CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE ELEFTERIADIS c. ROUMANIE, 25 janvier 2011, 38427/05

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Commentaires6

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revdh.revues.org · 14 novembre 2011

1La stérilisation d'une jeune femme slovaque d'origine Rom en août 2000 sans qu'elle n'y ait consenti de façon éclairée constitue une violation des articles 3 (interdiction des traitements inhumains et dégradants) et 8 (droit au respect de la vie privée et familiale). L'intéressée avait en effet été invitée par l'équipe médicale à signer le formulaire de consentement alors même qu'elle se trouvait en dernière phase du travail d'accouchement de son second enfant. Cet acte irréversible fut ensuite réalisé immédiatement. La condamnation de la Slovaquie par la Cour européenne des droits de …

 

revdh.revues.org · 6 novembre 2011

1Le vendredi 4 novembre 2011, Sir Nicolas Bratza a officiellement pris ses nouvelles fonctions de Président de la Cour européenne des droits de l'homme. Il avait été désigné en ce sens le 4 juillet 2011 par l'Assemblée plénière de la Cour (ADL du 4 juillet 2011). Troisième britannique à exercer ces fonctions (après Sir Humphrey Waldock – 1971 à 1974 – et Lord McNair – 1959 à 1965), le juge élu au titre du Royaume-Uni depuis le 1er novembre 1998 remplace Jean-Paul Costa. Ce dernier – juge élu au titre de la France également depuis le 1er novembre 1998 et Président de la Cour depuis le 19 …

 

revdh.revues.org · 23 octobre 2011

1 Les violences et brimades infligées à un détenu – notamment en raison de son homosexualité – par ses codétenus ne pas révèlent pas une violation par la France de son obligation positive de protection contre les traitements inhumains et dégradants (Art. 3). La Cour européenne des droits de l'homme a certes admis que les violences subies par le détenu étaient « suffisamment sérieuses pour conférer aux faits en cause le caractère de traitement inhumain et dégradant, au sens de l'article 3 » (§ 84). Mais ce n'est que de façon médiate que la responsabilité conventionnelle de l'État …

 
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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Troisième Section), 25 janv. 2011, n° 38427/05
Numéro(s) : 38427/05
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 61, Recueil des arrêts et décisions 1996-VI
Aparicio Benito c. Espagne (déc.), no 36150/03, 3 novembre 2006
Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007
Bragadireanu c. Roumanie, no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007
Brânduse c. Roumanie, no 6586/03, § 33, CEDH 2009-...(extraits)
Choukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008
Danev c. Bulgarie, no 9411/05, § 34, 2 septembre 2010
Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 53, 14 septembre 2010
Ilhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000-VII
Iovtchev c. Bulgarie, no 41211/98, § 146, 2 février 2006
Kudla c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI
Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX
Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004
Price c. Royaume­Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001-VII
Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 34, série A no 336
Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999-V
Stoine Hristov c. Bulgarie (no 2), no 36244/02, §§ 43-45, 16 octobre 2008
Tekin Yildiz c. Turquie, no 22913/04, § 71, 10 novembre 2005
Tomasi c. France, 27 août 1992, § 110, série A no 241-A
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Partiellement irrecevable ; Violation de l'art. 3 (volet matériel) ; Préjudice moral - réparation
Identifiant HUDOC : 001-103007
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2011:0125JUD003842705
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Sur les parties

Texte intégral

TROISIÈME SECTION

AFFAIRE ELEFTERIADIS c. ROUMANIE

(Requête no 38427/05)

ARRÊT

STRASBOURG

25 janvier 2011

DÉFINITIF

25/04/2011

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l'article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Elefteriadis c. Roumanie,

La Cour européenne des droits de l'homme (troisième section), siégeant en une chambre composée de :

Josep Casadevall, président,
Elisabet Fura

Corneliu Bîrsan,

Egbert Myjer,
Ineta Ziemele,

Luis López Guerra,
Ann Power, juges,

et de Santiago Quesada, greffier de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 4 janvier 2011,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 38427/05) dirigée contre la Roumanie et dont un ressortissant de cet Etat, M. Anesti Elefteriadis (« le requérant »), a saisi la Cour le 8 octobre 2005 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Maître Victor Constantin, avocat à Bucarest. Le gouvernement roumain (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Răzvan-Horaţiu  Radu, du ministère des Affaires étrangères.

3.  Le requérant allègue en particulier avoir été soumis, en violation de l'article 3 de la Convention, à des traitements inhumains ou dégradants en raison de ses conditions de détention, au motif qu'il aurait été obligé de purger sa peine en partageant une cellule avec des détenus fumeurs et qu'il aurait été transporté et enfermé avant les audiences devant les tribunaux nationaux avec des détenus fumeurs.

4.  Le 20 novembre 2008, le président de la troisième section a décidé de communiquer la requête au Gouvernement. Comme le permet l'article 29 § 1 de la Convention, il a en outre été décidé que la chambre se prononcerait en même temps sur la recevabilité et le fond de l'affaire.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L'ESPÈCE

5.  Le requérant est né en 1966. Il purge actuellement une peine de prison au centre de détention de Poarta Albă.

1.  Les premières années de détention du requérant

6.  Le 1er janvier 1992, le requérant fut incarcéré au centre pénitentiaire de Galaţi afin de purger une peine de prison à perpétuité à l'issue d'une décision définitive de condamnation pour meurtre. Il fut déclaré cliniquement sain à l'issue d'un examen médical réalisé par le médecin de la prison. Du 1er janvier 1994 au 14 décembre 2000, il purgea sa peine dans le centre pénitentiaire de Craiova, où il partagea pendant quelques années la même cellule que trois détenus fumeurs. La cellule mesurait 13,81 m2 et était dotée d'une fenêtre qui servait à l'aération de la pièce. Le programme quotidien prévoyait deux heures de promenade dans la cour du centre de détention.

7.  Le 25 janvier 1999, à la suite d'un examen pulmonaire, un médecin releva que le requérant souffrait de fibrose pulmonaire.

