CJCE, n° T-353/94, Ordonnance du Tribunal, Postbank NV contre Commission des Communautés européennes, 1er décembre 1994

  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Procédures et recours accessoires·
  • Recevabilité du recours principal·
  • Préjudice grave et irréparable·
  • Conditions de recevabilité·
  • Recevabilité 2. référé·
  • Communauté européenne·
  • Conditions d' octroi·
  • Mesures provisoires·
  • "fumus boni juris"

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Tribunal de première instance, 1er déc. 1994, Postbank / Commission, T-353/94
Numéro(s) : T-353/94
Ordonnance du Président du Tribunal du 1er décembre 1994. # Postbank NV contre Commission des Communautés européennes. # Concurrence - Règlement nº 17 - Procédure de référé - Sursis à exécution - Mesures provisoires. # Affaire T-353/94 R.
Date de dépôt : 22 octobre 1994
Précédents jurisprudentiels : 16 juillet 1992, Asociación Española de Banca Privada e.a. ( C-67/91, Rec. p. I-4785
Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission ( 53/85
Tribunal du 26 octobre 1994, Transacciones Maritimas e.a./Commission, T-231/94 R, T-232/94 R et T-234/94
Tribunal du 30 novembre 1993, D./Commission, T-549/93
Solution : Demande de sursis à l'exécution ou demande de mesures provisoires : obtention, Recours en annulation
Identifiant CELEX : 61994TO0353
Identifiant européen : ECLI:EU:T:1994:288
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Texte intégral

Avis juridique important

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61994B0353

Ordonnance du Président du Tribunal du 1er décembre 1994. – Postbank NV contre Commission des Communautés européennes. – Concurrence – Règlement nº 17 – Procédure de référé – Sursis à exécution – Mesures provisoires. – Affaire T-353/94 R.


Recueil de jurisprudence 1994 page II-01141


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Dispositif

Mots clés


++++

1. Référé ° Conditions de recevabilité ° Recevabilité du recours principal ° Recours au principal n’ apparaissant pas prima facie irrecevable ° Recevabilité

(Traité CEE, art. 185 et 186)

2. Référé ° Sursis à exécution ° Mesures provisoires ° Conditions d’ octroi ° « Fumus boni juris » ° Droits d’ une entreprise destinataire, dans le cadre de l’ application des règles de concurrence, d’ une communication des griefs en cas de transmission de cette dernière à des tiers par la Commission

(Traité CEE, art. 185 et 186; règlement du Conseil n 17, art. 20)

3. Référé ° Sursis à exécution ° Mesures provisoires ° Conditions d’ octroi ° Préjudice grave et irréparable ° Préjudice susceptible de résulter, pour une entreprise destinataire, dans le cadre de l’ application des règles de concurrence, d’ une communication des griefs, de l’ autorisation accordée par la Commission à des tiers de faire usage de ce document dans une procédure devant une juridiction nationale

(Traité CEE, art. 185 et 186)

Sommaire


1. Le juge des référés peut, au stade de la procédure où il intervient, écarter toute constatation d’ une irrecevabilité manifeste du recours au principal, qui entraînerait celle de l’ action en référé, dès lors que l’ acte contre lequel est dirigé le recours lui apparaît, sur la base d’ une série d’ éléments concordants et contrairement à ce que soutient la partie défenderesse, comme présentant les caractéristiques d’ une décision produisant des effets juridiques.

2. Afin d’ établir l’ existence d’ un « fumus boni juris », il y a lieu pour le juge des référés de vérifier si, au vu des circonstances de fait et de droit de l’ espèce, les moyens et arguments que le requérant invoque à l’ appui de son recours au fond présentent un caractère sérieux.

A cet égard, il y a lieu de constater que la question de savoir si et dans quelle mesure les dispositions de l’ article 20 du règlement n 17, concernant le secret professionnel, et les principes régissant la protection des secrets d’ affaires s’ appliquent dans une situation où la Commission transmet à des tiers une communication des griefs adressée à certaines entreprises en application des règles de concurrence et si, dans le cas d’ une telle transmission, la Commission est ou non tenue de s’ assurer qu’ un tel document ne soit utilisé que dans le cadre de la procédure administrative pendante devant elle est une question délicate, qui doit faire l’ objet d’ un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale, de telle sorte que le « fumus boni juris » ne saurait être dénié à l’ argumentation d’ une entreprise prétendant que ses droits en la matière ont été violés par la Commission.

