CJCE, n° C-65/77, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France, 9 novembre 1977

  • États d'afrique, des caraïbes et du pacifique·
  • Liberté d'établissement·
  • Relations extérieures·
  • Convention de lomé·
  • Ressortissant·
  • Etats membres·
  • Traitement·
  • Accord d'association·
  • Droit d'établissement·
  • Traité cee

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 9 nov. 1977, Razanatsimba, C-65/77
Numéro(s) : C-65/77
Conclusions de l'avocat général Reischl présentées le 9 novembre 1977. # Jean Razanatsimba. # Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France. # Établissement des ressortissants ACP. # Affaire 65-77.
Date de dépôt : 27 mai 1977
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61977CC0065
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1977:179
Télécharger le PDF original fourni par la juridiction

Sur les parties

Texte intégral

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL M. GERHARD REISCHL,

PRÉSENTÉES LE 9 NOVEMBRE 1977 ( 1 )

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

En France, l’exercice de la profession d’avocat est régi par une loi du 31 décembre 1971 et par ses modalités d’application. Selon ces textes, les conditions sont, entre autres, la possession de la nationalité française, pour autant que des accords internationaux ne prévoient pas d’autres dispositions, l’obtention d’une licence ou d’un doctorat en droit puis d’un certificat d’aptitude à la profession d’avocat, enfin l’inscription à un barreau qui doit régulièrement être précédé d’un stage. En principe, auprès de chaque tribunal de grande instance, il existe un barreau composé de tous les avocats stagiaires inscrits sur la liste de stage. Le barreau est administré par un Conseil de l’ordre élu par tous les avocats inscrits au tableau. Sa tâche consiste notamment à statuer sur les demandes d’admission au stage et sur les demandes d’inscription au tableau. Les chambres réunies de la cour d’appel peuvent être saisies contre sa décision.

Le 9 février 1976, M. Razanitsimba, citoyen malgache résidant en France, qui possède non seulement une licence en droit mais aussi le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, a demandé son admission, au stage, au Conseil de l’ordre des avocats de Lille. Comme il ne possède pas la nationalité française, il s’est fondé sur la convention judiciaire franco-malgache du 4 juin 1973 dont l’article 6 prévoit que les avocats des deux États contractants peuvent également fournir leurs prestations de services à propos d’une affaire déterminée dans le pays dans lequel ils ne sont pas inscrits comme avocats. Il a invoqué en outre la convention de Lomé conclue le 28 février 1975 entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et 46 États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, d’autre part, qui est entrée en vigueur le 1er avril 1976, et dont l’article 62 est ainsi conçu:

«En ce qui concerne le régime applicable en matière d’établissement et de prestation de services, les États ACP, d’un côté, et les États membres, de l’autre, traitent sur une base non discriminatoire les ressortissants et sociétés des États membres et les ressortissants et sociétés des États ACP respectivement. Toutefois, si pour une activité déterminée, un État ACP ou un État membre n’est pas en mesure d’assurer un tel traitement, les États membres ou les États ACP, selon le cas, ne sont pas tenus d’accorder un tel traitement pour cette activité aux ressortissants et sociétés de l’État en question.»

De l’avis de M. Razanatsimba, cette interdiction de discrimination a pour effet de lui permettre d’être admis au stage, comme s’il possédait la nationalité française.

Ce motif, en particulier le fait d’invoquer la convention de Lomé qui a été également conclue par la Communauté conformément à l’article 238 (règlement du Conseil no 199/76 — JO no L 25, p. 1), a incité le Conseil de l’ordre à suspendre la décision relative à la demande et, par ordonnance du 14 décembre 1976, à adresser à la Cour de justice conformément à l’article 177 du traité CEE, une demande d’interprétation de l’article 62 mentionné de cette Convention.

