CJCE, n° C-142/84, Arrêt de la Cour, British-American Tobacco Company Ltd et R. J. Reynolds Industries Inc. contre Commission des Communautés européennes, 17 novembre 1987

  • Position dominante - exploitation abusive - notion * notion·
  • Critères d' appréciation 3 . recours en annulation·
  • Décision d' application des règles de concurrence·
  • Mise en œuvre des règles de concurrence·
  • Recours en annulation - moyens * moyens·
  • Conditions 5 . actes des institutions·
  • Cee/ce - concurrence * concurrence·
  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Appréciation économique complexe·
  • Atteinte à la concurrence

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 17 nov. 1987, British American Tobacco et Reynolds Industries / Commission, C-142/84
Numéro(s) : C-142/84
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 novembre 1987. # British-American Tobacco Company Ltd et R. J. Reynolds Industries Inc. contre Commission des Communautés européennes. # Concurrence - Droits des plaignants - Participation au capital d'une société concurrente. # Affaires jointes 142 et 156/84.
Date de dépôt : 4 juin 1984
Solution : Recours en annulation : rejet sur le fond
Identifiant CELEX : 61984CJ0142
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1987:490
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Sur les parties

Note : Cet arrêt était rédigé entièrement en majuscules. Pour plus de lisibilité, nous l’avons converti en minuscules. Néanmoins, ce processus est imparfait et explique l’absence d’accents et de majuscules sur les noms propres.

Texte intégral

Avis juridique important

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61984j0142

Arrêt de la cour (sixième chambre) du 17 novembre 1987. – british-american tobacco company ltd et r. J. reynolds industries inc. Contre commission des communautés européennes. – concurrence – droits des plaignants – participation au capital d’une société concurrente. – affaires jointes 142 et 156/84.


Recueil de jurisprudence 1987 page 04487
Édition spéciale suédoise page 00247
Édition spéciale finnoise page 00249


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


++++

1 . concurrence – procedure administrative – droits des plaignants – protection des secrets d’ affaires de l’ entreprise mise en cause

( traite cee, art . 214; reglement du conseil n**17, art . 3 et 20, par *2 )

2 . concurrence – ententes – prise de participation dans le capital d’ une entreprise concurrente – atteinte a la concurrence – criteres d’ appreciation

( traite cee, art . 85 )

3 . recours en annulation – decision de la commission prise sur la base de l’ article 85, paragraphe 1, du traite – appreciation economique complexe – controle juridictionnel – limites

( traite cee, art . 85, par 1, et 173 )

4 . concurrence – position dominante – abus – prise de participation dans le capital d’ une entreprise concurrente – conditions

( traite cee, art . 86 )

5 . actes des institutions – motivation – obligation – portee – decision d’ application des regles de concurrence

( traite cee, art . 190; reglement du conseil n**17, art.*3 )

Sommaire


1 . une enquete menee par la commission dans l’ exercice de la mission de veiller au respect des regles de concurrence n’ est pas une procedure contradictoire entre, d’ une part, les entreprises qui ont introduit une demande au titre de l’ article 3 du reglement n**17 en justifiant d’ un interet legitime a voir cesser une violation et, d’ autre part, celles contre lesquelles la procedure est engagee .

Si les plaignants doivent etre mis en mesure de sauvegarder leurs interets legitimes dans le cadre de la procedure administrative et si la commission est tenue d’ examiner l’ ensemble des elements de fait et de droit qu’ ils portent a sa connaissance, leurs droits proceduraux ne sont cependant pas aussi etendus que le droit de la defense des entreprises contre lesquelles la commission dirige son enquete et trouvent leur limite dans la mesure ou ils mettent en cause ce droit de la defense .

L’ obligation de secret professionnel, enoncee par l’ article 214 du traite cee et par l’ article 20, paragraphe 2, du reglement n**17, est attenuee a leur egard, mais ils ne peuvent en aucun cas recevoir communication de documents qui contiennent des secrets d’ affaires .

De meme, leurs interets legitimes sont suffisamment sauvegardes lorsqu’ ils sont informes du resultat des negociations confidentielles menees entre les entreprises concernees par l’ enquete et la commission en vue d’ adapter les accords ou pratiques incrimines aux regles du traite . leur reconnaitre le droit d’ assister a ces negociations ou d’ etre tenus au courant de leur developpement, en vue de presenter des observations sur les differentes propositions avancees par l’ une ou l’ autre partie, compromettrait le droit de la commission et de l’ entreprise mise en cause d’ entamer de telles negociations .

2 . lorsqu’ une prise de participation dans le capital d’ une entreprise concurrente fait l’ objet d’ accords conclus entre entreprises qui, apres l’ entree en vigueur de ces accords, restent des entreprises independantes, il convient en premier lieu d’ examiner la situation a la lumiere de l’ article 85 du traite .

Si le fait, pour une entreprise, de prendre une participation dans le capital d’ une entreprise concurrente ne constitue pas en soi un comportement restrictif de la concurrence, une telle prise de participation peut neanmoins constituer un moyen apte a influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de maniere a restreindre ou a fausser le jeu de la concurrence sur le marche ou ces deux entreprises deploient leurs activites commerciales .

Tel serait notamment le cas si, par la prise de participation ou par des stipulations accessoires de l’ accord, l’ entreprise qui investit obtenait un controle de droit ou de fait sur le comportement commercial de l’ autre entreprise, ou si l’ accord prevoyait une cooperation commerciale entre les entreprises ou creait des structures aptes a promouvoir une telle cooperation, ou encore si l’ accord reservait a l’ entreprise qui investit la possibilite de renforcer, a un stade ulterieur, sa position en prenant le controle effectif de l’ autre entreprise .

Tout accord doit etre apprecie dans son contexte economique et notamment a la lumiere du marche en cause . lorsque les entreprises parties a un accord sont des societes multinationales qui exercent leurs activites a l’ echelle mondiale, il faut egalement tenir compte de leurs relations en dehors de la communaute, et notamment de la possibilite que l’ accord en cause fasse partie d’ une politique de cooperation globale entre elles . une vigilance particuliere s’ impose a la commission dans le cas d’ un marche stagnant et oligopolistique, tel que celui des cigarettes .

