CJCE, n° C-1/73, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Westzucker GmbH contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Zucker, 6 juin 1973

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 6 juin 1973, Westzucker, C-1/73
Numéro(s) : C-1/73
Conclusions de l'avocat général Roemer présentées le 6 juin 1973. # Westzucker GmbH contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Zucker. # Demande de décision préjudicielle: Hessisches Finanzgericht - Allemagne. # Droit transitoire - Certificats de préfixation. # Affaire 1-73.
Date de dépôt : 2 janvier 1973
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61973CC0001
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1973:61
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Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. KARL ROEMER,

PRÉSENTÉES LE 6 JUIN 1973 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

La procédure préjudicielle, dans laquelle nous sommes appelés à conclure aujourd’hui, a trait au problème de l’octroi de restitutions à l’exportation de sucre blanc vers les pays tiers.

Pour comprendre cette procédure, il faut savoir ce qui suit.

Comme vous le savez, l’article 17 du règlement no 1009/67 portant organisation commune des marchés dans le secteur du sucre (JO no 308, p. 1) prévoit que, pour permettre l’exportation (entre autres de sucre blanc) sur la base des prix du marché mondial, la différence entre ces prix et les prix dans la Communauté peut être compensée par une restitution.

Les règles générales concernant les restitutions à l’exportation dans le secteur du sucre ont été définies dans le règlement no 766/68 (JO no L 148, p. 6) du Conseil, dont nous citerons en premier l’article 4. Cette disposition prévoit que la restitution peut être fixée par voie d’ad judication. Cette adjudication est opérée par les autorités compétentes des Etats membres sur la base d’un acte juridique qui lie tous les États membres et dans lequel sont fixées les conditions déterminantes de l’adjudication (entre autres le délai de présentation des offres). Le montant maximum de la restitution est ensuite fixé sur la base des offres reçues, selon la procédure des comités de gestion que nous connaissons déjà pour l’avoir rencontrée dans d’autres procédures. Si le montant de la restitution indiqué dans l’offre n’est pas supérieur au montant maximum, la restitution fixée (conformément à l’article 4 du règlement no 766/68) est celle qui figure dans l’offre en question.

Il nous faut également mentionner le règlement no 394/70 (JO no L 50, p. 1) de la Commission concernant les modalités d’application de l’octroi des restitutions à l’exportation de sucre. Aux termes de l’article 1 de celui-ci, les avis d’adjudication à établir par les Etats membres indiquent, entre autres, la durée de validité des certificats d’exportation et, le cas échéant, le montant maximum de la restitution. L’article 2 prévoit, pour le cas où la situation existant sur le marché du sucre dans la Communauté l’exigerait, qu’une adjudication permanente peut être ouverte et que, pendant la durée de validité de celle-ci, il peut être procédé à des adjudications partielles. Aux termes de l’article 3 du règlement, les intéressés participent à l’adjudication en déposant des offres écrites qui indiquent entre autres le montant de la restitution proposé par 100 kg. D’après l’article 6, «l’adjudication est attribuée à tout soumissionnaire dont l’offre ne dépasse pas le montant maximum de la restitution». L’article 5 du règlement précise en outre ce qui suit :

«l’attribution de l’adjudication fonde :

a)

le droit à la délivrance, pour la quantité attribuée, d’un certificat d’exportation mentionnant la restitution visée dans l’offre ;

b)

l’obligation de demander un certificat d’exportation pour cette quantité.

Le droit et l’obligation découlant de l’attribution de l’adjudication ne sont pas transmissibles. Ce droit est exercé et cette obligation est remplie dans les 18 jours suivant le jour de l’expiration du délai de présentation des offres».

Rappelons encore le règlement du Conseil no 447/68 et ses «règles générales en matière d’intervention par achat dans le secteur du sucre» (JO no L 91, p. 5) ainsi que le règlement de la Commission no 1987/69 établissant les modalités d’application en ce qui concerne la vente de sucre par adjudication par les organismes d’intervention (JO no L 253, p. 7). L’article 3 du règlement cité en premier lieu prévoit que la vente du sucre acheté par l’organisme d’intervention s’effectue également par adjudication. Le règlement de la Commission indiqué en second lieu réglemente les détails de cette procédure. Citons par exemple son article 1, selon lequel toute attribution de l’adjudication vaut conclusion d’un contrat de vente pour la quantité de sucre attribuée. Cette disposition précise encore ce qui suit :

«l’attribution de l’adjudication se fait, selon le cas, en fonction :

a)

du prix à payer par l’adjudicataire…

b)

du montant de la restitution à l’exportation figurant dans l’offre.

