CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE A.M. ET AUTRES c. FRANCE, 12 juillet 2016, 24587/12

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Chronologie de l’affaire

Commentaires11

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CEDH · 20 mars 2017

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Sur la décision

Référence :
CEDH, Cour (Cinquième Section), 12 juill. 2016, n° 24587/12
Numéro(s) : 24587/12
Type de document : Arrêt
Jurisprudence de Strasbourg : A.B. et autres c. France no 11593/12, 12 juillet 2016
Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil des arrêts et décisions 1996 V
Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011
Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290
Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, série A no 31
Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, CEDH 2006 XI
Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010
Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010
Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012
Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011
Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII
S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009
Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161
Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 120, 28 juin 2007
Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33
Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000 III
Références à des textes internationaux :
Article 3 de la Convention relative aux droits de l’enfant;« Directive accueil » du Conseil européen (2003/9/CE), adoptée le 27 janvier 2003;« Directive retour » du Parlement européen et du Conseil européen (2008/115/CE) relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, adoptée le 16 décembre 2008
Organisation mentionnée :
  • Comité européen pour la prévention de la torture
Niveau d’importance : Importance moyenne
Opinion(s) séparée(s) : Non
Conclusions : Violation de l'article 3 - Interdiction de la torture (Article 3 - Traitement dégradant ; Traitement inhumain) (Volet matériel) ; Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière ; Article 5-1-f - Expulsion) ; Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention) ; Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-1 - Arrestation ou détention régulière ; Article 5-1-f - Expulsion) ; Non-violation de l'article 5 - Droit à la liberté et à la sûreté (Article 5-4 - Contrôle de la légalité de la détention) ; Non-violation de l'article 8 - Droit au respect de la vie privée et familiale (Article 8-1 - Respect de la vie familiale) ; Préjudice moral - réparation (Article 41 - Préjudice moral ; Satisfaction équitable)
Identifiant HUDOC : 001-164680
Identifiant européen : ECLI:CE:ECHR:2016:0712JUD002458712
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Sur les parties

Texte intégral

CINQUIÈME SECTION

AFFAIRE A.M. ET AUTRES c. FRANCE

(Requête no 24587/12)

ARRÊT

STRASBOURG

12 juillet 2016

DÉFINITIF

12/10/2016

Cet arrêt est devenu définitif en vertu de l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.


En l’affaire A.M. et autres c. France,

La Cour européenne des droits de l’homme (cinquième section), siégeant en une chambre composée de :

Angelika Nußberger, présidente,
Ganna Yudkivska,
Khanlar Hajiyev,
André Potocki,
Yonko Grozev,
Síofra O’Leary,
Mārtiņš Mits, juges,
et de Claudia Westerdiek, greffière de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 21 juin 2016,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 24587/12) dirigée contre la République française et dont trois ressortissantes russes, A.M. et ses deux filles (« les requérantes »), ont saisi la Cour le 24 avril 2012 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Les requérantes, qui ont été admises au bénéfice de l’assistance judiciaire, ont été représentées par Me L. Jung, avocat à Strasbourg. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») a été représenté par son agent, M. F. Alabrune, directeur des affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3.  Les requérantes allèguent que leur rétention administrative pendant huit jours au centre de Metz dans l’attente de leur expulsion, a violé les articles 3, 5 et 8 de la Convention.

4.  Le 24 avril 2012, la requête a été communiquée au Gouvernement.

5.  Eu égard aux conclusions de la Cour dans l’affaire I c. Suède (no 61204/09, §§ 40-46, 5 septembre 2013), la présente requête n’a pas été communiquée à la Fédération de Russie.

EN FAIT

I.  LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE

6.  Les requérantes sont nées respectivement en 1974, 2009 et 2011 et résident à Strasbourg.

7.  La première requérante est d’origine tchétchène. Après la disparition de son mari, membre d’un groupe armé de résistance, elle fit l’objet de menaces. En 2011, craignant pour sa vie et celle de sa première fille, elle quitta la Russie pour la Pologne où elle forma une demande d’asile.

8.  Peu de temps après son arrivée en Pologne, elle fut informée par une voisine que deux hommes, l’un parlant russe, l’autre tchétchène, la cherchaient. Elle décida alors de se réfugier en France en octobre 2011, sans attendre l’issue de la procédure d’asile engagée.

9.  Le 10 octobre 2011, la requérante se présenta à la préfecture du Bas‑Rhin pour y déposer une demande d’asile. Elle se vit remettre une autorisation provisoire de séjour et proposer un hébergement d’urgence dans un hôtel à Strasbourg. Le 8 décembre suivant, elle donna naissance à sa seconde fille, issue d’une relation avec un homme en Pologne au début de l’année 2011.

10.  Le 19 janvier 2012, le préfet du Bas-Rhin, constatant que la requérante avait déjà déposé une demande d’asile en Pologne, prit à son encontre un arrêté de réadmission vers ce pays en application du Règlement CE no 343/2009 du 18 février 2003 dit « Dublin II ». La requérante fut en outre invitée à se présenter, sous huitaine, auprès des services de la police aux frontières ou à entrer en contact avec ce service pour organiser son départ ainsi que celui de ses enfants vers la Pologne.

11.  La requérante contesta cet arrêté devant le tribunal administratif de Strasbourg. En parallèle, elle forma, le 24 février 2012, un référé aux fins notamment d’obtenir la suspension de l’exécution de cet arrêté. Cette demande fut rejetée par ordonnance le 1er mars 2012, au motif que la requérante, qui ne faisait l’objet d’aucune mesure de placement en rétention ni de contrainte ou de convocation en vue de son embarquement à destination de la Pologne, n’établissait pas l’urgence de l’affaire. Le 20 avril 2012, le tribunal administratif rejeta le recours au fond de la requérante.

12.  Interpellée avec ses filles à son hôtel le 18 avril 2012, la requérante fut placée au centre de rétention administrative (CRA) de Metz-Queuleu en exécution d’un arrêté du préfet du Bas-Rhin du jour même. Dans cet arrêté, le préfet motivait sa décision de placement en rétention ainsi :

« Considérant que, par courrier en date du 19 janvier 2012, notifié à l’intéressée le 30 janvier 2012, [la requérante] a été invitée à se présenter, sous huitaine, auprès des services de la DDPAF du Bas-Rhin ou à entrer en contact avec ce service, afin d’organiser son départ ainsi que celui de ses enfants vers la Pologne ; que, toutefois, l’intéressée n’a pas jugé utile de donner suite à cette invitation visant à éviter la réadmission de [la requérante] et de ses enfants sans mise en œuvre de mesures coercitives ; que ces circonstances ne peuvent laisser augurer de perspectives raisonnables d’exécution volontaire de cette mesure de la part de [la requérante] ; qu’au surplus, l’intéressée est démunie de tout document d’identité ; qu’ainsi, malgré le fait qu’elle dispose d’un logement de nature toutefois précaire puisque temporairement mis à disposition dans le cadre du dispositif d’urgence, la situation de l’intéressée ne permet guère la mise en œuvre de solutions alternatives au placement en rétention ; qu’en tout état de cause, l’intéressée et ses enfants seront, pour une durée inférieure à cinq jours à compter de la notification du présent arrêté, maintenues dans un centre de rétention administrative pourvu des infrastructures nécessaires à l’accueil des familles, conformément à l’article R. 553‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, étant toutefois précisé que ces diligences ont été menées afin de réduire au maximum la durée de cette rétention, notamment en raison de la présence des enfants de l’intéressée, la date effective de la réadmission ayant été fixée dès le lendemain du placement en rétention, c’est-à-dire au 19 avril 2012 ;

Considérant qu’eu égard à l’ensemble de ces éléments, l’intéressée ne présente pas de garanties de représentation suffisantes susceptibles de justifier son assignation à résidence ; »

13.  Le 19 avril 2012, la requérante refusa d’embarquer sur un vol vers la Pologne. Elle fut de nouveau placée avec ses filles au CRA de Metz-Queuleu en vue d’une nouvelle tentative de réadmission prévue pour le 26 avril suivant.