3 . si la cour exerce, de maniere generale, un entier controle sur le point de savoir si les conditions d’ application de l’ article 85, paragraphe 1, du traite se trouvent ou non reunies, le controle qu’ elle exerce sur les appreciations economiques complexes faites par la commission se limite necessairement a la verification du respect des regles de procedure et de motivation, ainsi que de l’ exactitude materielle des faits, de l’ absence d’ erreur manifeste d’ appreciation et de detournement de pouvoir .

4 . il ne saurait etre question, s’ agissant d’ une prise de participation par une entreprise dans le capital d’ une entreprise concurrente, d’ un abus de position dominante, au sens de l’ article 86 du traite, que si la participation en question se traduit en un controle effectif de l’ autre entreprise ou, a tout le moins, en une influence sur la politique commerciale de celle-ci .

5 . lorsque la commission rejette une demande introduite en application de l’ article 3 du reglement n**17, il lui suffit d’ exposer les motifs pour lesquels elle n’ a pas estime possible d’ etablir l’ existence d’ une infraction aux regles de concurrence, sans etre tenue ni d’ expliquer d’ eventuelles differences par rapport a la communication des griefs, qui constitue un document preparatoire dont les appreciations sont de caractere purement provisoire et destinees a circonscrire l’ objet de la procedure administrative vis-a-vis des entreprises faisant l’ objet de cette procedure, ni de discuter tous les points de fait et de droit traites au cours de la procedure administrative .

Parties


Dans les affaires jointes 142 et 156/84,

British american tobacco company ltd, a londres, representee par me p.*v.*f . bos, precedemment avocat au barreau d’ amsterdam, puis au barreau de rotterdam, nolst trenite, avec etude a bruxelles, mandate par coudert brothers, attorneys at law, a new york, avec etude a bruxelles, ayant elu domicile a luxembourg, en l’ etude de me j . loesch, 2, rue goethe,

Et

Rj reynolds industries inc ., a winston salem, caroline du nord, etats-unis d’ amerique, en la personne de m . joseph f . abely jr ., vice chairman of the board, represente par m . j.*f . lever, qc, et m . r.*j . buxton, qc, de gray’ s inn chambers, gray’ s inn, a londres, mandates par mm . a.*j.*c . paines et m.*j . reynolds, de l’ etude allen and overy, a londres et a bruxelles, ayant elu domicile a luxembourg, en l’ etude de me j . loesch, 2, rue goethe,

Parties requerantes,

Contre

Commission des communautes europeennes, representee par son conseiller juridique, m . a . mcclellan, et mlle k . banks, membre du service juridique, en qualite d’ agents, ayant elu domicile a luxembourg chez m . g . kremlis, membre du service juridique, batiment jean monnet, kirchberg,

Partie defenderesse,

Soutenue par

Philip morris incorporated, a new york, representee par me m . siragusa, avocat au barreau de rome, et par me m . waelbroeck, avocat au barreau de bruxelles, ayant elu domicile a luxembourg, en l’ etude de me e . arendt, centre louvigny, 34*b, rue philippe-ii,

Et

Rembrandt group limited, a stellenbosch, republique d’ afrique du sud, representee par mm . c . bellamy et k.*b . parker, de gray’ s inn, a londres, mandates par m . malcolm g.*c . nicholson, solicitor de slaughter and may, a londres, ayant elu domicile a luxembourg, en l’ etude de mes elvinger et hoss, 15, cote d’ eich,

Parties intervenantes,

Ayant pour objet l’ annulation de la decision, contenue dans la lettre de la commission n**sg(84 ) d/3946, du 22 mars 1984, relative aux affaires n**iv/30.342 et n**iv/30.926, rejetant les demandes introduites par les requerantes, en application de l’ article 3, paragraphe 2, du reglement n**17 du conseil, du 6 fevrier 1962 ( jo 1962, p.*204 ), et declarant que certains accords conclus entre les parties intervenantes ne constituent pas des violations des articles 85 et 86 du traite*cee,

La cour ( sixieme chambre ),

Composee de mm . o . due, president de chambre, g.*c . rodriguez iglesias, t . koopmans, k . bahlmann et c . kakouris, juges,

Avocat general : m . g . f . mancini

Greffier : mme b . pastor, administrateur

Vu le rapport d’ audience complete suite a la procedure orale du 12 novembre 1986,

Ayant entendu les conclusions de l’ avocat general presentees a l’ audience du 17 mars 1987,

Rend le present

Arret

Motifs de l’arrêt


1 par requetes deposees au greffe de la cour respectivement les 4 et 20 juin 1984, british american tobacco company ltd, dont le siege est a londres, et rj reynolds industries inc ., a winston salem, caroline du nord, etats-unis d’ amerique, ont introduit, en vertu de l’ article 173, alinea 2, du traite cee, deux recours visant a l’ annulation de la decision contenue dans les lettres de la commission n**sg(84 ) d/3946, du 22 mars 1984, relatives aux affaires n**iv/30.342 et n**iv/30.926, rejetant les demandes introduites par les requerantes en application de l’ article 3, paragraphe 2, du reglement n**17 du conseil, du 6 fevrier 1962 ( jo p.*204 ), et declarant que certains accords conclus entre philip morris incorporated ( ci-apres « philip morris »), a new york, et rembrandt group limited ( ci-apres « rembrandt »), a stellenbosch, republique d’ afrique du sud, ne constituent pas des violations des articles 85 et 86 du traite cee . les requerantes demandent, en outre, que la cour ordonne a la commission de modifier sa position a l’ egard desdites demandes pour se conformer a l’ arret de la cour .

2 par ordonnances du 28 novembre 1984, la cour a admis philip morris et rembrandt a intervenir a l’ appui des conclusions de la commission . par ordonnance du 26 septembre 1984, la cour a ordonne que les affaires soient jointes aux fins de la procedure orale et de l’ arret .

3 les demandes introduites par les requerantes en application de l’ article 3, paragraphe 2, du reglement n**17, precite, etaient dirigees contre des accords entre philip morris et rembrandt, aux termes desquels la premiere de ces societes achetait a la seconde, moyennant un prix de 350 millions de usd, une participation de 50 % dans le capital de rothmans tobacco ( holding ) ltd ( ci-apres « rothmans holdings »), societe d’ investissement qui etait une filiale a 100 % de rembrandt et qui detenait, dans le capital de rothmans international plc ( ci-apres « rothmans international »), une participation suffisamment large pour controler cette derniere societe, fabricant important de cigarettes sur le marche communautaire, et notamment au benelux . par ces accords, philip morris avait obtenu une participation indirecte de 21,9 % dans les benefices de son concurrent rothmans international .