Le prix à payer par l’adjudicataire est :

a)

dans le cas visé au paragraphe 2, sous a, celui figurant dans l’offre ;

b)

dans le cas visé au paragraphe 2, sous b et c, celui figurant dans les conditions d’adjudication».

Aux termes de l’article 3, les conditions d’adjudication suivantes sont déterminées: a) la quantité totale mise en adjudication, b) la destination, c) le délai pour la présentation des offres, d) le prix à payer par l’adjudicataire dans le cas où le sucre est destiné à l’alimentation des animaux ou à l’exportation. En outre, selon le paragraphe 2 de cette disposition, des conditions complémentaires peuvent être déterminées et notamment «le montant maximum … pour la restitution à l’exportation» et «la durée de validité particulière … du certificat d’exportation». L’article 5 du règlement no 1987/69 précise que les intéressés participent à l’adjudication par dépôt d’une offre écrite dans laquelle figure entre autres le prix proposé et le montant de la restitution à l’exportation proposé. Conformément à l’article 8, l’adjudication est attribuée à tout soumissionnaire dont l’offre n’est pas inférieure au prix minimum ou dont l’offre n’est pas supérieure au montant maximum de la restitution à l’exportation. L’article 10 prévoit que l’organisme d’intervention concerné adresse aux adjudicataires une déclaration d’attribution de l’adjudication, où sont notamment indiqués le prix et le montant de la restitution à l’exportation. Enfin, l’article 11 dispose encore que l’enlèvement du sucre acheté a lieu au plus tard quatre semaines après le jour de la réception de la déclaration d’attribution de l’adjudication et que le versement du prix du sucre acheté a lieu avant son enlèvement.

Ont été arrêtés en application de ces dispositions — et cela nous rapproche déjà des faits sous-jacents à la procédure au principal — le règlement no 1734/70 de la Commission du 26 août 1970«concernant une adjudication permanente pour la détermination de la restitution à l’exportation pour le sucre blanc» (JO no L 191, p. 30), le règlement no 564/71 de la Commission du 17 mars 1971«concernant une adjudication permanente pour la vente du sucre blanc destiné à l’exportation et détenu par l’organisme d’intervention allemand» (JO 1971, no L 65, p. 14), de même que, se fondant sur ces règlements, l’avis d’adjudication permanente 6/70 (JO 1970, no C 109, p. 13) et l’avis d’adjudication permanente 4/71 (JO 1971, no C 25, p. 11). S’agissant du règlement no 1734, il nous faut mentionner son article 7, aux termes duquel «les certificats d’exportation délivrés … sont valables à partir du jour de leur délivrance jusqu’à l’expiration du 5e mois suivant celui au cours duquel ils ont été délivrés». Le règlement de la Commission no 564/71 a fixé dans son article 11 le prix à payer par l’adjudicataire. L’article de 12 de ce règlement indique les conditions auxquelles est soumis l’enlèvement du sucre, et l’article 14 détermine le délai pour le versement du prix. Pour le contenu des avis d’adjudication, nous renvoyons aux publications effectuées dans le Journal officiel. Nous soulignerons uniquement, en ce qui concerne la 2e adjudication, que le prix net à payer par l’adjudicataire figure sous le point IV et que le point VII fournit certaines indications au sujet de la date de l’enlèvement ainsi qu’à propos de la date de paiement du prix. La fixation du montant maximum de la restitution a eu lieu ensuite (pour ce qui nous intéresse ici) par une décision de la Commission du 27 janvier 1971, valable pour tous les États membres (JO 1971, no L 32, p. 17) et par une décision de la Commission du 21 avril 1971 (JO 1971, no L 108, p. 36) adressée uniquement à la république fédérale d’Allemagne.

Ces actes qui, en raison de leur complexité, devaient être décrits de façon assez détaillée, revêtent également de l’importance pour l’entreprise Westzukker, demanderesse au principal. Celle-ci a participé en effet à des adjudications partielles dans le cadre desdites adjudications, obtenant, le 28 janvier et le 22 avril, des adjudications pour lesquelles des certificats d’exportation lui ont été délivrés le 1er février 1971 et le 5 mai 1971 par l’Office d’importation et de stockage du sucre, la défenderesse au principal. Ces certificats étaient respectivement valables jusqu’au 31 juillet et jusqu’au 31 août 1971. Le taux de restitution en vigueur au jour de la déclaration d’attribution de l’adjudication était applicable pendant le même laps de temps, cela par dérogation au principe énoncé à l’article 11 du règlement no 766/68, selon lequel la restitution applicable est celle qui est en vigueur le jour de l’exportation. En outre, Tes certificats contenaient un renvoi à l’article 12 du règlement no 766/68, ce qui, pour le litige, revêt une importance toute particulière. Cet article disposait à l’origine :

«Si au cours de la période comprise entre la fixation de la restitution en vertu d’une adjudication … et l’exécution de l’exportation, il y a une modification :

a)

(soit) du prix d intervention du sucre blanc… applicable dans la zone la plus excédentaire de la Communauté … le montant fixé pour la restitution est corrigé en fonction de ladite modification».

