CJCE, n° C-23/81, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre Société anonyme Royale belge, 22 septembre 1983
Chronologie de l’affaire
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Sur la décision
Référence : | CJUE, Cour, 22 sept. 1983, Commission / Royale belge, C-23/81 |
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Numéro(s) : | C-23/81 |
Arrêt de la Cour (première chambre) du 22 septembre 1983. # Commission des Communautés européennes contre Société anonyme Royale belge. # Fonctionnaire: risques d'accident. # Affaire 23/81. | |
Date de dépôt : | 5 février 1981 |
Solution : | Clause compromissoire |
Identifiant CELEX : | 61981CJ0023 |
Identifiant européen : | ECLI:EU:C:1983:239 |
Sur les parties
- Juge-rapporteur : Koopmans
- Avocat général : Sir Gordon Slynn
Texte intégral
Avis juridique important
|61981j0023
Arrêt de la cour (première chambre) du 22 septembre 1983. – commission des communautés européennes contre société anonyme royale belge. – fonctionnaire: risques d’accident. – affaire 23/81.
Recueil de jurisprudence 1983 page 02685
Parties
Objet du litige
Motifs de l’arrêt
Dispositif
Parties
Dans l ' affaire 23/81 ,
Commission des communautes europeennes , representee par m . raymond baeyens , conseiller juridique principal de la commission , en qualite d ' agent , assiste par m marc godfroid , avocat au barreau de bruxelles , ayant elu domicile aupres de m . oreste montalto , membre du service juridique de la commission , batiment jean monnet , kirchberg , a luxembourg ,
Partie demanderesse ,
En presence de
1 ) m johanna van rij , veuve de feu m . gerrit jan van kasteel – fonctionnaire de la commission des communautes europeennes – , agissant en son nom propre et comme tutrice legale de ses enfants ingeborg , gerrit jan , huberdina et bastiaan ;
2)m . henri tieleman , agissant au titre de subroge tuteur des enfants mineurs nommes ci-dessus ;
3)m johanna theodora van kasteel ;
4)m . hans van kasteel ,
Tous demeurant a bruxelles , representes par m benoit humblet et edmond lebrun , avocats au barreau de bruxelles , ayant elu domicile a luxembourg aupres de m tony biever , 83 , boulevard grande-duchesse-charlotte ,
Parties intervenantes ,
Contre
Societe anonyme royale belge , compagnie d ' assurances , dont le siege est etabli au 25 , boulevard du souverain , a 1170 bruxelles , agissant tant pour elle-meme que comme mandataire et prete-nom des compagnies d ' assurances suivantes :
1 ) societe anonyme generali belgium ( concorde ), 1050 bruxelles ,
2)societe anonyme caisse patronale , 1060 bruxelles ,
3)societe anonyme assurantie van de belgische boerenbond , 3000 louvain ,
4)societe anonyme winterthur , 1040 bruxelles ,
5)societe anonyme zurich , 1040 bruxelles ,
6)societe anonyme assubel , 1000 bruxelles ,
7)societe anonyme securitas ( ex le phenix belge ), 2000 anvers ,
8)societe anonyme rhin et moselle , 1000 bruxelles ,
9)societe anonyme le foyer , 1050 bruxelles ,
10)nationale nederlanden , schadeverzekeringsmaatschappij nv , la haye , pays-bas ,
11)societe anonyme phoenix continental , 1040 bruxelles ,
12)top international insurance co ltd , 2750 ballerup , danemark ,
13)excess insurance company ltd , c/o glanvill , enthoven en co ltd , londres , grande-bretagne ,
14)allianz versicherungs-aktiengesellschaft , 8000 munich , allemagne ( rf ),
Representee par m francois van der mensbrugghe , avocat au barreau de bruxelles , ayant elu domicile aupres de m jean hoss , 15 , cote d ' eich a luxembourg ,
Partie defenderesse ,
Objet du litige
Ayant pour objet un recours au titre de l ' article 181 du traite cee , tendant au paiement par les defenderesses du capital et des interets dont la commission serait redevable en vertu de l ' article 73 du statut des fonctionnaires des communautes europeennes , suite a un accident mortel survenu a m . gerrit jan van kasteel , fonctionnaire de la commission ,
Motifs de l’arrêt
1 par requete deposee au greffe de la cour le 5 fevrier 1981 , la commission des communautes europeennes a introduit , en vertu d ' une clause compromissoire au sens des articles 181 du traite cee , 153 du traite ceea et 42 du traite ceca , un recours visant a la condamnation de la societe anonyme royale belge , etablie a bruxelles , et agissant tant en son nom propre que comme mandataire de quatorze autres compagnies d ' assurance ayant signe la convention d ' assurance du 28 janvier 1977 conclue avec les institutions des communautes europeennes , au paiement du capital et des interets dont la commission serait redevable aux heritiers de m . gerrit jan van kasteel suite a l ' accident mortel dont celui-ci a ete victime le 29 avril 1978 .