14.  Saisie par la requérante, le tribunal administratif de Nancy, le 20 avril 2012, refusa d’annuler l’arrêté de placement en rétention. S’agissant du moyen tiré de l’absence de nécessité de la mesure de placement en rétention en méconnaissance de l’article 8 de la Convention, il statua selon les termes suivants :

« que l’intéressée, faisant l’objet d’une décision de réadmission (...), ne s’est pas présentée aux services de police en vue de préparer son départ volontaire vers la Pologne ainsi qu’elle y était invitée par courrier (...) ; que le préfet du Bas-Rhin indique également que l’intéressée, logée dans différents hôtels par le Samu social, ne disposait ni d’un logement stable, ni de documents d’identité ; qu’ainsi le préfet n’a pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes justifiant son assignation à résidence au lieu d’un placement en rétention, nonobstant le fait qu’elle ait deux enfants en bas âge ; que, compte tenu notamment de la présence des fillettes, le préfet a pris toute mesure pour que le maintien au centre de rétention de l’intéressée n’excède pas un jour, son départ étant prévu le 19 avril 2012, soit le lendemain de son placement en rétention ; que, dans ces conditions, le préfet du Bas-Rhin, qui a tenté de ménager un juste équilibre entre les différents intérêts en présence, n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de [la requérante] au respect de sa vie familiale normale ; »

15.  Concernant le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la Convention, le tribunal estima que :

« Considérant que les stipulations de l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne font pas obstacle à ce qu’en vue de l’exécution d’une mesure d’éloignement, l’autorité administrative place une famille, composée d’enfants mineurs, dans un centre de rétention, mais seulement qu’au préalable, celle-ci apprécie les conséquences d’une telle mesure sur les enfants, alors même que le centre a vocation à accueillir des familles, en tenant compte des modalités et de la durée de la rétention et de l’âge des enfants, en privilégiant l’intérêt supérieur de ces derniers conformément aux stipulations précitées de l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant ; qu’en l’espèce, il ressort des pièces du dossier que le centre de rétention de Metz-Queuleu, qui est habilité à accueillir des familles en application de l’article R. 553-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, comporte quatorze places pour les familles, réparties dans deux bâtiments communiquant entre eux par une cour où sont installés des jeux pour enfants ; que toujours selon ces mêmes pièces, et ainsi que le fait valoir le préfet, sans être contredit, du matériel de puériculture est mis à disposition des parents, en lien avec les infirmières travaillant dans le centre de rétention, et chaque chambre comprend des lits pour enfants, lesquels disposent d’une télévision, de jeux et de livres ; que si la requérante fait valoir que les autres personnes placées dans le centre de rétention peuvent être aperçues de la cour et que l’appel de leur nom par haut-parleur peut avoir des effets perturbants sur les enfants, ces effets potentiellement perturbants, invoqués de manière stéréotypée, ne sont pas établis en l’occurrence pour les deux fillettes, âgées de quatre mois et deux ans alors que le préfet du Bas-Rhin a limité à un jour la durée du placement en rétention, soit le temps strictement nécessaire pour mettre à exécution la mesure d’éloignement, que, dans ces conditions, et alors même qu’en s’opposant à son embarquement dans l’avion au départ de Roissy, l’intéressée a entraîné une prolongation de la durée de rétention initialement prévue, cette circonstance étant postérieure à la décision attaquée, [la requérante] n’est pas fondée à soutenir qu’elle et ses enfants ont subi un mauvais traitement dont le seuil de gravité est de nature à le faire regarder comme méconnaissant les stipulations de l’article 3... ».

16.  Le 21 avril 2012, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Metz autorisa la prolongation de la rétention des requérantes pour une durée de vingt jours, estimant notamment que « même si l’intéressée est mère de deux jeunes enfants, les décisions préfectorales doivent pouvoir trouver application et à cette fin, il y a lieu de prolonger la rétention administrative d’une durée de vingt jours ».

17.  Cette décision fut confirmée par le premier président de la cour d’appel de Metz le 23 avril 2012 aux motifs suivants :

« l’administration justifie qu’un deuxième éloignement sera réalisé le 26 avril 2012 ; qu’il apparaît ainsi que la rétention de l’intéressée dure le temps strictement nécessaire à la réalisation effective de son éloignement ; que la rétention de l’intéressée se déroule dans des locaux adaptés à l’accueil des familles et en particulier des enfants en bas âge ; qu’enfin, si l’assignation à résidence doit être envisagée comme solution alternative à la rétention administrative et ce d’autant plus si des enfants en bas âge sont concernés par la mesure, en l’espèce, celle-ci ne peut trouver à s’appliquer en raison de la non-possession par l’intéressée d’un passeport ou de tout document d’identité valide susceptible d’être remis aux autorités françaises (...) »

18.  Le 24 avril 2012, la requérante saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire en vertu de l’article 39 du règlement de la Cour. Le jour même, le juge faisant fonction de président fit droit à la demande en indiquant au gouvernement français de trouver une alternative à la rétention administrative de la requérante et de ses deux filles.

19.  En exécution de cette mesure provisoire, le préfet de la Moselle, par une décision du 25 avril 2012, ordonna l’assignation à résidence de la requérante dans le département de la Moselle. La requérante ne quitta le centre de rétention en compagnie de ses deux enfants que le lendemain. Elle explique avoir préféré, la décision lui ayant été notifiée tardivement à 21 h 30, rester une nuit supplémentaire au centre pour ne pas dormir dehors. Le Gouvernement affirme que la requérante aurait pu être prise en charge le 25 avril 2012 par l’association Réseau éducation sans frontières (RESF) mais qu’elle a préféré rester au centre.

20.  Le 26 avril 2012, la requérante quitta le CRA en compagnie de ses filles. Ne connaissant personne dans le département de la Moselle, elle retourna, le jour même, à Strasbourg où elle fut interpellée dans le train par la police aux frontières. Le procureur de la République décida alors de poursuivre la requérante devant le tribunal correctionnel pour séjour irrégulier et non-respect de la mesure d’assignation à résidence dans le département de la Moselle. Le même jour, le représentant de la requérante fit parvenir au préfet de la Moselle une demande tendant à ce que soit modifié le département sur le territoire duquel la requérante devait être assignée. Le 30 avril 2012, l’arrêté d’assignation à résidence en Moselle fut en conséquence abrogé et le préfet du Bas-Rhin adopta un nouvel arrêté assignant la requérante dans ce département. Par un jugement du 12 septembre 2012, le tribunal correctionnel de Strasbourg reconnut la requérante coupable des faits qui lui étaient reprochés et la condamna à une peine d’un mois d’emprisonnement avec sursis.

