avril 1967 au 23 juillet 1974 ou de son opposition à ce régime a droit à une pension versée par le Trésor public, si les circonstances susmentionnées ont été entérinées par une décision judiciaire ou un document public établi avant le 14 juin 1984.

(…) »

Cette disposition n’ouvre pas de droit à pension aux personnes qui ont contracté une maladie – et non une blessure – du fait de leur opposition au régime dictatorial. Ce droit a toutefois été reconnu par une loi de 1988 qui n’entre pas en ligne de compte ici.

20.  L’octroi d’une pension n’est pas automatique ; il faut en faire la demande par le biais de la préfecture, auprès du service des pensions de la Comptabilité publique.

21.  La décision de ce service est susceptible d’une opposition auprès de la commission de vérification des pensions de la Comptabilité publique (article 66 du code des pensions civiles et militaires).

Un appel peut être interjeté dans le délai d’un an devant une chambre de la Cour des comptes (article 48). Un pourvoi en cassation peut être formé dans un délai d’un an (articles 109 et 114) devant la Cour des comptes plénière, laquelle a la faculté de renvoyer l’affaire à la chambre compétente (article  116).

PROCéDURE DEVANT LA COMMISSION

22.  M. Stamoulakatos a saisi la Commission le 1er avril 1995. Il invoquait les articles 6 § 1 et 13 de la Convention pour dénoncer la durée de la procédure en cause et l’absence d’un recours effectif en la matière. Il s’en prenait aussi, sur le terrain des articles 5 et 14 de la Convention, au refus de lui allouer une pension.

23.  Le 12 avril 1996, la Commission a déclaré la requête (n° 27159/95) recevable pour autant qu’elle concernait les articles 6 § 1 et 13 et irrecevable pour le surplus. Dans son rapport du 4 septembre 1996 (article 31), elle conclut par douze voix contre une qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention et qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’affaire également sous l’angle de l’article 13. Le texte intégral de son avis figure en annexe au présent arrêt[4].

CONCLUSIONS PRÉSENTÉES à LA COUR PAR LE GOUVERNEMENT

24.  Le Gouvernement invite la Cour à « rejeter la requête (…) comme irrecevable ou (…) comme dénuée de fondement ».

EN DROIT

I.SUR LES EXCEPTIONS PRÉLIMINAIRES DU GOUVERNEMENT

A.Non-épuisement des voies de recours internes

25.  Le Gouvernement soutient, comme déjà devant la Commission, que le requérant n’a pas épuisé les voies de recours internes. D’après lui, l’intéressé n’a jamais demandé aux autorités internes d’accélérer la procédure. Il n’aurait en particulier pas réclamé que priorité soit donnée à son affaire.


26.  La Cour rappelle que dans le cadre de l’article 26 de la Convention, un requérant doit se prévaloir des recours normalement disponibles et suffisants pour lui permettre d’obtenir réparation des violations qu’il allègue (arrêt Akdivar et autres c. Turquie du 16 septembre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-IV, p. 1210, § 66). Il incombe au Gouvernement excipant du non-épuisement de convaincre la Cour que le recours était effectif et disponible, tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire qu’il était accessible, était susceptible d’offrir au requérant le redressement de ses griefs et présentait des perspectives raisonnables de succès (ibidem, § 68).

Le Gouvernement n’a pas démontré que la Cour des comptes aurait envisagé de donner priorité à l’affaire du requérant si celui-ci en avait formulé la demande. La Cour ne peut donc conclure qu’un tel recours eût été effectif. D’ailleurs, les autorités concernées ont un devoir de diligence dans l’administration de la justice (voir, mutatis mutandis, l’arrêt Philis c. Grèce (n° 2) du 27 juin 1997, Recueil 1997-IV, p. 1086, § 49). Il y a donc lieu de rejeter l’exception préliminaire tirée du non-épuisement des voies de recours internes.

