CEDH, Cour (première section), AFFAIRE AON CONSEIL ET COURTAGE S.A. ET CHRISTIAN DE CLARENS S.A. c. FRANCE, 25 janvier 2007, 70160/01

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Chronologie de l’affaire

Commentaires5

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CMS · 11 septembre 2007

La pratique des lois de validation pose de plus en plus souvent problème et les contestations s'élèvent. Le jugement du TA de Paris du 11 décembre 2006 (n° 1149 et 1155) en atteste. En présence d'une loi de validation rétroactive par laquelle le législateur intervient dans un procès en cours, l'équité du procès est mise à mal et le justiciable voit l'égalité des armes rompue à son désavantage. Dans cette hypothèse, il peut avoir recours à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés Fondamentales, qui prévoit le droit à un …

 

CEDH · 25 janvier 2007

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Première Section), 25 janv. 2007, n° 70160/01
Numéro(s) : 70160/01
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye c. France, nos 49217/99 et 49218/99, §26, 22 juillet 2003
Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 19, § 36
Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique, arrêt du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, § 31
Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51
Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 37, CEDH 2000-I
S.A. Dangeville c. France, no 36677/97, §§ 47, 48, 58, 61, CEDH 2002-III
Références à des textes internationaux :
Arrêt Roquette frères SA 28 novembre 2000 (C-88/99), réponse de la Cour de Justice des Communautés européennes à une question préjudicielle sur les dispositions de l'article L 190 du Livre des procédures fiscales;Arrêt S.A. Revert et Badelon rendu par le Conseil d'État le 30 octobre 1996
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Oui
Conclusions : Violation de P1-1 ; Dommage matériel - réparation pécuniaire ; Remboursement partiel frais et dépens - procédure nationale
Identifiant HUDOC : 001-79224
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2007:0125JUD007016001
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Sur les parties

Texte intégral

PREMIÈRE SECTION

AFFAIRE AON CONSEIL ET COURTAGE S.A. ET AUTRE

c. FRANCE

(Requête no 70160/01)

ARRÊT

STRASBOURG

25 janvier 2007

DÉFINITIF

25/04/2007

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Aon Conseil et Courtage S.A. et autre c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (première section), siégeant en une chambre composée de :

MM.C.L. Rozakis, président,
L. Loucaides,
J.-P. Costa,
MmesF. Tulkens,
N. Vajić,
M.A. Kovler,
MmeE. Steiner, juges
et de M. S. Nielsen, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 janvier 2007,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 70160/01) dirigée contre la République française et dont deux ressortissantes de cet Etat, les sociétés Aon Conseil et Courtage S.A. et Christian de Clarens S.A. (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 3 mai 2001 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes sont représentées par Me D. Garreau, avocat aux Conseils. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, Mme E. Belliard, Directrice des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Les requérantes alléguaient en particulier une violation de l'article 1er du Protocole no 1.

4.  Par une décision du 2 juin 2005, la chambre a déclaré la requête partiellement recevable.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Les requérantes, Aon Conseil et Courtage S.A. et Christian de Clarens S.A., sont des sociétés françaises, sises à Paris. La société Aon Conseil et Courtage S.A. vient aux droits de la société SGAP Expansion, elle-même venue aux droits, d'une part, de la société anonyme SGAP et, d'autre part, de la société anonyme OGIA.

6.  Les sociétés anonymes SGAP et OGIA exerçaient, à l'instar de la société Christian de Clarens, l'activité de courtage en assurance. Cette activité commerciale fut soumise à la TVA, en application de l'article 256 du code général des impôts (CGI), dans sa rédaction en vigueur jusqu'au 31 décembre 1978. Elles ont donc acquitté, à ce titre, sur leurs opérations de 1978, une taxe s'élevant à 2 061 836,46 (SGAP), 93 216,98 (OGIA) et 967 033,21 (Christian de Clarens) francs français (FRF).

7.  Or les dispositions de la 6e directive du Conseil des communautés européennes, en date du 17 mai 1977, en son article 13-B-a, exonéraient « les opérations d'assurance et de réassurance, y compris les prestations de services afférentes à ces opérations effectuées par les courtiers et les intermédiaires d'assurance ». Elles devaient entrer en vigueur dès le 1er janvier 1978.

8.  Le 30 juin 1978, la 9e directive du Conseil des communautés européennes, en date du 26 juin 1978, fut notifiée à l'Etat français. Cette 9e directive accordait à la France un délai supplémentaire pour la mise en œuvre des dispositions de l'article 13-B-a de la 6e directive de 1977, soit jusqu'au 1er janvier 1979. Une telle directive n'ayant pas d'effet rétroactif, la 6e directive devait néanmoins s'appliquer du 1er janvier au 30 juin 1978.

9.  Les 2 et 5 octobre 1978, puis les 21 et 26 juin 1979, la société Christian de Clarens déposa devant le tribunal administratif de Paris quatre requêtes ayant pour objet la restitution de la TVA versée, sur le fondement de la 6e directive du 17 mai 1977.