4 ces accords ( ci-apres « accords de 1981 ») contenaient, en outre, des stipulations visant a maintenir l’ equilibre entre les parties en ce qui concerne leur participation directe ou indirecte dans le capital de rothmans international et accordaient a chacune des parties un « droit de refus prealable » en cas de cession, par l’ autre partie, de la participation dans le capital de rothmans holdings .

5 en ce qui concerne la gestion, les accords de 1981 conferaient aux deux parties le droit de nommer un nombre egal d’ administrateurs au conseil d’ administration de rothmans holdings . ils stipulaient que rembrandt conservait les fonctions de gestion, qu’ elle avait exercees jusque-la a l’ egard des activites commerciales de rothmans international, et que les donnees interessant la concurrence ne devaient pas etre communiquees a philip morris, mais ils contenaient egalement des dispositions visant a une cooperation entre philip morris et rothmans international dans les secteurs tels que la distribution et la fabrication concertees, les connaissances et la recherche technique, etc .

6 a la suite de demandes deposees entre autres par les requerantes, la commission a adresse a philip morris et a rembrandt une communication des griefs declarant que les accords de 1981 violaient a la fois l’ article 85 et l’ article 86 du traite . apres des negociations avec la commission, philip morris et rembrandt ont finalement remplace ces accords par de nouveaux accords tendant a faire disparaitre les griefs de la commission . ce sont ces derniers accords ( ci-apres « accords de 1984 ») qui sont vises par les decisions litigieuses de la commission, alors que celle-ci n’ a pas estime qu’ il convenait d’ adopter une decision en ce qui concerne les accords originaux de 1981, ceux-ci ayant ete abroges et remplaces par ceux de 1984 .

7 par les accords de 1984, philip morris a retrocede sa participation dans le capital de rothmans holdings et, en contrepartie, elle a obtenu une participation directe dans le capital de rothmans international . cette participation est de 30,8 %, mais ne represente que 24,9*% des droits de vote, alors que la part, egalement de 30,8 %, detenue par rembrandt represente 43,6 % de ces droits .

8 tout comme les accords de 1981, les nouveaux accords conferent un droit de preemption a l’ autre partie en cas de cession de la participation . en outre, seule la totalite de la participation d’ une partie peut etre cedee aux tiers et uniquement a un seul acheteur independant ou a au moins dix acheteurs independants . si la participation de rembrandt est vendue a un seul acheteur, celui-ci doit faire une offre identique pour les parts de philip morris . enfin, en cas de cession de la participation de l’ une ou l’ autre partie, les accords prevoient la possibilite d’ etablir un partage egal des droits de vote dans rothmans international .

9 les accords de 1984 sont completes par certains engagements des parties vis-a-vis de la commission . ces engagements visent notamment a garantir l’ absence d’ une representation de philip morris aux organes de direction de rothmans international et la non-communication a philip morris d’ informations concernant le groupe rothmans international et susceptibles d’ influencer le comportement du groupe philip morris dans les relations de concurrence entre les deux groupes a l’ interieur de la communaute . en outre, philip morris s’ est engagee a informer la commission de tout amendement aux accords et de toute augmentation de ses portefeuilles de parts dans rothmans international ou de toute eventualite dans laquelle philip morris obtiendrait 25 % ou plus des droits de vote a l’ interieur de rothmans international . dans les deux derniers cas, la commission pourra exiger une separation entre les interets respectifs de rothmans international et de philip morris assurant le maintien du statu quo pour une periode de trois mois, au cours de laquelle la commission peut decider quelles mesures nouvelles seraient eventuellement appropriees .

10 pour un plus ample expose des faits, de la procedure et des moyens et arguments presentes par les requerantes, la commission et les parties intervenantes, il est renvoye au rapport d’ audience . ces elements du dossier ne sont repris ci-dessous que dans la mesure necessaire au raisonnement de la cour .

I – sur la recevabilite des recours

11 l’ une des parties intervenantes, rembrandt, conteste la recevabilite des recours au motif, d’ une part, que les lettres du 22 mars 1984 de la commission ne constituaient pas des decisions au sens de l’ article 173, alinea 2, du traite et, d’ autre part, que les requerantes ne sont pas concernees directement et individuellement au sens dudit article . la commission, pour sa part, fait valoir que, dans la mesure ou les requerantes concluent a ce que la cour ordonne a la commission de prendre une decision specifique, les recours doivent etre rejetes comme irrecevables .

12 en ce qui concerne les demandes d’ annulation, il convient de constater que la commission, sur demande des requerantes, a redige et adresse ses lettres du 22 mars 1984 aux requerantes sous forme d’ une « decision ». en outre, ces lettres ont le contenu d’ une decision et en produisent les effets, en ce qu’ elles mettent fin a l’ enquete engagee, comportent une appreciation des accords en cause et empechent les requerantes d’ exiger la reouverture de l’ enquete, a moins que celles-ci ne fournissent des elements nouveaux . sans qu’ il soit necessaire de decider si une partie intervenante peut soulever une exception d’ irrecevabilite, lesdites constatations suffisent pour qualifier les lettres de la commission du 22 mars 1984 de decisions adressees aux requerantes, au sens de l’ article 173, alinea 2, du traite, et, partant, pour ecarter les objections soulevees a cet egard .

13 en revanche, les recours sont irrecevables dans la mesure ou ils demandent a la cour d’ ordonner a la commission de prendre un acte en remplacement de l’ acte attaque, la cour ne pouvant pas, dans le cadre de la procedure de controle de legalite etablie par l’ article 173, prononcer une telle injonction .

Ii – sur le fond

14 les moyens des requerantes concernent la procedure administrative, l’ appreciation que la commission a portee sur les accords et la motivation des decisions .

A – sur la procedure administrative

15 les requerantes font valoir notamment que, en tant qu’ auteurs de demandes au titre de l’ article 3, paragraphe 2, du reglement n**17, elles n’ ont pas ete suffisamment associees a l’ enquete sur les accords litigieux menee par la commission .