Cette disposition a cependant été modifiée par le règlement no 1048/71 du Conseil, du 25 mai 1971, entré en vigueur le 27 mai 1971, alors que les certificats étaient encore valides. Elle est désormais libellée comme suit :

«Si au cours de la période comprise entre :

le jour du dépôt de la demande de certificat d’exportation assortie d’une demande de préfixation de la restitution ou

le jour de l’expiration du délai pour la présentation des offres lorsqu’il s’agit d’une restitution fixée par voie d’adjudication

et le jour de l’exportation, intervient une modification des prix du sucre ou de la mélasse, fixés en vertu du règlement no 1009/67/CEE, il peut être prévu un ajustement du montant de la restitution».

Ce point revêt de l’importance, parce que le règlement du Conseil no 1061/71 du 25 mai 1971 (JO no L 115, p. 17) (lequel est entré en vigueur le 16 juin 1971, conformément à l’article 191 du traité CEE) a augmenté à partir du 1er juillet 1971 le prix d’intervention pour le sucre blanc de 3,22 DM les 100 kg, portant ainsi ce prix à 22,61 u. c.

Se fondant sur cette augmentation, et partant de la thèse selon laquelle l’ancienne version de l’article 12 du règlement no 766/68 s’applique aux certificats délivrés avant le 27 mai 1971, l’entreprise Westzucker a demandé une augmentation de la restitution pour les quantités de sucre blanc exportées par elle sur la base desdits certificats après le 1er juillet 1971. L’Office d’importation et de stockage du sucre ayant refusé d’accéder à sa demande, ladite entreprise a introduit un recours devant le Finanzgericht du Land de Hesse. Tenant compte des arguements avancés par la requérante (à savoir la thèse selon laquelle le règlement no 1048/71, modifiant l’article 12 du règlement no 766/65, n’aurait pu modifier les situations juridiques acquises, l’obligation d’apporter une modification devant donc subsister pour les certificats d’exportation délivrés auparavant selon la version originale de l’article 12 du règlement no 766/68), la juridiction saisie a décidé, par ordonnance du 18 décembre 1972, de surseoir à statuer et de poser les questions suivantes à titre préjudiciel, en application de l’article 177 du traité CEE :

1)

Les articles 1 et 2 du règlement no 1048/71 du Conseil, du 25 mai 1971 (JO no L 114, p. 10), doivent-ils être interprétés dans ce sens que l’article 12 du règlement no 766/68 du Conseil, du 18 juin 1968 (JO no L 143, p. 6), tel qu’il est applicable à compter du 27 mai 1971, doit recevoir application, même dans les cas dans lesquels c’est antérieurement au 27 mai 1971 que P«Einfuhr- und Vorratsstelle für Zucker» a délivré une déclaration de majoration et un certificat d’exportation et où le sucre a été exporté postérieurement au 1er juillet 1971 ?

Dans l’hypothèse où la question no 1 comporte une réponse affirmative :

2)

Si telle est l’interprétation à retenir, les articles 1 et 2 du règlement no 1048/71 du Conseil, du 25 mai 1971 (JO no L 114, p. 10), violent-ils le principe de la sécurité juridique, principe général qui vaut également en droit communautaire, ainsi que le principe qui en découle et qui prévoit que la confiance légitime des intéressés mérite protection ?

Dans les hypothèses, soit où la question no 1 comporterait une réponse négative, soit où les questions nos 1 et 2 comporteraient une réponse affirmative :

3)

L’adjustement du montant de la restitution par suite de la modification du prix d’intervention du sucre, tel que cet ajustement est prévu par le texte initial de l’article 12 du règlement no 766/68/CEE (JO no L 143, p. 6), exige-t-il une décision préalable de la Commission ?

Recherchons maintenant la réponse qu’il y a lieu de donner à ces questions.

1.