B.Incompétence ratione temporis

27.  Le Gouvernement réitère l’argument présenté à la Commission : les événements à l’origine de la plainte du requérant devant la juridiction interne s’étant produits bien avant que la Grèce n’accepte le droit de recours individuel, la Commission eût dû déclarer la requête irrecevable ratione temporis.

28.  La Cour relève toutefois que, si la plainte du requérant devant ladite juridiction reposait sur les allégations que son état était dû aux tortures qu’il avait subies entre 1967 et 1974, elle n’est pas appelée à examiner lesdites allégations mais seulement le grief relatif à la durée de la procédure judiciaire que l’intéressé a intentée en vue d’obtenir une pension.

La Grèce a reconnu le droit de recours individuel (article 25 § 1 de la Convention) le 20 novembre 1985. La procédure litigieuse fut engagée bien après cette date (paragraphes 10 ci-dessus et 32 ci-dessous). Cette exception doit donc elle aussi être écartée.

II.SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29.  Le requérant allègue que son affaire n’a pas été examinée dans un « délai raisonnable ». Il invoque l’article 6 § 1 de la Convention, ainsi libellé :


« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) dans un délai raisonnable, par un tribunal (…) qui décidera (…) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (…) »

La Commission estime, avec le requérant, qu’il y a eu violation de cette disposition. Le Gouvernement marque son désaccord.

A.Applicabilité de l’article 6 § 1

30.  Le Gouvernement conteste l’applicabilité de l’article 6 § 1 en l’espèce. Selon lui, le droit à une pension fondé sur une loi spécifique, telle la loi n° 1543/85, ressortit exclusivement au droit public. Il prétend que le droit revendiqué par le requérant ne dérive d’aucune forme d’accord privé ni d’une disposition légale entrant dans le domaine du droit civil tel que le définit l’ordre juridique interne. Ce serait au contraire une question relevant de la compétence des juridictions administratives.

31.  La Cour rappelle que la notion de « droits et obligations de caractère civil » ne doit pas s’interpréter par simple référence au droit interne de l’Etat défendeur et que l’article 6 § 1 s’applique indépendamment de la qualité des parties comme de la nature de la loi régissant la « contestation » et de l’autorité compétente pour trancher (voir, en dernier lieu, l’arrêt Georgiadis c. Grèce du 29 mai 1997, Recueil 1997-III, p. 959, § 34).

Elle n’aperçoit aucune raison de s’écarter de sa jurisprudence d’après laquelle le droit à pension est un droit de caractère civil (voir, comme exemple récent, l’arrêt Pauger c. Autriche du 28 mai 1997, Recueil 1997-III, p. 894, § 45). L’article 6 § 1 s’applique donc.

B.Observation de l’article 6 § 1

1.Période à considérer

32.  La Cour partage l’avis de la Commission et du Gouvernement : la période à considérer a débuté le 14 juin 1988, date à laquelle le requérant a saisi la Cour des comptes (paragraphe 10 ci-dessus). A la connaissance de la Cour, cette période n’a pas encore pris fin, aucun jugement définitif n’ayant été rendu à ce jour. Elle représente donc quelque neuf ans et demi jusqu’ici.

2.Caractère raisonnable

33.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes. Il

importe notamment de tenir compte de l’enjeu du litige pour l’intéressé (voir, comme exemple récent, l’arrêt Philis (n° 2) précité, p. 1083, § 35).

34.  Selon le Gouvernement, l’affaire était complexe mais les diverses chambres de la Cour des comptes ont pu en connaître à chaque stade avec célérité. Le requérant a en revanche lui-même contribué à allonger la procédure en tardant, après le prononcé des décisions, à introduire ses recours et en changeant fréquemment d’adresse. Le Gouvernement souligne aussi la charge de travail de la Cour des comptes plénière, laquelle examine une centaine d’affaires par mois.