II.  LE DROIT ET LA PRATIQUE PERTINENTS CONCERNANT LA RÉTENTION DES ÉTRANGERS, EN PARTICULIER CEUX ACCOMPAGNÉS DE MINEURS

A.  Droit et pratique internes pertinents

1.  La rétention des étrangers en vue de leur expulsion

21.  La rétention des étrangers en vue de leur expulsion est encadrée principalement, en droit interne, par les dispositions du code de l’entrée, du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Les dispositions pertinentes du CESEDA, la jurisprudence y afférente et les avis de plusieurs autorités administratives indépendantes sont résumés dans l’exposé du droit interne fait dans l’arrêt A.B. et autres c. France (no 11593/12, §§ 19-30 et 41-59).

2.  Conditions d’accueil du centre de rétention de Metz-Queuleu

a)  Rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté

22.  À la suite d’une visite effectuée au centre de rétention administrative de Metz-Queuleu du 9 au 11 mars 2010, le contrôleur publia un rapport dont les points pertinents sont les suivants :

« la zone « rétention » (...) comprend :

-  sept bâtiments d’hébergement, chacun d’une capacité de quatorze personnes, répartis en quatre zones :

  • la zone 1 comprend deux bâtiments (le 1 et le 2) réservés pour les femmes et les familles, qui sont hébergées dans une chambre à neuf places (la chambre « grande famille ») et dans une chambre à cinq places (la chambre « petite famille ») ;
  • la zone 2 comprend un seul bâtiment (le 3) réservé aux hommes. Ce bâtiment a accueilli un temps deux personnes atteintes par le virus H1 N1 et isolées des autres retenus ;
  • les zones 3 et 4 comprennent chacune deux bâtiments (respectivement, les 4 et 5 et les 6 et 7) réservés aux hommes. Au temps de la visite, le bâtiment 4 n’était pas en service à la suite de dégradation d’une fenêtre et en attente de sa réparation.

Les zones sont chacune entourées d’une clôture constituant quatre enceintes différentes. Une porte grillagée permet d’accéder à chacune de ces enceintes. En journée, les hommes retenus ont un libre accès aux zones 2, 3 et 4. La zone 1 est strictement sectorisée et dispose d’un portillon qui lui est propre. La nuit, les personnes retenues ne peuvent pas sortir de leur zone.

- une vaste cour extérieure délimitée en trois parties avec :

  • aux abords des deux bâtiments de la zone 1, une aire de jeux pour les enfants aménagée avec deux toboggans, deux balançoires et une échelle de corde, ainsi que deux bancs et une poubelle ;
  • une cour centrale empruntée par les hommes pour tout déplacement hors de la zone « rétention », dans laquelle se trouvent trois bancs, une poubelle et trois distributeurs de boissons et de friandises ; deux terrains de sport réservés, libres d’accès en journée depuis les zones réservées aux hommes.

Le CRA est éclairé la nuit par soixante-dix-neuf projecteurs (quarante-trois de 150 W, quinze de 140 W et vingt et un de 50 W). Vingt-quatre caméras (neuf mobiles et quinze fixes) sont réparties dans le centre et à ses abords et visualisent principalement tous les secteurs de circulation, y compris les couloirs d’accès aux chambres. Il n’y a pas de caméras dans les chambres. Les écrans de contrôle se trouvent à la vigie. L’enregistrement est automatique ; l’effacement aussi, après trente-deux-jours, à moins qu’un évènement particulier n’exige la conservation des images. (...)

Les chambres familles

La chambre « grande famille » est située dans le bâtiment numéro un et peut accueillir jusqu’à neuf personnes. Sa superficie est de 36,5 m². Elle est meublée d’un lit double et de six lits simples, d’un placard à trois portes comprenant une étagère et des patères. Chaque tête de lit est surmontée d’un luminaire mural. La télévision en état de marche est murale sans télécommande. Sur un des lits simples, on retrouve pêle-mêle des livres d’enfants, des pièces de jeu de société, quelques jouets Lego, une peluche, un jeu de cartes. Quatre affiches de prévention sont présentes sur les murs. Un pan de mur de couleur orange tente d’égayer un peu l’atmosphère de cette pièce. Deux baies vitrées coulissantes à ouverture limitée permettent un ensoleillement direct de la pièce. Le bloc sanitaire comprend un lavabo avec miroir, une douche carrelée et un WC à l’anglaise séparé en inox.

La chambre « petite famille » comprend un lit double, deux lits simples et, au temps de la visite, deux lits enfants en toile. L’ameublement et les luminaires sont identiques en dehors du placard constitué de deux portes. Il n’y a pas de jeux. Sa surface totale est de 25,7 m². Le bloc sanitaire est identique au précédent et comprend un lavabo avec miroir, une douche carrelée et un WC à l’anglaise en inox. (...)

[Dans le réfectoire] il n’y a pas de chaise haute pour les nourrissons et jeunes enfants ; (...)

Le centre ne dispose pas de chauffe-biberon ou de chauffe-« pots ». Pour l’alimentation nocturne, les biberons sont donc donnés à température ambiante. (...)

CONCLUSION (...)

S’il est possible de téléphoner et de recevoir des appels à tout moment du jour et de la nuit, le positionnement des « points phone » et leur défaut de protection visuelle et phonique ne permettent cependant aucune confidentialité aux conversations. Celles-ci sont, de surcroît, sans cesse perturbées par les appels diffusés toute la journée au moyen de hauts parleurs au volume sonore élevé. (...)

Le manque d’activités et d’espace de parole renforce l’anxiété ambiante et complexifie la gestion du centre. Les quelques éléments de jeux pour les enfants, présents dans les chambres familles, sont dégradés et en nombre insuffisant.

Les caméras de vidéosurveillance, la « vigie » surplombant la zone de rétention, les relations par le biais d’interphone et de hauts parleurs font du nouveau centre « un espace sécuritaire déshumanisé » pour reprendre une expression entendue lors de la visite ; »

b)  Rapport des ONG

23.  Dans leur rapport commun de 2012 sur les centres et locaux de rétention administrative, l’Assfam, Forum Réfugiés, France terre d’asile, La Cimade et l’Ordre de Malte notèrent concernant le centre de rétention de Metz-Queuleu :

« Au total 8 familles ont été enfermées dans le centre de Metz en 2012, soit 34 personnes dont 18 enfants. Ce chiffre est en forte diminution par rapport à 2011 (35 familles pour 142 personnes dont 73 enfants) et 2010 (27 familles pour 125 personnes dont 66 enfants). Cette baisse a été amorcée par la jurisprudence de la CEDH (arrêt Popov c. France, nos 39472/07 et 39474/07, 19 janvier 2012) qui a été retenue à plusieurs reprises par les juridictions locales. Puis, c’est la circulaire du 6 juillet 2012 obligeant l’administration à privilégier avant tout une mesure d’assignation à résidence qui a permis des placements beaucoup plus rares des familles au centre de rétention de Metz-Queuleu. À noter toutefois que le CRA de Metz-Queuleu est l’un des seuls centres à avoir vu des familles placées après la circulaire du 6 juillet 2012 (1 famille en septembre 2012 puis 3 au cours du premier semestre 2013), au motif que les membres de la famille présentaient un risque de fuite (n’ayant pas respecté les conditions de leur assignation à résidence ou ayant effectué un refus d’embarquement). »

B.  Droit international pertinent et éléments de droit comparé

24.  Le droit international pertinent et les éléments de droit comparé relatifs à la rétention des mineurs étrangers sont présentés dans les paragraphes 60 à 91 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité.

