CJCE, n° C-70/88, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, 30 novembre 1989

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 30 nov. 1989, Parlement / Conseil, C-70/88
Numéro(s) : C-70/88
Conclusions de l'avocat général Van Gerven présentées le 30 novembre 1989. # Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes. # Qualité du Parlement européen pour agir en annulation. # Affaire C-70/88.
Date de dépôt : 4 mars 1988
Solution : Recours en annulation : arrêt interlocutoire
Identifiant CELEX : 61988CC0070
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1989:604
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61988C0070

Conclusions de l’avocat général Van Gerven présentées le 30 novembre 1989. – Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes. – Qualité du Parlement européen pour agir en annulation. – Affaire C-70/88.


Recueil de jurisprudence 1990 page I-02041
édition spéciale suédoise page 00425
édition spéciale finnoise page 00443


Conclusions de l’avocat général


++++

Monsieur le Président,

Messieurs les Juges,

1 . La présente affaire soulève à nouveau la question de savoir si le Parlement peut introduire un recours en annulation devant la Cour sur la base de l’ article 173 du traité CEE et/ou de l’ article 146 du traité Euratom dont le texte est identique ( 1 ).

Pour plus de détails sur l’ objet précis du présent recours, sur les circonstances dans lesquelles il a été formé et sur le déroulement de la procédure – après l’ arrêt Comitologie que vous avez rendu récemment ( 2 ) – et pour un aperçu général des arguments des parties, nous renvoyons au rapport d’ audience . Eu égard à la décision prise par la Cour d’ examiner préalablement la question de recevabilité indépendamment du fond de l’ affaire, il va de soi que nos conclusions porteront, elles aussi, uniquement sur cette question .

2 . Dans son arrêt Comitologie, la Cour a déclaré qu’ un recours en annulation introduit par le Parlement contre une décision du Conseil à portée générale était irrecevable . Dans les pages qui vont suivre, nous allons examiner le point de savoir si la solution donnée par cet arrêt peut s’ appliquer purement et simplement à une affaire telle que celle de l’ espèce . Dans l’ affaire qui nous occupe, le Parlement attaque un règlement du Conseil ( 3 ) au motif que le règlement a été adopté sans que soit engagée la procédure de coopération et que par conséquent une des prérogatives du Parlement aurait été violée . Déjà dans l’ affaire Comitologie, des arguments avaient été avancés à propos de la violation des prérogatives du Parlement ( notamment le droit de contrôle du Parlement sur la Commission ) et la Cour y avait répondu . Dans l’ affaire Comitologie cependant, l’ accent était mis principalement sur la défense en général du droit communautaire par le Parlement et, plus précisément, sur la défense en général de l’ équilibre institutionnel prévu par les traités .

Ce que le Parlement défend aujourd’ hui en tout premier lieu, ce sont ses propres prérogatives . En outre, son propos revêt un caractère particulier dès lors qu’ il est seul à plaider sa cause et ne peut donc compter que sur lui-même pour la défense de ses compétences . Le Parlement soutient, en effet, que le règlement querellé aurait été adopté sur une base juridique incorrecte, à savoir l’ article 31 du traité Euratom au lieu de l’ article 100 A du traité CEE, ce qui a eu pour conséquence que le Parlement n’ a pas pu, comme le prévoit ce dernier article, apporter sa contribution à l’ élaboration du règlement conformément à la procédure de coopération prévue à l’ article 149, paragraphe 2, du traité CEE . La Commission n’ étant pas d’ accord avec le Parlement sur le choix de la base juridique, elle ne saurait raisonnablement se faire le porte-parole du Parlement pour la défense des prérogatives de celui-ci . La situation se présentait différemment dans l’ affaire Comitologie parce qu’ à l’ époque la Commission et le Parlement défendaient un seul et même point de vue face au Conseil .

Eu égard à cette particularité, il appartient à la Cour d’ examiner si sa décision antérieure a valeur de précédent et, au besoin, de nuancer cette valeur de précédent en ce qui concerne le droit d’ initiative dont disposerait le Parlement pour défendre ses propres prérogatives au moyen d’ un recours en annulation devant la Cour ( voir point 7 ci-après ).

Avant d’ entamer notre examen proprement dit, nous attirerons brièvement votre attention sur deux prémisses importantes, à savoir, d’ une part, la manière dont le traité CEE soumet la structure institutionnelle communautaire à un contrôle juridictionnel et, d’ autre part, la place qui est faite au Parlement dans la jurisprudence de la Cour .

La répartition des pouvoirs entre les institutions peut également être sanctionnée par voie juridictionnelle

3 . Il ne fait aucun doute que, dans les articles 169 et suivants du traité CEE ( et dans les articles 136 et suivants du traité Euratom ), les auteurs des traités ont opté pour un système de répartition des compétences entre les institutions énoncées à l’ article 4, paragraphe 1, du traité CEE ( et à l’ article 3, paragraphe 1, du traité Euratom ), dont la sanction n’ est pas purement politique mais qui peut également être soumise à un contrôle juridictionnel . L’ idée de base d’ un tel système est que tant les différentes institutions que les États membres, qui ont chacun leur mission propre au sein de la structure institutionnelle du traité et qui représentent chacun un aspect déterminé de l’ intérêt communautaire, peuvent, si ils ou elles le souhaitent, porter d’ éventuels conflits de compétences devant le juge communautaire . Cela vaut également pour le législateur stricto sensu, à savoir le Conseil, auquel a été confiée expressément, dès le départ, la compétence législative qui, dans un système constitutionnel classique, appartient normalement au parlement .

Cette caractéristique du système permettant d’ assurer par la voie judiciaire le respect de la répartition des compétences concerne, en particulier, le choix de la base juridique des actes posés par une institution . Selon la Cour, ce choix doit se fonder sur des éléments objectifs susceptibles de contrôle juridictionnel ( 4 ). Ce contrôle de la base juridique est crucial pour garantir le respect de la répartition des compétences opérée par les traités entre la Communauté et les États membres et entre les institutions communautaires entre elles . C’ est du choix d’ une base juridique correcte qu’ il s’ agit notamment dans la présente affaire .

Les traités ont donc voulu que les domaines de compétence des différentes institutions et des États membres puissent faire l’ objet d’ un contrôle qui ne soit pas seulement politique mais également juridictionnel, même lorsque le législateur lui-même est concerné . Il s’ agit d’ une option qui s’ écarte du système en vigueur dans de nombreux États membres – principalement ceux qui n’ ont pas de structure fédérale -, mais qui est indéniablement ancrée dans l’ ordre juridique communautaire . Dans l’ arrêt qu’ elle a rendu, le 22 mai 1985, dans une affaire relative à la politique commune des transports, la Cour a, en outre, fait observer que la manière dont est aménagé le règlement politique des conflits ne peut avoir aucune incidence sur la manière de concevoir le règlement judiciaire de ceux-ci ( 5 ).