Comme vous le savez, cette procédure n’est pas parvenue à son terme (affaire 3-77). En effet, le procureur général a interjeté appel devant la cour d’appel de Douai contre la décision du Conseil de l’ordre pour le motif que celui-ci ne serait pas en droit de saisir la Cour conformément à l’article 177 du traité CEE, parce que, dans l’affaire en cause, il exercerait une activité non pas judiciaire mais purement administrative. Il demandait en outre que la cour d’appel statue elle-même sur la demande d’admission.

La cour d’appel a constaté, que lorsqu’il doit statuer sur l’admission au stage, le Conseil de l’ordre ne constitue pas une juridiction de l’ordre judiciaire de droit commun mais une autorité administrative qui, comme telle, n’a pas qualité selon l’article 177 du traité CEE pour adresser des demandes d’interprétation à la Cour de justice. L’ordonnance de renvoi mentionnée a donc été annulée et l’affaire 3-77 a par conséquent été radiée du registre de la Cour par décision du 15 juin 1977. La cour d’appel a constaté en outre que, selon l’article 562, paragraphe 2, du Code de procédure civile, elle possédait une large compétence pour juger l’affaire au fond et qu’elle pouvait donc statuer elle-même sur la demande d’admission. Dans ses motifs, elle a déclaré au sujet de la convention franco-malgache, qu’elle ne pouvait pas emporter dérogation à l’article 11 de la loi du 31 décembre 1971, selon lequel la nationalité française constitue une condition de l’admission au stage. En outre, la convention de Lomé invoquée par le postulant devrait être considérée par les juridictions françaises comme partie intégrante du droit communautaire. En raison du manque de clarté de son interprétation, la cour d’appel, par arrêt du 18 mai 1977, a, de son côté, sursis à statuer et, conformément à l’article 177 du traité CEE, demandé à la Cour de justice de se prononcer à titre préjudiciel sur les questions suivantes — conformes à celles de l’ordonnance de renvoi du Conseil de l’ordre — :

a)

L’article 62 de la convention de Lomé du 28 février 1975 emporte-t-il le droit, pour un ressortissant d’un État ACP, et singulièrement pour une personne de nationalité malgache, de s’établir sur le territoire d’un État membre, et singulièrement sur le territoire français, sans condition de nationalité?

b)

La réserve contenue dans l’article 62 susvisé a-t-elle pour effet de permettre à un État membre d’exiger, pour une activité déterminée, et en l’espèce pour la profession d’avocat, la nationalité de cet État ou d’un autre État membre?

Ces questions, à propos desquelles M. Razanatsimba, le gouvernement français et la Commission ont présenté des observations, appellent, à notre avis, les remarques suivantes:

1.

Il n’est pas douteux que la Cour de justice est compétente pour traiter des questions soulevées. La Commission l’a montré en faisant état de la jurisprudence pertinente relative à l’interprétation de certaines conventions (affaires 21 à 24-72, International Fruit Company NV et autres/Produktschap voor groenten en fruit, arrêt du 12 décembre 1972, Recueil 1972, p. 1219; 9-73, Carl Schlüter/Bureau principal des douanes de Lörrach, arrêt du 24 octobre 1973, Recueil 1973, p. 1135; 181-73, R et V, Haegman/État belge, arrêt du 30 avril 1974, Recueil 1974, p. 449; 87-75, Conceria Daniele Bresciani/Administration fiscale italienne, arrêt du 5 février 1976, Recueil 1976, p. 129).

La seule condition à cet égard est que la Communauté soit liée par la convention en question et que l’engagement s’étende également à la disposition dont on demande l’interprétation. C’est le cas en l’espèce. En ce qui concerne la convention de Lomé, un engagement de principe de la Communauté découle déjà du fait qu’elle a été conclue conformément à l’article 238 du traité CEE. En outre, il n’est pas douteux que cet engagement inclut l’article 62, dont la signification est ici en cause.

2.