35.  De l’avis de la Commission, l’affaire n’est pas particulièrement complexe et le comportement du requérant ne suffit pas en soi à expliquer la durée de la procédure. La Commission attire en outre l’attention sur les lenteurs imputables selon elle aux autorités judiciaires.

36.  La Cour note que la question à trancher était celle de savoir si la condition médicale du requérant résultait des tortures qu’il avait subies sous le régime de la dictature et, dans l’affirmative, lui ouvrait droit à une pension d’invalidité spéciale. Certes, il fallait examiner le dossier médical ainsi que les décisions judiciaires et les documents publics. Rien ne donne toutefois à penser que les faits fussent particulièrement difficiles à établir. Il ne se posait pas davantage de questions juridiques compliquées. Les tribunaux internes ne se trouvaient donc pas devant une tâche particulièrement ardue.

37.  Quant au comportement du requérant, la Cour observe que celui-ci a attaqué la décision de la troisième chambre de la Cour des comptes guère plus d’un mois après son prononcé (paragraphes 11 et 12 ci-dessus). Le Gouvernement ne laisse pas entendre que l’intéressé eût demandé l’ajournement d’une audience ou une prorogation des délais de dépôt de documents. On a peut-être eu du mal à le citer à comparaître à l’audience du 9 octobre 1991 en raison de ses fréquents changements d’adresse (paragraphe 13 ci-dessus), mais de fait la Cour des comptes a elle-même estimé le 24 juin 1992 que les autorités n’avaient pas respecté les formalités nécessaires à pareille citation. Le requérant ne saurait donc être tenu pour responsable de la durée de la procédure.

38.  La Cour constate avec préoccupation que près de deux ans et six mois ont pu s’écouler entre l’introduction du pourvoi en cassation du requérant, le 17 avril 1989, et l’audience du 9 octobre 1991, après quoi il a fallu encore huit mois, soit jusqu’au 24 juin 1992, à la Cour des comptes plénière pour rendre une décision ordonnant un report. Après une nouvelle audience, quatre mois plus tard environ, le 4 novembre 1992, se sont encore écoulés six mois jusqu’à la décision du 26 mai 1993. La charge de travail de la Cour des comptes plénière ne justifie pas ces lenteurs, les Parties contractantes ayant l’obligation de veiller à ce que leurs autorités judiciaires

remplissent chacune des exigences de l’article 6 (voir, parmi beaucoup d’autres, l’arrêt Schouten et Meldrum c. Pays-Bas du 9 décembre 1994, série A n° 304, p. 26, § 67).

Après renvoi de l’affaire à la troisième chambre de la Cour des comptes, la commission sanitaire de l’Attique a mis presque dix mois à décider qu’elle ne pouvait émettre aucun avis (paragraphes 15 et 16 ci-dessus). Depuis lors, il y a encore eu deux audiences à des intervalles de presque dix et quatorze mois respectivement. Le Gouvernement ne fournit aucune explication à ces périodes.

39.  Compte tenu de la durée globale de la procédure, neuf ans et demi à ce jour, et de l’importance de l’enjeu pour le requérant, c’est-à-dire son droit à une pension d’invalidité et donc une fraction non négligeable de ses revenus, la Cour estime que la procédure a duré au-delà du « raisonnable » au regard de l’article 6 § 1. Partant, il y a eu violation de cette disposition.

III. Sur la violation alléguée de l’article 13 de la Convention

40.  Le requérant se plaint de n’avoir pas disposé d’un recours effectif contre la violation susmentionnée de l’article 6, ce au mépris de l’article 13 ainsi libellé :

« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (…) Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. »

41.  Comme la Commission, la Cour ne juge pas nécessaire d’examiner la présente affaire sur le terrain de l’article 13 en sus de l’article 6.

IV.SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

42.  L’article 50 de la Convention dispose :

« Si la décision de la Cour déclare qu’une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d’une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s’il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »


A.Dommage matériel

43.  Le requérant invite la Cour à lui octroyer une somme équivalant à la pension à laquelle il prétend avoir droit, soit 10 700 000 drachmes (GRD). Il réclame aussi un montant de 2 140 000 GRD à titre d’intérêt sur cette somme.