8.  Le requérant indique avoir demandé à de nombreuses reprises après 1994 à l'administration pénitentiaire de Craiova à être transféré dans une cellule avec des détenus non-fumeurs. Ses demandes n'auraient été accueillies qu'en 1999, quand il fut transféré dans une cellule de détenus non-fumeurs. Selon le Gouvernement, le requérant n'a formulé entre 1994 et 1999 aucune demande de ce type auprès des autorités pénitentiaires de Craiova.

9.  Entre le 14 décembre 2000 et le 25 février 2005, le requérant fut successivement incarcéré dans d'autres établissements pénitentiaires (à Poarta Albă, Rahova et Jilava). Les certificats médicaux établis à l'issue des examens pratiqués dans l'intervalle indiquaient :

–  en 2003, qu'aucun traitement des maladies internes n'était nécessaire ;

–  en 2004, que le résultat de l'examen pulmonaire était normal ;

–  en février 2005, que le requérant présentait des dysfonctionnements légers au niveau de la ventilation, qu'il avait perdu 20 % de son VEMS (volume expiratoire maximal par seconde) ;

–  en avril 2005, que son état général était bon et équilibré du point de vue respiratoire et hémodynamique.

2.  La détention du requérant au centre pénitentiaire de Rahova

10.  Le 25 février 2005, le requérant fut transféré à la maison d'arrêt de Rahova, où il fut à nouveau placé dans une cellule avec deux détenus qui fumaient, tous deux, aux dires du requérant, jour et nuit. La cellule mesurait 29,38 m2, dont 19,16 m2 étaient utilisés comme dortoir, 8,42 m2 comme groupe sanitaire et 1,80 m2 pour stocker les aliments. L'aération de la cellule se faisait par l'ouverture de deux fenêtres (l'une de 1,44 m2 et l'autre de 0,36 m2). Le programme quotidien prévoyait une heure minimum de promenade dans la cour du centre de détention. Les détenus pouvaient effectuer des activités sportives trois fois par semaine, pendant trois heures, dans le centre sportif de la prison. A la suite de ses demandes auprès de l'administration, le requérant fut transféré en novembre 2005 dans une autre cellule, sans détenus fumeurs.

11.  Les certificats médicaux établis à l'issue des examens pratiqués pendant l'incarcération du requérant à la maison d'arrêt de Rahova indiquaient :

–  en 2006, que l'examen pulmonaire était normal, qu'il n'y avait pas de lésions évolutives pulmonaires, qu'il était interdit au requérant de fumer ou d'être exposé à la fumée ;

–  en février 2007, que l'intéressé présentait des cicatrices fibreuses au niveau des poumons et qu'il était sous observation pour une fibrose pulmonaire et pour insuffisance ventriculaire gauche ; qu'un traitement par broncho-dilatateur en aérosol (avec Ventolin et Bronchicum) était nécessaire ;

–  en mars 2007, qu'une amélioration du point de vue hémodynamique et respiratoire avait été constatée et que la poursuite du traitement par broncho-dilatateur en aérosol était nécessaire ;

–  en 2008, qu'il souffrait d'une broncho-pneumopathie chronique obstructive de grade 2.

12.  Le requérant fut transporté à plusieurs reprises entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux qui l'avaient cité à comparaître aux audiences publiques. Le transport s'effectuait dans des fourgons où de nombreux détenus étaient entassés sans aucune ventilation. Durant ces transports, de même que dans les espaces créés au sein des tribunaux pour les détenus qui attendaient leur tour de se présenter aux audiences, le requérant aurait inhalé la fumée des cigarettes des autres détenus, autorisés à fumer. Le Gouvernement renvoie sur ce point à une note fournie par l'administration nationale des prisons, indiquant qu'il est interdit aux détenus de fumer dans les moyens de transport empruntés à destination des juridictions nationales. En ce qui concerne les espaces d'attente destinés aux détenus à l'intérieur des bâtiments des tribunaux nationaux, le Gouvernement admet qu'il n'y a pas de séparation entre les détenus fumeurs et les détenus non-fumeurs.

13.  Le requérant introduisit auprès des tribunaux nationaux plusieurs plaintes à l'encontre de l'administration pénitentiaire, à qui il reprochait de l'avoir soumis à des mauvais traitements en raison de son incarcération à Rahova dans des cellules avec des détenus fumeurs et en raison des conditions de transport vers le siège des juridictions nationales.

a)  La première plainte

14.  Le 22 avril 2005, le requérant assigna en justice le directeur de l'établissement pénitentiaire de Rahova, au motif qu'il l'avait placé dans la même cellule que des détenus fumeurs, qui l'auraient asphyxié jour et nuit avec la fumée de leurs cigarettes, ce qui aurait gravement altéré sa santé. Il invoquait l'ordonnance d'urgence du gouvernement no 56/2003 sur les droits des détenus (« l'OUG no 56/2003 »).

15.  Par un arrêt définitif du 31 août 2005, le tribunal départemental de Bucarest rejeta la plainte du requérant. Il retint que l'obligation pour le requérant de partager sa cellule avec d'autres détenus fumeurs n'était pas une raison suffisante pour que sa plainte fût admise, étant donné que le centre pénitentiaire de Rahova n'avait pas les moyens de créer des cellules spéciales pour non-fumeurs.

b)  La deuxième plainte

16.  Le 31 janvier 2006, le requérant déposa une plainte contre le centre pénitentiaire de Rahova devant le tribunal de première instance de Bucarest, au motif que, durant les trajets entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux ainsi que dans les pièces des tribunaux où il était gardé avec les autres détenus avant de comparaître aux audiences fixées à la suite de ses plaintes contre l'administration pénitentiaire, il inhalait la fumée des cigarettes des autres détenus, qui étaient autorisés à fumer. Il précisait dans sa demande introductive d'instance que « les pièces où [il était] gardé, au sous-sol des tribunaux, avec vingt à trente détenus fumeurs, avant de comparaître devant les juges, étaient des endroits de torture, où les gens atteints de problèmes respiratoires ou cardiaques pouvaient laisser leur vie ».