EN DROIT

I.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 3 DE LA CONVENTION

25.  Les requérantes allèguent que leur placement en rétention, du 18 au 26 avril 2012, au regard de la durée et des conditions matérielles dans lesquelles il s’est déroulé, ainsi que de l’âge des enfants (deux ans et demi et quatre mois), a porté atteinte à l’article 3 de la Convention, ainsi libellé :

« Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. »

A.  Sur la recevabilité

26.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

27.  Les requérantes, citant des rapports du Commissaire aux droits de l’homme et du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), soulignent l’inadéquation des centres de rétention administrative à l’accueil des familles et aux besoins des enfants, en raison, au-delà des conditions matérielles inadaptées, des conséquences néfastes sur ces enfants de la promiscuité, du stress, de l’insécurité et de l’environnement hostile que présentent ces centres.

28.  Les requérantes affirment de plus que si le centre de rétention administrative de Metz-Queuleu était habilité à recevoir des familles, ses infrastructures n’étaient pas adaptées à l’accueil des enfants.

29.  Les requérantes font ainsi valoir que la zone famille est dotée d’une cour intérieure qui est équipée d’une simple structure de jeux pour enfants et d’une trottinette. Cette cour est elle-même située dans la zone « femmes » qui n’est séparée de la zone « hommes » que par un grillage, permettant de voir ce qui s’y passe. Ainsi, les enfants peuvent assister à des scènes de violence, telles que des bagarres, ou des actes de désespoir (tentatives de suicide, automutilations, grèves de la faim), ainsi qu’observer des personnes qui se trouvent parfois dans un état sanitaire ou de détresse impressionnant, tout à fait effrayants pour un enfant. Par ailleurs, depuis cette cour extérieure et depuis leur chambre, les enfants entendent continuellement résonner les noms des personnes retenues qui sont appelées par haut-parleur à un très fort niveau sonore.

30.  Les requérantes ajoutent que la chambre « famille » dans laquelle elles ont été placées, est une petite pièce meublée d’un lit double, de deux lits simples et d’un lit enfant, en fer, ainsi que de bancs en fer aux bords anguleux, qui peuvent être dangereux, notamment parce qu’il y a peu d’espace pour se déplacer dans la pièce. En outre la porte de la chambre est une porte type « blindée », très lourde, avec laquelle les enfants risqueraient de se blesser.

31.  Les requérantes notent également l’absence de jeux pour que les enfants puissent jouer dans la chambre, ce qui les prive de toute activité à l’intérieur. De plus, les enfants ne bénéficient d’aucune mesure d’encadrement et d’accompagnement psychologique ou éducatif et le personnel n’est pas formé pour ce type de public. À cela s’ajoute une forte présence policière dans le centre, qui peut être choquante pour des enfants qui ne sont pas en mesure de comprendre les raisons de leur enfermement dans un tel lieu, proche de l’univers carcéral.

32.  Les requérantes estiment que, dans des hypothèses de privation de liberté, la charge de la preuve doit être renversée et il appartient alors au Gouvernement de démontrer qu’il a accompli ses obligations à l’égard des personnes placées en rétention. Dès lors, faute d’être étayées, les allégations du Gouvernement selon lesquelles les conditions au centre de rétention de Metz-Queuleu seraient adaptées aux enfants et auraient été améliorées entre mars 2010, date de la visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté, et avril 2012, date de la rétention des requérantes, ne sauraient être prises en considération.

33.  Les requérantes soulignent par ailleurs que leur rétention a duré huit jours sans qu’aucune mesure alternative n’ait été adoptée pour mettre fin à leur enfermement. Elles précisent que le soir du 25 avril 2012, après avoir appris que leur demande d’application de l’article 39 avait été favorablement accueillie par la Cour, elles ont préféré rester au centre de rétention pour s’assurer d’avoir un toit pour la nuit et organiser au mieux leur sortie le lendemain matin. Ainsi, cette nuit supplémentaire au centre de rétention, bien que ce dernier soit totalement inadapté à la présence d’enfants, permettait d’éviter un dommage encore plus important pour les deux fillettes.

34.  Les requérantes estiment donc que ces éléments, combinés au bas-âge des enfants, deux ans et demi et quatre mois, ont été générateurs de stress et d’angoisse, créant des conséquences particulièrement traumatisantes sur leur psychisme.

35.  Le Gouvernement estime que la présente espèce se distingue de l’affaire Popov c. France, tant en raison de la durée de la rétention que des conditions dans lesquelles elle s’est déroulée.

36.  S’agissant de la durée, le Gouvernement fait valoir que le placement en rétention des requérantes a été ordonné la veille du vol prévu pour leur réacheminement en Pologne. La prolongation de leur rétention, du fait de leur refus d’embarquer, n’est imputable qu’à elles seules. De plus, les autorités ont adopté toutes les diligences nécessaires afin de limiter autant que possible la durée de leur rétention. En effet, un second vol était programmé au 26 avril 2012. Par conséquent, même en l’absence de mesure provisoire ordonnée par la Cour, la rétention des requérantes n’aurait pas excédé huit jours, dont sept auraient directement résulté de leur refus d’embarquer.

37.  Pour ce qui est des conditions matérielles d’accueil des familles au centre de rétention de Metz-Queuleu, le Gouvernement note que celles-ci sont incomparablement supérieures à celles dont la Cour a eu à connaître dans l’affaire Popov c. France. Il cite à l’appui de ses dires le rapport de visite du contrôleur général des lieux de privation de liberté qui constate que deux bâtiments sont réservés aux femmes et aux familles, qui sont hébergées dans une chambre à neuf places et une autre à cinq places, et qu’une aire de jeux extérieure est prévue pour les enfants. Le Gouvernement ajoute que si ce rapport relève plusieurs insuffisances caractérisées, telles que l’absence de chauffe-biberons et de chaises hautes, ou encore le faible nombre et la dégradation des jeux à disposition des enfants, ces manquements ont trouvé remède depuis et ne sont, du reste, pas invoqués au soutien de leurs griefs par les requérantes.

38.  De plus, le Gouvernement soutient que le centre de rétention en question comporte désormais, pour chacune des zones qui le composent, un espace réservé aux loisirs (aire de jeux pour enfants, deux « city stades » de basket-ball et de volley-ball) et que chaque bâtiment dispose d’un espace de convivialité équipé d’un téléviseur. En outre, des efforts ont été menés pour adapter le centre aux enfants. La société attributaire du marché de prestations hôtelières est ainsi tenue de fournir en permanence du lait de premier et deuxième âge, des biberons en plastique, des tétines pour biberons et des petits pots de légumes et de fruits. Le centre dispose également d’un matériel de puériculture comprenant notamment une baignoire pour bébé et deux tables à langer ainsi que des jeux pour enfants et une bibliothèque comprenant environ 200 ouvrages.

39.  Dès lors, le Gouvernement observe qu’aucun élément ne permet de remettre en cause le bon état général du CRA de Metz qui, comme l’a relevé le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe à la suite de sa visite en France du 21 au 23 mai 2008, est entré en fonction en 2007 et fait donc partie des centres de rétention les plus récents en France.

40.  Par ailleurs, en réponse aux observations des requérantes selon lesquelles le Gouvernement aurait manqué d’étayer ses dires relatifs aux améliorations apportées au centre de rétention, celui-ci estime qu’un renversement de la charge de la preuve n’est prescrit qu’en réponse à des allégations précises. Or, les requérantes n’ayant pas fourni de telles allégations concernant l’absence des équipements mentionnés, le Gouvernement estime qu’il ne lui incombe pas de démontrer l’exactitude des informations fournies.