Il est généralement admis que si, dans cette structure de compétences sujette à un contrôle juridictionnel, le Parlement ne s’ est pas vu reconnaître une place aussi explicite que celle qui a été donnée au Conseil ou à la Commission, cela est dû au fait qu’ au départ le Parlement ne disposait que d’ un pouvoir très restreint . Si le Parlement avait, dès l’ origine, possédé des compétences obligatoires, il aurait, selon toute vraisemblance, été inclus de manière tout aussi explicite dans la structure de contrôle juridictionnel instituée par le traité . Nous n’ en voulons pour indice que le fait que, dans la mesure où le Parlement possédait néanmoins des compétences génératrices d’ effets juridiques pour des tiers ou a obtenu de telles compétences ultérieurement, les conflits de compétences que cela pouvait engendrer étaient soumis au contrôle de la Cour ( 6 ).

Ce n’ est pas parce que nous avons voulu d’ emblée mettre l’ accent sur le contrôle juridictionnel en matière de compétences que nous entendons fonder notre raisonnement sur cette prémisse en tant que telle . Nous voulons seulement souligner que l’ on ne peut certainement pas déduire de la structure institutionnelle mise en place par le traité un argument a priori contre la nécessité d’ un contrôle juridictionnel des compétences d’ une institution lorsque la nécessité d’ un tel contrôle résulte des dispositions du traité sur la base d’ autres considérations .

Le « jus standi » du Parlement dans la jurisprudence de la Cour

4 . Nous voudrions encore, si besoin en est, rappeler un second point liminaire . Dans sa jurisprudence, la Cour a progressivement reconnu au Parlement un droit d’ ester plus large . Les étapes successives en sont à ce point connues que nous pouvons nous contenter de les énumérer ( 7 ): les actes du Parlement peuvent faire l’ objet d’ une question préjudicielle en vue de leur interprétation ou de l’ examen de leur validité; le Parlement dispose d’ un droit général d’ intervention dans les affaires pendantes devant la Cour; il peut introduire un recours en carence sur la base de l’ article 175 du traité CEE; il peut être invité à fournir des explications à la Cour, aussi bien dans le cadre d’ un recours direct qu’ au cours d’ une procédure préjudicielle; les actes du Parlement peuvent faire l’ objet d’ un recours en annulation . C’ est à bon escient que l’ avocat général M . Darmon a fait observer au cours de l’ affaire Comitologie que dans tous ces cas, à l’ exception du dernier, un argument textuel pouvait être invoqué et qu’ en conséquence la Cour pouvait se contenter d’ expliciter le texte en déclarant qu’ il était également applicable au Parlement . Dans l’ arrêt Les Verts ( 8 ), la Cour n’ a cependant pas pu se fonder sur un tel argument textuel en ce qui concerne le recours en annulation contre des actes du Parlement, mais l’ absence de pareil argument ne l’ a toutefois pas gênée dans son interprétation .

A l’ énumération qui précède, on peut encore ajouter le droit de recours ( non restreint ) que possède le Parlement contre les décisions du Tribunal de première instance . En effet, le statut modifié de la Cour dispose qu’ un pourvoi peut être formé contre les décisions finales du Tribunal, notamment par les « institutions de la Communauté », indépendamment du fait de savoir si elles sont intervenues au litige devant le Tribunal ( 9 ). La Cour a toujours refusé d’ interpréter l’ expression « institutions » qui figure dans le traité ou dans son statut d’ une manière qui n’ inclurait pas le Parlement : selon la Cour, une telle interprétation porterait, en effet, atteinte à la situation institutionnelle ( du Parlement ) telle qu’ elle a été voulue par le traité, et plus précisément par l’ article 4, paragraphe 1 ( 10 ).

Il est manifeste que, dans les arrêts précités par lesquels le Parlement s’ est vu reconnaître un jus standi, la Cour a interprété la répartition des compétences entre les institutions opérée par les traités de manière à assurer la plus grande cohérence et la plus grande efficacité possible des procédures et des voies de recours prévues par les traités . La Cour, il est vrai, s’ estime tenue sur ce point par le principe de l’ attribution restrictive de toute compétence juridictionnelle . C’ est en vertu de ce principe qu’ elle considère, comme elle l’ a déclaré dans l’ arrêt qu’ elle a rendu, le 17 février 1977, dans l’ affaire CFDT, qu’ elle ne peut pas modifier de sa propre autorité les termes mêmes de sa compétence en créant une nouvelle voie de droit ( 11 ). Il faut cependant distinguer clairement la présente affaire de l’ affaire CFDT dans laquelle il s’ agissait d’ une association qui, en aucun cas, ne pouvait agir en qualité de requérante sur la base du traité CECA, eu égard à l’ objet matériel restreint de ce traité . Tout autre est la situation dans la présente affaire : comme nous l’ avons vu, le Parlement a déjà obtenu un jus standi devant la Cour dans de nombreuses hypothèses et ce qu’ il demande à présent, c’ est de pouvoir agir lui-même en qualité de requérant afin de défendre les prérogatives qui lui sont conférées par le traité .

L’ arrêt Comitologie

5 . Tout lecteur attentif de la jurisprudence de la Cour depuis l’ entrée en vigueur du traité CEE aura sans doute remarqué combien cette jurisprudence visait et vise encore à garantir, sous de nombreux rapports, un système adéquat et cohérent de protection juridique . A cet égard, l’ arrêt Comitologie est intervenu de manière assez inattendue ( 12 ). Dans cet arrêt, la Cour rejette aussi bien les arguments selon lesquels les procédures seraient liées, et en particulier le recours en carence et le recours en annulation – procédures dont la Cour avait cependant souligné le lien étroit dans un arrêt antérieur ( 13 ) -, que les arguments relatifs au lien entre la légitimation passive et la légitimation active du Parlement . Cela est d’ autant plus surprenant que, pour nier le parallélisme entre le droit d’ agir en carence reconnu au Parlement et le droit d’ agir en annulation qui ne lui est pas reconnu, la Cour a donné, dans cet arrêt, une interprétation extensive de l’ article 175 – à savoir en assimilant ( au dix-septième considérant ) un refus explicite d’ agir à un défaut prolongé d’ agir -, et cela afin de combler ( partiellement ) une lacune dans le système de protection juridique . Cette interprétation allait plus loin que ce que la jurisprudence antérieure de la Cour laissait supposer et s’ écarte également de la réglementation inscrite dans le traité CECA ( auquel, dans le même arrêt, la Cour a cependant emprunté des arguments par analogie en ce qui concerne le lien entre la légitimation active et la légitimation passive ) ( 14 ).

Faut-il en déduire que, dans l’ arrêt Comitologie, la Cour a renoncé à sa constante préoccupation de garantir un système adéquat et cohérent de protection juridique? Certainement pas, ainsi que l’ on aura déjà pu en juger du fait que, comme nous venons de le signaler, la Cour s’ efforce d’ interpréter l’ article 175 d’ une manière exceptionnellement large . De surcroît, lorsqu’ il examine le parallélisme entre la légitimation active et la légitimation passive du Parlement, l’ arrêt se réfère ensuite explicitement à l’ arrêt Les Verts ( dans le vingtième considérant ) et rappelle que l’ interprétation qui y est donnée est fondée sur la nécessité de mettre en place un système complet de protection juridictionnelle des particuliers à l’ égard des actes des institutions communautaires susceptibles d’ avoir des effets juridiques .

