CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 49017/99, 17 décembre 2004

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CEDH, 17 déc. 2004
Type de document : Communiqués de presse
Organisations mentionnées :
  • Comité des Ministres
  • ECHR
Opinion(s) séparée(s) : Non
Identifiant HUDOC : 003-1223109-1272372
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Sur les parties

Texte intégral

COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME

643

17.12.2004

Communiqué du Greffier

ARRÊT DE GRANDE CHAMBRE

PEDERSEN ET BAADSGAARD c. DANEMARK

La Cour européenne des Droits de l’Homme a prononcé aujourd’hui en audience publique son arrêt[1] dans l’affaire de Grande Chambre Pedersen et Baadsgaard c. Danemark (requête no 49017/99).

La Cour conclut

  • à l’unanimité, à la non-violation de l’article 6 (droit à une audience dans un délai raisonnable) de la Convention européenne des Droits de l’Homme ;
  • par neuf voix contre huit, à la non-violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention.

(L’arrêt est disponible en français et en anglais.)

1.  Principaux faits

La requête a été introduite par deux ressortissants danois, Jørgen Pedersen et Sten Kristian Baadsgaard, nés en 1939 et 1942 respectivement et résidant à Copenhague. M. Baadsgaard est décédé en 1999 ; la Cour a autorisé sa fille et unique héritière, Trine Baadsgaard, à poursuivre la requête.

A l’époque des faits, les requérants étaient journalistes à Danmarks Radio, l’une des deux chaînes de télévision nationales au Danemark.

L’affaire concerne la deuxième des deux émissions qu’ils réalisèrent sur le procès de X, qui avait été condamné à 12 ans d’emprisonnement après avoir été reconnu coupable du meurtre de sa femme. Les émissions critiquaient la manière dont la police de Frederikshavn avait mené l’enquête et recherchaient s’il y avait eu une erreur judiciaire.

La deuxième émission, diffusée le 22 avril 1991, montrait comment les autorités de poursuite auraient négligé de rendre compte de la déclaration d’une chauffeur de taxi selon laquelle elle aurait vu X aux alentours de l’heure à laquelle le crime avait été commis. Pendant l’émission, le commentateur posait les questions suivantes : « Pour quelle raison la partie cruciale du témoignage du chauffeur de taxi a-t-elle disparu et qui, au sein de la police ou du parquet, est responsable de cette disparition ? (...) Est-ce [le commissaire principal nommément cité] qui a décidé qu’il ne fallait pas verser le rapport au dossier ? Ou bien lui et l’inspecteur en chef de la brigade volante ont-ils dissimulé la déclaration du témoin à la défense, aux juges et au jury ? » Les noms du commissaire principal et de l’inspecteur en chef de la brigade volante chargés de l’enquête étaient cités et des photos d’eux montrées.

Le 29 novembre 1991, la Cour spéciale de révision décida qu’il y avait lieu de réviser le procès pour meurtre et, le 13 avril 1992, X fut acquitté.


Après la diffusion des émissions télévisées, des investigations furent engagées sur l’enquête menée par la police, qui révélèrent que de manière générale, la police ne respectait pas la disposition de loi prévoyant qu’un témoin doit pouvoir lire sa déposition intégralement.

Les deux journalistes furent inculpés de diffamation à l’égard du commissaire principal le 19 janvier 1993 et reconnus coupables de ce chef le 15 septembre 1995. La cour d’appel confirma le verdict de culpabilité et les condamna à 20 jours-amendes de 400 couronnes danoises (DKK – environ 53 euros (EUR)) et à verser 75 0000 DKK (environ 10 000 EUR) à titre de réparation aux héritiers du commissaire principal, décédé dans l’intervalle. Le 28 octobre 1998, la Cour suprême confirma le verdict, constatant que les requérants ne disposaient pas d’une base factuelle suffisante pour étayer leur allégation selon laquelle le commissaire principal nommément cité avait délibérément fait disparaître un élément de preuve crucial dans l’affaire de meurtre, et porta le montant de l’indemnisation à 100 000 DKK (environ 13 400 EUR).

2.  Procédure et composition de la Cour

La requête a été introduite le 30 décembre 1998 et déclarée recevable le 27 juin 2002.

Dans un arrêt de chambre du 19 juin 2003, la Cour a dit par six voix contre une qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 6 et, par quatre voix contre trois, qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 10. Le 3 décembre 2003, le collège de la Grande Chambre a accueilli la demande de renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre soumise par les requérants. Une audience s’est tenue au Palais des Droits de l’Homme, à Strasbourg, le 8 septembre 2004.

Le syndicat danois des journalistes a été autorisé à soumettre des observations écrites.