17.  Dans une note adressée au tribunal de première instance de Bucarest, compétent pour décider du bien-fondé de la plainte du requérant, le centre pénitentiaire de Rahova et l'administration nationale des prisons mentionnèrent que, vu les caractéristiques des bâtiments des tribunaux et le nombre insuffisant des pièces où les détenus attendaient leur comparution, il était impossible de séparer les détenus fumeurs des non-fumeurs et donc de respecter la loi no 349/2002 sur la prévention et la lutte contre les effets du tabac. Ils indiquèrent en outre qu'il était interdit de fumer lors des transports entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux.

18.  A l'audience publique du 19 avril 2006, le représentant du parquet reprit la note adressée par l'administration nationale des prisons au tribunal. Il souligna que des travaux étaient en cours pour permettre l'aération des salles où les détenus étaient gardés avant leur comparution.

19.  Par un arrêt définitif du 14 juin 2006, le tribunal départemental de Bucarest rejeta la plainte du requérant sur le fondement de l'OUG no 56/2003. Il releva d'abord que, selon la réponse des autorités pénitentiaires, les détenus n'étaient pas autorisés à fumer durant les transports entre la maison d'arrêt et les tribunaux. Il releva ensuite que les allégations du requérant selon lesquelles il était gardé dans les salles d'attente des tribunaux avec d'autres détenus fumeurs étaient vraies, mais il estima qu'aucune responsabilité ne pouvait être imputée de ce fait aux établissements pénitentiaires, qui n'étaient pas responsables de la manière dont les tribunaux nationaux déployaient leur activité. Il conclut qu'aucun droit reconnu par la loi aux personnes qui, comme le requérant, exécutaient des peines privatives de liberté n'avait été en l'espèce méconnu.

c)  La troisième plainte

20.  Entre-temps, le 11 octobre 2005, le requérant avait assigné en justice le centre pénitentiaire de Rahova, demandant à être placé dans une cellule non-fumeurs au motif qu'il souffrait de fibrose pulmonaire. Il avait invoqué l'article 2 de l'OUG no 56/2003 interdisant de soumettre les détenus à des traitements discriminatoires et cita l'exemple d'autres détenus qui disposaient d'une cellule individuelle. Il demanda l'octroi d'une indemnité pour le préjudice moral qu'il avait souffert en raison de son enfermement avec des détenus fumeurs en dépit de ses affections respiratoires.

21.  Par un jugement du 3 novembre 2005, le tribunal de première instance de Bucarest rejeta la plainte du requérant. Il considéra que le placement du requérant dans sa cellule était conforme aux critères prévus par le règlement intérieur de la prison et par la législation nationale, notamment l'article 3 de la loi no 23/1969 et l'article 57 du code pénal, notamment les critères relatifs à la nature de l'infraction commise, la durée de la peine, le sexe et l'âge du condamné.

22.  Après une première cassation avec renvoi, le même tribunal, par un jugement du 26 juin 2006, rejeta à nouveau la plainte du requérant. Il releva que le diagnostic de fibrose pulmonaire n'apparaissait que sur un certificat délivré par la Direction générale des établissements pénitentiaires en 1999 et qu'il ne figurait plus dans sa fiche médicale dressée par la maison d'arrêt. Il nota par ailleurs que, par une lettre du 8 mai 2006, la maison d'arrêt de Rahova lui avait communiqué que le requérant partageait désormais sa cellule avec un détenu non-fumeur.

23.  Après une seconde cassation avec renvoi, à l'issue d'un arrêt du tribunal départemental reprochant aux premiers juges de ne pas avoir mené une enquête effective pour établir la véracité des allégations du requérant, le même tribunal de première instance, par un jugement du 22 février 2007, rejeta à nouveau la plainte du requérant. Il entendit, à la demande du requérant, un témoin qui confirma qu'entre février et novembre 2005 il avait vu le requérant partager une cellule avec des détenus fumeurs et que, à la même époque, un détenu non-fumeur occupait seul une autre cellule. Il prit en compte une note adressée par le centre pénitentiaire de Rahova, selon laquelle le requérant ne pouvait ni être placé seul dans une cellule faute d'espace ni être transféré dans une cellule de détenus non-fumeurs car ces derniers ne l'acceptaient pas. Il releva également que, selon le centre pénitentiaire, le requérant avait acheté des cigarettes au magasin de la prison.

Le tribunal observa, en outre, que le fait d'avoir été placé avec des détenus fumeurs était dû à des circonstances objectives, tenant à l'impossibilité du centre pénitentiaire de Rahova de prévoir des cellules spéciales pour les détenus non-fumeurs dès lors que la capacité d'hébergement de cet établissement était inférieure au nombre de détenus qui y étaient placés. Il releva que, par une lettre du 8 juin 2006, l'établissement pénitentiaire de Rahova lui avait communiqué que le requérant avait été transféré dans une cellule avec un autre détenu non­fumeur, la capacité d'hébergement de l'établissement ayant permis à ce moment-là de tenir compte de la qualité de non-fumeur de l'intéressé. Par conséquent, le tribunal rejeta la demande par laquelle le requérant avait demandé l'octroi d'une indemnité pour préjudice moral, estimant par ailleurs que le requérant n'avait pas apporté la preuve qu'il avait souffert du préjudice allégué.

24.  Le requérant interjeta appel, soulignant qu'il avait été placé, en dépit de ses demandes répétées, dans des cellules avec des fumeurs alors qu'il souffrait d'affections respiratoires. Lors de l'audience du 23 mars 2007, il confirma avoir été transféré dans une cellule sans détenus fumeurs.

25.  Par un arrêt du 23 avril 2007, le tribunal confirma la décision du 22 février 2007. Il nota que l'hébergement du requérant dans une cellule avec des détenus fumeurs était dû à l'impossibilité objective du centre pénitentiaire de Rahova d'assurer son placement seul dans une cellule et releva que sa demande d'être transféré dans une cellule de non-fumeurs avait entre-temps été accueillie.