Nous croyons, quant à nous, qu’ il faut plutôt voir dans l’ arrêt Comitologie un refus d’ accéder à la demande du Parlement qui souhaitait voir introduire un changement qui modifierait en sa faveur l’ équilibre entre les institutions par le biais d’ une modification du droit d’ agir en annulation devant la Cour ( et, corrélativement, un refus d’ accepter le parallélisme entre la légitimation active et la légitimation passive du Parlement ) ( dix-neuvième considérant ). Aborder cette question aurait, en effet, pu apparaître comme une ingérence de la Cour dans une affaire aussi délicate que l’ équilibre institutionnel entre les institutions communautaires revêtues de compétences ou de prérogatives normatives et, partant, comme une ingérence dans le processus politique de décision, même si la Cour avait affirmé précédemment – déclaration qu’ elle a toutefois implicitement contredite dans l’ arrêt Comitologie – que le règlement judiciaire et le règlement politique des conflits devaient être considérés séparément ( voir point 3 et note 5 ci-dessus ). Ce danger d’ ingérence apparente était d’ autant plus réel que, comme la Cour l’ a fait observer ( au vingt-sixième considérant ), les compétences du Parlement ont été largement élargies à l’ occasion de l’ Acte unique, sans que cet élargissement soit assorti d’ une modification des règles inscrites à l’ article 173 du traité CEE qui régissent le droit de recours . Lors de la révision des traités en effet, le Conseil a explicitement refusé d’ accéder à une proposition de la Commission visant à accorder au Parlement la même possibilité illimitée d’ ester en annulation que celle dont disposent le Conseil et la Commission ( 15 ) ( 16 ).

Il faut souligner immédiatement que ce refus ne peut cependant pas être interprété en ce sens qu’ il ne permettrait en aucun cas à la Cour de reconnaître un jus standi au Parlement au titre de l’ article 173 du traité CEE . En effet, la proposition de la Commission que nous venons d’ évoquer visait à inscrire dans le traité aussi bien la légitimation active que la légitimation passive du Parlement . Le rejet de cette proposition ( l’ Acte unique a été signé en février 1986 ) n’ a cependant pas empêché la Cour de reconnaître la légitimation passive du Parlement – et donc son jus standi comme défendeur – dans l’ arrêt Les Verts qu’ elle a rendu le 23 avril 1986 ( 17 ).

L’ impératif d’ une protection juridique adéquate et cohérente

6 . La différence qui vient d’ être tracée entre l’ interprétation du traité visant à garantir un système adéquat et cohérent de protection juridique et l’ interprétation du même traité dans un sens qui menace de porter atteinte à un équilibre politique délicat entre les institutions est primordiale à nos yeux . Alors que la première relève de la mission inaliénable du juge, la seconde incombe au législateur ( constituant ). Il est, dès lors, compréhensible, a fortiori après le rejet de l’ initiative de la Commission que nous avons évoquée, que, dans l’ arrêt Comitologie, la Cour ne se soit pas rangée à des arguments relatifs à la restructuration de l’ équilibre institutionnel, alors que, dans l’ arrêt Les Verts qu’ elle a rendu le 23 avril 1986, elle avait effectivement fait droit à des arguments relatifs à la garantie d’ une protection juridique assurée – comme elle l’ a souligné – grâce à un système complet de voies de recours et de procédures institué par le traité à l’ usage de tiers qui s’ estiment lésés par un acte obligatoire du Parlement ( 18 ). La Cour a accueilli ce type d’ argument au motif que

« la Communauté économique européenne est une communauté de droit en ce que ni ses États membres ni ses institutions n’ échappent au contrôle de la conformité de leurs actes à la charte constitutionnelle de base qu’ est le traité » ( 19 ).

Dans ce contexte, ainsi que dans les présentes conclusions, nous entendons par protection juridique la possibilité qui appartient à tout titulaire d’ un droit, d’ une compétence ou d’ une prérogative ( 20 ) de s’ adresser au pouvoir judiciaire de sa propre initiative, c’ est-à-dire selon son propre jugement, afin de faire valoir ce droit, cette compétence ou cette prérogative .

La distinction que nous avons faite plus haut entre les deux types d’ interprétation en fonction de leur « objectif » a une conséquence pratique importante . Si une interprétation tendant à ( re)structurer l’ équilibre institutionnel entre le Conseil, la Commission et le Parlement – opération qui, selon nous, ne relève pas du pouvoir judiciaire – devrait entraîner l’ octroi au Parlement d’ un droit de recours aussi complet que celui dont disposent le Conseil et la Commission, tel n’ est pas le cas pour une interprétation tendant à mettre en place une protection juridique efficace au profit du Parlement . Une telle protection ne requiert qu’ un droit de recours restreint, à savoir un droit de recours limité à la mesure nécessaire pour garantir les droits, compétences et prérogatives propres du Parlement, c’ est-à-dire dans la mesure où le Parlement a un intérêt à agir qui lui est propre . Nous tenons à souligner à cet égard – et nous reviendrons sur ce point ultérieurement ( voir points 12 et 14 ci-après ) – que, dans l’ arrêt Comitologie, la Cour reconnaît également la nécessité d’ une protection des prérogatives du Parlement par voie judiciaire, mais que c’ est à la Commission en particulier qu’ elle a confié le soin d’ invoquer une telle protection judiciaire pour ce qui concerne les recours formés sur la base de l’ article 173 du traité CEE ( point 27 de l’ arrêt ).

7 . La présente affaire ayant pour objet le pouvoir du Parlement d’ introduire, lui-même et de sa propre initiative, un recours en annulation afin de garantir sa propre compétence ( de coopération ) ( et dans ce but uniquement ), c’ est dans ces limites que nous examinerons s’ il est souhaitable que la Cour nuance la position qu’ elle a adoptée dans l’ arrêt Comitologie . Notre examen portera donc sur les considérants 25 à 27 inclus de l’ arrêt et, ensuite, sur les considérants 8 à 10 inclus . Nous ne reviendrons pas sur les autres considérants de l’ arrêt qui ont amené la Cour à ne pas reconnaître au Parlement une possibilité illimitée d’ agir en annulation .

La qualité du Parlement pour imposer le respect de ses compétences par voie judiciaire au moyen d’ un recours en annulation

8 . Lorsque nous parlons de la qualité ( du Parlement ) pour ester en justice, nous distinguons cette qualité de la capacité ( du Parlement ) d’ ester en justice . La capacité d’ ester en justice concerne l’ aptitude à être titulaire de droits, ce qui s’ accompagne généralement, dans le chef du plaideur, de la possession ( d’ une forme plus ou moins prononcée ) de personnalité juridique ( voir, à ce sujet, le point 17 ci-après ). En revanche, la qualité pour agir a trait à la question de savoir si une règle de droit déterminée, en l’ occurrence le traité, confère explicitement ou implicitement à un justiciable la qualité pour ester en justice soit en tant que requérant, soit en tant que défendeur ( 21 ).