En traitant des questions posées — ici aussi il faut suivre la Commission —, il convient d’étudier tout d’abord celle de savoir si l’article 62 de la convention de Lomé est directement applicable au sens de la jurisprudence que nous connaissons, c’est-à-dire si des particuliers, notamment des ressortissants des États ACP, peuvent en tirer des droits que les juridictions nationales doivent respecter. La question posée se réfère elle-même au point de savoir si l’article 62 de la convention de Lomé crée un droit en faveur d’un ressortissant d’un État ACP. En outre, il ne faut pas oublier — eu égard notamment à l’interprétation des dispositions nationales qu’il est impossible d’apercevoir en quoi celle de l’article 62 revêtirait de l’importance pour la juridiction qui a rendu l’ordonnance de renvoi, même s’il était certain que cet article ne crée pas des droits pour les particuliers.

En ce qui concerne ce premier problème, il est impossible de parvenir à une réponse négative simplement en relevant que la convention de Lomé n’établit pas une symétrie des obligations, mais au contraire pour une part octroie aux États ACP des avantages plus importants qu’aux États membres et pour une part se fonde sur des concessions purement unilatérales de ces derniers. Comme la Commission l’a montré, ce point là aussi a déjà été clarifié par la jurisprudence.

D’autre part, une réponse affirmative ne peut pas se justifier simplement par le fait que la convention a été conclue pour la Communauté par un règlement (règlement du Conseil no 199/76 du 30 janvier 1976). En effet, l’élément important ne peut pas être celui-là, mais uniquement la nature de l’obligation en question dans le cas concret, donc le contenu et la formulation de l’article 62. De même, la jurisprudence a depuis longtemps expliqué à quelles conditions il est possible d’admettre qu’une obligation contractuelle est immédiatement applicable. En résumé, on peut dire qu’il doit s’agir de dispositions claires et complètes contenant des obligations non assorties de réserves et qui, notamment, ne laissent aucune place pour des décisions discrétionnaires.

Si l’on applique ces critères à la présente espèce, il est difficile de contester qu’ils soient satisfaits, en ce qui concerne la première partie de l’article 62 dans laquelle il est question de la non-discrimination des ressortissants et sociétés des États membres ou des États ACP dans le domaine du régime applicable en matière d’établissement. Néanmoins, cette obligation doit être considérée en liaison avec la phrase, qui s’y rattache, dans laquelle nous lisons:

«Toutefois, si pour une activité déterminée, un État ACP ou un État membre n’est pas en mesure d’assurer un tel traitement, les États membres ou les États ACP, selon le cas, ne sont pas tenus d’accorder un tel traitement pour cette activité aux ressortissants et sociétés de l’État en question.»

Ici, nous avons affaire à une réserve qui restreint manifestement l’obligation de l’égalité de traitement, avec cette conséquence qu’au cas où elle n’est pas respectée, les ressortissants de l’État en question n’en bénéficient pas dans le domaine considéré. En outre, la réserve et, par conséquent, les conditions de l’application de l’interdiction de discrimination sont tout à fait imprécises. L’article 62 ne fournit aucun indice permettant de savoir quand il est possible d’admettre qu’un État n’est pas en mesure d’accorder l’égalité de traitement. En tout cas, rien ne plaide en faveur de l’idée selon laquelle, comme le pense M. Razanatsimba, la réserve ne pourrait jouer que lorsque l’application de l’interdiction de discrimination est absolument impossible pour des raisons économiques. Si telle avait été la volonté des auteurs de la convention, ils auraient tout simplement ajouté une formule en ce sens dans l’article 62. Mais, comme le gouvernement français l’a souligné avec raison, elle ne pourrait pas être considérée comme suffisamment précise et cela tant dans l’hypothèse où l’on devrait prendre pour base une impossibilité économique que dans celle où il devrait s’agir d’une impossibilité juridique qu’il est du reste difficile d’imaginer dans le cas d’États souverains. Il faut donc partir de l’idée que l’article 62 continue le régime des conventions précédentes de Yaoundé (des vannées 1963 à 1969), dans la mesure où celles-ci ne formulaient aucune condition pour des dérogations au principe de l’égalité de traitement. Par conséquent, il ne reste qu’à conclure que la réserve a accordé aux États participants un vaste pouvoir discrétionnaire qui n’inclut aucune obligation de justification, même si — comme le gouvernement français l’a admis — elle ne peut pas aller jusqu’à l’arbitraire pur et simple. Par conséquent, si les États peuvent décider de cas en cas qu’ils entendent s’écarter de l’obligation de l’égalité de traitement pour telle activité et à l’égard d’un État déterminé, et si, dans cette mesure, il s’agit au pis aller d’appliquer l’article 64 de la convention de Lomé, selon lequel le Conseil de ministres procède à l’examen des problèmes posés éventuellement par l’application de l’article 62 et formule à ce sujet toutes recommandations utiles, faute d’une précision suffisante du contenu de l’obligation, il est en réalité impossible de songer à une application directe de l’article 62.