3.  La détention du requérant au centre pénitentiaire de Poarta Albă

26.  Le 19 janvier 2009, le requérant fut transféré au centre pénitentiaire de Poarta Albă, où il purge depuis sa peine d'emprisonnement. Tenant compte du fait qu'il était le seul détenu non-fumeur, l'administration plaça l'intéressé seul dans une cellule.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES ET INTERNATIONAUX PERTINENTS

A.  Le droit et la pratique internes pertinents

1.  Les dispositions législatives générales

27.  Les dispositions générales du droit interne pertinent en l'espèce concernant l'exécution des peines privatives de liberté et le droit des détenus à l'assistance médicale sont partiellement décrites dans les arrêts Gagiu c. Roumanie (no 63258/00, §§ 41-42, 24 février 2009) et Măciucă c. Roumanie (no 25763/03, § 14, 26 mai 2009).

28.  L'arrêté du ministère de la Justice no 433/C du 5 février 2010 sur les conditions minimales obligatoires dans les centres de détention de personnes privées de liberté, publié au Journal officiel no 103 du 15 février 2010, prévoit que les détenus qui sont confinés dans leur cellule doivent disposer d'un espace minimum de 4 m² par individu.

29.  En matière de preuve, le code civil prévoit que « celui qui fait une demande en justice est tenu de rapporter la preuve de ses allégations » (article 1169) ; il précise que la preuve peut être rapportée sous la forme des écrits ou des présomptions ou de la reconnaissance de l'une des parties ou par témoins (article 1170 du code civil). En vertu de l'article 112 du code de procédure civile, « la demande introductive d'instance doit contenir : (...) les moyens de preuve invoqués à l'appui de chaque grief ». Quant aux présomptions, l'article 1199 du code civil les définit comme « des conséquences que la loi ou le magistrat tire d'un fait connu à un fait inconnu ». De façon générale, la loi nationale n'introduit en matière de preuve aucune hiérarchie quant à la valeur de certaines preuves par rapport à d'autres. Il appartient au juge d'apprécier librement la valeur qu'il donne à chaque élément du dossier.

2.  Les dispositions législatives particulières concernant la protection contre les effets du tabac en milieu pénitentiaire

30.  La loi no 349/2002 sur la prévention et la lutte contre les effets de la consommation de tabac, publiée au Journal officiel no 435 du 21 juin 2002, telle que modifiée par le règlement du gouvernement no 13/2003 du 30 janvier 2003 et par la loi no 275/2003 du 23 juin 2003, en vigueur à l'époque des faits, prévoyait dans son article 3 qu'il était interdit de fumer dans les unités sanitaires publiques ou privées et dans les espaces publics fermés. Les espaces publics fermés étaient définis comme comprenant tous les espaces des institutions publiques centrales et locales, des institutions d'enseignement, des institutions ou unités économiques, d'alimentation publique, de tourisme, de commerce, d'enseignement, médicales ou sanitaires, culturelles, d'éducation, sportives, tous les transports en commun, les gares routières, les gares et les aéroports, d'Etat ou privés, ainsi que tous les espaces fermés sur les lieux de travail ou d'autres espaces prévus par la loi, à l'exception des espaces spécialement délimités et aménagés pour les fumeurs dans leur périmètre. Selon la loi, les espaces fermés sur les lieux de travail comprenaient également les pièces utilisées par deux ou plusieurs personnes.

3.  La pratique concernant les conditions de détention

31.  Par une décision du 12 avril 2005, le tribunal de première instance d'Arad, statuant après une première cassation avec renvoi, a fait droit à un détenu incarcéré à la prison d'Arad qui se plaignait d'avoir été obligé de partager une cellule avec des détenus fumeurs. Le tribunal a estimé qu'en vertu de la loi no 349/2002 les prisons étaient des espaces publics et qu'il était interdit de fumer dans les espaces fermés des prisons. Il a indiqué que, même si la loi ne prévoyait pas expressément qu'elle s'appliquait aux établissements pénitentiaires, il fallait l'interpréter dans ce sens. En outre, notant que la prison d'Arad permettait que les détenus fumeurs soient incarcérés dans les mêmes cellules que les non-fumeurs, le tribunal a ordonné à l'administration des prisons d'assurer la détention du plaignant dans une cellule sans détenus fumeurs et de mettre fin à la violation de son droit garanti par la loi no 349/2002. Le tribunal a en revanche rejeté la demande de réparation du dommage moral formée par le plaignant. Cette décision de justice a été confirmée par un arrêt du 13 septembre 2005 du tribunal départemental d'Arad.

Par une décision du 12 janvier 2006, le tribunal de première instance d'Arad a fait à nouveau droit au plaignant qui avait obtenu la décision favorable du 12 avril 2005, au motif qu'il continuait à être incarcéré dans des cellules avec des détenus fumeurs et que l'administration des prisons, empêchée par le manque d'espace de séparer les détenus fumeurs des détenus non-fumeurs, ne s'était pas conformée à la décision de justice définitive rendue à son encontre.

32.  Par ailleurs, par une décision du 12 août 2004, le tribunal départemental de Prahova a constaté que « le prétendu traitement inhumain ou dégradant résultant du non-respect du droit à un lit individuel et à un espace de vie adéquat ainsi que des mauvaises conditions de détention doit être considéré à la lumière des conditions générales existant dans les prisons et [qu'il] ne peut être vu comme relevant des actions ou inactions imputables à l'administration de la prison, ni comme enfreignant les dispositions légales applicables ».

33.  En outre, par une décision du 5 mars 2005, le tribunal de première instance de Baia Mare a rejeté la plainte d'un détenu relative à de mauvaises conditions de détention (surpopulation, alimentation, hygiène), retenant qu'il s'agissait des conditions caractéristiques de toutes les prisons de Roumanie, dues à un budget insuffisant et à un taux très élevé d'occupation (Marian Stoicescu c. Roumanie, no 12934/02, § 17, 16 juillet 2009).