Dans l’ arrêt Les Verts, la Cour a dit pour droit que l’ article 173, paragraphe 1, du traité conférait au Parlement la qualité pour ester en justice en tant que défendeur – bien que le Parlement ne soit pas expressément nommé dans cet article -, et cela en raison de la nécessité de fournir la protection juridique nécessaire à des tiers particuliers qui s’ estiment lésés par un acte du Parlement produisant des effets juridiques à leur égard . La question qui se pose aujourd’ hui à la Cour est celle de savoir si une telle protection juridique – et, partant, si la qualité du Parlement pour ester en justice en tant que requérant – doit être accordée à une institution qui prétend être lésée dans son domaine de compétence par un acte d’ une autre institution communautaire .

9 . Signalons que, dans la question telle que nous venons de la formuler, l’ accent n’ est pas mis sur le rapport entre la légitimation active et la légitimation passive du Parlement ( c’ est-à-dire entre le Parlement en tant que requérant et le Parlement en tant que défendeur ), problème qui relève du domaine de l’ équilibre institutionnel dont nous ne voulons pas parler ici pour la raison que nous avons indiquée plus haut ( voir points 5 et 6 ci-dessus ) -, mais que l’ accent se situe, au contraire, sur le point de savoir si la nécessité d’ une protection juridique adéquate confère au Parlement la qualité pour ester en annulation des actes d’ autres institutions . En d’ autres termes, dans l’ hypothèse où une telle qualité pour agir serait reconnue au Parlement, ce n’ est pas parce que le Parlement devrait également obtenir une légitimation active dès lors que, dans l’ arrêt Les Verts, il a été jugé investi de légitimation passive ou encore parce qu’ il conviendrait de le placer ainsi sur le même pied que le Conseil et la Commission; mais bien parce qu’ il importe qu’ il obtienne la qualité d’ ester en tant que requérant de manière à pouvoir défendre lui-même ses compétences et prérogatives de manière adéquate en justice à l’ instar d’ autres particuliers ou institutions ( 22 ).

Dans cet ordre d’ idées, la comparaison pertinente, du point de vue du contenu, n’ est pas celle entre la qualité du Parlement pour ester en justice en tant que requérant et sa qualité pour agir en tant que défendeur, mais bien la comparaison entre la qualité du Parlement pour agir en tant que requérant dans un recours en annulation pris contre des actes d’ autres institutions communautaires et la qualité de particuliers ( notamment ) pour agir en justice, en tant que requérants également, contre des actes d’ institutions communautaires, en ce compris les actes du Parlement . En d’ autres termes, la légitimation active du Parlement est comparée ici à la légitimation active de particuliers ( notamment ).

Cela n’ empêche que, du point de vue de l’ interprétation, la question de la qualité du Parlement pour ester en justice en qualité de requérant soulève dans l’ affaire qui nous occupe aujourd’ hui un problème d’ interprétation identique à celui qui s’ est posé dans l’ affaire Les Verts où il s’ agissait de la qualité du Parlement pour ester en justice en tant que défendeur . En effet, en ce qui concerne la qualité de requérant, l’ article 173, paragraphe 1, deuxième phrase, ne comporte aucune référence expresse au Parlement ni même à d’ « autres institutions » ( que le Conseil et la Commission ), pas plus que l’ article 173, paragraphe 1, première phrase, ne contient une telle référence en ce qui concerne la qualité de défendeur .

La question cruciale qui se pose avec acuité dans le présent litige est donc celle-ci : la protection juridique dont le Parlement doit disposer pour défendre ses droits, compétences ou prérogatives devant le juge doit-elle être moindre que celle qui est assurée aux particuliers ( faisant abstraction pour l’ instant de la question, examinée ultérieurement au point 17, de savoir si le demandeur est directement et individuellement concerné )?

La nécessité d’ une interprétation de l’ article 173 du traité CEE qui soit conforme au principe de protection juridique

10 . Permettez-nous de faire observer d’ emblée que nous ne voyons pas pourquoi cette question devrait obtenir une réponse différente selon qu’ il s’ agit des institutions ou des particuliers .

Ce n’ est tout de même pas parce que ces derniers peuvent être des personnes physiques et qu’ à ce titre eux seuls pourraient invoquer l’ article 6, paragraphe 1, et l’ article 13 de la convention européenne des droits de l’ homme qui leur garantissent, dans les affaires civiles ou pénales, le droit d’ être jugés par un juge indépendant ou, en cas de violation de leurs droits ou libertés, d’ obtenir une aide juridique réelle ( 23 )? La jurisprudence de la Cour a d’ ailleurs reconnu que des personnes morales privées peuvent, elles aussi, se prévaloir de droits ou de libertés analogues en fonction de leur situation particulière sur la base de la convention européenne des droits de l’ homme ou, à défaut, sur la base des principes généraux du droit ( 24 ). Il semble être constant que la convention européenne des droits de l’ homme ne s’ applique pas aux personnes morales publiques, mais on ne peut cependant pas déduire a contrario de cette non-applicabilité que lesdites personnes morales publiques ne pourraient pas non plus s’ adresser au juge en invoquant un principe général de droit garantissant l’ accès à la justice ( voir point 12 ci-après ) lorsque, comme c’ est le cas pour la Communauté ( voir point 3 ci-dessus ), la structure institutionnelle de l’ ordre juridique concerné ne s’ oppose pas par principe à ce que ces personnes morales publiques puissent obtenir par voie judiciaire le respect des droits, compétences ou prérogatives que leur confèrent les lois ou les traités .

11 . Depuis l’ arrêt Les Verts, on ne peut pas non plus opposer un argument textuel au Parlement . Comme nous l’ avons déjà signalé précédemment, l’ article 173, paragraphe 1, ne se réfère ni au Parlement ni à une catégorie générique dans laquelle le Parlement pourrait être compris, que ce soit en ce qui concerne la catégorie des institutions soumises au contrôle de la Cour ou en ce qui concerne la catégorie de ceux qui ont un droit de recours . En ce qui concerne les institutions soumises au contrôle de la Cour, celle-ci n’ a vu dans le silence de l’ article 173 aucune raison de ne pas soumettre également les actes du Parlement à un contrôle juridictionnel de manière à satisfaire aux exigences de la protection juridique des tiers lésés ( 25 ). En d’ autres termes, le texte étant muet à cet égard, la Cour l’ a interprété conformément à l’ impératif d’ une protection juridique aussi adéquate que possible . Cette manière d’ interpréter ne doit-elle pas s’ appliquer tout autant pour combler une lacune textuelle analogue lorsqu’ il s’ agit de conférer à des institutions une protection juridique égale à celle dont bénéficient les particuliers dès lors qu’ il s’ agit pour ces institutions de défendre leurs droits, compétences et prérogatives propres? N’ oublions pas, par ailleurs, que l’ association particulière dont il s’ agissait dans l’ arrêt Les Verts était un parti politique, c’ est-à-dire une association dont la vocation relève du droit public, et que les droits qui étaient en cause dans cette affaire n’ étaient pas non plus de simples « droits subjectifs », mais bien des droits à des crédits électoraux .