16 a cet egard, il ressort du dossier que, sous reserve des passages que philip morris et rembrandt estimaient relever du secret des affaires, la commission a transmis aux requerantes des copies de sa communication des griefs du 19 mai 1982, declarant que les accords de 1981 violaient les articles 85 et 86 du traite . les requerantes ont egalement eu l’ occasion de commenter les reponses de philip morris et de rembrandt a la communication des griefs, et elles ont participe a l’ audition qui a eu lieu du 5 au 7 octobre 1982 . apres l’ audition, les requerantes en ont recu les proces-verbaux et ont eu l’ occasion de commenter les observations supplementaires que philip morris a soumises par ecrit a la suite de l’ audition .

17 en mai 1983, la commission a informe les requerantes que philip morris et rembrandt avaient apporte certaines modifications aux accords de 1981, et il y a eu un echange de lettres ainsi que des reunions entre les requerantes et la commission a cet egard . apres que philip morris et rembrandt aient finalement decide de remplacer les accords de 1981 par les nouveaux accords de 1984, les requerantes ont ete, conformement a l’ article 6 du reglement n**99/63 de la commission, du 25 juillet 1963, relatif aux auditions prevues a l’ article 19, paragraphes 1 et 2, du reglement n**17 du conseil ( jo p.*2268 ), informees par lettres du 16 decembre 1983 de ce que la commission considerait qu’ il n’ y avait plus de motif suffisant pour faire droit a leurs demandes, et elles ont ete invitees a presenter leurs observations complementaires eventuelles . a cette fin, les requerantes ont ete informees du contenu des nouveaux accords et des engagements souscrits par philip morris et rembrandt . ce n’ est qu’ apres avoir recu les observations des requerantes sur les nouveaux accords et sur lesdits engagements que la commission a pris les decisions litigieuses .

18 les requerantes admettent que, jusqu’ aux negociations portant sur les amendements aux accords initiaux, elles ont ete etroitement associees a l’ enquete menee par la commission, mais elles font valoir que la commission a donne un sens trop large a la notion de « secret d’ affaires » en omettant de leur communiquer certains documents et parties de documents . elles font egalement valoir qu’ elles auraient du etre admises a prendre part auxdites negociations ou, du moins, qu’ elles auraient du etre informees regulierement de leurs developpements par transmission des proces-verbaux . les requerantes estiment que, sur ces points, la commission a commis des irregularites de procedure qui constituent a leur egard une violation du droit de la defense, tel que ce droit a ete precise par la jurisprudence de la cour .

19 il convient de noter que la jurisprudence invoquee par les requerantes concerne le droit de la defense des entreprises contre lesquelles la commission dirige son enquete . or, une telle enquete ne constitue pas une procedure contradictoire entre les entreprises interessees, mais une procedure engagee par la commission, d’ office ou a la suite d’ une demande, dans l’ exercice de sa mission de veiller au respect des regles de concurrence . il s’ ensuit que les entreprises contre lesquelles la procedure est engagee et celles qui ont introduit une demande au titre de l’ article 3 du reglement n**17 en justifiant d’ un interet legitime a voir cesser une violation alleguee ne se trouvent pas dans la meme situation procedurale et que ces dernieres ne peuvent pas se prevaloir du droit de la defense au sens de la jurisprudence invoquee .

20 en revanche, ainsi qu’ il ressort notamment de l’ arret du 28 mars 1985 ( cicce/commission, 298/83, rec . p.*1105 ), ces plaignants doivent etre mis en mesure de sauvegarder leurs interets legitimes dans le cadre de la procedure administrative et la commission est tenue d’ examiner l’ ensemble des elements de fait et de droit qui sont portes a sa connaissance par les plaignants . cependant, les droits proceduraux des plaignants ne sont pas aussi etendus que le droit de la defense des entreprises contre lesquelles la commission dirige son enquete . de toute maniere, ils trouvent leurs limites dans la mesure ou ils mettent en cause ce droit de la defense .

21 dans son arret du 24 juin 1986 ( akzo chemie bv et akzo chemie uk ltd/commission, 53/85, rec . p.*1965 ), la cour a reconnu que l’ obligation de secret professionnel enoncee par l’ article 214 du traite et par l’ article 20, paragraphe 2, du reglement n**17, est attenuee a l’ egard de plaignants et que la commission peut communiquer a ceux-ci certaines informations couvertes par le secret professionnel, pour autant que cette communication est necessaire au bon deroulement de l’ instruction . dans le meme arret, la cour a toutefois souligne que le plaignant ne peut, en aucun cas, recevoir communication de documents qui contiennent des secrets d’ affaires et a precise les moyens par lesquels l’ entreprise concernee par l’ enquete peut s’ opposer a une telle communication .

22 dans les presentes affaires, les requerantes n’ ont pas apporte d’ elements qui portent a croire que la commission aurait omis de leur communiquer des documents qu’ elle pouvait transmettre sans divulguer des secrets d’ affaires . il s’ ensuit que ce premier volet du moyen doit etre rejete .

23 en ce qui concerne le grief concernant les negociations que philip morris et rembrandt ont menees avec la commission en vue d’ une modification des accords initiaux, il convient de rappeler que la procedure administrative constitue, entre autres, l’ occasion, pour les entreprises concernees, d’ adapter les accords ou pratiques incrimines aux regles du traite . cette possibilite presuppose le droit des entreprises et de la commission d’ entamer des negociations confidentielles en vue de determiner les modifications susceptibles de faire disparaitre les griefs de celle-ci .

24 un tel droit serait compromis si les plaignants devaient y assister ou etre constamment tenus au courant du developpement de ces negociations en vue de presenter leurs observations sur les differentes propositions avancees par l’ une ou l’ autre partie . les interets legitimes des plaignants sont pleinement sauvegardes lorsque ceux-ci sont informes du resultat de ces negociations au vu duquel la commission envisage le classement de leurs plaintes . or, sur ce point, les requerantes ont recu toutes les informations pertinentes a l’ occasion des lettres que la commission leur a adressees en vertu de l’ article 6 du reglement n**99/63 . il s’ ensuit que ce deuxieme volet du moyen doit egalement etre rejete .

25 dans le meme ordre d’ idees, les requerantes affirment que, lors des negociations entre philip morris et la commission, une pression a ete exercee sur la commission, notamment par un ancien membre de celle-ci . a cet egard, il suffit de constater que les requerantes n’ ont fourni aucun element a l’ appui de cette affirmation .