10.  Le 7 décembre 1979, la SGAP apporta tous ses actifs liés à l'exploitation de son fonds de commerce concernant le courtage d'assurance à une nouvelle société, dénommée SGAP Exploitation. La SGAP demeura néanmoins inscrite sous le même numéro au registre du commerce et des sociétés, prenant la dénomination de SOGEDEP le même jour, puis de SGAP Expansion le 6 janvier 1988.

11.  Par jugement du 8 janvier 1981, le tribunal administratif de Paris rejeta les quatre requêtes déposées par la société Christian de Clarens.


12.  Le 2 janvier 1986, une instruction administrative décida que :

« (...) les courtiers d'assurances qui n'ont pas soumis leurs opérations à la taxe sur la valeur ajoutée entre le 1er janvier et le 30 juin 1978 et ont fait l'objet de redressements de ce fait, ne seront plus recherchés en paiement des sommes dont ils restent redevables à ce titre à la date de publication de la présente instruction. »

13.  Le 1er juillet 1992, la cour administrative d'appel de Paris, statuant dans une affaire « Cabinet Dangeville », déclara l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable pour la période considérée, incompatible avec les dispositions de la 6e directive.

14.  Par lettres du 20 décembre 1993, estimant que l'Etat français avait créé une situation illicite en ne transposant pas en droit interne les dispositions de la 6e directive dans les délais impartis, les sociétés anonymes SGAP, OGIA et Christian de Clarens demandèrent à l'administration réparation du dommage subi.

15.  Par décisions en date du 8 février 1994, pour les sociétés SGAP et OGIA, et du 4 mars 1994, pour la société Christian de Clarens, le ministre du Budget rejeta ces demandes aux motifs, d'une part, que par application des dispositions de l'article L 190 du Livre des procédures fiscales (LPF), la demande de la requérante était irrecevable et, d'autre part, que le montant du préjudice devait être réduit du montant de la taxe sur les salaires due par les entreprises exonérées de TVA.

16.  Le 9 avril 1994, les sociétés SGAP, OGIA et Christian de Clarens saisirent le tribunal administratif de Paris en vue de faire constater la responsabilité de l'Etat français pour n'avoir pas transposé en droit interne la 6e Directive du 17 mai 1977 et, partant, leur avoir occasionné un dommage correspondant au paiement indu de la TVA pour l'année 1978, paiement dont elles réclamèrent le remboursement.

17.  Par jugement en date du 15 mars 1995, le tribunal administratif de Paris, après avoir joint les requêtes des requérantes avec celles d'autres demanderesses, notamment les sociétés Cabinet Diot et Gras Savoye, déclara leurs requêtes irrecevables par application de l'article L 190 alinéa 3 du LPF, aux motifs que :

« les dispositions sont de portée générale et n'ont pas pour objet de faire obstacle à l'application d'une disposition des traités, règlements, directives, décisions communautaires ou à l'exécution d'un arrêt de la Cour de Justice des Communautés ;

qu'elles ont seulement pour objet de définir dans un but légitime de sécurité juridique la période pendant laquelle peuvent agir en décharge de l'impôt à répétition de l'indu ou en réparation les contribuables qui n'ont pas agi spontanément et auxquels une décision juridictionnelle intervenant dans une instance à laquelle ils ne sont pas parties révèle qu'ils ont été imposés à tort ; que la prescription ainsi instituée n'a pas pour conséquence d'interdire aux intéressés raisonnablement diligents de faire inutilement valoir les droits qu'ils peuvent tenir de l'application de normes communautaires ;

considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'article L 190 du Livre des Procédures Fiscales n'est manifestement pas incompatible avec une norme communautaire ayant valeur de convention internationale ; qu'il n'y a en conséquence pas lieu d'en écarter l'application ;

considérant par ailleurs que les dispositions du 3ème alinéa dudit article concernent explicitement tant les actions en répétition de l'indu que les actions en réparation du préjudice subi ; que rien ne permet de penser que le législateur aurait entendu exclure du champ d'application de ces dispositions certaines de ces actions en raison de la nature des préjudices invoqués ou de l'imposition en cause ;

considérant que s'il n'est pas cassé sur ce point, l'arrêt rendu le 1er juillet 1992 par la Cour administrative d'appel de Paris sur la requête de la Société CABINET JACQUES DANGEVILLE sera la première décision juridictionnelle qui aura révélé une incompatibilité entre l'article 256-1 du Code général des Impôts dans sa rédaction applicable pour la période considérée et la 6ème directive du conseil des communautés européennes ; qu'en application des dispositions précitées de l'article L 190 du Livre des Procédures Fiscales c'est en conséquence à compter de la date de cette décision que pouvait être déterminée, pour l'ensemble des contribuables la période, prévue par le même article, sur laquelle peuvent porter les actions en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à la déduction non exercées ou en réparation du préjudice menées sur le fond de cette incompatibilité ;

considérant qu'il résulte de ce qui précède que les demandes des sociétés requérantes qui sont relatives à des impositions perçues pour le premier semestre de l'année 1978 sont irrecevables et doivent en conséquence être rejetées. »

18.  Le 16 juin 1995, dans le cadre d'une fusion par voie d'absorption, la société SGAP Expansion absorba la société OGIA, ainsi que la société SGAP Exploitation, celle-là même à qui elle avait cédé l'intégralité de son fonds de commerce le 7 décembre 1979.