3. Le caractère urgent d’ une demande en référé ainsi que l’ existence d’ un risque de préjudice grave et irréparable doivent s’ apprécier par rapport à la nécessité qu’ il y a de statuer provisoirement afin d’ éviter qu’ un dommage grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’ est à celle-ci qu’ il appartient d’ apporter la preuve qu’ elle ne saurait attendre l’ issue de la procédure au principal sans avoir à subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables.

Le risque d’ un tel préjudice doit être considéré comme établi dans l’ hypothèse où la Commission a autorisé des tiers à produire et à utiliser devant les juridictions nationales, dans le cadre d’ une action qu’ ils ont engagée contre la requérante, une communication des griefs et un procès-verbal d’ audition, documents afférents à des procédures d’ application du droit de la concurrence concernant la requérante et pendantes devant la Commission.

En effet, en premier lieu, la communication des griefs est un document préparatoire énonçant, avant tout débat contradictoire, des allégations d’ infraction aux règles de concurrence; en second lieu, cette communication peut contenir des renseignements, communiqués par l’ entreprise elle-même à la Commission, qui peuvent constituer des secrets d’ affaires ou revêtir un caractère confidentiel; en troisième lieu, les conditions de déroulement de la procédure devant les juridictions nationales peuvent être telles que d’ autres tiers pourraient avoir accès auxdits renseignements; et, en dernier lieu, il existe un risque que l’ utilisation de la communication des griefs porte atteinte au principe d’ égalité des parties devant le juge national.

Pour parer à ce risque et compte tenu de ce que le juge des référés ne peut adresser des injonctions à des particuliers qui ne sont pas parties au litige et encore moins à des juridictions nationales, il y a lieu d’ ordonner, d’ une part, la suspension de l’ autorisation contestée et, d’ autre part, la transmission sans délai par la Commission d’ une copie de l’ ordonnance de référé aux tiers auxquels elle avait accordé son autorisation.

Parties


Dans l’ affaire T-353/94 R,

Postbank NV, société de droit néerlandais, établie à Amsterdam, représenté par Mes O. W. Brouwer et F. P. Louis, avocats au barreau de Bruxelles, ayant élu domicile à Luxembourg en l’ étude de Me M. Loesch, 11, rue Goethe,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par MM. B. J. Drijber et W. Wils, membres du service juridique, en qualité d’ agents, ayant élu domicile à Luxembourg auprès de M. G. Kremlis, membre du service juridique, Centre Wagner, Kirchberg,

partie défenderesse,

ayant pour objet, en premier lieu, une demande de sursis à l’ exécution de la décision de la Commission qui serait contenue dans sa lettre du 23 septembre 1994, autorisant les sociétés NUON Veluwse Nutsbedrijven et Maatschappij voor Elektriciteit en Gas Limburg à produire et à utiliser, dans des procédures judiciaires nationales, la communication des griefs et le procès-verbal d’ audition afférents à des procédures d’ application du droit de la concurrence pendantes devant la Commission, et, en second lieu, une demande d’ injonction à l’ adresse de la Commission, tendant à ce qu’ elle, d’ une part, maintienne l’ interdiction qu’ elle a imposée, par lettre du 4 octobre 1993, aux sociétés susvisées de ne pas utiliser, dans des procédures judiciaires nationales, la communication des griefs qu’ elle leur a transmise et, d’ autre part, leur ordonne de récupérer, auprès des instances judiciaires nationales ou des tiers qui auraient reçu un exemplaire de ces documents, ladite communication ainsi que le procès-verbal de l’ audition qui s’ est déroulée devant elle,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE

DES COMMUNAUTÉS EUROPÉENNES

rend la présente

Ordonnance

Motifs de l’arrêt


Faits et procédure

1 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 22 octobre 1994, la requérante a introduit, en vertu de l’ article 173 du traité CE, un recours visant à l’ annulation de la décision qui serait contenue dans la lettre de la Commission du 23 septembre 1994, par laquelle NV NUON Veluwse Nutsbedrijven (ci-après « NUON ») et NV Maatschappij voor Elektriciteit en Gas Limburg (ci-après « Mega Limburg ») ont été autorisées à produire et à utiliser dans des procédures judiciaires nationales la communication des griefs et le procès-verbal d’ audition afférents à des procédures d’ application de l’ article 85 du traité CE (IV/34.010/33.793/34.243) pendantes devant la Commission.