3.

Cette constatation suffit vraisemblablement pour la juridiction qui a rendu l’ordonnance de renvoi, car elle lui permet de négliger tout simplement les arguments tirés de la convention de Lomé, en traitant de la demande formulée par M. Razanatsimba.

Je ne voudrais pas en rester à cette constatation, mais dire également quelques mots à propos de l’interprétation de l’article 62, et par conséquent de la question de savoir ce que le terme «non-discrimination» signifie dans cet article. Trois conceptions entrent ici en considération:

Si, conformément aux faits de l’affaire au principal, on se limite à l’obligation de l’État membre — il peut s’agir de l’obligation de ne pas discriminer les ressortissants des États ACP dans le régime applicable en matière d’établissement pour les professions libérales, en ce sens que dans le groupe de ces États, un même traitement est prescrit pour une situation identique.

Il pourrait aussi s’agir d’accorder aux ressortissants de ce groupe d’États le traitement le plus favorable que l’État membre intéressé a octroyé à n’importe quel État ACP et à ses ressortissants.

Enfin, on pourrait même déduire de l’article 62 — et c’est apparemment la thèse de M. Razanatsimba — que les États membres sont tenus d’accorder le traitement national aux ressortissants des États ACP, donc, lorsqu’un régime national attache de l’importance à la nationalité, de les traiter comme s’ils possédaient la nationalité de l’État membre considéré ou celle d’un autre État membre.

a)

A notre avis, la conception que nous avons citée en dernier lieu n’entre certainement pas en considération.

Déjà le texte même de la disposition plaide en ce sens. Si les auteurs de l’accord avaient réellement envisagé le traitement national, ils auraient trouvé pour l’exprimer, comme on l’a souligné à bon droit, une formulation différente et plus simple. Que l’on songe seulement aux dispositions correspondantes du traité CEE ou à l’article 6 de l’accord bilatéral conclu entre la France et Madagascar en 1960. Il est significatif que l’article 62 de la convention de Lomé n’ait pas été rédigé de la même manière; au contraire, comme nous l’avons vu, cette convention a constitué des groupes d’États dont les ressortissants ne doivent pas être soumis à une discrimination de la part des États de chaque autre groupe.

Lorsque l’on interprète la convention, il est important également de prendre en considération son objectif, tel qu’il découle du préambule. Dans ce dernier, il est question de tenir compte du niveau de développement des pays, de la volonté de renforcer les efforts en vue du développement économique et du progrès social des États ACP; ainsi que de viser à promouvoir le développement industriel de ces États. Un traitement national complet serait difficilement conciliable avec ces objectifs. En effet, dans le cas de ce régime, d’une part il est à craindre que l’émigration ne provoque la perte de forces précieuses pour les pays ACP, et importantes pour l’édification de leur structure économique propre; et, d’autre part, l’article 62 s’appliquant également aux États ACP conformément au principe de la réciprocité —, ces États avec leur niveau de développement différent supporteraient certainement une charge beaucoup trop lourde s’ils devaient accorder aux ressortissants des États membres le traitement national ou celui qui est appliqué aux ressortissants d’autres pays en voie de développement. C’est pourquoi — comme le gouvernement français l’a fait remarquer — une série de pays africains aspirent à remplacer les conventions qui comportent ces obligations relatives au traitement national par des accords prévoyant de simples interdictions de discrimination. Il faut savoir également que la convention franco-malgache de 1960 déjà mentionnée, qui prévoyait le traitement national, a été dénoncée par Madagascar en 1973 et remplacée par un nouvel accord dans lequel, en ce qui concerne l’exercice de la profession d’avocat, il n’est question que de certaines prestations de service.