19.  Le 18 septembre 1995, les sociétés SGAP Expansion et Christian de Clarens interjetèrent appel de ce jugement devant la cour administrative d'appel de Paris.

20.  Le 5 décembre 1995, elles déposèrent un mémoire ampliatif. Tout en confirmant leurs demandes de remboursement, elles firent de nouveau valoir que les dispositions de l'article L 190 du LPF ne pouvaient leur être valablement opposées, leurs demandes ayant pour objet l'indemnisation d'un préjudice né d'un manquement de l'Etat à ses obligations communautaires.

21.  Parallèlement, dans l'affaire Dangeville précitée, le Conseil d'Etat, saisi d'un recours contre l'arrêt rendu le 1er juillet 1992 par la cour administrative d'appel de Paris, statua essentiellement comme suit par un arrêt du 30 octobre 1996 :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel de Paris que, par décision du 19 mars 1986, le Conseil d'Etat statuant au Contentieux a rejeté une requête de la société anonyme Jacques Dangeville tendant à la restitution de la taxe sur la valeur ajoutée que celle-ci avait acquittée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1978, par le moyen, notamment, que son assujettissement à cette taxe aurait procédé de l'application de dispositions législatives incompatibles avec les objectifs de la sixième directive du Conseil des Communautés européennes, du 17 mai 1977 ; que la requête de la société anonyme Jacques Dangeville sur laquelle a statué la cour par l'arrêt attaqué tendait à l'obtention d'une « indemnité » de montant égal à celui de la taxe sur la valeur ajoutée ainsi supportée, en réparation du « préjudice » que sa charge a constitué pour la société, et par le moyen que ce préjudice était imputable au retard apporté par l'Etat français à transposer dans le droit interne les objectifs de la directive ; que, par suite, en jugeant que la circonstance que la société « ait d'abord déféré en vain l'imposition en cause au juge de l'impôt » ne faisait pas l'obstacle à la recevabilité d'une demande en réparation qui n'invoquait pas de préjudice autre que celui résultant du paiement de la taxe, la cour administrative d'appel de Paris a, comme le soutient le ministre du Budget, commis une erreur de droit ; que le ministre du Budget est, dès lors, fondé à demander que l'arrêt attaqué soit annulé en tant que la Cour a fait droit, pour partie, aux conclusions de la requête de la société anonyme Jacques Dangeville ; (...) ».

22.  Le même jour, le Conseil d'Etat statua sur l'appel interjeté le 23 août 1982 par la S.A. Revert et Badelon contre le jugement du tribunal administratif de Paris du 10 juin 1982. Le Conseil d'Etat opéra un revirement de jurisprudence par rapport à sa position adoptée dans son arrêt du 26 février 1986 relatif à la requérante : le pourvoi de la S.A. Revert et Badelon fut déclaré recevable par le Conseil d'Etat, qui estima que la requérante pouvait se prévaloir des dispositions de la 6e directive et considéra que la décharge de l'imposition contestée, qui était dépourvue de base légale en raison de sa contrariété avec les prévisions de cette directive, devait être accordée pour les sommes indûment versées du 1er janvier au 30 juin 1978.

23.  Par un arrêt en date du 28 janvier 1997, la cour administrative d'appel de Paris rejeta les recours des requérantes, aux motifs que :

« les demandes adressées par [les sociétés] au Tribunal administratif tendaient à l'octroi de dommages et intérêts (...) afin d'obtenir la réparation, que [leur] avait refusée le ministre du budget (...) du préjudice (...) de [leur] assujettissement fautif ; pour les montants mêmes susindiqués, à la taxe sur la valeur ajoutée au titre du 1er semestre de l'année 1978 ; qu'il est cependant constant que [les intéressées], à la date du 9 avril 1994, d'enregistrement au greffe du tribunal de cette demande, n'avai[en]t pas obtenu, après avoir saisi l'administration, puis, le cas échéant d'un rejet de [leur] contestation par cette dernière, le juge de l'impôt de réclamation(s) selon les voies des droits spécifiques décrites aux articles L 190 et suivants du Livre des Procédures Fiscales, la décharge desdites cotisations de taxe sur la valeur ajoutée ; que dans ces conditions, comme le fait valoir le ministre lesdites demandes étaient irrecevables ; qu'il suit de là que [les sociétés ne sont] pas fondées à se plaindre que par le jugement attaqué le Tribunal administratif de Paris les ait rejetées comme mal fondées. »

24.  Selon requête, en date du 17 mars 1997 complétée par un mémoire ampliatif en date du 17 juillet 1997, les sociétés SGAP Expansion et Christian de Clarens formèrent un pourvoi en cassation.