2 Par acte séparé, déposé au greffe le même jour, la requérante a également introduit, en vertu des articles 185 et 186 du traité CE, une demande de sursis à l’ exécution de l’ acte attaqué, ainsi qu’ une demande d’ injonction à l’ adresse de la Commission, tendant à ce que celle-ci maintienne l’ interdiction dont elle avait assorti la transmission de la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg quant à l’ utilisation de cette pièce dans le cadre de procédures judiciaires nationales et, par conséquent, qu’ elle ordonne à celles-ci de récupérer les documents en cause auprès des instances judiciaires nationales ou des tiers qui en auraient reçu copie.

3 La Commission a présenté ses observations écrites sur la présente demande en référé le 8 novembre 1994. Les parties ont été entendues en leurs explications orales le 22 novembre 1994.

4 Avant d’ examiner le bien-fondé de la présente demande en référé, il convient de rappeler brièvement les antécédents du litige, tels qu’ ils ressortent des mémoires et des documents déposés par les parties, ainsi que des explications orales données au cours de l’ audition du 22 novembre.

5 La requérante est partie à la convention sur la procédure commune de traitement des formules de versement/virement (ci-après « convention GSA »). Cette convention a été notifiée à la Commission par la Nederlandse Vereniging van Banken (association néerlandaise des banques, ci-après « NVB »), le 10 juillet 1991, afin d’ obtenir une attestation négative ou, à titre subsidiaire, une décision d’ application de l’ article 85, paragraphe 3, du traité.

6 La Commission a reçu entre-temps des plaintes de la part de plusieurs utilisateurs du modèle de virement en question, dirigées contre certaines banques néerlandaises, dont la requérante. NUON a, en outre, engagé devant une juridiction néerlandaise une procédure contre la requérante. Mega Limburg, de son côté, a engagé une procédure judiciaire contre ABN-AMRO, également partie à la convention GSA.

7 Le 14 juin 1993, la Commission a adressé à NVB une communication des griefs, relative à un aspect particulier de la convention GSA. La Commission avait auparavant, dans le cadre de l’ instruction préparatoire, demandé à la requérante et obtenu de celle-ci un certain nombre de renseignements au titre de l’ article 11 du règlement n 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’ application des articles 85 et 86 du traité (JO 1962, 13, p. 204, ci-après « règlement n 17 »). Par la suite, NVB a présenté à la Commission ses observations sur la communication des griefs et a demandé à être entendue afin de pouvoir préciser son point de vue. L’ audition a eu lieu le 28 octobre 1993.

8 NUON et Mega Limburg, bien qu’ elles ne soient pas formellement plaignantes, ont été admises à assister à cette audition. Afin de leur permettre de s’ y préparer, la Commission leur a transmis, par lettre du 4 octobre 1993, une version de la communication des griefs adressée à NVB, expurgée des annexes. Dans sa lettre, la Commission précisait que ces informations ne pouvaient être utilisées que dans le cadre de la préparation de l’ audition et non « à aucune autre fin, notamment au cours de procédures judiciaires. Il est de surcroît interdit de permettre à des tiers d’ avoir, directement ou indirectement, accès à ces informations ».

9 La requérante a protesté, lors de l’ audition, contre le fait que la Commission avait porté la communication des griefs à la connaissance de tiers, sans avoir donné préalablement aux banques concernées la possibilité de s’ exprimer sur une telle initiative. La requérante n’ a cependant pas formé de recours devant le Tribunal contre la décision de la Commission du 4 octobre 1993.