L’arrêt a été rendu par la Grande Chambre, composée des dix-sept juges suivants :

Luzius Wildhaber (Suisse), président,
Christos Rozakis (Grec),
Jean-Paul Costa (Français),
Nicolas Bratza (Britannique),
Lucius Caflisch (Suisse)[2],
Riza Türmen (Turc),
Viera Strážnická (Slovaque),
Corneliu Bîrsan (Roumain),
Peer Lorenzen (Danois),
Josep Casadevall (Andorran),
Boštjan M. Zupančič (Slovène),
John Hedigan (Irlandais),
Matti Pellonpää (Finlandais),
András Baka (Hongrois),
Rait Maruste (Estonien),
Mindia Ugrekhelidze (Géorgien),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjanais), juges,

ainsi que de Paul Mahoney, greffier.


3.  Résumé de l’arrêt[3]

Griefs

Invoquant les articles 6 § 1 et 10 de la Convention, les requérants se plaignaient de la durée de la procédure pénale dirigée contre eux et alléguaient que l’arrêt de la Cour suprême avait constitué une ingérence disproportionnée dans leur droit à la liberté d’expression.

Décision de la Cour

Article 6 de la Convention

La Cour considère que les requérants ont été inculpés le 19 janvier 1993 et que la procédure a pris fin avec l’arrêt de la Cour suprême du 28 octobre 1998. Evaluant globalement la complexité de l’affaire et le comportement de toutes les parties concernées, la Cour estime que la durée totale de la procédure (cinq ans, neuf mois et neuf jours) n’a pas outrepassé un délai raisonnable, et dit à l’unanimité qu’il n’y a pas eu violation de l’article 6 § 1.

Article 10 de la Convention

La Cour relève que les journalistes requérants n’ont pas été condamnés pour avoir alerté le public au sujet d’éventuelles lacunes de l’enquête criminelle menée par la police, pour avoir critiqué le comportement de la police ou de policiers nommément cités, ou pour avoir rapporté les déclarations de la chauffeur de taxi, toutes questions qui présentaient un intérêt général légitime. Ils ont été reconnus coupables d’avoir proféré une grave accusation, à savoir que le commissaire principal nommément cité avait commis une infraction pénale pendant l’enquête dirigée contre X en éliminant volontairement un élément de preuve crucial dans l’affaire de meurtre.

Les requérants ont présenté les choses de telle sorte que les spectateurs ont eu l’impression que la chauffeur de taxi avait réellement fourni une explication en 1981 comme elle alléguait l’avoir fait, que la police avait donc déjà cette explication en sa possession à cette époque et que le rapport à ce sujet avait par la suite été éliminé. La Cour relève que les requérants n’ont laissé aucun doute, ou en tout cas n’ont pas posé de question laissant un doute, quant au point de savoir si la chauffeur de taxi avait effectivement donné cette explication à la police en 1981 comme elle a affirmé neuf ans plus tard l’avoir fait.

Les requérants ont placé le spectateur devant une simple alternative : soit l’élimination de la partie cruciale de la déclaration faite par la chauffeur de taxi en 1981 avait été décidée par le seul commissaire principal, soit elle l’avait été par celui-ci et l’inspecteur en chef de la brigade volante. Dans un cas comme dans l’autre, il s’ensuivait que le commissaire principal nommément cité avait participé à l’élimination et donc commis une infraction pénale grave. Les requérants n’ont laissé aucun doute, ou en tout cas n’ont pas posé de questions laissant un doute, quant au point de savoir si un rapport avait été rédigé au sujet de la déclaration alléguée de la chauffeur de taxi et, si oui, quant au point de savoir si quelqu’un l’avait délibérément fait disparaître.

La Cour relève en outre que les journalistes requérants ne se sont pas bornés à faire référence au témoignage de la chauffeur de taxi et à émettre à partir de celui-ci des jugements de valeur. L’accusation dirigée contre le commissaire principal nommément cité constituait une déclaration factuelle dont la véracité était susceptible d’être prouvée. Or les requérants n’ont jamais fait la moindre tentative pour justifier leur allégation, dont l’exactitude n’a pas été démontrée.

Les requérants n’ont pas non plus été condamnés pour avoir reproduit ou rapporté les déclarations d’autrui. Ils ont tiré leurs propres conclusions à partir des déclarations des témoins, notamment la chauffeur de taxi.

L’allégation d’altération délibérée de preuve, diffusée à une heure de grande écoute sur une chaîne de télévision nationale, était très grave pour le commissaire principal cité et aurait entraîné des poursuites pénales si elle avait été véridique. L’infraction alléguée était punie d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à neuf ans. Cette allégation a non seulement provoqué une perte de confiance du public à l’égard du commissaire, mais aussi méconnu son droit d’être présumé innocent jusqu’à ce que sa culpabilité eût été légalement établie.