34.  Enfin, par un jugement du 29 juin 2006, le tribunal de première instance de Bucarest a rejeté la demande d'octroi d'une somme au titre du préjudice moral formée par un détenu au motif qu'il avait été obligé de partager un lit avec un autre détenu pendant qu'il purgeait une peine de prison. Il a relevé que, au centre pénitentiaire de Jilava, du fait de l'insuffisance des locaux destinés à l'hébergement des détenus en détention provisoire, ceux-ci étaient placés dans des cellules avec des détenus condamnés par une décision définitive, et qu'il s'agissait là d'un problème généralisé et connu par la direction de cet établissement.

B.  Le droit et la pratique internationaux pertinents

35.  Les conclusions du Comité européen pour la prévention de la torture (CPT) rendues à la suite des visites effectuées dans des prisons de Roumanie, tout comme les observations à caractère général du CPT, sont résumées dans les arrêts Bragadireanu c. Roumanie (no 22088/04, §§ 73-76, 6 décembre 2007) et Brânduşe c. Roumanie (no 6586/03, § 33, CEDH 2009‑...(extraits)).

36.  Dans ses constats, le CPT a notamment relevé que les centres de détention roumains connaissaient, de façon générale, un taux de surpeuplement particulièrement élevé. Dans son dernier rapport, publié le 11 décembre 2008 à la suite de sa visite en juin 2006 dans plusieurs établissements pénitentiaires de Roumanie, le CPT précisait :

« 70.  (...) le Comité est très gravement préoccupé par le fait que le manque de lits demeure un problème constant non seulement dans les établissements visités mais également à l'échelon national (...) En revanche, le Comité se félicite que, peu après la visite de juin 2006, la norme officielle d'espace de vie par détenu dans les cellules ait été amenée de 6 m3 (ce qui revenait à une surface de plus ou moins 2 m² par détenu) à 4 m² ou 8 m3. Le CPT recommande aux autorités roumaines de prendre les mesures nécessaires en vue de faire respecter la norme de 4 m² d'espace de vie par détenu dans les cellules collectives de tous les établissements pénitentiaires de Roumanie. »

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

37.  Le requérant allègue avoir été obligé de partager des cellules avec des détenus fumeurs aux centres pénitentiaires de Craiova et de Rahova et avoir contracté en prison des maladies pulmonaires pour lesquelles il n'a pas été correctement soigné. Il se plaint aussi d'avoir été obligé d'inhaler la fumée des cigarettes de ses codétenus durant les transports entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux, ainsi que dans les pièces spécialement créées au sein des tribunaux où les détenus, fumeurs et non-fumeurs, attendaient de comparaître aux audiences. Il invoque l'article 3 de la Convention, qui dispose :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

38.  Le Gouvernement combat les thèses du requérant.

A.  Sur la recevabilité

39.  Le Gouvernement excipe de l'irrecevabilité ratione temporis de la requête quant aux allégations relatives aux faits antérieurs au 20 juin 1994, date de la ratification de la Convention par la Roumanie. Il soutient également que, pendant sa détention à l'établissement pénitentiaire de Craiova, le requérant a omis d'introduire une plainte pénale contre l'administration pénitentiaire relativement à ses conditions de détention, et/ou une action en responsabilité civile délictuelle fondée sur les articles 998 et 999 du code civil dans le but d'engager la responsabilité civile des organes pénitentiaires quant à ses conditions de détention. S'agissant de la détention du requérant au centre pénitentiaire de Rahova, le Gouvernement indique que, à la date à laquelle le requérant a saisi la Cour, ses plaintes fondées sur l'OUG no 56/2003 étaient pendantes devant les juridictions nationales et qu'il lui aurait été en plus loisible d'introduire une action en responsabilité civile délictuelle fondée sur les articles 998 et 999 du code civil dans le but d'engager la responsabilité civile des organes pénitentiaires en charge de ses conditions de détention.

Le requérant se borne à affirmer qu'il a épuisé les voies de recours internes et respecté le délai de six mois, sans autre précision.

40.  La Cour relève que les griefs du requérant concernent deux périodes bien distinctes, celle antérieure au 14 décembre 2000, lorsque l'intéressé était incarcéré au centre pénitentiaire de Craiova, et celle postérieure au 25 février 2005, lorsqu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Rahova. En effet, entre le 12 décembre 2000 et le 25 février 2005, le requérant n'allègue pas avoir dû cohabiter avec des détenus fumeurs.

41.  S'agissant de la première période, la Cour relève, à l'instar du Gouvernement, qu'une partie des allégations du requérant concerne des faits qui ont eu lieu avant la ratification de la Convention par la Roumanie, le 20 juin 1994. Il s'ensuit que cette partie de la requête est incompatible ratione temporis avec les dispositions de la Convention au sens de l'article 35 § 3 et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 § 4.

La Cour relève que le requérant ne disposait pas pour la période allant du 20 juin 1994 au 14 décembre 2000 de voies de recours effectives en droit interne pour faire redresser au niveau national ses plaintes concernant ses conditions de détention (voir, parmi d'autres, Petrea c. Roumanie, no 4792/03, §§ 36 et 37, 29 avril 2008, et Măciucă, précité, §§ 18-19). Elle rappelle que, dans ces circonstances, le délai de six mois prévu par l'article 35 § 1 de la Convention court à partir de la fin de la situation incriminée (Mujea c. Roumanie (déc.), no 44696/98, 10 septembre 2002, et Ağaoğlu c. Turquie (déc.), no 27310/95, 28 août 2001), à savoir, en l'espèce, à partir du 14 décembre 2000 au plus tard, date à laquelle le requérant a été transféré dans un autre centre pénitentiaire où il n'allègue pas avoir dû cohabiter avec des détenus fumeurs. Or, le requérant a introduit sa requête le 8 octobre 2005, soit plus de six mois après la fin de la situation incriminée. Il s'ensuit que cette partie de la requête est tardive et qu'elle doit être rejetée, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