12 . Bien plus que les considérations qui précèdent, l’ élément qui nous convainc demeure cependant l’ argument selon lequel, dans une communauté de droit, quiconque a la capacité d’ exercer des droits doit aussi pouvoir, lui-même et selon son bon jugement, les faire valoir devant le juge . Cela nous semble un principe général de droit, à savoir la formulation du droit fondamental à protection juridique ( tel que nous l’ avons défini au point 6 ci-dessus ) qui, comme nous l’ avons dit, vaut également pour les organes et institutions de droit public lorsque l’ organisation institutionnelle, à l’ instar de celle de la Communauté européenne, prévoit la possibilité de porter devant le juge les conflits de compétences entre les institutions .

Nous avons conscience qu’ avec cette affirmation nous entrons ( sur un point limité – voir point 14 ci-après – mais capital ) en contradiction avec ce que la Cour a déclaré dans l’ arrêt Comitologie et c’ est pourquoi nous invitons la Cour à revoir sa position sur ce point restreint . En effet, la Cour a fait observer que le Parlement n’ est pas dépourvu de toute protection lorsqu’ il s’ agit de faire respecter ses droits, compétences ou prérogatives . D’ une part, la Commission est tenue, conformément à l’ article 155 du traité CEE, de veiller à ce que les prérogatives du Parlement soient respectées et elle doit, au besoin, introduire elle-même un recours en annulation . D’ autre part, outre les États membres, les particuliers peuvent, eux aussi, introduire un recours devant la Cour ou provoquer une question préjudicielle . Nous n’ entrerons pas ici sur les inconvénients « techniques » qui sont liés à cette façon de voir ( 26 ), mais nous signalerons seulement que la protection juridique ainsi offerte est limitée et incomplète parce qu’ elle laisse aux mains de la Commission, des États membres ou de particuliers l’ initiative de protéger les droits et prérogatives du Parlement, ce qui signifie en d’ autres termes que cette façon de voir place le Parlement « sous tutelle » lorsqu’ il entend obtenir le respect de ses droits par voie juridictionnelle . Vue sous l’ angle d’ une protection juridique adéquate, une telle situation nous semble extrêmement insatisfaisante .

13 . C’ est à bon escient que, à l’ appui de leur thèse selon laquelle le Parlement possède lui-même qualité pour agir en tant que requérant dans un recours en annulation, les représentants du Parlement et de la Commission ont répété avec insistance au cours de la procédure orale que, lorsque la concertation politique n’ a pas permis d’ aboutir à une solution, les conflits juridiques de compétences doivent pouvoir être soumis en dernier ressort à l’ appréciation du juge . Dans une communauté telle que la Communauté européenne, dans laquelle il existe ( encore davantage depuis l’ Acte unique ) un équilibre subtil entre, d’ une part, les compétences des institutions communautaires entre elles et, d’ autre part, les compétences de la Communauté et des États membres, ce qui donne et donnera encore lieu à de délicats conflits de compétences, c’ est au juge qu’ il faut confier le soin de trancher de tels conflits en dernier ressort . A refuser, même partiellement, une telle mission, c’ est à sa vocation de gardienne ultime du droit que la Cour manquerait, car c’ est à elle et non à la Commission que les traités ont confié cette mission ( voir les dispositions combinées de l’ article 164 et de l’ article 155, paragraphe 1, du traité CEE ).

Le représentant de la Commission a fait observer, non moins pertinemment, que toute décision qui ne consacrerait pas le droit du Parlement d’ introduire un recours en annulation pour défendre ses droits, compétences et prérogatives propres porterait nécessairement atteinte à l’ appréciation autonome de la Commission sur l’ opportunité d’ entamer une procédure ou non . La Commission se trouverait, en outre, placée devant un conflit d’ intérêts chaque fois qu’ elle ne serait pas d’ accord avec le Parlement sur la solution à donner à un conflit de compétences, comme c’ est le cas dans l’ affaire qui nous occupe aujourd’ hui : lui faudra-t-il alors, pour défendre les prérogatives du Parlement, introduire contre le Conseil ( voire contre elle-même ) un recours en annulation dirigé contre une solution qu’ elle jugeait elle-même fondée et dont elle avait peut-être pris l’ initiative? Pareil état de choses n’ est pas conforme, selon nous, à une bonne administration de la justice qui doit prévenir les conflits d’ intérêts .

14 . Comme nous l’ avons déjà fait observer ( voir point 6, in fine, ci-dessus ), dans son arrêt Comitologie, la Cour n’ a pas nié que les prérogatives du Parlement doivent pouvoir être garanties par voie juridictionnelle . A cet égard, ce que nous proposons ici n’ est pas incompatible avec l’ arrêt antérieur de la Cour . Pour les raisons énoncées précédemment, réserver à d’ autres, comme cela a été suggéré dans l’ arrêt, l’ initiative de mettre en branle la protection judiciaire par le biais d’ un recours en annulation ( c’ est-à-dire la forme la plus efficace de protection juridique ) ne nous paraît cependant pas être une bonne solution car elle réduirait le Parlement à rechercher des artifices permettant de déférer le conflit au juge par d’ autres voies . Ces artifices rendraient, à leur tour, nécessaire soit une interprétation extensive ( comme c’ est le cas en matière de recours en carence : voir point 5 ci-dessus ), soit un détour de procédure inopportun ( voir note 26 ci-dessus ). Il me semble que, du point de vue d’ une protection juridique adéquate et d’ une bonne administration de la justice, l’ approche directe qui consiste à reconnaître au Parlement un droit de recours limité fondé sur l’ article 173 du traité CEE lui permettant de sauvegarder ses droits, compétences et prérogatives propres, constitue de loin la solution la plus appropriée . C’ est d’ ailleurs la seule solution qui peut entraîner réparation complète en cas de non-respect d’ une forme substantielle .

15 . Toutes les considérations que nous venons d’ exposer nous amènent à la conclusion qu’ il faut reconnaître au Parlement la qualité pour agir en annulation devant la Cour sur la base de l’ article 173 du traité CEE ( ou de l’ article 146 du traité Euratom ) chaque fois qu’ il s’ agit de protéger ses propres droits, compétences ou prérogatives ( expression sur laquelle nous reviendrons au point 19 ci-après ).

Le façonnement juridique de la qualité du Parlement pour agir en tant que requérant

16 . La question à laquelle il faut répondre maintenant est celle de savoir si c’ est le paragraphe 1 de l’ article 173 qui confère au Parlement la qualité pour ester en justice en tant que requérant pour défendre ses droits, compétences ou prérogatives propres, ou bien si cette qualité, dont nous venons d’ accepter le bien-fondé, lui est conférée par le paragraphe 2 de cet article .