41.  Ainsi, le Gouvernement soulève que les conditions de rétention vécues par les requérantes ne sont aucunement comparables à celles ayant permis de conclure à la violation de l’article 3 de la Convention dans l’affaire Popov c. France, la Cour ayant pris en compte l’absence de lits pour enfants, la présence de lit adultes avec des angles en fer pointus, l’absence d’activité destinée aux enfants autre qu’un petit espace de jeux très sommaire sur un bout de moquette, une cour intérieure bétonnée de 20 m² avec vue sur un ciel grillagé, des grilles au maillage serré aux fenêtres des chambres, ne permettant pas de voir à l’extérieur et une fermeture automatique des portes des chambres, dangereuses pour les enfants.

42.  Le Gouvernement estime donc que, si le placement en rétention des enfants est à éviter dans tous les cas où cela est raisonnablement possible, les requérantes n’ont, dans les circonstances de l’espèce, subi aucune violation de leur droit garanti à l’article 3 de la Convention.

43.  Enfin, le Gouvernement observe que, libérées du centre le 25 avril 2012, les requérantes ont néanmoins souhaité y être hébergées une nuit supplémentaire. Cette circonstance apparaît alors contradictoire avec l’affirmation selon laquelle leur maintien en rétention aurait été par lui-même constitutif d’un traitement contraire aux dispositions de l’article 3 de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

a)  Principes applicables

44.  La Cour rappelle que l’article 3 de la Convention ne ménage aucune exception. Cette prohibition absolue, par la Convention, de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants montre que l’article 3 consacre l’une des valeurs fondamentales des sociétés démocratiques qui forment le Conseil de l’Europe (Soering c. Royaume-Uni, 7 juillet 1989, § 88, série A no 161).

45.  Pour tomber sous le coup de l’article 3, un mauvais traitement doit atteindre un minimum de gravité. L’appréciation de ce minimum est relative par essence ; elle dépend de l’ensemble des données de la cause, et notamment de la nature et du contexte du traitement, ainsi que de ses modalités d’exécution, de sa durée, de ses effets physiques ou mentaux, ainsi que, parfois, du sexe, de l’âge et de l’état de santé de la victime (voir, entre autres, Raninen c. Finlande, 16 décembre 1997, § 55, Recueil des arrêts et décisions 1997-VIII).

46.  La Cour rappelle qu’elle a conclu à plusieurs reprises à la violation de l’article 3 de la Convention en raison du placement en rétention d’étrangers mineurs accompagnés (voir Muskhadzhiyeva et autres c. Belgique, no 41442/07, 19 janvier 2010 ; Kanagaratnam c. Belgique, no 15297/09, 13 décembre 2011 ; Popov, précité) ou non (voir Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga c. Belgique, no 13178/03, CEDH 2006‑XI ; Rahimi c. Grèce, no 8687/08, 5 avril 2011). Dans les affaires concernant le placement en rétention d’enfants étrangers mineurs accompagnés, elle a notamment conclu à la violation de l’article 3 de la Convention en raison de la conjonction de trois facteurs : le bas âge des enfants, la durée de leur rétention et le caractère inadapté des locaux concernés à la présence d’enfants.

b)  Application au cas d’espèce

47.  La Cour constate qu’en l’espèce, et à l’instar de l’affaire Muskhadzhiyeva et autres, les enfants de la requérante étaient accompagnées de leur mère durant la période de rétention. Elle estime cependant que cet élément n’est pas de nature à exempter les autorités de leur obligation de protéger les enfants et d’adopter des mesures adéquates au titre des obligations positives découlant de l’article 3 de la Convention (ibid., § 58) et qu’il convient de garder à l’esprit que la situation d’extrême vulnérabilité de l’enfant est déterminante et prédomine sur la qualité d’étranger en séjour illégal (voir Popov, précité, § 91 ; comparer avec Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 55). Les directives européennes encadrant la rétention des étrangers considèrent à ce titre que les mineurs, qu’ils soient ou non accompagnés, comptent parmi les populations vulnérables nécessitant l’attention particulière des autorités. En effet, les enfants ont des besoins spécifiques dus notamment à leur âge et leur dépendance.

48.  La Cour note que, lors de la rétention en cause, les enfants de la requérante étaient âgées de deux ans et demi et quatre mois. Elles furent retenues avec leur mère au centre de Metz-Queuleu pendant huit jours.

49.  Concernant les conditions matérielles de rétention, la Cour constate que le centre de Metz-Queuleu compte parmi ceux « habilités » à recevoir des familles en vertu du décret du 30 mai 2005 (voir paragraphe 26 de l’arrêt A.B. et autres c. France précité). Il ressort des rapports de visite de ce centre (voir les paragraphes 22 et 23 ci-dessus) que les autorités ont pris soin de séparer les familles des autres retenus, de leur fournir des chambres spécialement équipées et de mettre à leur disposition du matériel de puériculture adapté.

50.  La Cour relève cependant, au vu des informations à sa disposition, que la cour intérieure de la zone famille n’est séparée de la zone « hommes » que par un grillage permettant de voir tout ce qui s’y passe. Elle observe, en outre, que les requérantes ont été soumises à un environnement sonore relativement anxiogène, en étant contraintes de subir les appels diffusés toute la journée au moyen de haut-parleurs au volume sonore élevé.

51.  La Cour considère que de telles conditions, bien que nécessairement sources importantes de stress et d’angoisse pour un enfant en bas âge, ne sont pas suffisantes, dans le cas d’un enfermement de brève durée et dans les circonstances de l’espèce, pour atteindre le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3. Elle est convaincue, en revanche, qu’au-delà d’une brève période, la répétition et l’accumulation de ces agressions psychiques et émotionnelles ont nécessairement des conséquences néfastes sur un enfant en bas âge, dépassant le seuil de gravité précité. Dès lors, l’écoulement du temps revêt à cet égard une importance primordiale au regard de l’application de ce texte.

52.  La Cour souligne que même si, comme le fait valoir le Gouvernement, les autorités internes ont, dans un premier temps, mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement, le droit absolu protégé par l’article 3 interdit qu’un mineur accompagné soit maintenu en rétention dans les conditions précitées pendant une période dont la durée excessive a contribué au dépassement du seuil de gravité prohibé. Or, elle constate qu’en l’espèce, la période d’enfermement a duré au moins sept jours, non inclus le dernier jour pendant lequel la requérante est restée volontairement dans le centre de rétention. Cette durée est en elle‑même trop longue pour des enfants de deux ans et demi et quatre mois.

53.   Ainsi, compte tenu de l’âge des enfants de la requérante, de la durée et des conditions de leur enfermement dans le centre de rétention de Metz-Queuleu, la Cour estime que les autorités ont soumis ces enfants à un traitement qui a dépassé le seuil de gravité exigé par l’article 3 de la Convention. Partant il y a eu violation de cet article à l’égard des enfants de la requérante.

II.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 5 §§ 1  ET 4 DE LA CONVENTION

54.  Les requérantes soutiennent que leur placement en rétention administrative a eu lieu dans des conditions contraires à l’article 5 § 1 de la Convention et que le recours pour le contester est ineffectif au regard de l’article 5 § 4. Ces dispositions se lisent comme suit :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales : (...)

f)  s’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement dans le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours.

(...)

