CEDH, Cour (deuxième section), AFFAIRE C.D. c. FRANCE, 7 janvier 2003, 42405/98

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Deuxième Section), 7 janv. 2003, n° 42405/98
Numéro(s) : 42405/98
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Caillot c. France, n° 36932/97, § 27
Brigandi c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A n° 194, p. 32, § 32
Zanghi c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A n° 194, p. 47, § 23
Santilli c. Italie, arrêt du 19 février 1991, série A n° 194, p. 62, § 22
Richard c. France, arrêt du 22 avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p. 824, § 57
Doustaly c. France, arrêt du 23 avril 1998, Recueil 1998-II p. 857, p. 39
Frydlender c. France [GC], n° 30979/96, § 43, § 45, CEDH 2000-VII
Théry c. France, n° 33989/96, § 29, 1er février 2000, non publié
Niveau d’importance : Importance faible
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'art. 6-1 ; Non-lieu à examiner P1-1 ; Dommage matériel - demande rejetée ; Préjudice moral - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure de la Convention
Identifiant HUDOC : 001-65413
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2003:0107JUD004240598
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Sur les parties

Texte intégral

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE C.D. c. FRANCE

(Requête no 42405/98)

ARRÊT

STRASBOURG

7 janvier 2003

DÉFINITIF

21/05/2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire C.D. c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM.Gaukur Jörundsson, président,
J.-P. Costa,
L. Loucaides,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,
M. Ugrekhelidze,
MmeA. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 14 mai et 10 décembre 2002,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 42405/98) dirigée contre la République française et dont une ressortissante de cet Etat, Mme C.D. (« la requérante »), avait saisi la Commission européenne des Droits de l’Homme (« la Commission ») le 27 mars 1998 en vertu de l’ancien article 25 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). Le président de la chambre a accédé à la demande de non‑divulgation de son identité formulée par la requérante (article 47 § 3 du règlement).

2.  Le gouvernement français (« le Gouvernement ») était représenté par Mme Michèle Dubrocard, sous-directrice des Droits de l’Homme au ministère des Affaires étrangères.

3.  La requérante alléguait la violation de l’article 6 § 1 de la Convention et de l’article 1 du Protocole no 1 du fait de la durée de la procédure menée devant les juridictions civiles.

4.  La requête a été transmise à la Cour le 1er novembre 1998, date d’entrée en vigueur du Protocole no 11 à la Convention (article 5 § 2 du Protocole no 11).

5.  La requête a été attribuée à la troisième section de la Cour (article 52 § 1 du règlement). Au sein de celle-ci, la chambre chargée d’examiner l’affaire (article 27 § 1 de la Convention) a été constituée conformément à l’article 26 § 1 du règlement.

6.  Le 1er novembre 2001, la Cour a modifié la composition de ses sections (article 25 § 1 du règlement). La présente requête a été attribuée à la deuxième section ainsi remaniée (article 52 § 1).

7.  Par une décision du 14 mai 2002, la Cour a déclaré la requête recevable.

8.  Tant la requérante que le Gouvernement ont déposé des observations écrites sur le fond de l’affaire (article 59 § 1 du règlement).

EN FAIT

9.  La requérante est née en 1942 et réside à Chamonix.

10.  Les 4 et 25 octobre 1984, la requérante assigna sa mère et son frère devant le tribunal de grande instance de Bonneville, en demandant le partage de la succession de son père, ouverte quinze mois plus tôt.

11.  Par jugement du 14 janvier 1987, le tribunal ordonna le partage, mais préalablement à celui-ci, une expertise et l’évaluation des biens. La date de dépôt du rapport fut prorogée jusqu’au 1er septembre 1987 par le juge chargé du contrôle des expertises.

12.  Le 28 mars 1988, ce magistrat demanda à l’expert l’état d’avancement de ses opérations d’expertise. Le 7 avril 1988, l’expert lui fit part de ses difficultés à obtenir des documents de la part du frère de la requérante. Le 20 avril 1988, le magistrat l’invita à déposer son rapport en l’état. Le 2 juin 1988, l’expert indiqua au magistrat qu’il venait de recevoir un dire de seize pages de la part du frère de la requérante.