Le fait que le paragraphe 1 traite du droit de recours d’ organes de droit public ( les États membres et les institutions de la Communauté ) plaide en faveur de ce paragraphe 1, tandis que le fait que le paragraphe 2 instaure un droit de recours restreint lié à un intérêt propre plaide en faveur de ce paragraphe 2 . Permettez-nous de dire immédiatement que notre préférence va au paragraphe 1 de l’ article 173 . De toute évidence, le Parlement fait partie de la catégorie des organes de droit public qui, même lorsqu’ ils agissent pour défendre un intérêt propre, le font au nom d’ un aspect déterminé de l’ intérêt commun . Nous voudrions cependant faire observer, en premier lieu, qu’ eu égard à l’ évolution de la jurisprudence de la Cour l’ article 173, paragraphe 2, n’ est pas non plus impropre à donner forme au jus standi du Parlement . Cela nous permettra de mieux situer le façonnement de ce jus standi dans le paragraphe 1 de l’ article 173 .

17 . Le fait que l’ article 173, paragraphe 2, limite le droit de recours aux personnes morales ( et physiques ) et que seules celles-ci posséderaient la capacité d’ ester en justice – qu’ il faut distinguer de la qualité pour ester en justice ( voir point 8 ci-dessus ) – ne nous paraît pas constituer un véritable obstacle . Ne faut-il pas constater dans de nombreux systèmes juridiques une tendance générale à concevoir la notion de personne morale d’ une manière fonctionnelle et à confier au juge le soin de déterminer si une organisation ou une institution possède la personnalité juridique ( dans une mesure plus ou moins large ) à l’ intérieur d’ un rapport de droit déterminé, le juge devant fonder son appréciation sur la manière dont le droit positif structure la sphère juridique de cette organisation ou institution .

Cette tendance est manifeste dans la jurisprudence de la Cour également . Dans l’ arrêt Union syndicale qu’ elle a rendu le 8 octobre 1974 ( 27 ), la Cour a déjà dit pour droit que le droit d’ ester en justice ne saurait être refusé à une organisation syndicale de fonctionnaires, dès lors que sa structure interne est de nature à lui assurer l’ autonomie nécessaire pour agir comme une unité responsable dans les rapports juridiques et que les institutions communautaires l’ ont reconnue comme interlocuteur à l’ occasion de négociations sur les problèmes touchant aux intérêts collectifs du personnel . Dans l’ arrêt Groupement des agences de voyages qu’ elle a rendu le 28 octobre 1982 ( 28 ), la Cour s’ est fondée sur des considérants analogues pour reconnaître un droit de recours fondé sur l’ article 173, paragraphe 2, à une association occasionnelle qui, selon son droit national, n’ avait pas de personnalité juridique . Et dans l’ arrêt Fediol I de 1983 ( 29 ), la Cour a reconnu la capacité d’ ester en justice à une association professionnelle sans personnalité juridique au motif qu’ une position juridique bien déterminée lui était aménagée dans le cadre du règlement entrepris ( 30 ).

L’ article 210 du traité CEE qui confère la personnalité juridique à la Communauté ne fait pas obstacle à cette façon de voir : il confère la personnalité juridique à la Communauté à l’ intérieur d’ une catégorie déterminée de rapports de droit, à savoir dans l’ ordre juridique international . Cette disposition ne s’ oppose cependant pas à ce que, au sein de l’ ordre communautaire interne, on reconnaisse la capacité d’ ester en justice à une institution ou à un organe auquel des règles juridiques matérielles, formelles ou institutionnelles confèrent une position juridique déterminée .

18 . La condition inscrite à l’ article 173, paragraphe 2, exigeant que la décision ou l’ acte incriminé concerne le requérant directement et individuellement, constitue un obstacle plus sérieux à l’ utilisation de l’ article 173, paragraphe 2, bien que ce soit précisément sur ce point qu’ un glissement sensible s’ est produit dans la jurisprudence de la Cour . Celle-ci considérait traditionnellement que des tiers ne pouvaient être concernés individuellement par une décision adressée à une autre personne que si cette décision les atteignait en raison de certaines qualités qui leur étaient particulières ou d’ une situation de fait qui les caractérisait par rapport à toute autre personne, et de ce fait, les individualisait d’ une manière analogue à celle du destinataire ( 31 ). La Cour a cependant précisé par la suite, dans des affaires relatives à des subventions et à des pratiques de dumping, à des problèmes de concurrence et à des questions d’ aides des pouvoirs publics, que c’ est la nécessité d’ une protection juridique qui fournit le critère fondamental permettant de déterminer qui a le droit d’ introduire un recours en annulation : il s’ agit, en effet, de personnes qui ont participé à la procédure qui précède l’ approbation de l’ acte querellé . C’ est ainsi que dans l’ arrêt Timex la Cour a considéré que, s’ il est vrai que ces mesures « ont effectivement, par leur nature et leur portée, un caractère normatif » en ce qu’ elles s’ appliquent à la généralité des opérateurs économiques intéressés, il n’ est pas exclu pour autant que « leurs dispositions concernent directement et individuellement » la société qui était partie requérante dans cette affaire, et cela eu égard au rôle que la requérante avait joué dans le cadre de la procédure d’ élaboration du règlement ( 32 ). Dans l’ arrêt Cofaz ( 33 ) qu’ elle a rendu ultérieurement, dans une affaire qui avait trait cette fois à des mesures d’ aides prises par les pouvoirs publics, la Cour a précisé son point de vue de la manière suivante :

« Dans les cas où un règlement accorde aux entreprises plaignantes des garanties procédurales les habilitant à demander à la Commission de constater une infraction aux règles communautaires, ces entreprises doivent disposer d’ une voie de recours destinée à protéger leurs intérêts légitimes » ( point 23 ).

Il nous paraît qu’ eu égard à cette jurisprudence on ne saurait exclure que le droit de recours du Parlement puisse également être fondé sur l’ article 173, paragraphe 2 . En effet, comme nous l’ avons souligné précédemment, ce droit de recours ( restreint ) est basé tout autant sur une nécessité de protection juridique en vue de garantir des droits ou des compétences propres . Or, c’ est bien de cela qu’ il s’ agit dans la présente affaire puisque le Parlement se prévaut du droit de coopération que lui confère l’ article 100 A, paragraphe 1, du traité . Lorsqu’ à cette occasion le Parlement soutient qu’ il n’ a pas été suffisamment associé à l’ élaboration d’ un règlement ( le Parlement revendiquant en l’ occurrence une compétence de coopération au lieu d’ une compétence consultative ), il doit pouvoir disposer d’ une possibilité de recours afin de protéger ses « intérêts légitimes », pour reprendre la formule utilisée dans l’ arrêt Cofaz, tout comme les entreprises en cause dans les affaires que nous venons de citer devaient disposer d’ une telle possibilité pour bénéficier des « garanties procédurales » qui leur étaient accordées . Cela vaut également lorsque l’ acte querellé est un règlement qui, comme le dit l’ arrêt Timex, est en même temps une décision qui concerne la partie requérante directement et individuellement, eu égard au rôle que celle-ci est appelée à jouer dans la procédure d’ élaboration du règlement .