4.  Toute personne privée de sa liberté par arrestation ou détention a le droit d’introduire un recours devant un tribunal, afin qu’il statue à bref délai sur la légalité de sa détention et ordonne sa libération si la détention est illégale. »

A.  Sur la recevabilité

55.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève par ailleurs qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Sur l’article 5 § 1

a)  Thèses des parties

56.  Les requérantes rappellent que le droit français interdit les mesures d’éloignement contre les mineurs. Elles en déduisent qu’une décision de placement en rétention ne peut être prise contre les mineurs et, partant, que la rétention des enfants n’a aucune base légale en France.

57.  Les requérantes soutiennent qu’aucun effort n’a été fait pour trouver des mesures alternatives à la rétention.

58.  Le Gouvernement souhaite distinguer la présente affaire de l’arrêt Popov c. France, pour trois raisons.

59.  Il soutient, en premier lieu, que rien ne permet d’affirmer que les conditions d’hébergement au centre de rétention de Metz-Queuleu étaient inadaptées à la présence des requérantes, et cela à plus forte raison que la durée de leur présence était initialement prévue comme devant être des plus brèves. Il souligne que l’autorité judiciaire, saisie en appel de la légalité de la rétention des requérantes, a d’ailleurs procédé à un examen concret du lieu et du régime de rétention des requérantes, ainsi que de la compatibilité de celui-ci avec l’âge des plus jeunes d’entre elles.

60.  En deuxième lieu, le Gouvernement fait valoir que si le CESEDA ne permet toujours pas que les mineurs puissent être personnellement soumis à une mesure privative de liberté, il prévoit, depuis la loi du 16 juin 2011, la possibilité que des mineurs accompagnant leurs parents soient accueillis en centre de rétention (art. L. 553-1).

61.  En troisième lieu, le Gouvernement insiste sur le fait que l’autorité préfectorale a examiné au préalable la possibilité d’une mesure alternative d’assignation à résidence pour l’écarter cependant, au vu de l’absence de garanties de représentation des requérantes. Le tribunal administratif a d’ailleurs estimé que « le préfet n’a[vait] pas commis d’erreur d’appréciation en estimant que la requérante ne présentait pas de garanties de représentation suffisantes justifiant son assignation à résidence au lieu d’un placement en rétention, nonobstant le fait qu’elle ait deux enfants en bas âge ».

62.  Par conséquent, le Gouvernement en déduit que, conformément à la loi du 16 juin 2011 qui instaure le principe d’une recherche de mesures alternatives, les autorités ont placé les requérantes au centre de rétention après avoir constaté qu’il n’existait aucune solution alternative et eu égard tant à la faible durée initiale de la mesure de rétention qu’au caractère adapté à l’accueil des familles du centre de Metz-Queuleu.

b)  Appréciation de la Cour

63.  Pour être conforme à l’article 5 § 1, toute privation de liberté doit avoir respecté « les voies légales » et été « régulière » (voir, parmi d’autres, Winterwerp c. Pays-Bas, 24 octobre 1979, § 37, série A no 33 ; Witold Litwa c. Pologne, no 26629/95, § 78, CEDH 2000‑III).

64. La Cour rappelle, par ailleurs, que pour qu’une détention se concilie avec l’article 5 § 1 f) de la Convention, il suffit qu’une procédure d’expulsion soit en cours et que celle-ci soit effectuée aux fins de son application. En principe, il n’y a donc pas lieu de rechercher si la décision initiale d’expulsion se justifiait ou non au regard de la législation interne ou de la Convention ou si la rétention pouvait être considérée comme raisonnablement nécessaire, par exemple pour empêcher un risque de fuite ou d’infraction. La Cour a cependant égard à la situation particulière des personnes privées de liberté. Ainsi, par exception, quand un enfant est présent, elle estime que la privation de liberté doit être nécessaire pour atteindre le but poursuivi, à savoir pour assurer l’expulsion de la famille. Dans l’affaire Popov c. France, elle a conclu à la violation de l’article 5 § 1 après avoir notamment constaté que les autorités n’avaient pas recherché si le placement en rétention administrative était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune alternative ne pouvait se substituer (ibid., § 119).

65.  La Cour relève que le droit français réglemente certains aspects de la présence des mineurs accompagnant leurs parents placés en rétention (voir les paragraphes 25 à 28 de l’affaire A.B. et autres c. France précitée). Il n’existe, en revanche, aucun texte déterminant les conditions dans lesquelles cette présence en rétention est possible. Ainsi, en l’espèce, seule la première requérante faisait l’objet d’une mesure d’éloignement prenant la forme d’une réadmission et d’un arrêté ordonnant son placement en rétention.

66.  Toutefois, la Cour observe que la situation des enfants est intrinsèquement liée à celle de leurs parents, dont il convient, dans toute la mesure du possible, de ne pas les séparer. Ce lien, conforme à l’intérêt des enfants, a pour conséquence que, lorsque leurs parents sont placés en rétention, ils sont eux-mêmes de facto privés de liberté. Cette privation de liberté résulte de la décision légitime des parents, ayant autorité sur eux, de ne pas les confier à une autre personne. La Cour peut accepter qu’une telle situation n’est pas, dans son principe, contraire au droit interne. Elle souligne néanmoins que le cadre dans lequel se trouvent alors les enfants est source d’angoisse et de tensions pouvant leur être gravement préjudiciable.

67.  Dans de telles conditions, la Cour juge que la présence en rétention d’un enfant accompagnant ses parents n’est conforme à l’article 5 § 1 f) qu’à la condition que les autorités internes établissent qu’elles ont recouru à cette mesure ultime seulement après avoir vérifié concrètement qu’aucune autre moins attentatoire à la liberté ne pouvait être mise en œuvre.

68.  En l’espèce, la Cour note que la première requérante et ses enfants ont été placées en rétention dans l’attente de leur expulsion et, partant, qu’il s’agissait d’une privation de liberté relevant de l’article 5 § 1 f). Elle relève que, dans son arrêté ordonnant le placement en rétention de la requérante, le préfet a écarté la possibilité de recourir à une mesure moins coercitive en raison de la conjonction de plusieurs facteurs, dont le refus de la première requérante de se mettre en relation avec le service de la police aux frontières afin d’organiser son départ, l’absence de document d’identité et le caractère précaire de son logement. Dans ces circonstances, la Cour estime que les autorités internes ont recherché de façon effective si le placement en rétention administrative de la famille était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre moins coercitive ne pouvait se substituer.

69.  Eu égard à ce qui précède, la Cour conclut à la non-violation de l’article 5 § 1 de la Convention à l’égard de la première requérante et de ses enfants.

2.  Sur l’article 5 § 4

a)  Thèses des parties

70.  Les requérantes exposent qu’à l’instar de l’affaire Popov c. France, précitée, les enfants ne faisaient l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’un arrêté de placement en rétention et qu’elles n’avaient à leur disposition aucun recours pour contester cette seconde décision.

71.  En réponse au Gouvernement, elles soutiennent que la saisine du juge des enfants n’est pas un recours contre l’enfermement et que, d’ailleurs, elle n’a aucun caractère suspensif.

72.  Enfin, elles soulignent qu’il existe très peu de décisions de juridictions administratives ayant pris en compte la situation des enfants en rétention.