A propos de la première question, celle qui a trait à l’interprétation du règlement no 1048/71 et à la détermination de son champ d’application «ratione materiæ», la demanderesse au principal soutient principalement que le règlement ne précise pas quelles situations il vise. Elle en déduit qu’il ne peut être appliqué aux rapports juridiques préexistants, car une mesure ne saurait avoir un tel effet immédiat en l’absence de disposition expresse. En outre, cette thèse serait étayée par l’absence d’une réglementation transitoire, obligatoire en cas d’application immédiate d’une modification de loi à des situations préexistantes.

Lorsqu’en réponse à cette argumentation la Commission renvoie entre autres aux travaux préparatoires du règlement no 1048/71 qui, ainsi qu’il ressort notamment des déclarations faites au comité de gestion et à la commission préparatoire, démontrent que les auteurs de ce texte législatif ont voulu l’application immédiate de celui-ci à des situations préexistantes, on ne saurait certes dénier tout intérêt à cette attitude de même qu’à certaines explications allant dans le sens que les services de la Commission ont donné aux organismes d’intervention nationaux après l’entrée en vigueur du règlement. Mais ces circonstances ne sauraient suffire à elles seules pour élaborer une réponse à la question qui nous occupe en l’espèce.

En réalité, c’est seulement en considérant le texte des dispositions en cause dans les différentes langues officielles, en tenant compte des intérêts en jeu et en faisant appel aux principes généraux du droit applicables en la matière, qu’il sera possible de découvrir une réponse valable.

Si nous nous tenons à ce schéma d’analyse, nous voyons d’abord — il est vrai — qu’il n’existe aucun principe général, selon lequel les dispositions modificatives de droit public devraient s’appliquer en principe immédiatement aux situations qui ne sont pas encore définitivement établies, même en l’absence d’une disposition explicite en ce sens (cf. Scheerbarth, «Die Anwendung von Gesetzen auf früher entstandene Sachverhalte», p. 99). Il faut remarquer cependant qu’on rencontre des thèses en ce sens dans certains ordres juridiques internes. Nous pouvons ainsi renvoyer aux constatations de la Cour de cassation française du 20 février 1971 (D. P. 1917, I, 81) et de la cour d’appel de Bruxelles du 23 octobre 1940 (Pasicrisie 1941, II, 96), selon lesquelles une nouvelle loi «régit en principe même les situations établies ou les rapports juridiques formés dès avant sa promulgation». Nous pouvons également rappeler un arrêt de l’ancien «Reichsgericht», qui a attribué à une disposition de droit public un effet immédiat en se fondant simplement sur le fait que ladite disposition appartenait au droit public (cf. Scheerbarth, op. cit., p. 97) et nous devons également mentionner un arrêt de la Cour de cassation italienne du 26 octobre 1954 (Foro italiano, Mass. 1954, 839), selon lequel il faut partir du principe que, même si cela n’apparaît que de façon implicite, les lois nouvelles d’ordre public doivent s’appliquer immédiatement à des situations dont les effets ne sont pas encore définitifs et qui ne sont pas encore exhaustivement accomplies selon le droit anciennement applicable. Il est remarquable en outre que notre jurisprudence contient également des indications en ce sens; ainsi, par exemple, l’arrêt 44-65 (Recueil, 1965, p. 1192), où il est dit qu'«à défaut d’une disposition expresse contraire, il convient de reconnaître à ses règles (à celles du règlement no 3) un effet dès leur entrée en vigueur en tant qu’elles fixent dès le départ les conséquences juridiques de faits du passé» ou l’arrêt 68-69 (Recueil, 1970, p. 171), où il est question d’un principe selon lequel «les lois modificatives d’une disposition législative s’appliquent, sauf dérogation, aux effets futurs des situations nées sous l’empire de la loi ancienne». Cela justifie du moins la tendance qui se refuse à voir dans l’absence d’une disposition expresse du règlement no 1048/71 un obstacle à l’application immédiate de celui-ci à des situations qui ne seraient pas encore accomplies.

Par ailleurs, le texte de ce règlement revêt de l’importance dans la présente expèce. Comme vous le savez, il ne contient que deux dispositions: un article premier, aux termes duquel «le texte de l’article 12 du règlement no 766/68 est remplacé par le texte suivant …» (suit la version modifiée du texte) et un article deuxième qui dispose que «le présent règlement entre en vigueur le jour suivant celui de sa publication au Journal officiel des Communautés européennes». On peut sans doute en déduire que seule la nouvelle version est encore applicable après l’entrée en vigueur de ce règlement modificatif. Il est clair en tout cas que le texte français, qui utilise le mot «remplacer», plaide en faveur de cette interprétation. Il permet en effet de supposer qu’à partir du jour où la version originale a été remplacée, la réglementation précédente n’était plus applicable.