2 a l ' appui de sa demande , la requerante fait valoir que feu m . van kasteel etait fonctionnaire a la direction generale xv de la commission lorsqu ' il a perdu la vie dans un accident aerien survenu dans la commune de vauvenargues , en france ( provence ), au cours d ' un voyage de bruxelles vers la grece dans un avion de type leger qu ' il pilotait lui-meme . en vertu de l ' article 73 du statut des fonctionnaires , le fonctionnaire est couvert contre les risques d ' accident , dans les conditions fixees par une reglementation etablie d ' un commun accord des institutions des communautes . les compagnies d ' assurance dont la defenderesse est mandataire se sont engagees , en concluant avec ces institutions la convention d ' assurance collective du 28 janvier 1977 , a couvrir les consequences pecuniaires des obligations statutaires que les communautes assument du fait des accidents dont seraient victimes les personnes auxquelles l ' article 73 du statut s ' applique .
3 la defenderesse ne conteste pas les circonstances alleguees par la commission . elle soutient cependant que , en l ' espece , les communautes n ' ont aucune obligation statutaire a l ' egard des ayants-droit de m . van kasteel , l ' accident mortel dont celui-ci a ete victime resultant d ' un acte notoirement temeraire , dont le risque n ' est couvert ni par l ' article 73 du statut ni par la convention d ' assurance . a cet effet , la defenderesse invoque l ' article 4 de la reglementation commune etablie par les institutions des communautes en vertu dudit article 73 et prevoyant que ne sont pas couverts , aux fins de cette disposition , les accidents resultant d ' actes notoirement temeraires .
4 selon la defenderesse , est a considerer comme ' temeraire ' l ' acte de quelqu ' un qui , surevaluant ses possibilites , se lance dans une action avec une audace telle qu ' il neglige de prevoir les dangers auxquels il s ' expose et dont il ne pouvait pas ne pas avoir conscience . une telle temerite serait ' notoire ' lorsque l ' imprudence ainsi deployee est certaine et indiscutable .
5 dans son memoire en defense , la defenderesse a explique pourquoi le comportement de m . van kasteel , au cours des heures ecoulees entre le depart de son avion de l ' aeroport de lyon-bron , le 29 avril 1978 a 14 h 30u ( heure locale ), et l ' accident survenu deux heures et demie plus tard , ferait preuve d ' une temerite notoire .
6 a cet egard , elle allegue en premier lieu la decision du pilote d ' emprunter , dans les conditions meteorologiques defavorables qui regnaient dans cette partie de la france et qui lui avaient ete communiquees a l ' aeroport de lyon-bron , le trajet direct pour cannes , soit celui qui suit la vallee du rhone de lyon jusqu ' a la hauteur de montelimar-carpentras pour bifurquer ensuite directement vers la region de saint-tropez . les deux collegues de m . van kasteel qui appartenaient au meme groupe de touristes faisant le voyage de bruxelles aux iles grecques en avions de tourisme , et qui pilotaient egalement des avions legers , auraient prefere , apres avoir pris connaissance des memes renseignements meteorologiques , descendre la vallee du rhone jusqu ' a marseille pour suivre ensuite le littoral .
7 un resume des renseignements meteorologiques communiques le 29 avril 1978 entre 14 heures et 14 h 30u aux equipages se rendant a cannes , par le centre meteorologique regional de l ' aeroport lyon-bron , a ete fourni a la cour , qui a ordonne une expertise sur la question de savoir quelles etaient les conclusions qu ' un aviateur devait deduire de ces renseignements . la cour a egalement entendu , en qualite de temoins , les deux pilotes qui avaient emprunte l ' itineraire lyon-marseille , afin d ' etre renseignee sur les raisons ayant amene ceux-ci a ne pas prendre le trajet direct pour cannes .
8 apres l ' audition des experts et des temoins , la defenderesse a indique qu ' elle ne soutenait plus , suite aux explications donnees , que la decision de prendre le trajet direct pour cannes ferait en soi preuve de temerite notoire .
9 le second motif invoque par la defenderesse pour affirmer le caractere temeraire du comportement de m . van kasteel est la decision que celui-ci aurait prise de descendre , au moment ou son avion s ' enfonca dans les perturbations et ou la visibilite se reduisit tout a coup , d ' une altitude de 1 500 metres a celle de moins de 1 000 metres .