73.  Le Gouvernement considère, contrairement à l’approche adoptée par la Cour dans l’arrêt Popov c. France, précité, que l’on ne saurait déduire du fait que les enfants ne peuvent faire l’objet ni d’un arrêté d’expulsion, ni d’un arrêté de placement en rétention qu’ils tombent dans un vide juridique ne leur permettant pas d’exercer le recours garanti à leurs parents. Le Gouvernement explique en effet qu’il est possible d’invoquer devant le juge administratif, au nom des enfants accompagnant leurs parents, l’illégalité de leur présence en rétention. Il cite ainsi une décision d’une juridiction administrative ayant, selon lui, anticipé les conséquences des exigences soulignées par la Cour dans l’arrêt Popov c. France, précité, au regard de l’article 5 § 4 en sanctionnant la présence illégale de mineurs accompagnant leurs parents dans un centre de rétention. Il fait également valoir qu’en application de l’article 375 du code civil, il est possible de saisir le juge des enfants lorsque la santé ou la moralité d’un mineur sont en danger ou lorsque les conditions de son éducation ou de son développement physique, affectif, intellectuel ou social sont gravement compromises.

b)  Appréciation de la Cour

74.  La Cour rappelle que le concept de « lawfulness » (« régularité », « légalité ») doit avoir le même sens au paragraphe 4 de l’article 5 qu’au paragraphe 1, de sorte qu’une personne détenue a le droit de faire contrôler sa détention sous l’angle non seulement du droit interne, mais aussi de la Convention, des principes généraux qu’elle consacre et du but des restrictions qu’autorise le paragraphe 1. L’article 5 § 4 ne garantit pas le droit à un contrôle juridictionnel d’une ampleur telle qu’il habiliterait le tribunal à substituer sur l’ensemble des aspects de la cause, y compris des considérations de pure opportunité, sa propre appréciation à celle de l’autorité dont émane la décision. Il n’en veut pas moins un contrôle assez ample pour s’étendre à chacune des conditions indispensables à la régularité de la détention d’un individu au regard du paragraphe 1 (Chahal c. Royaume-Uni, 15 novembre 1996, § 127, Recueil des arrêts et décisions 1996‑V ; S.D. c. Grèce, no 53541/07, § 72, 11 juin 2009 ; Rahimi, précité, § 113).

75.  La Cour observe que la première requérante a pu contester sa rétention devant les juridictions internes : elle a saisi le tribunal administratif en annulation de l’arrêté ordonnant son placement en rétention puis le juge des libertés et de la détention et la cour d’appel se sont prononcés sur la légalité de sa privation de liberté. Ainsi, la Cour constate que la première requérante a eu la possibilité d’exercer un recours permettant d’obtenir une décision sur la légalité de sa rétention (voir Popov c. France précité, § 123).

76.  En revanche, ainsi que rappelé précédemment, la loi française ne prévoit pas que les mineurs puissent faire l’objet d’une mesure de placement en rétention. La Cour en avait déduit, dans l’arrêt Popov c. France, (précité, § 124), que les enfants accompagnant leurs parents tombaient dans un vide juridique qui ne leur permettait pas d’exercer le recours en annulation, ouvert à leurs parents, devant le juge administratif et qui ne permettait pas plus au juge des libertés et de la détention de se prononcer sur la légalité de leur présence en rétention.

77.  La Cour observe, qu’en l’espèce, certaines juridictions ont eu égard à la présence d’enfants et ont recherché s’il était possible de recourir à une mesure alternative à la rétention. Le tribunal administratif et le premier président de la cour d’appel se sont ainsi assurés de l’impossibilité de recourir à l’assignation à résidence dans les circonstances de la cause. En conséquence, la Cour est convaincue que les juridictions internes ont effectivement recherché si une mesure moins coercitive que la rétention de la famille aurait pu être prise et, partant, que les enfants de la requérante ont pu bénéficier d’un recours au sens de l’article 5 § 4.

78.  Eu égard à ce qui précède, la Cour considère que la première requérante et ses enfants se sont vu garantir la protection requise par la Convention. Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 4.

III.  SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 8 DE LA CONVENTION

79.  Les requérantes se plaignent que leur placement en rétention a porté atteinte à leur droit au respect à une vie familiale. Elles invoquent l’article 8 qui est ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.  Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien‑être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. »

A.  Sur la recevabilité

80.  La Cour constate que ce grief n’est pas manifestement mal fondé au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention. Elle relève en outre qu’il ne se heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de le déclarer recevable.

B.  Sur le fond

1.  Thèses des parties

81.  Les requérantes soutiennent que leur placement en rétention n’était pas nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention. Elles affirment, en effet, qu’il n’existait aucun risque de fuite et qu’une assignation à résidence aurait été parfaitement adaptée à leur situation.

82.  Le Gouvernement concède qu’il existait bien en l’espèce une vie familiale entre les requérantes et que la mesure de placement en rétention a constitué une ingérence dans le déroulement normal de celle-ci. Il soutient, en outre, qu’il n’y a aucune raison pour que la Cour se départe de la conclusion qui était la sienne dans l’affaire Popov c. France, précitée, à savoir que ladite ingérence a bien été prévue par la loi et qu’elle poursuivait un but légitime.

83.  Le Gouvernement fait cependant valoir que la présente affaire se distingue, sur la question de la proportionnalité, de l’arrêt Popov c. France, précité. D’une part, parce qu’en l’espèce, les autorités ont fait toute diligence pour limiter autant qu’il était possible la durée de rétention administrative des requérantes dont, en l’absence du refus d’embarquement manifesté par la requérante, la présence au centre de rétention n’aurait pas excédé quelques heures. Une même diligence caractérise les dispositions prises par les autorités compétentes pour qu’il soit procédé à une nouvelle tentative de réadmission dès le 26 avril 2012, soit à une date où, si cette tentative avait eu lieu, la rétention des intéressées aurait été limitée à huit jours. D’autre part, parce que le préfet du Bas-Rhin a caractérisé un risque de soustraction à la mesure d’éloignement, risque d’autant plus évident que la requérante a, par son refus ultérieur d’embarquer, manifesté la claire intention de se soustraire à la mesure de réadmission la concernant. Enfin, parce que, comme l’a relevé le tribunal administratif de Nancy, le préfet avait envisagé, puis écarté, une mesure alternative d’assignation à résidence.

84.  Le Gouvernement souligne également, jurisprudences à l’appui, que les juridictions administratives exercent un contrôle de proportionnalité étroit lorsqu’elles sont, dans des circonstances comparables à celles de la présente affaire, saisies d’un grief tiré de l’article 8 de la Convention.

2.  Appréciation de la Cour

85.  La Cour estime que l’existence d’une « vie familiale » au sens de la jurisprudence Marckx c. Belgique (13 juin 1979, série A no 31) ne fait pas de doute en l’espèce, elle n’est d’ailleurs pas contestée par le Gouvernement. Cette disposition est donc applicable à la situation dénoncée par les requérantes.

86.  La Cour considère ensuite, comme elle l’a fait dans l’affaire Popov c. France, (précitée, § 134), que le fait d’enfermer les requérantes dans un centre de rétention, pendant huit jours, les soumettant à la privation de liberté et aux contraintes inhérentes à ce type d’établissement s’analyse comme une ingérence dans l’exercice effectif de leur vie familiale.

87.  Pareille ingérence enfreint l’article 8 de la Convention, sauf si elle peut se justifier sous l’angle du paragraphe 2 de cet article, c’est-à-dire si, « prévue par la loi », elle poursuit un ou des buts légitimes énumérés dans cette disposition et est « nécessaire, dans une société démocratique », pour le ou les atteindre.

88.  La Cour observe que, bien qu’il n’en soit pas de même pour ses enfants dont le sort suivait néanmoins le sien, la base légale de la rétention de la requérante trouvait son fondement dans l’article L. 554-1 du CESEDA.