25.  Le 30 juin 2000, la société SGAP Expansion fut absorbée par la société Aon France, laquelle apporta sa branche de courtage et d'assurances le jour même à la société Le Blanc de Nicolay Réassurance. Cette dernière changea ultérieurement de dénomination, pour s'appeler Aon Conseil et Courtage.

26.  Par arrêt du 10 novembre 2000, le Conseil d'Etat rejeta les requêtes, jugeant que :

« les conclusions présentées par [les sociétés] tendaient à l'obtention d'une indemnité pour faute de l'Etat d'un montant égal à la taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait acquittée au titre du premier semestre 1978 ; que ces conclusions, qui avaient en réalité le même objet qu'une demande aux fins de restitution de la taxe sur la valeur ajoutée payée, ne pouvaient être présentées que dans les formes et dans les délais prévus par l'article L 190 et suivants du Livre des Procédures Fiscales et étaient, par suite, irrecevables ; que ce motif, qui répond à un moyen soulevé devant les juges du fond, n'implique aucune appréciation de circonstances de fait, doit être substitué au motif, juridiquement erroné, retenu par l'arrêt attaqué, dont il justifie le dispositif ; que la requête (...) ne peut qu'être rejetée. »

II.  LE DROIT INTERNE PERTINENT

27.  Les dispositions de l'article L 190 du Livre des procédures fiscales (LPF), applicables au moment des faits, se lisent comme suit :

« Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir soit la réparation d'erreurs commises dans l'assiette ou le calcul des impositions, soit le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire ;

Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à la décharge ou à la réduction d'une imposition ou à l'exercice de droits à déduction, fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure.

Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle, l'action en restitution des sommes versées ou en paiement des droits à déduction non exercés ou l'action en réparation du préjudice subi ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision révélant la non-conformité est intervenue. »

28.  Dans un arrêt Roquette frères SA du 28 novembre 2000 (C-88/99), la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a répondu comme suit en réponse à une question préjudicielle sur les dispositions de l'article L 190 du LPF :

« Le droit communautaire ne s'oppose pas à la réglementation d'un Etat membre prévoyant que, en matière fiscale, l'action en répétition de l'indu fondée sur la déclaration par une juridiction nationale ou communautaire de la non-conformité d'une règle nationale avec une règle nationale supérieure ou avec une règle communautaire ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la quatrième année précédant celle où la décision juridictionnelle révélant la non‑conformité est intervenue. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 1er DU PROTOCOLE No 1

29.  Les requérantes se plaignent du rejet de leur demande de remboursement des sommes indûment payées au titre de la TVA pour le premier semestre de l'année 1978. Elles invoquent l'article 1er du Protocole no 1, dont les dispositions se lisent ainsi :

« Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes. »

A.  Arguments des parties

1.  Le Gouvernement

30.  Le Gouvernement considère que les sociétés requérantes ne disposaient plus, à la date de leur premier recours le 20 décembre 1993, d'un « bien » au sens de l'article 1er du Protocole no 1. Si les sociétés SGAP Expansion, OGIA et Christian de Clarens ont, en 1978 et à la lumière de l'arrêt S.A. Dangeville c. France (arrêt du 16 avril 2002, no 36677/97, CEDH 2002-III), détenu sur l'Etat une créance répondant aux exigences de l'article 1er du Protocole no 1, les situations de fait et de droit diffèrent notablement, au point que la solution retenue par la Cour dans l'affaire Dangeville ne soit pas transposable : alors que la société Dangeville avait contesté dès l'origine le paiement indu de la TVA, les trois sociétés concernées en l'espèce ont attendu le 20 décembre 1993, soit 15 années après le paiement de la TVA litigieuse, plus précisément après l'arrêt rendu le 1er juillet 1992 par la cour administrative de Paris en faveur de la société Dangeville. Le Gouvernement précise que l'article L 190 du LPF permet à des contribuables atteints par la forclusion de se prévaloir, malgré leur inaction passée, d'une évolution de jurisprudence pour obtenir la restitution de sommes que cette décision révèle avoir été indûment versées : or les impositions litigieuses étaient en l'espèce antérieures de dix années à la limite temporelle fixée par l'article L 190 du LPF. Indépendamment de cette cause d'irrecevabilité retenue par les juridictions internes, l'application de la loi no 68-1250 du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics aurait entraîné l'irrecevabilité de la demande pour cause de prescription de la créance sur l'Etat. En tout état de cause, compte tenu du principe de subsidiarité, il estime que les requérantes ne peuvent valablement invoquer l'absence de recours effectif en raison du fait qu'à l'époque la jurisprudence administrative ne reconnaissait pas encore l'applicabilité directe en droit interne des directives communautaires : c'est précisément en saisissant les juges internes de sa demande que la société Dangeville a obtenu un important développement jurisprudentiel par l'arrêt de la cour administrative d'appel du 1er juillet 1992. Le Gouvernement estime également que les sociétés auraient pu saisir la Commission européenne des Droits de l'Homme dès 1978, en invoquant des recours internes manifestement dépourvus de toute chance de succès.