Il est vrai que, dans la jurisprudence que nous venons d’ évoquer, il s’ agissait d’ entreprises qui s’ estimaient lésées dans leurs intérêts matériels par le contenu de la décision ou par le refus de l’ autorité compétente d’ entamer une procédure . Dans le cas d’ une institution de droit public, il nous semble que la violation d’ une forme substantielle la concernant est aussi essentielle ou fondamentale que l’ est pour une entreprise la violation de ses intérêts patrimoniaux .

19 . Nous estimons donc que l’ article 173, paragraphe 2, n’ est pas impropre à inclure le jus standi du Parlement, mais nous avons néanmoins le sentiment que l’ article 173, paragraphe 1, s’ y prête mieux dès lors qu’ il y s’ agit du droit de recours d’ organes de droit public . A supposer que la Cour partage cette préférence, cela implique qu’ il faut inclure dans cette disposition une « catégorie » spéciale d’ institutions communautaires, notamment le Parlement, qui ne peuvent faire usage de leur droit de recours que pour la défense de droits, pouvoirs ou prérogatives propres . Nous ne voyons cependant pas pourquoi une telle interprétation « restrictive » de l’ article 173, paragraphe 1, poserait davantage de problèmes que l’ interprétation « extensive » que la Cour a donnée de l’ article 173, paragraphe 2, dans la jurisprudence que nous avons commentée au point précédent .

Si l’ on adopte cette solution, la définition des cas dans lesquels le Parlement peut être considéré comme agissant en vue de défendre son propre champ de compétence posera sans nul doute des problèmes d’ application, comme c’ est souvent le cas – même s’ il n’ en est pas ainsi dans la présente affaire, nous semble-t-il, parce qu’ il est clair ici que la violation alléguée touche l’ intérêt propre du Parlement . En effet, si la Cour devait faire droit au recours du Parlement quant au fond, le Conseil serait obligé de faire usage de la procédure de concertation avec le Parlement . Or, il n’ y aura pas toujours, et il s’ en faut de beaucoup, un tel intérêt propre à l’ annulation d’ un acte entrepris . On songera, par exemple, à une affaire dans laquelle le Parlement affirmerait qu’ un règlement du Conseil ne trouve aucune base juridique dans le traité ( 34 ). De la même manière, comme nous l’ avons déjà indiqué ( au point 2 ci-dessus ), l’ intérêt propre du Parlement apparaissait moins clairement à l’ avant-plan dans l’ affaire Comitologie .

Conclusion

20 . Sur la base des éléments que nous venons d’ exposer, nous aboutissons à la conclusion que le présent recours du Parlement, introduit sur la base de l’ article 173 du traité CEE et/ou de l’ article 146 du traité Euratom, doit être déclaré recevable en vertu du paragraphe 1 ( à titre subsidiaire : paragraphe 2 ) desdites dispositions . Les dépens doivent être réservés .

(*) Langue originale : le néerlandais .

( 1 ) Pour plus de facilité, nous nous référerons dans les présentes conclusions exclusivement à l’ article 173 du traité CEE .

( 2 ) Arrêt du 27 septembre 1988, Parlement/Conseil ( 302/87, Rec . p . 5615 ).

( 3 ) Règlement ( Euratom ) n° 3954/87 du Conseil, du 22 décembre 1987, fixant les niveaux maximaux admissibles de contamination radioactive pour les denrées alimentaires et les aliments pour bétail après un accident nucléaire ou dans toute autre situation d’ urgence radiologique ( règlement qu’ il est convenu d’ appeler le « règlement Tchernobyl », JO L 371, p . 11 ).

( 4 ) Arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil, point 11 ( 45/86, Rec . p . 1493 ); arrêt du 23 février 1988, Royaume-Uni/Conseil, point 24 ( 68/86, Rec . p . 888 ).

( 5 ) Arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil, point 18 ( 13/83, Rec . p . 1556 ): « La circonstance que le Parlement européen est en même temps l’ institution de la Communauté qui a pour mission d’ exercer un contrôle politique sur les activités de la Commission et, dans une certaine mesure, sur celles du Conseil n’ est pas de nature à affecter l’ interprétation des dispositions du traité relatives aux voies de recours des institutions . »

Voir, également, le point 12 de l’ arrêt Comitologie qui contredit ce point de vue ou, du moins, l’ affaiblit implicitement .

( 6 ) Le considérant suivant extrait de l’ arrêt rendu par la Cour le 10 juillet 1986 dans l’ affaire 149/85, Wybot ( Rec . p . 2403 ) est révélateur – pour le type de conflit dont il s’ agit dans la présente affaire -: « Dans le cadre de l’ équilibre des pouvoirs entre les institutions prévu par les traités, la pratique du Parlement européen ne saurait … enlever aux autres institutions une prérogative qui leur est attribuée par les traités eux-mêmes » ( point 23 ).

( 7 ) Pour les renvois et les commentaires, voir les conclusions présentées le 26 mai 1988 par l’ avocat général M . Darmon dans l’ affaire Comitologie qui n’ ont pas encore publiées au Recueil .

( 8 ) Voir arrêt du 23 avril 1986, Les Verts/Parlement, points 24 et 25 ( 294/83, Rec . p . 1339 ), confirmé par l’ arrêt du 3 juillet 1986, Conseil/Parlement, point 5 ( 34/86, Rec . p . 2155 ).

( 9 ) Voir article 49 du statut de la Cour de justice CEE-Euratom-CECA, tel qu’ il a été modifié pour la dernière fois par la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988 ( JO 1989, C 215, p . 1 ).

( 10 ) Notamment en ce qui concerne le droit du Parlement d’ intervenir dans un litige pendant devant la Cour et d’ introduire un recours en carence . Voir les arrêts rendus par la Cour le 29 octobre 1980 dans les affaires 138/79, Roquette Frères, et 139/79, Maïzena, Rec . p . 3333 et 3393, point 19, et l’ arrêt rendu par la Cour le 22 mai 1985 dans l’ affaire 13/83, déjà citée à la note 5, point 17 .

( 11 ) Arrêt du 17 février 1977, CFDT/Conseil, point 8 ( 66/76, Rec . p . 305 ) ( ayant pour objet le recours en annulation de particuliers contre des décisions du Conseil relevant du traité CECA ). Cet arrêt a été confirmé par l’ arrêt que la Cour a rendu le 11 juillet 1984 dans l’ affaire 222/83, Commune de Differdange/Commission, Rec . p . 2889 ( arrêt dans lequel il a été confirmé que l’ article 33 du traité CEE ne confère aucun droit d’ action aux communes ).