44.  Le Gouvernement et le délégué de la Commission s’accordent pour dire que le requérant n’a pas établi que la perte alléguée résulte directement de la durée de la procédure.

45.  La Cour estime, avec le Gouvernement et la Commission, qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la violation constatée et la perte alléguée.

B.Tort moral

46.  Le requérant sollicite 30 000 000 GRD à titre de réparation pour la détresse et l’angoisse qu’il a connues en raison de la durée de la procédure.

47.  Le Gouvernement déclare que le requérant a droit à une réparation pour « tout dommage découlant directement d’une violation constatée par la Cour ».

48.  Le délégué de la Commission suggère que la Cour alloue au requérant 1 000 000 GRD de ce chef.

49.  Statuant en équité, la Cour octroie au requérant 1 000 000 GRD pour tort moral.

C.Frais et dépens

50.  Le requérant sollicite 6 600 000 GRD pour les frais et dépens qu’il aurait exposés pour la procédure interne et celle de Strasbourg.

51.  D’après le Gouvernement, le requérant peut prétendre uniquement au remboursement des frais « nécessaires et dûment prouvés ».

52.  Le délégué de la Commission considère que le requérant ayant assuré lui-même sa représentation, il pourrait se voir attribuer une somme symbolique de 100 000 GRD pour la procédure de Strasbourg.

53.  Selon la jurisprudence constante de la Cour, une somme peut être accordée au requérant pour les frais et dépens qu’il a exposés afin d’empêcher la violation constatée ou d’en obtenir le redressement, mais seulement pour autant qu’ils ont été réellement et nécessairement exposés et sont d’un montant raisonnable.


Il n’est pas établi que l’intéressé ait encouru des frais et dépens dans la procédure interne en essayant d’accélérer celle-ci. En outre, il a choisi de défendre lui-même sa cause devant la Cour et la Commission, qui n’ont ni l’une ni l’autre tenu d’audience. Il ne peut prétendre au remboursement du travail qu’il a lui-même accompli (arrêt Brincat c. Italie du 26 novembre 1992, série A n° 249-A, p. 13, § 29), et n’a pas démontré avoir engagé des dépenses pour la procédure de Strasbourg. Il y a donc lieu d’écarter sa demande pour frais et dépens.

D.Intérêts moratoires

54.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable en Grèce à la date d’adoption du présent arrêt est de 6 % l’an.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, à L’UNANIMITé,

1.Rejette les exceptions préliminaires du Gouvernement ;

2.Dit que l’article 6 § 1 de la Convention s’applique et a été violé ;

3.Dit qu’il ne s’impose pas d’examiner l’affaire sur le terrain de l’article 13 de la Convention ;

4.Dit

a)que l’Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois, 1 000 000 (un million) drachmes pour tort moral ;

b)que ce montant sera à majorer d’un intérêt non capitalisable de 6 % l’an à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement ;

5.Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 26 novembre 1997.

Signé : Rudolf Bernhardt

     Président

Signé : Herbert Petzold

Greffier


[1].  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.

[2]Notes du greffier

  L’affaire porte le n° 164/1996/783/984. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l’année d’introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l’origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[3]  Le règlement A s’applique à toutes les affaires déférées à la Cour avant l’entrée en vigueur du Protocole n° 9 (1er octobre 1994) et, depuis celle-ci, aux seules affaires concernant les Etats non liés par ledit Protocole. Il correspond au règlement entré en vigueur le 1er janvier 1983 et amendé à plusieurs reprises depuis lors.

[4].  Note du greffier. Pour des raisons d’ordre pratique il n’y figurera que dans l’édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1997), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.

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CEDH, Cour (chambre), AFFAIRE STAMOULAKATOS c. GRÈCE (N° 2), 26 novembre 1997, 27159/95