31.  Subsidiairement, le Gouvernement considère que l'irrecevabilité de la demande retenue par les juges internes, sur le fondement de l'article L 190 du LPF, a respecté, eu égard à l'ancienneté des faits litigieux et du principe de sécurité juridique, un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de sauvegarde des droits fondamentaux des individus.

2.  Les requérantes

32.  Les sociétés requérantes contestent les observations présentées par le Gouvernement sur le fondement de l'article L 190 du LPF. Elles estiment que ce dernier crée une restriction contraire à l'article 1er du Protocole no 1, en ce qu'il limite l'accès au tribunal aux seuls recours fondés sur une assiette réduite, interdisant de facto un recours indemnitaire sur la totalité de l'assiette de la créance (Miragall Escolano et autres c. Espagne, arrêt du 25 janvier 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-I) : en fait, soit aucune décision juridictionnelle favorable n'est rendue et le requérant ne peut accéder à un tribunal, soit une décision favorable est rendue et l'assiette est alors réduite en fonction de la date de cette décision. En conséquence, il suffirait aux juridictions de différer la reconnaissance de la non-conformité pour priver un requérant de son droit à indemnité à raison de la non‑conformité. En l'espèce, l'article L 190, en limitant l'assiette du recours aux quatre années précédant l'arrêt rendu pour la société Dangeville en 1992, exclut le droit à réparation pour la TVA indûment perçue au premier semestre 1978 : l'article 1er du Protocole no 1 a donc bien été violé.

33.  La société Christian de Clarens précise également que, contrairement aux affirmations du Gouvernement, elle a agi dès 1978 : quatre requêtes ayant pour objet la restitution de la TVA versée, sur le fondement de la 6e directive du 17 mai 1977, avaient notamment été déposées les 2 et 5 octobre 1978, puis les 21 et 26 juin 1979, devant le tribunal administratif de Paris, lequel a finalement rejeté les requêtes par jugement du 8 janvier 1981. Dans ces conditions, elle ne peut se voir reprocher une prétendue période d'inactivité pendant quinze ans et la disparition subséquente de son droit de créance.

B.  Appréciation de la Cour

1.  Sur l'existence d'un bien au sens de l'article 1er du Protocole no 1

34.  La Cour note que les parties ont des vues divergentes quant à la question de savoir si les requérantes étaient ou non titulaires d'un « bien » susceptible d'être protégé par l'article 1er du Protocole no 1. Par conséquent, elle est appelée à déterminer si la situation juridique dans laquelle se sont trouvées les sociétés requérantes est de nature à relever du champ d'application de l'article 1er.

35.  La Cour constate que les dispositions de la 6e directive du Conseil des communautés européennes devaient initialement entrer en vigueur le 1er janvier 1978, la 9e directive accordant à la France un délai supplémentaire pour la mise en œuvre des dispositions de l'article 13-B-a de la 6e directive de 1977, soit jusqu'au 1er janvier 1979. Une telle directive n'ayant pas d'effet rétroactif, la 6e directive devait donc s'appliquer du 1er janvier au 30 juin 1978.

36.  Or, la Cour rappelle que l'administration fiscale n'a commencé à en tirer les conséquences que par une instruction administrative du 2 janvier 1986, laquelle prévoyait que les courtiers qui n'avaient pas payé la TVA litigieuse et qui avaient fait l'objet d'un redressement fiscal de ce fait étaient dispensés du paiement. Cependant, si cette instruction administrative tirait les conséquences de la 6e directive pour les sociétés qui avaient refusé de payer la TVA, elle ne réglait absolument pas la question du remboursement de la TVA indue pour les sociétés qui l'avaient payée.

37.  La Cour rappelle également que, jusqu'à l'arrêt S.A. Revert et Badelon rendu par le Conseil d'Etat le 30 octobre 1996, celui-ci refusait de faire droit aux demandes de remboursement des sociétés d'assurance concernées, estimant notamment ne pas devoir contrôler une norme nationale au regard d'une norme communautaire.

38.  Nonobstant le fait qu'il n'est pas contesté que le droit communautaire devait recevoir application, la norme communautaire étant une directive dont le délai qu'elle fixait était de surcroît échu, son application fut néanmoins mise en échec pour les sociétés concernées, à l'instar des requérantes, pendant près de sept ans et demi à compter de la date de notification de la 9e directive.