Enfin, il faut encore tenir compte des intérêts en jeu. Comme nous l’avons vu, les certificats d’exportation ont une durée de validité relativement longue dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui. Cela étant, il paraît difficile d’admettre que le législateur communautaire ait entendu permettre l’application simultanée de deux réglementations au cours d’une période prolongée, ce qui aurait comporté und danger de confusion (point de vue sur lequel Scheerbarth a attiré l’attention, dans l’ouvrage que nous avons déjà cité, en soulignant qu’il revêtait également de l’importance dans le présent contexte.

Il est vain aussi, selon nous, d’agir comme la demanderesse au principal en tentant d’opposer des motifs tirés de la logique du droit à la conclusion qui s’impose au sujet de la première question ou en arguant à ce propos du fait que le règlement no 1048/71 ne contient aucune réglementation transitoire pour les rapports juridiques préexistants.

En ce qui concerne ce dernier point, à propos duquel la demanderesse a invoqué en particulier la jurisprudence de l’arrêt 16-70 (Recueil, 1970, p. 921), nous estimons qu’on ne saurait tirer de cet arrêt un principe aussi étendu, qu’on ne saurait donc en tirer argument pour soutenir que le législateur doit nécessairement prévoir une réglementation transitoire, dès lors qu’il désire étendre les effets d’une modification de la loi, et qu’en l’absence d’une telle réglementation, l’application de nouvelles dispositions doit donc rester limitée aux situations nouvelles. De fait, l’arrêt précité n’admet (d’ailleurs seulement de façon implicite) la nécessité d’une réglementation transitoire que pour le cas où la modification apportée au texte d’une loi existante empiète sur des positions juridiques déjà acquises. Y-a-t-il toutefois semblable empiètement dans la présente espèce? C’est ce qui reste encore à examiner (et ce que nous nous réservons de faire lorsque nous nous pencherons sur la deuxième question du Finanzgericht). La jurisprudence dont nous venons de parler et l’absence d’une réglementation transitoire dans le règlement no 1048/71 n’apportent donc, pour le moment, aucun élément de réponse à la première question. En ce qui concerne, d’autre part, les motifs que la demanderesse au principal a tirés de la logique juridique, cette dernière doit admettre que c’est à tort qu’elle part de l’hypothèse que l’article 12 du règlement no 766/68 a trait aucontenu des certificats d’exportation. Le droit communautaire ne prévoit, en effet, rien de semblable. En réalité, l’article 12 du règlement no 766/68 ne constitue rien de plus qu’une disposition réglant les rapports juridiques entre exportateurs et administration, et, dans cette optique, il n’existe certainement aucun obstacle du point de vue de la logique juridique qu’empêcherait d’appliquer la disposition dans sa nouvelle version à des rapports juridiques préexistants.

Nous croyons donc, Messieurs, que cet ensemble de circonstances permet d’affirmer avec raison que l’absence d’une disposition expresse dans le règlement no 1048/71 n’a pas fait obstacle à l’applicabilité de celui-ci à des opérations qui n’étaient pas encore accomplies, c’est-à- dire à des opérations dans lesquelles les certificats d’exportation ont été délivrés avant la date d’entrée en vigueur du règlement, alors que les exportations n’ont été réalisées qu’après cette date.

2.

La réponse donnée à la première question soulève une deuxième question, qui est celle de savoir si le règlement no 1048/71, pour autant qu’il devait être appliqué à des opérations non encore terminées, viole le principe général de la sécurité juridique ainsi que le principe de la protection de la confiance légitime, ce qui affecterait sa validité dans cette mesure.

La demanderesse au principal — vous le savez, Messieurs — estime que tel est le cas (nous l’avons déjà dit au moment où nous avons relaté les circonstances dont cette instance judiciaire est issue). Elle admet, certes, qu’il ne s’agit pas d’une rétroactivité véritable, d’une rétroactivité affectant un acte entièrement accompli, laquelle, si tant est qu’elle soit licite, ne saurait intervenir que dans les limites étroites et dans de rares exceptions. Elle estime cependant qu’il y a en l’espèce rétroactivité matérielle ou impropre, étant donné que le règlement no 1048/71 produisait effet sur des situations non encore accomplies et qu’il portait atteinte à des positions juridiques acquises précédemment. Or, pareil effet ne pouvant être admis, selon elle, que dans l’hypothèse où un intérêt communautaire le réclame impérativement et tel n’étant pas le cas en l’espèce, il ne resterait qu’à révoquer en doute la validité du règlement no 1048/71.