13.  Le 18 juillet 1988, l’expert remit son rapport.

14.  Le 29 septembre 1989, le juge de la mise en état adressa une injonction de conclure au conseil de la requérante. Celui-ci déposa ses conclusions le 8 décembre 1989. Le 9 février 1990, le juge de la mise en état délivra une injonction de conclure au frère de la requérante et, le 1er juin 1990, à sa mère. Ils répondirent le 13 juin 1990 et déposèrent des conclusions additionnelles le 22 juin 1990. Des échanges de conclusions entre les parties eurent lieu jusqu’au 28 juin 1991. L’ordonnance de clôture fut rendue à cette date et l’audience de plaidoirie fixée au 13 novembre 1991. Le 11 juillet 1991, les défendeurs communiquèrent de nouvelles pièces. La requérante déposa des conclusions le 22 juillet 1991 aux fins de voir ces pièces écartées des débats, puisque communiquées après l’ordonnance de clôture.

15.  Par jugement du 15 janvier 1992, le tribunal fixa les principes du partage des biens.

16.  Le 3 juin 1992, le frère et la mère du requérant firent appel de cette décision. Le 30 juin 1992, la requérante constitua avoué. Le 2 octobre 1992, le frère et la mère de la requérante changèrent d’avoué.

17.  Le 21 avril 1993, la requérante forma une requête auprès du conseiller de la mise en état de la cour d’appel de Chambéry aux fins d’obtenir de son frère la communication de certaines pièces. Le 21 mai 1993, celui-ci fit également sommation à la requérante de lui communiquer des pièces. Lors de l’audience de mise en état le 23 novembre 1994, la requérante renonça à ses prétentions mais son frère forma une demande reconventionnelle reprenant les termes de la sommation du 21 mai 1993. Le 15 décembre 1994, le conseiller de la mise en état fit droit à cette demande reconventionnelle. L’audience de plaidoirie de la cour d’appel étant fixée au 26 juin 1995, le conseil de la mère de la requérante sollicita une fixation prioritaire de l’affaire.

18.  La mère de la requérante décéda le 21 janvier 1995. Les 23 mars et 27 avril 1995, la requérante et son frère intervinrent volontairement à la procédure en qualité d’héritiers de leur mère. Le frère sollicita le report de l’audience au motif qu’il n’y avait plus urgence à faire juger le litige au fond.

19.  Le 20 avril 1995, la requérante forma une nouvelle requête aux fins de communication de pièces.

20.  Le 21 mars 1996, la cour invita les parties à conclure de façon récapitulative et renvoya à une audience du 2 mai 1996.

21.  Le 23 mai 1996, à la demande de la requérante, le juge des référés désigna un administrateur chargé de dresser l’inventaire des biens de la succession et de gérer l’ensemble des biens la composant. Le frère de la requérante fit appel de cette ordonnance. La cour d’appel rejeta l’appel par arrêt du 9 décembre 1997 et condamna le frère de la requérante à une amende civile de 10 000 francs pour sa « résistance absurde (...) doublée d’un esprit manifestement vindicatif et procédurier ».

22.  Le 27 juin 1996, le conseiller de la mise en état ordonna une nouvelle expertise dans le but d’évaluer des terrains qui étaient devenus constructibles postérieurement à la première expertise et ordonna la communication de certaines pièces entre les parties. Le rapport d’expertise devait être déposé dans un délai de six mois.

23.  Les 24 décembre 1996 et 18 mars 1997, la cour accorda de nouveaux délais à l’expert pour rendre son rapport.

Le 27 août 1997, le conseiller de la mise en état demanda à l’expert de déposer son rapport sans délai.

L’expert déposa son rapport le 18 décembre 1997.

24.  Le 12 mars 1998, le conseiller de la mise en état débouta le frère de la requérante de sa demande de désignation d’un collège d’experts en remplacement de l’expert désigné par l’ordonnance du 27 juin 1996.