42.  S'agissant de la deuxième période, qui commence à la date du transfert du requérant, le 25 février 2005, vers le centre pénitentiaire de Rahova, la Cour relève que, en ce qui concerne les allégations relatives au défaut d'assistance médicale appropriée envers les détenus, un recours fondé sur les dispositions de l'OUG no 56/2003 aurait constitué à l'époque un recours effectif, au sens de l'article 35 § 1 de la Convention (Petrea précité, §§ 36 et 37). Or, force est de constater que le requérant a omis de se plaindre, devant les juridictions nationales, sur le fondement de l'OUG no 56/2003, de ne pas avoir reçu des soins appropriés à ses problèmes de santé. Dès lors, cette partie du grief doit être rejetée pour non-épuisement des voies de recours internes, en application de l'article 35 §§ 1 et 4 de la Convention.

43.  Pour ce qui est du restant du grief, qui porte sur les conditions matérielles de la détention du requérant dans le centre pénitentiaire de Rahova et lors de ses transports entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux, la Cour relève que le Gouvernement n'a pas démontré de quelle manière les voies de recours indiquées auraient pu y remédier. A cet égard, les décisions qu'il a fournies à l'appui de ses observations ne sont pas pertinentes, se limitant, pour certaines, à prendre note des conditions de détention dénoncées par les intéressés et à indiquer qu'il s'agissait d'une situation généralement connue par l'administration des prisons (paragraphe 33 ci-dessus). D'autres décisions judiciaires rendues à la même époque par les tribunaux nationaux refusent également de satisfaire aux griefs des plaignants concernant les conditions de détention en mettant en avant l'insuffisance des moyens au niveau national (paragraphes 30 à 32 ci-dessus). Partant, il convient de rejeter l'exception de non-épuisement des voies de recours internes soulevée par le Gouvernement.

La Cour constate que cette partie du grief du requérant n'est pas manifestement mal fondée au sens de l'article 35 § 3 de la Convention et qu'elle ne se heurte par ailleurs à aucun autre motif d'irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Arguments des parties

44.  Le requérant se plaint que, en dépit d'affections pulmonaires, il ait été obligé par l'administration pénitentiaire de Rahova de partager pendant près de dix mois des cellules avec des détenus fumeurs, ce qui aurait considérablement aggravé ses problèmes de santé. Il allègue qu'il a été intoxiqué à plusieurs reprises la nuit, pendant son sommeil, à cause, selon lui, de l'espace très confiné de la cellule et de l'impossibilité d'ouvrir parfois les fenêtres en raison des conditions climatiques. Il se plaint également d'avoir été obligé d'inhaler la fumée des cigarettes de ses codétenus durant les transports entre la maison d'arrêt et les tribunaux nationaux, ainsi que dans les pièces spécialement créées au sein des tribunaux où il attendait avec des détenus fumeurs afin de comparaître aux audiences.

45.  Le Gouvernement relève que les autorités ont pris des mesures pour offrir au requérant des conditions de détention adéquates. Il souligne que la cellule du requérant au centre pénitentiaire de Rahova comportait deux fenêtres qui en permettaient l'aération et que le requérant avait bénéficié d'une heure de promenade à l'air libre par jour et, trois fois par semaine, d'activités sportives. Il note que, selon les informations dont il dispose, le requérant a partagé sa cellule avec un autre détenu non-fumeur depuis, au plus tard, le 8 mai 2006. Il souligne par ailleurs que le requérant a indiqué devant la Cour qu'il partageait sa cellule avec un détenu non­fumeur depuis novembre 2005. Il ajoute que le 19 janvier 2009, le requérant a été transféré au centre pénitentiaire de Poarta Albă où, du fait qu'il était le seul détenu non-fumeur, il a été placé seul dans une cellule. Renvoyant aux constats du tribunal départemental de Bucarest (paragraphe 19 ci-dessus) qui a examiné la plainte du requérant concernant les conditions de transport, le Gouvernement admet qu'il n'existait pas de séparation entre les détenus fumeurs et non-fumeurs dans les salles d'attente des détenus aux seins des tribunaux, mais il allègue que le temps limité passé dans ces conditions ne saurait avoir nui au requérant ou provoqué chez l'intéressé des maladies pulmonaires.

2.  Appréciation de la Cour

46.  La Cour n'est pas compétente pour examiner en l'espèce les circonstances dans lesquelles les affections pulmonaires du requérant sont survenues pendant sa détention au centre pénitentiaire de Craiova (paragraphe 39 ci-dessus). A la lumière des allégations de l'intéressé et dans la mesure de sa compétence, elle portera son examen sur les conditions dans lesquelles il a été transporté au siège des juridictions nationales, dans lesquelles il s'est trouvé enfermé dans les locaux de celles-ci avant de comparaître devant les juges nationaux et dans lesquelles il a été détenu dans le centre pénitentiaire de Rahova.

47.  La Cour rappelle que, s'agissant, comme en l'espèce, des personnes privées de liberté, l'article 3 impose à l'Etat l'obligation positive de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions compatibles avec le respect de la dignité humaine, que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis (Mouisel c. France, no 67263/01, § 40, CEDH 2002-IX, Kudła c. Pologne [GC], no 30210/96, § 94, CEDH 2000-XI, et Tekin Yıldız c. Turquie, no 22913/04, § 71, 10 novembre 2005). Ainsi, la détention dans des conditions inadéquates d'une personne malade peut en principe constituer un traitement contraire à l'article 3 (voir, par exemple, Price c. Royaume­Uni, no 33394/96, § 30, CEDH 2001‑VII, İlhan c. Turquie [GC], no 22277/93, § 87, CEDH 2000‑VII, et Naoumenko c. Ukraine, no 42023/98, § 112, 10 février 2004).