39.  Partant, on ne saurait admettre qu'un délai de recours soit opposé aux sociétés requérantes, dès lors que ledit recours était inefficace en droit interne, ce que la Cour a déjà précédemment constaté (arrêts S.A. Dangeville, précité, et S.A. Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye c. France, nos 49217/99 et 49218/99, 22 juillet 2003). A cet égard, la Cour note que le Conseil d'Etat a effectué un revirement de sa jurisprudence en octobre 1996, ce qui offrait un recours efficace en remboursement devant les juridictions administratives françaises. Or les sociétés requérantes ont présenté leurs demandes plusieurs années auparavant, à savoir le 20 décembre 1993, à la suite de l'arrêt rendu le 1er juillet 1992 par la cour administrative d'appel de Paris qui, pour la première fois, avait fait droit à la demande de la société Dangeville. Force est d'ailleurs de constater que si les requérantes ont légitimement pu considérer que cette jurisprudence était de nature à rendre le recours interne effectif, cet arrêt de la cour administrative d'appel a néanmoins été annulé par le Conseil d'Etat.

40.  En conclusion, la Cour note, d'une part, que les dispositions contraignantes de la 6e directive n'étaient toujours pas transposées en droit français à la date d'introduction du recours des requérantes et, d'autre part, que si la première décision laissant envisager un revirement de jurisprudence est intervenue le 1er juillet 1992, un tel revirement n'a finalement été opéré qu'en octobre 1996, par le Conseil d'Etat.

41.  Or les requérantes ont bien introduit leur recours devant les juridictions internes alors que leur droit était non seulement intact au regard des normes communautaires applicables, mais également méconnu au niveau interne et ce, tant par les autorités que par les juridictions administratives. Compte tenu de ce qui précède, la Cour est d'avis que l'on ne saurait retenir les arguments du Gouvernement pour opposer un délai de forclusion aux requérantes dans les circonstances de la cause.

42.  Ainsi, s'agissant du délai de prescription fiscale prévu par les dispositions de l'article L 190 du LPF, la Cour relève que les requérantes tiraient leurs droits de créance d'une norme communautaire parfaitement claire, précise et directement applicable. Ce droit n'a pas disparu avec l'expiration du délai de recours litigieux prévu par le droit national et invoqué par le Gouvernement, dès lors qu'il n'est pas contesté que ce même droit national violait alors le droit communautaire directement applicable et que, en outre, ledit délai de forclusion concernait un recours interne inefficace.

43.  La Cour rappelle que la seule circonstance que les juridictions administratives aient eu recours à ce délai interne ne saurait justifier un manquement aux règles actuelles du droit européen (voir, mutatis mutandis, Delcourt c. Belgique, arrêt du 17 janvier 1970, série A no 11, p. 19, § 36 ; S.A. Dangeville, précité, § 47). Elle rappelle également, à cet égard, que l'interprétation déraisonnable d'une exigence procédurale qui empêche l'examen au fond d'une demande d'indemnisation emporte la violation du droit à une protection effective par les cours et tribunaux (Miragall Escolano et autres c. Espagne, nos 38366/97, 38688/97, 40777/98, 40843/98, 41015/98, 41400/98, 41446/98, 41484/98, 41487/98 et 41509/98, § 37, CEDH 2001-I).

44.  Compte tenu de ce qui précède, la Cour considère que le délai de prescription fiscale prévu par l'article L 190 du LPF ne pouvait faire disparaître un droit substantiel né de la 6e directive (voir, mutatis mutandis, S.A. Dangeville, précité) et que les requérantes bénéficiaient, lors de leurs recours, d'une créance sur l'Etat en raison de la TVA indûment versée pour la période du 1er janvier au 30 juin 1978. Une créance de ce genre « s'analysait en une valeur patrimoniale » et avait donc le caractère d'un « bien au sens de la première phrase de l'article 1, lequel s'appliquait dès lors en l'espèce » (voir notamment les arrêts Pressos Compania Naviera S.A. et autres c. Belgique du 20 novembre 1995, série A no 332, p. 21, § 31 ; S.A. Dangeville, précité, § 48 ; S.A. Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye, précité, § 26).

45.  En tout état de cause, la Cour est d'avis que les requérantes avaient pour le moins une espérance légitime de pouvoir obtenir le remboursement de la somme litigieuse (Pine Valley Developments Ltd et autres c. Irlande, arrêt du 29 novembre 1991, série A no 222, p. 23, § 51 ; S.A. Dangeville, précité ; S.A. Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye, précité).

2.  Sur le droit des requérantes au respect de leurs « biens »

46.  La Cour rappelle que, dans son arrêt S.A. Dangeville, elle a estimé, d'une part, que l'ingérence dans les biens de la requérante ne répondait pas aux exigences de l'intérêt général (§ 58) et, d'autre part, que tant la mise en échec de la créance de la requérante sur l'Etat que l'absence de procédures internes offrant un remède suffisant pour assurer la protection du droit au respect de ses biens avaient rompu le juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus (§ 61 ; voir également S.A. Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye, précité, § 26).

47.  La Cour, saisie d'un grief identique par la présente requête, ne voit pas de raison de la distinguer des précédentes affaires examinées par elle.

48.  Il s'ensuit, pour les motifs indiqués ci-dessus, que l'équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux des individus a été rompu.