10 il est constant qu ' a 16 h 52u , lors de son dernier contact-radio avec l ' aeroport de marseille-marignane , m . van kasteel a indique que son appareil se trouvait a une altitude de 4 500 pieds soit a peu pres 1 500 metres , et que , environ dix minutes plus tard , l ' appareil s ' est ecrase contre le versant nord de la montagne sainte-victoire a une altitude d ' a peu pres 960 metres .
11 toutefois , il ne resulte pas des pieces du dossier , tels le rapport d ' enquete de premiere information etabli par m . grimaud pour le ministere francais des transports et le rapport d ' enquete de la gendarmerie nationale , avec leurs differentes annexes , que la perte d ' altitude de l ' avion serait due a une decision du pilote , prise de propos delibere , de vouloir plonger au-dessous des nuages . ni m . grimaud , entendu par la cour , ni les experts designes par les parties n ' ont pu affirmer avec certitude que la perte d ' altitude etait la consequence d ' une decision du pilote plutot que d ' une rafale violente . dans ces conditions , la defenderesse a reconnu que la perte d ' altitude a pu etre occasionnee par les tres fortes turbulences dans lesquelles l ' avion se trouvait .
12 la defenderesse a cependant maintenu , apres l ' audition des temoins et des experts , le troisieme motif qu ' elle avait invoque pour soutenir que le comportement du pilote malheureux etait d ' une temerite notoire . en effet , elle a considere qu ' une telle temerite ressortait de facon manifeste de la decision du pilote de penetrer dans la perturbation qu ' il voyait arriver et de ne pas faire immediatement demi-tour en quete d ' un aeroport d ' accueil ou se poser .
13 pour apprecier cet argument , il convient d ' examiner les differents elements de fait qui concernent les dernieres minutes du vol litigieux et dont la veracite n ' est pas mise en doute , ainsi que les appreciations que les experts ont portees sur ces elements .
14 a cet egard , il y a lieu de souligner d ' abord que les renseignements meteorologiques communiques par l ' aeroport de lyon-bron prevoyaient une perturbation active donnant des pluies locales abondantes au-dela de montelimar et s ' accompagnant d ' un vent de sud fort et irregulier . une visibilite de 10 a 15 km , reduite jusqu ' a 6 a 10 km dans les pluies , etait prevue . au vu de ces renseignements , rien ne laissait prevoir que la visibilite , facteur important pour les pilotes qui effectuent , comme m . van kasteel , un vol a vue , serait soudainement reduite de facon sensible . les observations faites par marseille- marignane a 16 heures ( heure locale ), une heure avant le moment probable de l ' accident , font etat d ' une visibilite de 15 km .
15 la perturbation grave qui a ete a l ' origine de l ' accident litigieux n ' a donc pas ete prevue ou signalee par les stations meteorologiques dont les renseignements etaient accessibles aux aviateurs . il resulte d ' ailleurs des declarations des deux temoins , compagnons de voyage de m . van kasteel et pilotant eux aussi un avion leger , que leurs decisions respectives de poursuivre l ' itineraire de la vallee du rhone jusqu ' a marseille n ' ont pas ete inspirees par les renseignements meteorologiques dont ils disposaient . l ' un d ' eux a du reste ete surpris , quand il suivait le littoral , par un temps tres orageux a la hauteur de la ciotat dont il n ' est pas sorti sans danger .
16 les renseignements de lyon-bron indiquaient egalement que le ciel serait couvert par altostratus vers 2 400 metres doubles de stratocumulus de 4 a 6/8 entre 600 et 1 000 metres . il ressort des declarations des experts que , dans de telles conditions atmospheriques , il y a normalement une zone entre les masses nuageuses qui n ' est guere atteinte par des perturbations . en volant , comme il l ' a fait , a une altitude de 1 500 metres , m . van kasteel n ' a donc rien fait qui serait contraire aux regles de bonne conduite aerienne .
17 il resulte de ce qui precede qu ' aucun reproche d ' imprudence ne saurait etre fait a m . van kasteel pour ce qui est de sa conduite de pilote jusqu ' au moment ou son avion a penetre la perturbation inattendue dans la region de vauvenargues-aix en provence . s ' agissant d ' une region montagneuse ou , d ' apres les declarations de m . grimaud , dans certaines conditions atmospheriques , les changements de temps peuvent etre tres rapides et ou les effets de ces changements pour l ' aviation peuvent etre considerables , la cour accepte la these de la commission et des parties intervenantes selon laquelle m . van kasteel n ' a pas pu eviter la perturbation .