Nous constantons d’abord, Messieurs, que le droit communautaire n’offre pas de solution claire à ce deuxième groupe de problèmes que soulèvent les questions préjudicielles qui vous sont soumises. Il est néanmoins permis de dire que les principes sur lesquels la demanderesse au principal appuie ses conclusions, soit le principe de la sécurité juridique et le principe de la protection de la confiance légitime, ont déjà été accueillis à d’autres occasions dans le droit communautaire et font l’objet d’une abondante jurisprudence (cf. notamment les affaires 42 et 49-59 (Recueil 1961, p. 103) ; 14-60 (Recueil, 1961, p. 321) ; 14-61 (Recueil, 1962, p. 485) ; 13-61 (Recueil 1962, p. 89) ; 17 et 20-61 (Recueil, 1962, p. 615) ; 111-63 (Recueil, 1963, p. 835); 2-70 (Recueil, 1971, p. 97) ; 12-71 (Recueil, 1971, p. 74.). Il paraît donc justifié d’entamer nos recherches au départ des principes directeurs que la demanderesse au principal a puisés dans le droit allemand, d’autant que les jurisprudences belge et française paraissent avoir consacré des principes analogues.

Ce qui est essentiel dans cette optique, c’est qu’en cas d’application directe de nouvelles dispositions à des situations et à des relations juridiques non encore accomplies, il y a rétroactivité matérielle ou impropre (et donc non pas simplement licite), dès lors qu’il est porté atteinte à une position juridique (cf. notamment l’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 22 juin 1971, «Die öffentliche Verwaltung» 1971, p. 604). Le droit français et le droit belge connaissent à cet égard cette réserve qu’il ne doit pas être porté atteinte à des droits acquis (cf. les arrêts précités de la Cour de cassation française du 20 février 1917 et de la cour d’appel de Bruxelles du 23 octobre 1940).

Il nous faudra donc rechercher s’il a été porté atteinte à des droits acquis du fait que l’article 12 du règlement no 766/68 a été modifié et que la nouvelle disposition a été appliquée à des certificats d’exportation non encore entièrement utilisés (donc du fait que la disposition imposant la correction du montant des restitutions en cas de modification du prix d’intervention a été transformée en une règle facultative), alors que la transformation de la règle impérative en disposition facultative a été opérée avant que la modification du prix d’intervention fût entrée en vigueur et fût devenue applicable.

Comme nous le savons, la Commission a exprimé une opinion négative sur ce problème et — disons-le tout de suite — il nous faudra sans doute nous rallier à son point de vue.

A cet égard, nous pouvons négliger d’emblée le fait que les certificats d’exportation contenaient une référence à l’article 12 du règlement no 766/68, conformément à une pratique administrative nationale ou, peut-être, à une règle administrative de droit interne. Une telle référence est en effet sans importance, et cela non pas seulement parce que le droit communautaire ne l’imposait point, mais encore parce que, constituant une précision indispensable, elle avait notamment pour rôle d’attirer l’attention des intéressés sur le fait que les montants de restitutions pouvaient être diminués le cas échéant.

En réalité, le seul élément déterminant est le fait qu’au moment de l’octroi des certificats et pendant un long laps de temps après cette date, l’article 12 ancien conférait seulement un droit conditionnel, ouvrait simplement une perspective d’augmentation du montant des restitutions, sans fournir aucune garantie quelconque en ce domaine. Il ne pouvait pas même donner aux opérateurs intéressés une espérance certaine d’améliorer leur situation à l’époque à laquelle une hausse du prix d’intervention était sérieusement discutée, puisque ceux-ci devaient en même temps envisager une application possible de l’article 37, paragraphe 2, du règlement no 1009/67, soit de la règle en vertu de laquelle les dispositions nécessaires pour éviter que le marché du sucre ne soit perturbé par suite d’une modification du niveau des prix lors du passage d’une campagne sucrière à l’autre peuvent être arrêtées selon la procédure des comités de gestion, comme par exemple la perception d’une taxe sur les stocks anciens acquis à bas prix. En fait, ce n’est qu’au plus tôt à partir du moment où la hausse du prix d’intervention est entrée en vigueur, soit à compter du 16 juin 1971, qu’ils auraient pu faire valoir un véritable droit de majoration du montant des restitutions. Il ne fait donc nul doute que la disposition relative à la correction du montant des restitutions pouvait être modifée avant cette date et, partant aussi, au moment de l’entrée en vigueur du règlement no 1048/71, sans que cela portât atteinte aux droits acquis des titulaires de certificats délivrés antérieurement à celle-ci.