26 enfin, les requerantes se plaignent de ce que la commission, dans les decisions litigieuses, a ajoute des arguments nouveaux par rapport aux lettres visees a l’ article 6 du reglement n**99/63 et sur lesquels les requerantes n’ ont pas eu l’ occasion de se prononcer prealablement .

27 cet argument doit egalement etre rejete . les requerantes ont, comme plaignants, eu l’ occasion de prendre position sur les arguments avances dans lesdites lettres . le fait que les observations des requerantes ont provoque des reflexions supplementaires de la part de la commission et que celle-ci, pour cette raison, a cru utile d’ ajouter des arguments complementaires dans les decisions finales ne cree pas une obligation pour la commission de les entendre a nouveau avant d’ arreter ces decisions .

28 de l’ ensemble des considerations qui precedent, il resulte que le moyen concernant la procedure administrative doit etre rejete comme non fonde dans son ensemble .

B – sur l’ appreciation que la commission a portee sur les accords

29 les requerantes font valoir que, dans les decisions litigieuses, la commission a fait une application erronee des articles 85 et 86 du traite, et qu’ elle a commis une erreur manifeste en estimant que les engagements souscrits par philip morris et rembrandt etaient suffisants pour eviter une infraction a ces articles .

30 il y a lieu de constater, tout d’ abord, que les decisions litigieuses ne concernent que les accords de 1984 et non pas ceux de 1981 qui n’ ont conserve leur interet que pour autant qu’ ils revelent les intentions initiales des parties . les presentes affaires posent ainsi essentiellement le probleme de savoir si et, le cas echeant, sous quelles conditions, la prise d’ une participation minoritaire dans le capital d’ une entreprise concurrente peut constituer une violation des articles 85 et 86 du traite .

31 comme la prise de participation dans le capital de rothmans international fait l’ objet d’ accords conclus entre entreprises qui, apres l’ entree en vigueur de ces accords, restent des entreprises independantes, il convient, en premier lieu, d’ examiner ce probleme a la lumiere de l’ article*85 .

Sur l’ application de l’ article 85

32 les requerantes font valoir, en substance, qu’ il faut presumer un effet restrictif de concurrence lorsqu’ une entreprise prend une participation importante, bien que minoritaire, dans le capital d’ une entreprise concurrente . une telle prise de participation influerait necessairement sur le comportement commercial des entreprises en cause, particulierement sur un marche stagnant et hautement oligopolistique comme celui des cigarettes ou toute tentative d’ etendre la part du marche d’ une entreprise se ferait au detriment des entreprises concurrentes . sur ce marche, les liens crees entre deux des operateurs les plus importants rompraient l’ equilibre concurrentiel .

33 selon les requerantes, la transaction en cause n’ a pas seulement pour effet, mais egalement pour objet, de restreindre la concurrence . ce fait decoulerait des relations entre les accords litigieux et les accords initiaux de 1981 qui prevoyaient une cooperation commerciale entre les parties . ce serait au moyen des droits obtenus en vertu de ces accords initiaux que philip morris aurait pu se procurer une prise de participation directe dans le capital de rothmans international, et rien n’ indiquerait que l’ idee d’ une cooperation commerciale ait ete abandonnee, d’ autant plus que le prix paye par philip morris est reste le meme . l’ intention de cooperer sur le marche communautaire serait d’ ailleurs confirmee par l’ existence d’ accords de cooperation entre philip morris et rothmans international en indonesie, en malaisie et aux philippines .

34 les requerantes soutiennent egalement que l’ effet et l’ objectif anticoncurrentiels des accords litigieux sont renforces par les clauses concernant le droit de preemption, au cas ou une des parties desirerait ceder sa participation dans le capital de rothmans international . ces clauses viseraient a reserver a philip morris la possibilite d’ acquerir le controle de rothmans international et demontreraient que la prise de participation ne constitue pas un simple investissement passif . le fait que l’ utilisation de ces clauses soit contraire a l’ article 85 suffirait en lui-meme a constater que les accords ont pour objet de restreindre la concurrence .

35 enfin, les engagements imposes par la commission ne suffiraient nullement a enlever aux accords leur caractere anticoncurrentiel . d’ une part, les engagements concernant la gestion actuelle de rothmans international n’ empecheraient pas philip morris d’ exercer une influence informelle en tant qu’ actionnaire important de rothmans international . d’ autre part, les engagements concernant la separation des interets de philip morris et de rothmans international en cas d’ utilisation par philip morris de son droit de preemption concerneraient la periode posterieure a la violation de l’ article 85 et ne seraient meme pas d’ application si philip morris obtenait le controle effectif de rothmans international suite a la vente de la participation de rembrandt a au moins 10 acheteurs independants l’ un de l’ autre et de philip morris .

36 il convient de rappeler que, pour tomber sous le coup de l’ article 85, un accord doit avoir pour objet ou pour effet d’ empecher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence a l’ interieur du marche commun .

37 si le fait, pour une entreprise, de prendre une participation dans le capital d’ une entreprise concurrente ne constitue pas en soi un comportement restrictif de concurrence, une telle prise de participation peut neanmoins constituer un moyen apte a influer sur le comportement commercial des entreprises en cause, de maniere a restreindre ou a fausser le jeu de la concurrence sur le marche ou ces deux entreprises deploient leurs activites commerciales .

38 tel serait notamment le cas si, par la prise de participation ou par des stipulations accessoires de l’ accord, l’ entreprise qui investit obtient un controle de droit ou de fait sur le comportement commercial de l’ autre entreprise ou si l’ accord prevoit une cooperation commerciale entre les entreprises ou cree des structures aptes a promouvoir une telle cooperation .

39 tel peut egalement etre le cas si l’ accord reserve a l’ entreprise qui investit la possibilite de renforcer, a un stade ulterieur, sa position en prenant le controle effectif de l’ autre entreprise . il convient de tenir compte non seulement des effets actuels de l’ accord, mais egalement de ses effets potentiels et de la possibilite que l’ accord s’ inscrive dans un plan a plus longue echeance .

40 enfin, tout accord doit etre apprecie dans son contexte economique, et notamment a la lumiere de la situation du marche en cause . lorsque les entreprises concernees sont des societes multinationales qui exercent leurs activites a l’ echelle mondiale, il n’ est pas non plus possible de faire abstraction de leurs relations en dehors de la communaute . il faut notamment tenir compte de la possibilite que l’ accord en cause fasse partie d’ une politique de cooperation globale entre les entreprises parties a l’ accord .