18 il s ' ensuit que le seul probleme qui doit encore etre resolu est celui de savoir si , comme le soutient la defenderesse , le pilote aurait neglige de faire demi-tour immediatement apres avoir penetre la perturbation .
19 au cours du dernier contact-radio qu ' il a eu avec marseille-marignane , a 16 h 52u , m . van kasteel a indique qu ' il etait dans une averse ( ' . . . i am in a shower ' ); a la question lui demandant s ' il avait bien le sol en vue il a repondu que tel etait parfois le cas ( ' sometimes yes ' ). il en decoule qu ' il n ' avait pas le sentiment , a ce moment , de se trouver dans une perturbation grave ; par ailleurs , le contenu de la conversation ne donne pas l ' impression que le pilote craignait de perdre toute visibilite .
20 d ' apres les estimations faites par la gendarmerie nationale et par m . grimaud dans son rapport , l ' accident s ' est produit a peu pres a 17 heures ( heure locale ), soit pas plus de dix minutes apres le dernier contact-radio . on ignore ce qui s ' est passe dans ces dix minutes , mais l ' avion a du changer de direction , puisque la direction du vol au moment de l ' impact sur la montagne sainte-victoire etait a 90* sur la trajectoire montelimar-cannes .
21 il ressort de l ' expertise qu ' il est tres peu probable qu ' un avion , meme un avion leger , puisse changer de direction sous l ' influence d ' une rafale . le changement de direction doit , dans ces conditions , avoir resulte ou bien de la decision consciente du pilote de changer de cap , par exemple afin de gagner le plus vite possible le littoral , ou bien d ' un mouvement brusque destine a eviter le relief que le pilote voyait soudainement surgir des nuages .
22 les deux hypotheses peuvent etre soutenues . m . grimaud a declare que l ' examen de l ' epave a montre qu ' au moment de la collision les moteurs tournaient a fort regime ; cette circonstance pourrait indiquer que le pilote a vu le relief au dernier moment et qu ' il a augmente le regime pour pouvoir effectuer une manoeuvre qui lui permette d ' eviter la collision . m . grimaud a toutefois ajoute qu ' il ne pouvait y avoir de certitude a cet egard .
23 force est de constater , dans ces conditions , qu ' on ne saurait tout a fait exclure l ' eventualite que le pilote ait decide de faire demi-tour peu avant de toucher la montagne . il est egalement possible qu ' une telle decision n ' ait pas ete prise mais que c ' est seulement quelques instants avant l ' accident que le pilote a perdu toute visibilite ou meme tout controle de son appareil .
24 par consequent , il n ' a pas ete etabli avec certitude que le pilote a ou non commis un ou plusieurs actes faisant preuve d ' imprudence au cours des dernieres dix minutes de son vol .
25 compte tenu de cette incertitude , ainsi que des constatations faites en ce qui concerne le caractere imprevu de la perturbation et le pilotage de m . van kasteel jusqu ' au moment ou l ' avion a penetre cette perturbation , il y a lieu d ' accueillir le recours . il incombait en effet a la defenderesse de prouver que les circonstances de fait permettant de faire application d ' une des clauses d ' exemption de responsabilite prevues par l ' article 4 de la reglementation commune etaient reunies .
26 dans ces conditions , il n ' est pas necessaire d ' examiner quel est le degre d ' imprudence requis pour qu ' on puisse qualifier un acte de ' notoirement temeraire ' .
27 il convient , des lors , de condamner la partie defenderesse agissant tant en son nom propre que comme mandataire de quatorze autres compagnies d ' assurance ayant signe la convention d ' assurance collective du 28 janvier 1977 conclue avec les institutions des communautes , au paiement du capital et des interets dont la commission est redevable aux heritiers de m . gerrit jan van kasteel suite a l ' accident mortel dont celui-ci a ete victime le 29 avril 1978 .
28 aux termes de l ' article 69 , paragraphe 2 , du reglement de procedure , toute partie qui succombe est condamnee aux depens , s ' il est conclu en ce sens . la defenderesse ayant succombe , il y a lieu de la condamner aux depens , y compris les depens des parties intervenantes ainsi que les sommes dues aux temoins et aux experts .
Par ces motifs ,
Dispositif
La cour ( premiere chambre )
Declare et arrete :
1 ) la defenderesse est condamnee au paiement du capital et des interets dont la commission est redevable aux heritiers de m . gerrit jan van kasteel suite a l ' accident mortel dont celui-ci a ete victime le 29 avril 1978 ;
2)la defenderesse est condamnee aux depens , y compris les depens des parties intervenantes ainsi que les sommes dues aux temoins et aux experts .