Enfin, il est intéressant aussi de connaître la pratique antérieure de la Communauté en ce domaine et de faire une comparaison avec les deux conventions qui ont précédé celle de Lomé, c’est-à-dire les accords d’association de 1963 et de 1969, dont on peut admettre que leur ligne fondamentale ne devrait pas être abandonnée.

Comme la Commission l’a expliqué, jusqu’à présent aucun accord passé avec un pays tiers, même pas les accords d’association avec la Grèce et la Turquie, qui doivent préparer l’admission de ces États comme membres à part entière, n’a prévu le traitement national dans le domaine du droit d’établissement. Dans ces conditions, il devrait paraître étonnant de prendre pour base une obligation aussi vaste pour un accord d’association passé avec un grand nombre de pays africains et autres représentant des structures très diverses et un niveau de développement différent.

Les deux accords d’association antérieurs conclus avec les États africains et Madagascar ne prévoyaient respectivement aux articles 29 et 31 que l’obligation de placer progressivement les ressortissants et sociétés de tous les États membres dans chaque État associé sur un pied d’égalité en matière de droit d’établissement. Le fait qu’il ne s’agissait pas réellement du traitement national découlait déjà de la clause de la nation la plus favorisée, contenue respectivement dans chacun des articles suivants, qui autrement n’aurait pas eu de sens. Au reste, les États associés ne bénéficiaient qu’indirectement d’un droit correspondant, parce que l’obligation de l’égalité de traitement ne devait s’appliquer aux ressortissants d’un État membre que si celui-ci accordait aux nationaux de l’État associé intéressé des mesures de faveur analogues pour la même activité — ce qui dépendait uniquement de sa décision. En réalité, le fait qu’une obligation de réciprocité ait été inscrite dans la convention de Lomé constituait déjà un progrès dans le sens d’une concession accordée aux États ACP. En revanche, aucun élément ne plaide en faveur de l’idée que l’on ait songé à effectuer un pas de plus dans le sens du traitement national, d’autant que la présente convention ne parle que d’une manière très vague de «régime applicable en matière d’établissement», alors que les accords antérieurs utilisaient le terme «droit d’établissement» dans un sens large.

b)

Il n’est pas exact non plus que l’exclusion d’un traitement discriminatoire, conformément à l’article 62 de la convention de Lomé, renferme en réalité l’obligation d’accorder le traitement de la nation la plus favorisée, donc qu’en vertu de cette disposition, et parce qu’il existe des accords particuliers avec différents pays africains, en vertu desquels la nationalité française est sans importance pour la profession d’avocat, la France a l’obligation d’accorder également ce traitement national aux ressortissants des États africains, en faveur desquels il n’existe aucun accord en ce sens.