Les requérants se sont appuyés sur un seul témoin en particulier, la chauffeur de taxi. Bien que ce témoin fût apparu plus de neuf ans après les événements, les requérants n’ont pas contrôlé si la chronologie qu’elle indiquait avait un fondement objectif. La chauffeur de taxi n’a pas non plus affirmé à un quelconque moment de l’émission que les deux policiers avaient bien rédigé un rapport contenant sa déclaration centrale, ni qu’un rapport renfermant cette déclaration avait été délibérément éliminé, ni enfin que le commissaire principal cité était l’auteur de cette élimination volontaire.

Les requérants se sont procuré une copie du rapport de police reprenant la déclaration de la chauffeur de taxi au sujet de ce qu’elle avait vu le 12 décembre 1981, rapport qui ne portait aucune trace indiquant que quelque chose aurait pu en être supprimé. Rien ne donnait non plus à penser qu’il y aurait eu un autre rapport renfermant la déclaration de la chauffeur de taxi selon laquelle celle-ci avait vu X le jour du meurtre.

En dépit d’un constat de vice de procédure dans l’enquête menée dans l’affaire X, il n’est pas établi que la chauffeur de taxi ait vraiment déclaré avoir vu X le jour du meurtre lors de son interrogatoire de décembre 1981, qu’un rapport ait été rédigé au sujet d’une telle déclaration ou que le rapport de police disponible datant de 1981 n’ait pas repris l’intégralité de la déclaration de la chauffeur de taxi, ou que l’un quelconque des policiers de Frederikshavn ait supprimé des preuves dans le cas de X. Dès lors, pour la Cour, le vice de procédure commis pendant l’enquête, pris seul ou combiné à la déclaration de la chauffeur de taxi, ne saurait fournir une base factuelle suffisante à l’accusation que les requérants ont proférée à l’encontre du commissaire principal et selon laquelle celui-ci aurait activement altéré les preuves.

Les journalistes requérants affirment que leurs émissions et le témoignage de la chauffeur de taxi ont joué un rôle clé dans la décision d’accueillir le pourvoi de X et dans son acquittement. Il faut toutefois observer que l’avocat de X avait déjà demandé la révision du procès de son client le 13 septembre 1990, soit quatre jours avant la diffusion de la première émission des requérants, et plus de six mois avant celle de la seconde. En outre, la Cour spéciale de révision était partagée lorsqu’elle a accueilli le pourvoi en révision, puisque seuls deux juges sur cinq ont considéré qu’avaient été produits de nouveaux éléments, dont la déclaration de la chauffeur de taxi, qui auraient pu permettre d’acquitter X s’ils avaient été disponibles lors du procès. La révision fut cependant décidée parce que le juge qui présidait estima qu’il existait par ailleurs des circonstances particulières telles qu’il était plus que probable que les preuves disponibles n’avaient pas été appréciées correctement en 1982. Dès lors, affirmer que les émissions des requérants ou le témoignage de la chauffeur de taxi ont eu une influence décisive sur l’acquittement de X relève de la spéculation.

La Cour n’aperçoit aucune raison de s’écarter de la conclusion de la Cour suprême qui a estimé que les requérants ne disposaient pas d’une base factuelle suffisante pour étayer leur allégation selon laquelle le commissaire principal cité avait délibérément éliminé un élément de preuve crucial dans cette affaire de meurtre. Les autorités nationales étaient dès lors en droit de considérer qu’il existait un « besoin social impérieux » de prendre des mesures relativement à cette allégation en vertu de la loi applicable. Vu les circonstances, la Cour ne juge pas non plus que les sanctions infligées aux journalistes ont été excessives.

Eu égard à ce qui précède, la Cour estime que la condamnation des requérants et la peine qui leur a été infligée n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi, et que les motifs invoqués par la Cour suprême pour justifier ces mesures étaient pertinents et suffisants. Les autorités nationales pouvaient donc raisonnablement tenir l’ingérence dans l’exercice par les requérants de leur droit à la liberté d’expression pour nécessaire dans une société démocratique afin de protéger la réputation et les droits d’autrui. Partant, la Cour conclut par neuf voix contre huit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 10 de la Convention.

L’exposé de l’opinion partiellement dissidente commune à M. Rozakis, M. Türmen, Mme Strážnická, M. Bîrsan, M. Casadevall, M. Zupančič, M. Maruste et M. Hajiyev se trouve joint à l’arrêt.

***

Les arrêts de la Cour sont disponibles sur son site Internet (http://www.echr.coe.int).

Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts pour la presse :Roderick Liddell (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 24 92)
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Stéphanie Klein (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 21 54)
Télécopieur : +00 33 (0)3 88 41 27 91

La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention. Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de 7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant son organisation et son activité.


[1] Les arrêts de Grande Chambre sont définitifs (article 44 de la Convention).

[2] Juge élu au titre du Liechtenstein.

[3] Rédigé par le greffe, ce résumé ne lie pas la Cour.

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CEDH, Communiqué de presse sur l'affaire 49017/99, 17 décembre 2004