48.  L'Etat est donc tenu, nonobstant les problèmes logistiques et financiers, d'organiser son système pénitentiaire de façon à assurer aux détenus le respect de leur dignité humaine (Choukhovoï c. Russie, no 63955/00, § 31, 27 mars 2008, et Benediktov c. Russie, no 106/02, § 37, 10 mai 2007). Cela peut impliquer l'obligation, à la charge de l'Etat, de prendre des mesures afin de protéger un détenu contre les effets nocifs du tabagisme passif lorsque, au vu des examens médicaux et des recommandations des médecins traitants, son état de santé l'exige.

49.  En l'espèce, la Cour relève qu'il n'est pas contesté que le requérant s'est trouvé enfermé entre février et novembre 2005 dans une cellule avec des détenus fumeurs, en dépit des demandes répétées de l'intéressé visant à son transfert dans une autre cellule qui rassemblait des détenus non­fumeurs. Il est vrai qu'à l'époque, son état de santé avait connu une stabilisation, comme il ressort des examens médicaux réalisés entre 2003 et 2005, un laps de temps où le requérant avait été successivement incarcéré dans divers établissements pénitentiaires au sujet desquels il n'allègue pas avoir subi les effets du tabagisme de ses codétenus. Néanmoins, la maladie pour laquelle il était en observation depuis plusieurs années était une maladie chronique, le certificat médical établi en 1999 indiquant clairement que le requérant souffrait de fibrose pulmonaire. Dans ces circonstances, les autorités étaient tenues de prendre des mesures pour protéger sa santé, notamment en le séparant des autres détenus fumeurs, comme le requérant l'avait d'ailleurs demandé à maintes reprises. Cela semblait non seulement souhaitable, mais aussi possible vu l'existence, dans la même maison d'arrêt, d'une cellule de détenus non-fumeurs. C'est en effet ce qui ressort de la note adressée par le centre pénitentiaire de Rahova au tribunal de première instance de Bucarest, que le requérant avait saisi d'une plainte contre les autorités pénitentiaires, en raison du refus de celles-ci de prendre des mesures pour le protéger contre les effets du tabagisme passif (paragraphe 22 ci-dessus).

50.  Le fait que le centre de détention en question était à l'époque des faits surchargé – chose confirmée par le CPT dans ses rapports consécutifs aux visites effectuées dans les maisons d'arrêt en Roumanie (paragraphes 35 et 36 ci-dessus) – ne dispensait aucunement les autorités de leur obligation de protéger la santé du requérant. Il est vrai que celui-ci semble avoir bénéficié, comme le souligne à juste titre le Gouvernement, de promenades quotidiennes dans la cour de la prison, d'activités sportives trois fois par semaine et d'une cellule relativement grande, pourvue de lumière et de ventilation naturelles, et non surpeuplée (voir, a contrario, Florea c. Roumanie, no 37186/03, § 53, 14 septembre 2010). Cependant, de telles circonstances, aussi positives fussent-elles, ne suffisaient pas à pallier les effets nocifs du tabagisme passif que le requérant a dû subir en raison de sa cohabitation avec des détenus fumeurs.

51.  La Cour relève à cet égard que, après la période où le requérant s'est trouvé enfermé, en 2005, avec des détenus fumeurs, les certificats médicaux établis par plusieurs médecins attestaient une détérioration de l'état de santé de l'intéressé au niveau de ses voies respiratoires et mentionnaient l'apparition chez lui d'une nouvelle maladie, la bronchite chronique obstructive. Selon le requérant, cette maladie aurait été favorisée par le tabagisme passif subi dans les moyens de transport empruntés par les détenus vers les tribunaux ou lors de ses périodes d'attente dans les locaux des juridictions nationales avant sa comparution devant les juges nationaux. Lorsqu'une personne est placée sous la responsabilité de l'Etat en bonne santé et que tel n'est plus le cas lorsqu'elle est libérée ou, comme en l'espèce, après un certain temps passé en détention avant d'être libérée, il incombe à l'Etat de fournir une explication plausible à l'origine de cette situation, faute de quoi une question pourrait se poser sur le terrain de l'article 3 de la Convention (mutatis mutandis, Tomasi c. France, 27 août 1992, § 110, série A no 241-A ; Ribitsch c. Autriche, 4 décembre 1995, § 34, série A no 336 ; Aksoy c. Turquie, 18 décembre 1996, § 61, Recueil des arrêts et décisions 1996‑VI, et Selmouni c. France [GC], no 25803/94, § 87, CEDH 1999‑V).

52.  A cet égard, si rien ne permet d'indiquer avec précision, sur la base des éléments fournis par les parties, que le requérant aurait subi les effets de la fumée de cigarette dans les moyens de transport empruntés par les détenus vers les tribunaux, en revanche, le fait qu'il ait été gardé dans des salles d'attente des tribunaux avec d'autres détenus fumeurs est amplement confirmé par le tribunal départemental de Bucarest dans son arrêt du 14 juin 2006 (paragraphe 19 ci-dessus). La Cour relève que l'ensemble des éléments dont elle dispose ne permet pas de savoir à quelle fréquence le requérant s'est trouvé enfermé dans lesdits locaux des tribunaux. Il est néanmoins indéniable que cela s'est produit à plusieurs reprises entre le 22 avril 2005 et le 23 avril 2007, lorsque le requérant avait été cité à comparaître devant les juridictions nationales dans le cadre de trois procédures distinctes relatives à ses conditions de détention (paragraphes 14 à 25 ci-dessus). Détenir le requérant dans de telles conditions – même à supposer, comme l'indique le Gouvernement, qu'il s'agissait, à chaque fois, d'un laps de temps réduit – était contraire aux recommandations des médecins qui, à l'époque, avaient préconisé pour le requérant le non‑tabagisme, qu'il fût actif ou passif (paragraphe 11 ci­dessus).