( 12 ) Un seul exemple : dans la deuxième version anglaise ( revue par L . W . Gormley ), qui vient juste d’ être publiée, de l’ ouvrage de référence dû à P . J . G . Kapteyn et P . VerLoren van Themaat, Introduction to the Law of the European Communities, 1989, les auteurs décrivent, aux p . 143 et suivantes, l’ évolution naturelle du jus standi du Parlement devant la Cour et concluent leur exposé ( qui a manifestement été rédigé avant l’ arrêt Comitologie ) par la réflexion suivante : « There is no escaping the fact that bringing cases before the Court is both a manifestation and consequence of active parliamentary participation in the political life of the Community » (« Il est incontestable qu’ agir devant la Cour est à la fois une manifestation et une conséquence d’ une participation parlementaire active à la vie politique de la Communauté ») ( traduction libre ) ( p . 145 ). L’ arrêt Comitologie a obligé les auteurs à compléter cet exposé par une note de dernière minute dont le ton allait, manifestement, en « decrescendo ».

( 13 ) Voir arrêt du 18 novembre 1970, Chevalley, point 6 ( 15/70, Rec . p . 975 ). Il est vrai que c’ est pour expliciter la notion d’ acte pouvant faire l’ objet d’ un recours sur la base des articles 173 et 175 que la Cour avait pris ce considérant .

( 14 ) Pour une analyse approfondie de l’ arrêt Comitologie sur ce point notamment ainsi qu’ une analyse de la jurisprudence antérieure de la Cour, voir M . Thill, « Le défaut de qualité du Parlement européen pour agir en annulation au titre de l’ article 173 du traité CEE : l’ arrêt de la Cour de justice du 27 septembre 1988 et ses implications sur d’ autres aspects du contentieux communautaire », Cah . Dr . eur ., 1989, p . 367, 375-382 .

( 15 ) Voir la déclaration faite par le commissaire Ripa di Meana devant le Parlement le 9 octobre 1986 . La proposition de la Commission a été publiée dans le Bulletin du Parlement, JO 100.805/Add . 2 du 10.10.1985, p . 25 .

( 16 ) Selon une déclaration que le président de la Commission, J . Delors, a faite ultérieurement devant le Parlement, il n’ a pas été possible de réunir l’ unanimité du Conseil sur ce point, mais certaines délégations nationales ont fait observer au cours de la conférence des représentants des gouvernements des États membres, pendant laquelle cette proposition a été discutée, « que les institutions communautaires étaient sous l’ emprise d’ une constitution évolutive et qu’ un jour la jurisprudence donnerait de facto ce droit au Parlement ». Voir le compte rendu de la séance du 26 octobre 1988 ( édition provisoire ), p . 194-197 .

( 17 ) Weiler, J .: « Pride and Prejudice – Parlement/Conseil », Eur . L . Rev ., 1989, p . 334, 345 .

( 18 ) Voir les points 23 et 24 de l’ arrêt Les Verts, déjà cité en note 8, et surtout l’ interprétation qui en est donnée dans l’ arrêt Comitologie, point 20 .

( 19 ) Arrêt Les Verts, déjà cité à la note 8, point 23 .

( 20 ) Nous utilisons cette formulation large ici et dans les pages qui suivent pour indiquer qu’ il est indifférent de savoir de quelle sorte de « droits » au sens le plus large du mot il s’ agit .

( 21 ) Sur la différence entre capacité et qualité pour ester en justice conformément au traité CEE ( ainsi que sur la notion d’ intérêt qui, en l’ occurrence, consiste dans la défense de ses propres droits : voir point 6 ci-dessus ), voyez l’ article, déjà ancien mais toujours intéressant, de C . Cambier, « Le droit de procédure : principe et élément régulateur de l’ autorité des juges dans les Communautés européennes », paru dans : De individuele rechtsbescherming in de Europese Gemeenschappen, 1967, p . 117, à comparer avec J . Boulouis, « La qualité du Parlement européen pour agir en annulation », Rev . M . Comm . 1989, p . 119 .

( 22 ) Voir, également, en ce sens les conclusions ( points 32 et 33 ) que l’ avocat général M . Darmon a présentées en vue de l’ arrêt Comitologie .

( 23 ) Voir, par exemple, l’ arrêt rendu par la Cour le 15 octobre 1987, Heylens, point 14 ( 222/86, Rec . p . 4097 ).

( 24 ) Voir, par exemple, les arrêts récents rendus par la Cour le 21 septembre 1989, dans les affaires jointes 46/87 et 227/88, Hoechst, dix-septième considérant et suivants, Rec . p . 0000, le 17 octobre 1989 dans l’ affaire 85/87, Dow Benelux, vingt-huitième considérant et suivants, Rec . p . 0000, et le 18 octobre 1989 dans l’ affaire 374/87, Orkem, Rec . p . 0000, trentième considérant et suivants .

( 25 ) Voir note 18 ci-dessus .

( 26 ) On lira à ce sujet le commentaire ( p . 387 ) de M . Thill que nous avons déjà cité à la note 14 . A défaut d’ une meilleure solution, il évoque la possibilité pour le Parlement d’ obliger la Commission, par le biais d’ un recours en carence introduit contre elle, à introduire un recours en annulation ( dans l’ hypothèse où elle ne l’ aurait pas fait de sa propre initiative ), en vue de garantir les droits et prérogatives du Parlement . Que l’ on doive recourir à une construction aussi tortueuse et condamnable en termes d’ économie de procédure démontre déjà à suffisance la nécessité d’ autoriser le Parlement à introduire lui-même un recours en annulation .

( 27 ) Arrêt du 8 octobre 1974, Union syndicale/Conseil ( 175/73, Rec . p . 917 ).

( 28 ) Arrêt du 28 octobre 1982 ( 135/81, Rec . p . 3799 ).

( 29 ) Arrêt du 4 octobre 1983, ( 191/82, Rec . p . 2913 ).

( 30 ) Pour de plus amples références de jurisprudence, voir l’ article déjà cité de M . Thill, note 14 ci-dessus, p . 371-372 .

( 31 ) Voir, par exemple, l’ arrêt du 15 juillet 1963, Plaumann ( 25/62, Rec . p . 205, ss ., 232 ), ainsi que l’ arrêt du 14 juillet 1983, Spijker, point 8 ( 231/82, Rec . p . 2559 ).

( 32 ) Arrêt du 20 mars 1985, points 12 et 16 ( 264/82, Rec . 1985, p . 849 ). On trouvera un commentaire bref mais précis de cette jurisprudence dans : R . Lauwaars et C . Timmermans, Europees Gemeenschapsrecht in kort bestek, 1989, p . 115-118 .

( 33 ) Arrêt du 28 janvier 1986, Cofaz/Commission ( 169/84, Rec . p . 391 ).

( 34 ) Un autre exemple d’ une affaire dans laquelle les compétences propres du Parlement n’ étaient pas en cause est l’ affaire de la politique commune des transports ( déjà citée en note 5 ) dans laquelle le Parlement a demandé à la Cour ( sur la base de l’ article 175 du traité CEE, il est vrai ) de déclarer que le défaut, pour le Conseil, de mettre en place une politique commune des transports était incompatible avec le traité .

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CJCE, n° C-70/88, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Parlement européen contre Conseil des Communautés européennes, 30 novembre 1989