49.  En conclusion, il y a eu violation de l'article 1er du Protocole no 1.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

50.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

51.  La société Aon Conseil et Courtage demande 328 535,78 euros (EUR) au titre de la TVA indûment perçue en 1978 (314 324,94 EUR au titre de la société SGAP et 14 210,84 EUR au titre de la société OGIA), ainsi que 664 961,37 EUR d'intérêts (636 198,42 EUR au titre de la société SGAP et 28 762,95 EUR au titre de la société OGIA), soit un total de 993 497,15 EUR. La société Christian de Clarens demande quant à elle le versement d'une somme de 147 423,26 EUR au titre de la TVA indûment perçue en 1978 et 298 386,78 EUR d'intérêts, soit un total de 445 810,04 EUR.

52.  Le Gouvernement propose que soient versées les sommes de 168 440,35 EUR à la société Aon Conseil et Courtage (soit 161 335,35 EUR au titre de la société SGAP et 7 105 EUR au titre de la société OGIA) et de 73 712 EUR à la société Christian de Clarens.

53.  La Cour considère, vu la violation constatée de l'article 1er du Protocole no 1, que la meilleure forme de réparation consisterait dans le remboursement de la TVA indûment versée du 1er janvier au 30 juin 1978 (arrêts S.A. Dangeville, précité, § 70, et S.A. Cabinet Diot et S.A. Gras Savoye, précité, § 32). Tout en écartant les autres prétentions des requérantes, la Cour note que le montant de la TVA s'élevait, pour un seul semestre de l'année 1978, à 164 267,89 EUR pour la société Aon Conseil et Courtage et à 73 711,63 EUR pour la société Christian de Clarens. Au vu de ce qui précède et statuant en équité, comme le veut l'article 41 de la Convention, la Cour alloue ces sommes au titre du dommage matériel.

B.  Frais et dépens

54.  La société Aon Conseil et Courtage sollicite 6 387,62 EUR (3 652,68 EUR devant les juridictions internes et 2 734,94 EUR devant la Cour pour la société SGAP) et 9 682,98 EUR (1 446,44 EUR devant les juridictions internes et 8 236,54 EUR devant la Cour pour la société OGIA), soit un total de 16 070,60 EUR. La société Christian de Clarens sollicite 10 408,86 EUR (3 652,68 EUR devant les juridictions internes et 6 756,18 EUR devant la Cour).

55.  Le Gouvernement propose le versement d'une somme de 15 000 EUR à la société Aon Conseil et Courtage et de 10 000 EUR à la société Christian de Clarens.

56.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En outre, lorsque la Cour constate une violation de la Convention, elle n'accorde au requérant le paiement des frais et dépens qu'il a exposés devant les juridictions nationales que dans la mesure où ils ont été engagés pour prévenir ou faire corriger par celles-ci ladite violation : tel a bien été le cas en l'espèce en ce qui concerne les recours internes exercés par les requérantes. La Cour leur alloue les montants demandés de ce chef, soit 5 099,12 EUR pour la société Aon Conseil et Courtage et 3 652,68 EUR pour la société Christian de Clarens.

Par ailleurs, la Cour estime que les montants réclamés pour la procédure devant elle n'apparaissent pas raisonnables compte tenu des circonstances de l'espèce. En conséquence, statuant en équité comme le veut l'article 41, elle accorde la somme de 2 000 EUR à chacune des deux requérantes de ce chef.

C.  Intérêts moratoires

57.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR,

1.  Dit, à l'unanimité, qu'il y a eu violation de l'article 1er du Protocole no 1 concernant la société Christian de Clarens ;

2.  Dit, par cinq voix contre deux, qu'il y a eu violation de l'article 1er du Protocole no 1 concernant la société Aon Conseil et Courtages ;

3.  Dit, par cinq voix contre deux,

a)  que l'Etat défendeur doit verser, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 164 267,89 EUR (cent soixante-quatre mille deux cent soixante-sept euros et quatre-vingt-neuf centimes) pour dommage matériel et 7 099,12 EUR (sept mille quatre-vingt-dix-neuf euros et douze centimes) au titre des frais et dépens à la société Aon Conseil et Courtage, ainsi que 73 711,63 EUR (soixante-treize mille sept cent onze euros et soixante-trois centimes) pour dommage matériel et 5 652,68 EUR (cinq mille six cent cinquante-deux euros et soixante-huit centimes) pour frais et dépens à la société Christian de Clarens S.A. au titre des frais et dépens, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ces montants seront à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 janvier 2007 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Søren NielsenChristos Rozakis
GreffierPrésident

Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 45 § 2 de la Convention et 74 § 2 du règlement, l'exposé de l'opinion partiellement dissidente commune à MM. les juges Costa et Kovler.

C.L.R.
S.N.


OPINION PARTIELLEMENT DISSIDENTE COMMUNE

A MM. LES JUGES COSTA ET KOVLER

1.  La majorité de la Chambre a dit que l'article 1er du Protocole no 1 avait été violé au détriment de la société AON Conseil et Courtages. Nous ne sommes pas d'accord avec elle sur ce point.