Tout aussi vainement opposerait-on à cette conclusion le fait que la Commission admet elle-même que fixer à l’avance le montant de la restitution équivaut à octroyer aux intéressés un droit auquel il ne saurait sans plus être porté atteinte par voie de modification législative, bien que l’exercice de ce droit soit lui aussi lié à une condition : la réalisation de l’exportation. On ne saurait prétendre en effet qu’il y a équivalence entre cette situation et celle qui nous occupe en l’espèce, et cela pour la simple raison qu’en ce qui concerne l’exportation, la condition à l’avènement de laquelle est lié l’octroi de la restitution, il existe, en raison de l’obligation bien connue, garantie par une caution, un degré beaucoup plus élevé de sécurité qu’en ce qui concerne l’augmentation du prix d’intervention, la condition déterminante pour le procès principal, dont l’avènement était fonction d’une décision politique et qui, partant, était entièrement incertaine lors de la délivrance des certificats.

Mais si, en raisonnant à partir des principes admis par certains ordres juridiques nationaux, il n’est pas possible de voir une atteinte portée à une position juridique, à des droits acquis, dans la modification de l’article 12 du règlement no 766/68 opérée avant l’entrée en vigueur de l’augmentation du prix d’intervention applicable pour la campagne 1971-1972 et dans l’application immédiate de celle-ci à des certificats non encore épuisés, il n’y a aucune raison non plus d’appliquer à cet acte les principes et les limitations consacrés par quelques ordres juridiques nationaux pour de véritables cas de rétroactivité matérielle et de subordonner, par exemple, l’applicabilité immédiate d’une norme modificative à la preuve de l’existence d’un intérêt communautaire impératif. En principe — répétons-le — le fait que le règlement no 1048/71 a été déclaré immédiatement applicable à des relations juridiques existantes échappe en effet à toute critique.

Nous ne sommes cependant pas encore arrivés pour autant au terme de l’examen de la deuxième question. On peut imaginer en effet que la conclusion à laquelle nous sommes parvenus à présent puisse être assortie à tout le moins d’une restriction, à laquelle la demanderesse au principal a d’ailleurs fait allusion dans la procédure orale et que la Commission ne semble pas avoir considéré purement et simplement comme non fondée. Cette restriction se fonde sur le principe selon lequel la confiance légitime des intéressés mérite protection, dans certains cas, sur la reconnaissance des positions de confiance, donc sur une considération dont notre jurisprudence relative au principe de la sécurité juridique et au principe de la protection de la confiance légitime permet d’admettre qu’elle a aussi été accueillie par le droit communautaire.

Permettez-moi de m’expliquer sur ce point. Nous croyons qu’il faut partir de l’idée que la délivrance du certificat d’exportation a créé une relation de droit public dont le déroulement et le statut juridique étaient réglés par certaines dispositions et, entre autres, par l’article 12 ancien du règlement no 766/68. Or, on peut imaginer que l’existence de ces dispositions et la conviction qu’elles ne seraient pas modifiées a incité certains justiciables à prendre des dispositions et à contracter certaines obligations de nature économique. Lorsque ces obligations ne peuvent être résiliées sans plus et en temps utile, une modification apportée ultérieurement à la situation juridique, en la continuité de laquelle ces justiciables ont cru, peut en effet entraîner un préjudice. Mais nous ne saurions admettre purement et simplement cette conséquence. Tout comme dans l’hypothèse de la rétroactivité impropre, il convient au contraire de peser les intérêts en jeu et de n’admettre qu’il y a atteinte portée à des intérêts fondés sur la confiance légitime et, partant, dignes d’être protégés, que si l’intérêt public est prédominant (voir par exemple l’arrêt du Bundesverfassungsgericht du 23 mars 1971, Döv 71, 605).