Si, dans l’article 62 de la convention de Lomé, ses auteurs avaient songé à la clause de la nation la plus favorisée, ils auraient choisi d’autres formules pour l’exprimer. A cet égard, il suffit de renvoyer aux articles 30 et 32 des accords d’association précédents, qui parlent expressément d’un traitement plus favorable. En outre — au cas où ce qui n’est pas tout à fait évident, le traitement de la nation la plus favorisée revêtirait de l’importance — , il serait difficile de préciser quel est celui des divers accords particuliers constituant respectivement un système cohérent d’obligations réciproques, qui doit être considéré comme le plus favorable. De plus, dans l’hypothèse où l’on n’attacherait de l’importance qu’aux droits découlant de ces accords, sans devoir tenir compte des obligations incombant aux États africains, les ressortissants d’États qui n’ont pas conclu d’accords spéciaux seraient en réalité traités plus favorablement, étant donné qu’ils obtiendraient un droit d’établissement, sans devoir s’attendre dans leur État d’origine à un préjudice causé par la liberté d’établissement de ressortissants des États membres. Quoi qu’il en soit, on ne peut pas oublier que Madagascar a dénoncé un accord antérieur comportant le traitement national et que cet accord a été simplement remplacé par une convention judiciaire qui se limite à certaines prestations de services d’avocats. Il est donc difficile d’admettre que pour les ressortissants de cet État, la situation juridique découlant de l’accord dénoncé devrait continuer d’exister, sans que Madagascar n’assume une obligation correspondante découlant de l’accord d’association.

c)

Ainsi, il ne reste que la possibilité de comprendre l’article 62 de la convention de Lomé en ce sens que tout État de la Communauté — si nous entendons nous limiter à cet aspect — est tenu de ne pas discriminer les ressortissants des États ACP, donc de ne pas les soumettre à un traitement différent en cas de situation analogue. A cet égard, le fait que des accords particuliers comportant des obligations réciproques aient été passés avec certains États peut jouer un rôle, cela fait partie de la nature même de l’interdiction de discrimination. Les ressortissants de ces États sont donc placés dans d’autres conditions que ceux d’États pour lesquels une telle situation n’existe pas. A cet égard le représentant du gouvernement français a pu tirer un important argument de la convention de Vienne sur le droit diplomatique et consulaire, car selon celle-ci il n’y a pas lieu non plus de parler d’une discrimination dans des cas où une application restrictive est faite également dans l’État qui envoit un diplomate ou dans lesquels deux États se garantissent réciproquement un traitement plus favorable. Dans le cadre de l’obligation d’égalité de traitement au titre de l’article 62 de la convention de Lomé, il faut donc laisser de côté les accords bilatéraux particuliers. En ce qui concerne le droit d’établissement, sa réglementation exerce donc ses effets essentiellement là où des États ont réglé, de manière purement unilatérale, les questions concernant ce droit.

d)

Après toutes ces considérations, il ne reste qu’à conclure que le demandeur de l’affaire au principal ne peut pas déduire de l’article 62 de la convention de Lomé le droit d’être admis au stage sans égard à la nationalité. Il est impossible de fonder ce droit sur l’interdiction de discrimination contenue uniquement dans l’article 62 en liaison aussi avec certains accords bilatéraux conclus par la France. En tout cas, le pouvoir discrétionnaire des États membres prévu à la phrase 2 de l’article 62, dont l’exercice — abstraction faite de la limite de l’arbitraire pur et simple — n’est soumis à aucune condition et qui permet certainement de tenir compte de situations juridiques différentes s’y opposerait.

4.

Nous vous proposons donc de répondre de la manière suivante à la question de la cour d’appel de Douai:

a)

L’article 62 de la convention de Lomé du 28 février 1975 n’établit en faveur des ressortissants des États ACP aucun droit qu’ils pourraient invoquer devant les juridictions des États membres.

b)

L’article 62 de cette convention ne renferme ni l’obligation du traitement national ni l’octroi du traitement de la nation la plus favorisée, mais seulement une simple interdiction de discrimination, qui est assortie en outre d’une importante réserve incluant des pouvoirs discrétionnaires des États participants. Il n’est donc pas possible de déduire de cette disposition le droit d’un ressortissant d’un État ACP à être admis au stage sans égard à la nationalité lorsque, selon la législation de l’État membre considéré, des dérogations à cette condition ne sont possibles que dans le cadre d’accords particuliers.


( 1 ) Traduit de l’allemand.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires

Textes cités dans la décision

  1. Code de procédure civile
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
CJCE, n° C-65/77, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Demande de décision préjudicielle: Cour d'appel de Douai - France, 9 novembre 1977