89.  Concernant le but poursuivi par la mesure litigieuse, la Cour constate qu’elle a été prise dans le cadre de la lutte contre l’immigration clandestine et du contrôle de l’entrée et du séjour des étrangers sur le territoire. Cette action peut se rattacher à des objectifs tant de protection de la sécurité nationale, de la défense de l’ordre, de bien-être économique du pays que de prévention des infractions pénales. La Cour parvient par conséquent à la conclusion que l’ingérence dont il est question poursuivait un but légitime au regard de l’article 8 § 2 de la Convention.

90.  Elle doit enfin examiner si le placement en rétention de la famille, pour une durée telle qu’en l’espèce, s’avérait nécessaire au sens de l’article 8 § 2 de la Convention, c’est-à-dire justifié par un besoin social impérieux et, notamment, proportionné au but légitime poursuivi (Mubilanzila Mayeka et Kaniki Mitunga, précité, § 80).

91.  La Cour rappelle à cet égard que les autorités se doivent de ménager un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la société dans son ensemble (Keegan c. Irlande, 26 mai 1994, § 49, série A no 290). Elle insiste sur le fait que cet équilibre doit être sauvegardé en tenant compte des conventions internationales, notamment de la Convention relative aux droits de l’enfant (mutatis mutandis, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, no 76240/01, § 120, 28 juin 2007). Il y a donc nécessité de concilier la protection des droits fondamentaux et les impératifs de la politique d’immigration des États.

92.  Ainsi, une mesure d’enfermement doit être proportionnée au but poursuivi par les autorités, à savoir l’éloignement. Il ressort en effet de la jurisprudence de la Cour que, lorsqu’il s’agit de familles, les autorités doivent, dans leur évaluation de la proportionnalité, tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant. À cet égard, la Cour souligne qu’il existe actuellement un large consensus – y compris en droit international – autour de l’idée que dans toutes les décisions concernant des enfants, leur intérêt supérieur doit primer (Rahimi, précité, § 108, et, mutatis mutandis, Neulinger et Shuruk c. Suisse [GC], no 41615/07, § 135, CEDH 2010).

93.  La Convention internationale relative aux droits de l’enfant préconise que l’intérêt supérieur des enfants soit une considération primordiale dans toute décision les concernant (article 3). De même, la directive « accueil » (voir le paragraphe 79 de l’affaire A.B. et autres c. France précitée), transposée dans le CESEDA, prévoit expressément que les États membres accordent une place d’importance à la notion d’intérêt supérieur de l’enfant. Il découle par ailleurs des rapports internationaux (voir les paragraphes 82 et suivants de l’affaire A.B.et autres c. France, précitée) que la sauvegarde de l’intérêt supérieur de l’enfant implique, d’une part, de maintenir, autant que faire se peut, l’unité familiale et, d’autre part, d’envisager des alternatives afin de ne recourir à la détention des mineurs qu’en dernier ressort. Tant la Convention internationale relative aux droits de l’enfant que les directives européennes « retour » et « accueil » ou l’Assemblée parlementaire prévoient ainsi que le placement en rétention des mineurs ne doit intervenir qu’en dernier ressort, après examen de toutes les alternatives à la rétention. La Cour note enfin que la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) et la Défenseure des enfants se sont prononcées, à plusieurs reprises, contre la privation de liberté d’enfants n’ayant pas commis d’infraction pénale, accompagnés ou non, au nom du respect de leur intérêt supérieur. Selon elles, lorsque les parents de jeunes mineurs font l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière, l’assignation à résidence ou, si celle-ci s’avère impossible, la location de chambres d’hôtel devrait être envisagée en priorité (voir les paragraphes 51 et suivants de l’affaire A.B. et autres c. France, précitée).

94.  La Cour rappelle que, dans l’arrêt Popov c. France, précité, elle avait conclu que les requérants avaient subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale après avoir relevé trois éléments. D’une part, les requérants ne présentaient pas de risque particulier de fuite nécessitant leur rétention. D’autre part, aucune alternative à la rétention n’avait été envisagée. Enfin, les autorités n’avaient pas mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’expulsion et limiter le temps d’enfermement.

95.  La Cour relève qu’en l’espèce, pour caractériser le risque de fuite et l’impossibilité de recourir à une alternative à la rétention, le Gouvernement s’appuie sur les éléments retenus par le préfet : le refus de la requérante de se présenter auprès des services de la direction départementale de la police aux frontières afin d’organiser son départ, l’absence de document d’identité et le caractère précaire du logement de la requérante. Au vu des pièces du dossier, la Cour n’estime pas disposer d’éléments de nature à remettre en cause l’appréciation portée par les autorités nationales sur ces points.

96.  Elle note ensuite que, compte tenu du comportement de la requérante, les autorités internes ont mis en œuvre toutes les diligences nécessaires pour exécuter au plus vite la mesure d’éloignement et limiter le temps d’enfermement. Elles avaient en effet programmé un vol à destination de la Pologne pour le lendemain du placement en rétention et ce n’est qu’à la suite du refus de la requérante d’embarquer que l’exécution de la mesure d’éloignement a été retardée et que le temps d’enfermement s’est prolongé. La Cour en déduit qu’aucun retard dans la mise à exécution de la mesure d’expulsion n’est à imputer aux autorités françaises.

97.  Aussi, la rétention, pour une durée totale de huit jours, n’apparaît pas disproportionnée par rapport au but poursuivi. Partant, la Cour considère que les requérantes n’ont pas subi une ingérence disproportionnée dans le droit au respect de leur vie familiale et qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention.

IV.  SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION

98.  Aux termes de l’article 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

A.  Dommage

99.  Les requérantes réclament 10 000 euros (EUR) au titre du préjudice moral qu’elles auraient subi.

100.  Rappelant que c’est cette somme qui avait été allouée dans l’arrêt Popov c. France, précité, et que les circonstances de la présente espèce étaient nettement différentes (conditions de rétention supérieures, diligences accomplies par l’autorité préfectorale, durée de rétention plus courte), le Gouvernement juge la demande excessive.

101.  Au vu du constat de violation de l’article 3 auquel elle est parvenue concernant les enfants de la requérante, la Cour, statuant en équité, considère qu’il y a lieu d’attribuer à ces dernières la somme de 3 000 EUR.

B.  Frais et dépens

102.  Les requérantes n’ont présenté aucune demande au titre des frais et dépens. Partant, la Cour estime qu’il n’y a pas lieu de leur octroyer de somme à ce titre.

C.  Intérêts moratoires

103.  La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR

1.  Déclare, à l’unanimité, la requête recevable ;

2.  Dit, à l’unanimité, qu’il y a eu violation de l’article 3 de la Convention à l’égard des enfants de la requérante, concernant la rétention administrative ;

3.  Dit, à l’unanimité, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 §§ 1 et 4 de la Convention à l’égard de la première requérante et de ses enfants ;

4.  Dit, par quatre voix contre trois, qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention pour l’ensemble des requérantes ;

5.  Dit, à l’unanimité,

a)  que l’État défendeur doit verser aux enfants de la requérante, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 000 EUR (trois mille euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt pour dommage moral ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

6.  Rejette, à l’unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 12 juillet 2016, en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

              Claudia WesterdiekAngelika Nußberger
GreffièrePrésidente

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CEDH, Cour (cinquième section), AFFAIRE A.M. ET AUTRES c. FRANCE, 12 juillet 2016, 24587/12