41 c’ est a la lumiere de toutes ces considerations qu’ il convient d’ examiner si la commission, en appreciant les accords de 1984, a constate a tort qu’ un objet ou un effet anticoncurrentiel n’ a pas ete etabli .

42 en ce qui concerne la situation sur le marche des cigarettes, la commission a constate, dans sa communication des griefs relative aux accords de 1981, que ce marche a ete quantitativement stagnant de 1976 a 1980, periode examinee par la commission . celle-ci a egalement constate que, a l’ exception des marches francais et italiens ou il existe des monopoles d’ etat, le marche communautaire est domine par six groupes d’ entreprises, dont ceux qui sont parties requerantes et intervenantes dans la presente affaire .

43 la commission considere que, sur le marche des cigarettes, stagnant et oligopolistique, et en l’ absence de competition veritable au niveau du prix ou de la recherche, la publicite et l’ acquisition d’ entreprises constituent les principaux instruments pour accroitre la part du marche d’ un operateur economique . en outre, le marche etant domine par de grandes entreprises, disposant de moyens et de connaissances techniques considerables, et la publicite etant d’ une grande importance, il serait tres difficile, pour une entreprise nouvelle, d’ y penetrer .

44 il convient d’ admettre que, dans les conditions de marche ainsi decrites par la commission et, pour l’ essentiel, non contestees par les autres parties a l’ instance, toute entreprise soucieuse d’ agrandir sa part de marche serait fortement tentee, au cas ou cette occasion se presenterait, de prendre le controle d’ une entreprise concurrente . il faut egalement reconnaitre que, dans lesdites circonstances, toute tentative de prise de controle et tout accord susceptible de favoriser une cooperation commerciale entre deux ou plusieurs de ces entreprises dominantes comportent le risque d’ entrainer une restriction de concurrence .

45 en presence d’ une telle situation de marche, la commission doit faire preuve d’ une vigilance particuliere . elle doit notamment examiner si un accord qui, a premiere vue, ne prevoit qu’ un investissement passif dans une entreprise concurrente, ne vise pas, en realite, a prendre le controle de cette entreprise, le cas echeant a un stade ulterieur, ou a instaurer une cooperation entre les entreprises en vue d’ un partage du marche . il n’ en reste pas moins que, pour que la commission puisse constater une infraction a l’ article 85, elle doit etre en mesure de demontrer que l’ accord a pour objet ou pour effet d’ influer sur le comportement concurrentiel des entreprises sur le marche en cause .

46 a cet egard, il convient de constater que les accords de 1984 et les engagements pris par philip morris et rembrandt vis-a-vis de la commission excluent la representation de philip morris au conseil d’ administration et a tout autre organe de direction de rothmans international, et limitent la participation de philip morris a moins de 25 % des droits de vote . par contre, la part detenue par rembrandt represente 43,6 % des droits de vote, ce qui, en raison de la dispersion du reste de ces droits et compte tenu de la representation de rembrandt aux organes de direction de rothmans international, permet a rembrandt de continuer de determiner la politique commerciale de rothmans international sur le marche des cigarettes .

47 il convient egalement de constater que, a la difference des accords de 1981, ceux de 1984 ne contiennent aucune clause portant sur une cooperation commerciale, que ces derniers accords ne creent aucune structure qui favorise une telle cooperation entre philip morris et rothmans international, et que les entreprises se sont engagees a ne pas echanger d’ informations susceptibles d’ influencer leur comportement concurrentiel . sous reserve des clauses concernant la cession eventuelle, par l’ une ou l’ autre partie, de sa part dans le capital de rothmans international, qui seront examinees plus tard, les dispositions des accords de 1984, telles que completees par les engagements pris vis-a-vis de la commission, ne suffisent donc pas pour demontrer que ces accords ont pour objet ou pour effet de permettre a l’ une des entreprises d’ influencer le comportement commercial de l’ autre .

48 encore faut-il examiner si la participation de philip morris dans le capital de rothmans international dans les circonstances de l’ espece oblige necessairement les entreprises impliquees a prendre en consideration l’ interet de l’ autre partie dans la mise au point de leur politique commerciale, ainsi que les requerantes le font valoir .

49 en ce qui concerne rembrandt, la commission soutient que cette entreprise garde son interet a tirer le plus grand profit possible de son investissement dans rothmans international et que, grace a ses droits de vote et a ses rapports traditionnels de direction avec cette derniere societe, elle est, en pratique, capable de controler la politique commerciale de rothmans international sans tenir compte des interets de philip morris . bien que les droits de vote de philip morris suffisent pour bloquer certaines decisions de caractere exceptionnel, cette possibilite serait trop hypothetique pour constituer une menace reelle, capable d’ avoir une influence sur rembrandt quant a la gestion de rothmans international . il n’ y aurait aucune raison de supposer que les dirigeants et le personnel de rothmans international n’ aient pas interet a faire de cette societe une entreprise aussi rentable que possible .

50 si philip morris, de son cote, en raison de sa part des benefices de rothmans international, a un interet au succes de cette entreprise, sa premiere preoccupation reste neanmoins, selon la commission, celle d’ accroitre la part de marche et les recettes de ses propres entreprises . philip morris conserverait donc un interet considerable a limiter tout accroissement de la part de marche de rothmans international par ses propres efforts en matiere industrielle et commerciale . la commission estime ainsi que la prise de participation minoritaire, par philip morris, dans le capital de rothmans international, n’ entraine pas en soi une modification de la situation concurrentielle sur le marche communautaire des cigarettes .

51 il convient de constater que les elements du dossier ne permettent pas d’ ecarter cette appreciation de la commission . en particulier, aucune donnee ne permet de conclure que la prise de participation risque d’ aboutir a un partage de marche en ce sens que philip morris, sans perdre elle-meme des parts du marche, puisse se concentrer sur une partie specifique de celui-ci en donnant ainsi a rothmans international une possibilite d’ accroitre ses activites sur une autre part du marche .