25.  Après une première fixation au 14 septembre 1999, l’audience de plaidoirie fut renvoyée au 15 novembre 2000, le frère de la requérante n’ayant pas déposé de conclusions après le dépôt du rapport d’expertise.

26.  Le 11 octobre 1999, le conseiller du frère de la requérante sollicita le report de l’injonction de conclure pour le 14 octobre qui lui avait été adressée. Un nouveau délai lui fut accordé jusqu’au 15 décembre 1999. Il déposa ses conclusions le 8 février 2000 et de nouvelles conclusions récapitulatives avec production de nouvelles pièces les 2 et 8 novembre 2000.

27.  Dans ses conclusions, la requérante sollicita notamment la condamnation de son frère à lui verser une somme mensuelle de 2 000 francs à compter de février 1990 en raison du préjudice que lui avaient causé ses agissements, lesquels avaient rendu impossible l’exécution des décisions de justice relatives à la location d’un appartement indivis entre eux, ainsi que sa condamnation aux entiers dépens d’instance et d’appel, et à lui verser une indemnité de 50 000 francs au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

28.  En réponse à un argument du frère de la requérante, qui demandait l’annulation du jugement déféré du fait qu’il aurait été privé d’un procès équitable dans un délai raisonnable, la cour d’appel de Chambéry estima, par un arrêt du 24 janvier 2001, que la durée de la procédure incombait seulement aux parties et condamna le frère de la requérante à lui verser une indemnité de 10 000 francs en raison de sa résistance parfois abusive et de ses moyens dilatoires. Elle fit droit à la demande de la requérante tendant à ce qu’il soit procédé concomitamment aux opérations de partage et de liquidation de la succession de son père et de la communauté ayant existé entre ses parents, et désigna le président de la chambre départementale des notaires de Haute-Savoie pour procéder aux opérations de comptes liquidation et partage des successions.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA CONVENTION

29.  La requérante se plaint de la durée de cette procédure et invoque l’article 6 §1 de la Convention dont les dispositions pertinentes se lisent comme suit :

« Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai raisonnable, par un tribunal (...) qui décidera (...) des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil (..) ».


A.  Période à prendre en considération

30.  La procédure a débuté les 4 et 25 octobre 1984 et n’était pas achevée le 24 janvier 2001. Elle a donc duré au moins seize ans et trois mois, pour deux instances.

B.  Sur l’observation de l’article 6 § 1 de la Convention

31.  La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, en particulier la complexité de l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes (voir, parmi beaucoup d’autres, les arrêts Richard c. France du 22 Avril 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-II, p.824, § 57 ; Doustaly c. France du 23 avril 1998, Recueil 1998-II p.857, p. 39 et Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII).

32.  La requérante estime que l’affaire n’était pas complexe, mais que l’incapacité des juridictions à remplir leur mission dans un délai raisonnable l’a compliquée. Elle souligne les délais importants mis par les experts pour déposer leurs rapports. Elle dénonce également le fait que la cour d’appel ait sanctionné son frère en raison de son comportement excessivement procédurier, mais n’ait pas réagi pour l’empêcher d’intervenir pour retarder le déroulement des opérations ou de l’audiencement de l’affaire. Elle ajoute avoir sollicité à plusieurs reprises, mais en vain, auprès du procureur de la République ou du juge des tutelles l’examen de son frère par un spécialiste afin de solliciter sa mise sous curatelle ou tutelle. La requérante conclut ainsi que les retards imputables à son frère auraient pu être évités si les magistrats ne l’avaient pas laissé user et abuser de la justice au préjudice de ses propres intérêts et de ceux de sa famille.

33.  Le Gouvernement insiste sur la complexité de l’affaire, en raison du nombre de biens à évaluer, du nombre de donations et de prêts à examiner, ainsi que de la nécessité de procéder à une seconde évaluation de terrains devenus constructibles postérieurement à l’expertise effectuée en première instance.