53.  La Cour prend note du fait souligné par le gouvernement défendeur qu'après novembre 2005, le requérant a été placé dans une cellule avec un détenu non-fumeur au centre pénitentiaire de Rahova et qu'il occupe à présent seul une cellule, dans le nouvel établissement pénitentiaire où il a été transféré en 2009 (voir, mutatis mutandis, Aparicio Benito c. Espagne (déc.), no 36150/03, 3 novembre 2006, et Stoine Hristov c. Bulgarie (no 2), no 36244/02, §§ 43-45, 16 octobre 2008). Toutefois, cette situation favorable au requérant semble être liée non pas à l'existence, dans la législation nationale, de critères objectifs assurant la séparation des détenus qui, comme le requérant, ne fument pas des détenus fumeurs (paragraphes 20, 28 et 30 ci-dessus), mais plutôt à un concours de circonstances lié à l'existence, à un moment donné, d'une capacité d'hébergement suffisante dans l'une ou l'autre des maisons d'arrêt où l'intéressé a été successivement détenu, ce qui a permis aux autorités de tenir compte de la qualité de non­fumeur de ce détenu. Ainsi, rien ne permet de dire qu'en cas de surcharge future de l'établissement où le requérant purge actuellement sa peine ou en cas de transfert de l'intéressé vers un autre établissement pénitentiaire dont la capacité d'hébergement serait supérieure au nombre de détenus qui y seraient placés, le requérant bénéficierait de conditions aussi favorables.

54.  Enfin, la Cour relève que les tribunaux nationaux ont rejeté la demande de réparation du requérant pour les souffrances subies par lui au cours de sa détention avec des détenus fumeurs. Le raisonnement des juridictions nationales laisse penser que c'est l'absence d'éléments de preuve matériels du préjudice allégué par le requérant, combinée avec le transfert de l'intéressé dans des conditions plus favorables, qui ont fondé leur décision de ne pas allouer de dédommagement à ce titre (paragraphes 23 in fine et 24). A cet égard, la Cour estime que le simple fait que la situation dénoncée par le requérant avait entre temps cessé en raison de son transfert dans des conditions plus favorables ne dispensait pas les juridictions internes de leur obligation d'examiner si celle-ci avait eu ou non des effets nocifs sur l'intéressé et de lui octroyer une réparation le cas échéant. D'autre part, même en admettant qu'il incombe, de façon générale, à toute personne qui fait une demande en justice de rapporter la preuve de ses allégations (paragraphe 29 ci-dessus), la Cour n'estime pas raisonnable, dans les circonstances de l'espèce, de faire peser sur le requérant l'obligation de prouver le bien‑fondé de ses prétentions par le biais de preuves susceptibles d'attester les souffrances occasionnées par une détention dans des conditions contraires à l'article 3 de la Convention. Une approche aussi formaliste est de nature à exclure l'octroi d'une réparation dans de multiples cas, dans lesquels la détention ne s'accompagne pas d'une détérioration objectivement perceptible de l'état physique ou psychique d'un détenu (voir, mutatis mutandis, Danev c. Bulgarie, no 9411/05, § 34, 2 septembre 2010, et Iovtchev c. Bulgarie, no 41211/98, § 146, 2 février 2006).

55.  Partant, à la lumière de tous ces éléments, la Cour conclut qu'il y a eu, en l'espèce, violation de l'article 3 de la Convention.

II.  SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

56.  Aux termes de l'article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu'il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d'effacer qu'imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s'il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

57.  Le requérant réclame une somme pour le préjudice moral occasionné par les souffrances qu'il aurait subies en raison de ses conditions de détention et de son impossibilité de travailler causée selon lui par les maladies irréversibles des voies respiratoires développées en prison. Il laisse à la Cour l'appréciation du montant à octroyer à ce titre.

58.  Le Gouvernement souligne que depuis novembre 2005, le requérant partage sa cellule avec des détenus non-fumeurs et rappelle que le diagnostic de fibrose pulmonaire n'apparaît que dans un certificat médical établi en 1999. Il renvoie par ailleurs aux montants alloués par la Cour dans d'autres affaires où elle avait constaté une violation de l'article 3 de la Convention en matière de conditions de détention.

59.  La Cour considère que le requérant a subi un préjudice moral certain à cause des souffrances qu'il a connues du fait de son incarcération avec des détenus fumeurs en dépit de ses maladies des voies respiratoires, préjudice que le constat de violation seul ne saurait effacer. Elle considère qu'il y a lieu de lui octroyer 4 000 euros (EUR) pour dommage moral.

B.  Frais et dépens

60.  Le requérant demande également le remboursement de ses frais et dépens engagés devant la Cour, sans en chiffrer le montant ni présenter de justificatifs.

61.  Le Gouvernement considère que la demande du requérant visant au remboursement de ses frais et dépens ne remplit pas les conditions prévues par l'article 41 de la Convention.

62.  Selon la jurisprudence de la Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le caractère raisonnable de leur taux. En l'espèce, vu l'absence de tout justificatif du requérant, la Cour n'alloue à l'intéressé aucun montant à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

63.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d'intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L'UNANIMITÉ,

1.  Déclare la requête recevable quant aux griefs tirés des conditions dans lesquelles le requérant a été transporté vers les juridictions nationales, enfermé dans leurs locaux et détenu dans le centre pénitentiaire de Rahova entre février et novembre 2005, et irrecevable pour le surplus ;

2.  Dit qu'il y a eu violation de l'article 3 de la Convention ;

3.  Dit

a)  que l'Etat défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à compter du jour où l'arrêt sera devenu définitif conformément à l'article 44 § 2 de la Convention, 4 000 EUR (quatre mille euros) pour dommage moral, à convertir dans la monnaie de l'Etat défendeur au taux applicable à la date du règlement, plus tout montant pouvant être dû à titre d'impôt ;

b)  qu'à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement, ce montant sera à majorer d'un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

4.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 25 janvier 2011, en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

Santiago QuesadaJosep Casadevall
GreffierPrésident

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CEDH, Cour (troisième section), AFFAIRE ELEFTERIADIS c. ROUMANIE, 25 janvier 2011, 38427/05