52 il n’ existe pas non plus de donnees suffisantes pour conclure que philip morris et rothmans international cooperent en dehors du marche communautaire d’ une maniere a affecter les relations entre ces deux societes sur ce marche . les requerantes font valoir uniquement qu’ une telle cooperation existe sur certains marches geographiques limites, et les parties intervenantes affirment que cette cooperation porte uniquement sur des accords d’ exploitation de certaines marques commerciales appartenant a l’ autre partie, ce qui constituerait pour le secteur considere un procede tout a fait normal et, d’ ailleurs, egalement utilise par les requerantes . dans ces circonstances, on ne saurait conclure non plus que les accords litigieux font partie d’ une politique de cooperation globale entre deux entreprises multinationales sur le marche mondial des cigarettes .

53 le fait que les accords litigieux contiennent des dispositions concernant la vente eventuelle des actions de rothmans international par l’ une ou l’ autre partie et que ces dispositions prevoient une possibilite qui, dans un contexte inchange, pourrait etre contraire a l’ article 85, n’ est pas en soi suffisant pour etablir que les accords ont pour objet de restreindre la concurrence . il est vrai que les accords de 1984 remplacent des accords qui visaient un partage de controle sur rothmans holdings qui, a son tour, exercait un controle reel sur la politique commerciale de rothmans international et que ce remplacement n’ a entraine aucune diminution du prix paye par philip morris, mais il convient de rappeler que philip morris a retenu d’ autres avantages, notamment celui de pouvoir empecher la prise de controle de rothmans international par une autre entreprise concurrente et qu’ elle a obtenu une augmentation considerable de sa part des benefices de rothmans international . bien que l’ historique des accords litigieux demontre que philip morris a envisage une transaction allant plus loin qu’ un investissement passif, les clauses de ces accords qui visent une situation purement hypothetique ne permettent pas d’ etablir que la prise de participation minoritaire constitue la premiere phase d’ un plan destine a prendre le controle de rothmans international .

54 il convient toutefois d’ examiner si ces clauses produisent des effets anticoncurrentiels actuels et si la commission a egalement tenu suffisamment compte de leurs effets potentiels .

55 la commission ne considere pas que lesdites clauses ont une influence actuelle sur le comportement concurrentiel des parties . dans la perspective d’ une cession de sa part du capital de rothmans international, rembrandt aurait tout interet a augmenter la valeur de son investissement a travers une concurrence effective de la part de cette entreprise . philip morris, de son cote, aurait interet a limiter le prix eventuel des actions de rothmans international appartenant a rembrandt et n’ aurait, des lors, aucune raison de limiter ses propres efforts pour obtenir des parts de marche supplementaires . de plus, la possibilite pour le personnel de rothmans international d’ etre engage ulterieurement par philip morris devrait plutot l’ inciter a demontrer sa competence professionnelle . la commission n’ estime pas non plus que la possibilite pour philip morris d’ opposer des difficultes a la vente eventuelle, par rembrandt, de ses actions dans rothmans international puisse constituer une menace susceptible d’ influencer la gestion commerciale normale de rembrandt et de rothmans international .

56 les elements du dossier ne permettent pas a la cour d’ ecarter cette appreciation de la commission . il convient d’ ajouter que les obstacles opposes a l’ achat d’ une part de rothmans international par une troisieme entreprise, qui decoulent des dispositions en cause, ne sauraient etre consideres comme une restriction actuelle de la concurrence sur le marche des cigarettes contraire a l’ article 85 . d’ une part, ainsi que les parties intervenantes l’ ont soutenu, des dispositions de ce type peuvent etre justifiees par l’ interet legitime des parties contractantes a sauvegarder leur investissement important . d’ autre part, dans les circonstances de l’ espece, le fait que philip morris, sans avoir elle-meme obtenu le controle de rothmans international, a acquis le pouvoir d’ empecher que ce controle passe a une tierce entreprise concurrente ne peut pas, en soi, constituer une restriction de la concurrence .

57 en ce qui concerne les effets potentiels des clauses en question, il convient de reconnaitre que la commission a pris des mesures destinees a eviter que de tels effets se produisent de maniere contraire a l’ article 85 du traite . ainsi, philip morris s’ est engagee a informer la commission de tout amendement, modification ou ajout aux accords et a notifier a la commission, dans les quarante-huit heures, toute augmentation de son portefeuille de parts de rothmans international et toute eventualite dans laquelle philip morris obtiendrait 25 % ou plus de la totalite des droits de vote dans rothmans international . en outre, philip morris s’ est engagee a mettre en vigueur, a la demande de la commission suite a une telle notification, un accord de separation des interets respectifs de philip morris et de rothmans international sur le marche communautaire du tabac, maintenant ainsi le statu quo pendant une periode de trois mois au cours de laquelle la commission pourra examiner la nouvelle situation au regard des articles 85 et 86 du traite .

58 il est vrai, ainsi que les requerantes l’ ont souligne, que ces engagements ne sont pas d’ application si philip morris obtient un controle de fait sur rothmans international sans augmentation de ses droits de vote, notamment en cas de cession des parts de rembrandt a au moins dix acheteurs independants . or, dans un tel cas, qui, parmi les hypotheses de cession, parait le moins probable et qui presuppose que philip morris renonce a se prevaloir des droits que les clauses lui accordent, le pouvoir de controle de philip morris serait en outre extremement fragile en ce que cette societe n’ aurait pas de possibilites d’ empecher une concentration ulterieure de droits de vote aupres d’ une tierce societe . il faut donc admettre que la commission, par les engagements souscrits par philip morris et rembrandt, a renforce ses possibilites generales de surveillance et de controle, de maniere a pouvoir eviter que les clauses des accords relatives a une cession ulterieure des parts dans le capital de rothmans international detenues par les parties contractantes, produisent des effets contraires a l’ article*85 .

59 il resulte donc des considerations qui precedent que l’ examen des griefs que les requerantes dirigent contre l’ appreciation des differentes clauses des accords litigieux n’ a pas demontre que c’ est a tort que la commission a constate qu’ un objet ou un effet anticoncurrentiel n’ a pas ete etabli .

60 toutefois, les requerantes soutiennent egalement que, meme dans l’ hypothese ou les differents elements des accords litigieux, pris isolement, ne seraient pas consideres comme contraires a l’ article 85, paragraphe 1, il est encore necessaire d’ examiner si la combinaison de ces differents elements n’ aboutit pas a produire des effets anticoncurrentiels .

61 a cet egard, il y a lieu de souligner que l’ examen des effets de ces accords doit se fonder effectivement sur une appreciation des accords dans leur ensemble . les requerantes n’ alleguent pas que la commission aurait omis de proceder a une telle appreciation, mais elles contestent la conclusion a laquelle la commission est arrivee sur ce point .