2.  Pour conclure à une telle violation, nos collègues ont estimé que l'administration n'avait pas pu légalement opposer à cette société – la première requérante – le délai de prescription de quatre ans, prévu par l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales, quant à sa demande de restitution du montant de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée par elle illégalement.

3.  Or la société AON Conseil et Courtages avait acquitté cette taxe sur ses opérations de 1978, en application de l'article 256 du code général des impôts dans sa rédaction alors en vigueur, et elle n'a fait une demande de restitution, pour la première fois, que le 20 décembre 1993, soit plus de quinze ans plus tard et donc bien après l'expiration du délai de quatre années. Sa situation est très différente de celle de la seconde requérante : celle-ci, soumise à la TVA pour ses opérations afférentes à la même période, a formé des demandes dès le 2 octobre 1978, interrompant ainsi très rapidement le délai de prescription.

4.  Certes, ce n'est qu'en 1992 qu'un arrêt de la cour administrative d'appel a jugé que l'article 256 du code général des impôts devait être écarté comme incompatible avec les dispositions de la sixième directive communautaire sur la TVA., que la France a transposée tardivement. Cet arrêt fut rendu à la suite d'un recours de la société Dangeville, elle aussi dans la même situation (voir S.A. Dangeville c. France, no 36677/97, CEDH 2002‑III).

5.  Toutefois, le texte clair de l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales, cité au paragraphe 27 du présent arrêt, obligeait la première requérante, pour échapper à la prescription de sa demande en répétition de l'indu, à former celle-ci – à l'instar de la seconde requérante et de la société Dangeville – quatre ans au plus avant la date de la décision juridictionnelle révélant la non-conformité de la règle de droit qui lui fut appliquée (l'article 256) à une règle supérieure (la sixième directive), ce qu'elle a omis de faire.

6.  On peut certes objecter que ce délai de prescription serait trop court et donc contraire à la Convention. Nous ne le pensons pas.


7.  En premier lieu, par son arrêt Roquette frères S.A. du 28 novembre 2000, cité au paragraphe 28 du présent arrêt, la Cour de Justice des Communautés européennes (CJCE) a dit pour droit que le droit communautaire ne s'opposait pas à la validité de l'article L. 190 du Livre des procédures fiscales français. Même si la CJCE n'avait pas à appliquer l'article 1er du Protocole no 1 (d'ailleurs non invoqué dans la question préjudicielle qui lui avait été soumise), il nous semble fâcheux qu'il y ait un semblant de divergence entre les deux Cours suprêmes européennes, qui évitent soigneusement de telles divergences (voir, par exemple, nos arrêts Matthews c. Royaume-Uni [GC], no 24833/94, CEDH 1999‑I et Société Colas Est et autres c. France, no 37971/97, CEDH 2002‑III, et, respectivement, les arrêts de la CJCE Royaume d'Espagne c. Royaume-Uni du 12 septembre 2006, affaire C 145/04, et Roquette frères – il s'agit d'une autre espèce – du 22 octobre 2002, affaire C-94/00 ; voir aussi notre arrêt Stec et autres c. Royaume-Uni [GC], no 65731/01, § 58, CEDH 2006‑... qui se réfère expressément à l'arrêt de la CJCE dans l'affaire C 196-98, Hepple c. Royaume-Uni).

8.  En second lieu, la jurisprudence de notre Cour a toujours admis que les délais de prescription (à condition d'être raisonnablement longs), qui obéissent à des impératifs de sécurité juridique, et qui entrent dans la marge d'appréciation étatique, sont compatibles avec la Convention. Ainsi, dans son arrêt Stubbings (Stubbings et autres c. Royaume-Uni, arrêt du 22 octobre 1996, Recueil des arrêts et décisions 1996‑IV), la Cour a jugé qu'un délai de prescription de six ans ne méconnaissait pas le droit d'accès à un tribunal, alors même que ce délai excluait la possibilité, pour des mineurs victimes de sévices sexuels, d'engager une procédure en réparation au civil ; il s'agissait donc d'une matière grave.

9.  En dernier lieu, dans le cas du droit de propriété, la Cour a jugé que l'espoir de survivance d'un ancien droit qu'il est depuis longtemps impossible d'exercer effectivement ne constitue même pas un « bien » au sens de l'article 1er du Protocole no 1 (Malhous c. République tchèque [GC], no 33071/96, CEDH 2000-XII). Mutatis mutandis, cette jurisprudence est transposable à la créance de la première requérante, qui s'est acquittée d'une imposition en 1978 et n'en a demandé la restitution qu'à la fin de 1993.

10.  Pour ces raisons, nous considérons que l'article 1er du Protocole no 1 n'était pas applicable ratione materiae à la société AON Conseil et courtages ou, subsidiairement, qu'il n'a pas été violé en ce qui la concerne.

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CEDH, Cour (première section), AFFAIRE AON CONSEIL ET COURTAGE S.A. ET CHRISTIAN DE CLARENS S.A. c. FRANCE, 25 janvier 2007, 70160/01