En l’espèce, on peut effectivement envisager de recourir à un tel raisonnement. En effet, il semble que depuis de nombreuses années déjà, les exportateurs ont accepté — peut-être même ont-ils été obligés de la faire — l’insertion dans les contrats portant sur la vente de sucre de clauses prévoyant que les prix des lots à livrer après le 30 juin 1971 seraient modifiés en cas de changement des prix officiels du sucre de la campagne commençant après cette date (tel n’est évidemment pas le cas pour les contrats conclus dans le cadre de l’exportation de sucre d’intervention). Ces conventions pouvaient être passées sans danger, puisque l’existence de l’article 12 du règlement no 766/68, dans sa version initiale, assurait automatiquement une augmentation de la restitution en cas de hausse du prix d’intervention. Tel était le cas, en toute hypohèse, à l’époque où une modification de l’artilce 12 n’était pas encore envisagée et n’était pas encore connue des milieux commerciaux (ce qui, d’après des déclarations de la Commission, ne doit être exact que pour la période antérieure à mars et avril 1971). La modification ultérieure de l’article 12 et son application aux certificats existants pouvaient donc constituer en pareils cas une entorse au principe de la confiance légitime, ce qui nous oblige finalement à nous demander si ce manquement au principe de la confiance légitime doit avoir moins de poids aux yeux du juge que les intérêts communautaires en jeu. Tel ne saurait cependant guère être le cas. Si nous avons bien compris, il s’agissait en effet seulement pour la Communauté d’éviter l’augmentation de la restitution, donc de certains intérêts financiers. En outre, d’après ce que nous avons entendu, les sommes en jeu étaient d’un montant relativement modeste. Enfin, il nous faut également tenir compte de ce que la Communauté a renoncé à appliquer l’article 37 du règlement no 1009, c’est-à-dire à prélever des taxes sur les anciens stocks vendus à l’intérieur de la Communauté. Il est donc permis d’affirmer à coup sûr qu’il y a eu discrimination à l’égard des exportateurs, mais il faut ajouter immédiatement à cela qu’au point de vue de la Communauté, les hausses de prix ont eu une incidence réduite sur le plan financier.

Même si les principes de la rétroactivité matérielle ne permettent pas de mettre en question la validité de la modification législative opérée par le règlement no 1048/71, l’application des nouvelles dispositions à des certificats délivrés antérieurement à l’entrée en vigueur de celles-ci pourrait donc néanmoins être exclue dans certains cas particuliers dans un souci de protection de la confiance légitime des opérateurs économiques ici en cause. A notre avis, c’est en ce sens qu’il convient de répondre à la seconde question, et qu’il faut faire comprendre au tribunal, qui a rendu l’ordonnance de renvoi que la solution du problème délicat qu’il a soulevé dépend en dernière analyse de l’appréciation qu’il portera lui-même sur chaque cas particulier.

3.

La troisième question posée par le Finanzgericht du Land de Hesse n’appelle que peu d’observations. Comme nous le savons, Messieurs, ce tribunal part de l’idée que l’article 12 du règlement no 766/68, dans sa rédaction initiale, est applicable aux cas dans lesquels des certificats ont été accordés avant la modification de ce règlement. C’est dans cette perspective qu’il voudrait savoir si l’adaptation de la restitution nécessite une décision préalable de la Commission.

Comme la demanderesse au principal et la Commission l’ont déclaré de manière concordante, la réponse à cette question doit être catégoriquement négative. L’élément déterminant en l’espèce c’est qu’il ne s’agit pas ici d’une fixation de la restitution (que les autorités communautaires auraient seules le pouvoir d’opérer), mais uniquement d’une rectification de celle-ci. En outre, il s’agit de l’adaptation obligatoire de la restitution conformément à des critères déterminés, donc de l’application d’une disposition impérative contenue dans un règlement communautaire, dont les modalités sont définies avec précision. En réalité, il n’existe aucune raison de réserver l’adoption de mesures de ce genre aux autorités de la Communauté. Ces mesures sont de simples opérations de calcul dont il ne fait aucun doute qu’elles relèvent plutôt de la compétence des organes exécutifs nationaux.

4.

Nous pouvons donc résumer nos conclusions comme suit:

a)

Sur la première question

Le règlement no 1048/71 doit être interprété en ce sens que l’article 12 du règlement no 766/68, dans sa rédaction en vigueur à compter du 27 mai 1971, est également applicable aux cas dans lesquels un avis d’adjudication et un certificat d’exportation de l’Office d’importation et de stockage pour le sucre ont été délivrés avant le 27 mai 1971, et dans lesquels l’exportation de sucre n’a été effectuée qu’après le 1er juillet 1971.

b)

Sur la deuxième question

L’application immédiate du règlement no 1048/71 dans le sens des constatations faites ci-dessus ne viole pas les principes régissant la rétroactivité matérielle de règles de droit public. L’application du règlement à des faits antérieurs, mais non encore complètement accomplis, peut cependant être exclue en l’espèce, eu égard aux exigences du principe de protection de la confiance légitime.

c)

Sur la troisième question

Une adaptation de la restitution conformément à l’article 12 du règlement no 766/68 dans sa rédaction initiale n’exige pas une décision préalable de la Commission.


( 1 ) Traduit de l’allemand.

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CJCE, n° C-1/73, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Westzucker GmbH contre Einfuhr- und Vorratsstelle für Zucker, 6 juin 1973