Quant au comportement des parties, le Gouvernement relève notamment qu’elles sont à l’origine d’un grand nombre d’incidents de procédure et de demandes connexes. Il ajoute qu’elles ont déposé quatorze jeux de conclusions en deux degrés de juridiction et que le frère et la mère de la requérante eurent des difficultés à constituer avoué. Il rappelle que le frère de la requérante sollicita à deux reprises le report de l’audience, son avocat ne pouvant être présent à ces dates, et qu’il a soulevé de nombreux griefs sans fondement à l’égard de l’expert. Il ajoute que l’article 780 du nouveau code de procédure civile, permet à toute partie, si l’une d’elles n’accomplit pas les actes de procédure dans les délais impartis, de saisir le juge chargé de la mise en état afin qu’il ordonne la clôture de l’instruction de l’affaire et le renvoi devant le tribunal. Le Gouvernement souligne que la requérante n’a pas fait usage de cette faculté.

Quant au comportement des autorités judiciaires, le Gouvernement fait observer que le premier jugement ordonnant une expertise n’a été rendu que deux mois après l’ordonnance de clôture et que le juge de la mise en état a utilisé par neuf fois les pouvoirs qui lui étaient conférés par l’article 3 du nouveau code de procédure civile en délivrant aux conseils des parties neuf injonctions de conclure. Le Gouvernement ajoute que, devant la cour d’appel, des audiences de mise en état étaient tenues régulièrement et que six ordonnances et de nombreuses injonctions de conclure ont été prononcées. L’affaire avait fait l’objet d’une fixation prioritaire au 26 juin 1995 et ne fut reportée au 14 septembre 1999 qu’à la demande du frère de la requérante, puis au 15 novembre 2000 en raison de sa tardiveté à conclure.

Le Gouvernement conclut que cette durée de procédure est due aux parties, « même si la requérante a montré plus de diligence que son frère ».

34.  La Cour constate que l’affaire, qui a duré plus de seize ans, présentait incontestablement une certaine complexité du fait l’importance de la succession dont il fallut faire un inventaire et pour la gestion de laquelle un administrateur fut nommé.

Pour ce qui est du comportement des parties, la Cour relève que de nombreux délais leur sont imputables du fait de la remise tardive de conclusions ou de pièces.

La Cour relève toutefois également d’importants délais d’inactivité des autorités judiciaires. Ainsi, il ne ressort pas du dossier que des actes de procédure aient été accomplis entre l’assignation délivrée par la requérante les 4 et 25 octobre 1984 et le premier jugement du tribunal de grande instance de Bonneville du 14 janvier 1987 ordonnant une expertise. Le rapport de l’expert, qui devait être déposé pour le 31 mai 1987, le fut en fait le 18 juillet 1988. Par ailleurs, devant la cour d’appel, la procédure débuta le 3 juin 1992 et ce n’est que 15 décembre 1994 que le conseiller de la mise en état intervint pour la première fois. Aucun autre acte n’intervint avant le 21 mars 1996, date à laquelle la cour invita les parties à conclure de manière récapitulative.

La Cour note que le deuxième rapport d’expertise fut déposé le 18 décembre 1997, soit presque un an après la date fixée par le conseiller de la mise en état. L’audience fixée le 14 septembre 1999 fut ensuite renvoyée au 15 novembre 2000, le frère de la requérante n’ayant pas déposé ses conclusions.

La Cour rappelle qu’il incombe aux Etats contractants d’organiser leur système judiciaire de telle sorte que leurs juridictions puissent garantir à chacun le droit d’obtenir une décision définitive dans un délai raisonnable (voir, par exemple, les arrêts Caillot c. France, no 36932/97, § 27, ou Frydlender précité, § 45). Il appartenait donc à l’Etat défendeur de faire le nécessaire pour éviter des délais d’inactivité aussi longs. En particulier, le juge et le conseiller de la mise en état avaient le pouvoir de délivrer des injonctions aux parties pour éviter de tels retards dans la procédure.