62 s’ agissant la d’ une appreciation economique complexe, il faut rappeler que, dans son arret du 11 juillet 1985 ( remia, 42/84, rec . p.*2566 ), la cour a juge que, si elle exerce de maniere generale un entier controle sur le point de savoir si les conditions d’ application de l’ article 85, paragraphe 1, se trouvent ou non reunies, le controle qu’ elle exerce sur les appreciations economiques complexes faites par la commission se limite necessairement a la verification du respect des regles de procedure et de motivation, ainsi que de l’ exactitude materielle des faits, de l’ absence d’ erreur manifeste d’ appreciation et de detournement de pouvoir .

63 la cour considere que le dossier n’ a fait apparaitre aucune erreur manifeste relative aux elements d’ appreciation existant au moment de l’ adoption des decisions attaquees . quant a l’ appreciation des effets potentiels des accords litigieux, il convient de souligner, d’ une part, que la commission a fait part de son intention de surveiller etroitement le developpement de la concurrence entre les parties concernees et, d’ autre part, que les requerantes peuvent demander, a tout moment, un nouvel examen des accords lorsqu’ elles sont en mesure d’ apporter des elements nouveaux .

64 il s’ ensuit que l’ argument tire d’ une appreciation incorrecte de l’ ensemble des accords litigieux ne saurait etre accueilli . par consequent, le moyen relatif a l’ application de l’ article 85 doit etre rejete .

Sur l’ application de l’ article 86

65 en ce qui concerne l’ article 86 du traite, il n’ est plus necessaire, apres les constatations faites ci-dessus, d’ examiner dans quelle mesure rothmans international occupe une position dominante dans une partie substantielle du marche communautaire . il ne saurait, en effet, etre question d’ un abus d’ une telle position que si la participation en question se traduit en un controle effectif de l’ autre entreprise ou, a tout le moins, en une influence sur la politique commerciale de celle-ci . il decoule de l’ examen relatif a l’ article 85 qu’ un tel effet des accords de 1984 n’ est pas etabli . il convient donc de rejeter egalement le moyen fonde sur l’ article*86 .

C – sur la motivation des decisions litigieuses

66 les requerantes font valoir que les decisions litigieuses sont invalides parce que la commission n’ a pas precise par quelles voies elle est parvenue a sa conclusion . les decisions iraient considerablement plus loin que des decisions precedentes de la commission et definiraient de nouveaux principes, de sorte qu’ il incombait a la commission de developper son raisonnement de maniere exhaustive .

67 les requerantes ajoutent qu’ il incombait d’ autant plus a la commission de motiver ses decisions de maniere exhaustive pour les elements des accords de 1984, qui sont repris des accords de 1981, qu’ elle modifiait, dans les decisions attaquees, sa position anterieure relative aux accords de 1981 telle que celle-ci est exposee dans la communication des griefs .

68 les requerantes soutiennent enfin que les decisions, tout en ajoutant des arguments nouveaux par rapport aux lettres visees a l’ article 6 du reglement n**99/63, n’ ont pas repondu a certaines des observations presentees par les requerantes en reponse a ces lettres .

69 selon la jurisprudence constante de la cour, la portee de l’ obligation de motiver, consacree par l’ article 190 du traite, depend de la nature de l’ acte en cause et du contexte dans lequel il a ete adopte .

70 lorsqu’ il s’ agit du rejet d’ une demande en vertu de l’ article 3 du reglement n**17, il suffit que la commission expose les motifs pour lesquels elle n’ a pas estime possible d’ etablir l’ existence d’ une infraction aux regles de concurrence . en particulier, la commission n’ est pas tenue d’ expliquer d’ eventuelles differences par rapport a sa communication des griefs, qui constitue un document preparatoire dont les appreciations sont de caractere purement provisoire et destinees a circonscrire l’ objet de la procedure administrative vis-a-vis des entreprises faisant l’ objet de cette procedure .

71 il est vrai que, dans son arret du 26 novembre 1975 ( papiers peints, 73/74, rec . p.*1491 ), la cour a precise que, si, dans le cadre d’ une pratique decisionnelle, une decision va sensiblement plus loin que les decisions precedentes, il incombe a la commission de developper son raisonnement d’ une maniere explicite . or, les decisions litigieuses concernent des accords d’ un type non traite dans la pratique administrative anterieure de la commission, et elles ne definissent pas de nouveaux principes par rapport a cette pratique, mais se bornent essentiellement a un examen des aspects particuliers des accords en cause .

72 en ce qui concerne le grief dirige contre l’ omission de repondre aux arguments des requerantes, il convient de rappeler que la cour, dans son arret du 17 janvier 1984 ( vbvb et vbbb/commission, affaires jointes 43 et 63/82, rec . p.*19 ), a souligne que si, en vertu de l’ article 190 du traite, la commission est tenue de mentionner les elements de fait dont depend la justification de la decision et les considerations juridiques qui l’ ont amenee a prendre celle-ci, cette disposition n’ exige pas que la commission discute tous les points de fait et de droit qui auraient ete traites au cours de la procedure administrative .

73 il suffirait donc, en l’ espece, que la commission indique les elements de fait et les considerations juridiques sur la base desquels elle a constate l’ impossibilite de demontrer que les accords de 1984 constituent une violation des regles de concurrence . vues sous cet angle, les decisions litigieuses ne peuvent pas etre considerees comme etant insuffisamment motivees .

74 il convient donc de rejeter ce dernier moyen et, partant, les recours dans leur ensemble .

Décisions sur les dépenses


Sur les depens

75 aux termes de l’ article 69, paragraphe 2, du reglement de procedure, toute partie qui succombe est condamnee aux depens . les requerantes ayant succombe en leurs moyens, il y a lieu de les condamner solidairement aux depens, y compris ceux des parties intervenantes .

Dispositif


Par ces motifs,

La cour ( sixieme chambre )

Declare et arrete :

1 ) les recours sont rejetes .

2 ) les requerantes sont condamnees solidairement aux depens, y compris ceux des parties intervenantes .

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CJCE, n° C-142/84, Arrêt de la Cour, British-American Tobacco Company Ltd et R. J. Reynolds Industries Inc. contre Commission des Communautés européennes, 17 novembre 1987