35.  En conclusion, à la lumière des critères dégagés par la jurisprudence et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, la Cour considère que la durée de la procédure litigieuse est excessive et ne répond pas à la condition du délai raisonnable. Partant, il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 1 DU PROTOCOLE No 1

36.  La requérante soutient que cette durée a porté atteinte à son droit de propriété et au libre usage de ses biens en méconnaissance de l’article 1er du Protocole no 1 à la Convention qui dispose :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu’ils jugent nécessaires pour réglementer l’usage des biens conformément à l’intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d’autres contributions ou des amendes. »

37.  Le Gouvernement conteste sur ce point la décision de recevabilité prise par la Cour et expose que la Cour a toujours refusé de considérer que les conséquences financières d’une procédure trop longue entraient dans le champ de l’article 1er du Protocole no 1.

38.  La Cour ne juge pas nécessaire de se prononcer sur l’objection du Gouvernement. En effet, vu la conclusion figurant au paragraphe 35 ci-dessus, elle estime inutile d’examiner le grief tiré de l’article 1er du Protocole no 1 (voir les arrêts Brigandi, Zanghi et Santilli c. Italie du 19.2.91, série A no 194, respectivement p. 32, § 32, p. 47, § 23 et p. 62, § 22 et Théry c. France no 33989/96, § 29, 1er février 2000, non publié).

III.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

39.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »


A.  Dommage

40.  Au titre du préjudice matériel, la requérante demande 1 107 420, 22 euros (« EUR ») correspondant au blocage de son patrimoine, à la perte de loyers non payés au notaire chargé de gérer les biens de l’indivision, et à la somme non obtenue devant un tribunal pour un droit de passage sur un terrain de l’indivision.

Le Gouvernement rappelle que seule peut donner lieu à une réparation de la violation éventuellement constatée par la Cour s’il existe en l’espèce un lien entre la violation alléguée et les préjudices dont la réparation est demandée.

La Cour n’aperçoit aucun lien de causalité entre la violation constatée de l’article 6 § 1 de la Convention et un quelconque dommage matériel dont la requérante aurait eu à souffrir ; elle rejette donc ses prétentions sur ce point.

41.  Pour ce qui est du préjudice moral, la requérante demande l’octroi de 343 800 EUR.

Le Gouvernement propose 8 000 EUR.

La Cour juge que la requérante a subi un tort moral certain du fait de la durée de la procédure litigieuse. Compte tenu des circonstances de la cause et statuant en équité comme le veut l’article 41, elle lui octroie 10 000 EUR à ce titre.

B.  Frais et dépens

42.  Au titre des frais et dépens, la requérante demande 121 621, 06 EUR représentant ses frais d’avocat à la période où elle n’a plus bénéficié de l’aide juridictionnelle, des frais divers liés à des déplacements et à des frais d’hébergement en relation avec des audiences, ses dépenses pour l’entretien de sa mère, des frais de réparation d’un bien indivis, la somme versée par le fonds national de solidarité à sa mère et qu’elle doit rembourser, les frais d’un garde-meuble et le travail qu’elle a accompli pour les procédures devant les juridictions internes et devant la Cour.

Le Gouvernement considère que seuls les frais et dépens exposés devant la Cour peuvent éventuellement être pris en compte et propose 1 000 EUR à ce titre.

La Cour constate que la quasi totalité des frais et dépens dont le remboursement est demandé par la requérante n’a pas été engagée pour faire cesser la violation alléguée. Elle estime toutefois que celle-ci a nécessairement engagé des frais découlant de la durée de cette procédure et lui octroie à ce titre 1 000 EUR, selon la proposition du gouvernement.


C.  Intérêts moratoires

43.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;

2.  Dit qu’il n’est pas nécessaire d’examiner le grief tiré de l’article 1 du Protocole no 1 ;

3.  Dit

a)  que l’Etat défendeur doit verser à la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention les sommes suivantes :

i. 10 000 EUR (dix mille euros) pour dommage moral ;

ii. 1 000 EUR (mille euros) pour frais et dépens ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 7 janvier 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. DolléGaukur Jörundsson
GreffièrePrésident

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