10 Le Arrondissementsrechtbank te Amsterdam ayant rejeté les recours dont il avait été saisi par NUON et Mega Limburg, celles-ci se sont pourvues en appel devant le Gerechtshof te Amsterdam. C’ est dans le cadre de ces procédures que NUON et Mega Limburg ont fait savoir à la Commission, par lettre du 30 août 1994, qu’ elles souhaiteraient produire devant le Gerechtshof te Amsterdam la version qu’ elles avaient reçue de la communication des griefs ainsi que le procès-verbal de l’ audition du 28 octobre 1993. Elles faisaient valoir que la Commission n’ avait pas compétence pour s’ y opposer et que, en tout état de cause, tous les intéressés disposaient déjà de ces documents.

11 Par lettre du 23 septembre 1994 adressée à NUON et Mega Limburg, un directeur à la direction générale de la concurrence de la Commission (DG IV) a estimé que « la restriction antérieure que mon prédécesseur vous a signifiée par sa lettre du 4 octobre 1993 relative à l’ utilisation, dans le cadre de procédures judiciaires nationales, de la version de la communication des griefs qui vous a été transmise est apparue non fondée et, dès lors, caduque ».

12 Le jour même, NUON et Mega Limburg ont envoyé au Gerechtshof te Amsterdam copie de la communication des griefs, tout en précisant que ce document serait formellement cité lors de l’ audience de plaidoirie fixée au 6 décembre 1994.

13 Par lettre du 30 septembre 1994, la requérante a demandé à la Commission de revenir sur sa décision contenue dans la lettre du 23 septembre 1994.

14 Par lettre du 3/4 octobre 1994, le même directeur à la DG IV a répondu qu’ il ne voyait aucune raison de revenir sur la position adoptée dans la lettre du 23 septembre 1994, par laquelle il avait, d’ ailleurs « uniquement voulu indiquer que des parties qui sont déjà en possession de certains documents, en l’ occurrence la communication des griefs (à l’ exclusion des annexes) et le procès-verbal de l’ audition, ne peuvent être empêchées de produire ces documents devant le juge national. Elles n’ ont pas à demander d’ autorisation à cet effet. »

15 Par lettre du 18 novembre 1994, la requérante a demandé au Tribunal à être autorisée à verser au dossier de la procédure en référé une lettre de la banque ABN AMRO, dans laquelle celle-ci expose les raisons pour lesquelles elle n’ a pas jugé nécessaire de former, à l’ instar de la requérante, un recours en annulation et de demander des mesures provisoires.

En droit

16 En vertu des dispositions combinées des articles 185 et 186 du traité et de l’ article 4 de la décision 88/591/CECA, CEE, Euratom du Conseil, du 24 octobre 1988, instituant un Tribunal de première instance des Communautés européennes (JO L 319, p. 1), telle que modifiée par la décision 93/350/Euratom, CECA, CEE du Conseil, du 8 juin 1993 (JO L 144, p. 21), le Tribunal peut, s’ il estime que les circonstances l’ exigent, ordonner le sursis à l’ exécution de l’ acte attaqué ou prescrire les mesures provisoires nécessaires.

17 L’ article 104, paragraphe 2, du règlement de procédure prévoit que les demandes relatives à des mesures provisoires visées aux articles 185 et 186 du traité doivent spécifier les circonstances établissant l’ urgence, ainsi que les moyens de fait et de droit justifiant à première vue l’ octroi de la mesure à laquelle elles concluent. Les mesures demandées doivent présenter un caractère provisoire, en ce sens qu’ elles ne doivent pas préjuger la décision sur le fond (voir, en dernier lieu, l’ ordonnance du président du Tribunal du 26 octobre 1994, Transacciones Maritimas e.a./Commission, T-231/94 R, T-232/94 R et T-234/94 R, Rec. p. II-0000, point 20).

Arguments des parties

18 Afin de démontrer le bien-fondé prima facie de ses prétentions, la requérante invoque cinq moyens. En premier lieu, l’ autorisation accordée par la Commission dans sa lettre du 23 septembre 1994 constituerait une violation de l’ article 214 du traité CE et de l’ article 20, paragraphes 1 et 2, du règlement n 17, en ce qu’ elle permettrait à NUON et à Mega Limburg d’ utiliser les informations contenues dans la communication des griefs et le procès-verbal d’ audition à des fins autres que celles pour lesquelles elles ont été demandées et fournies. En deuxième lieu, une telle autorisation constituerait un détournement du pouvoir qu’ a la Commission d’ adresser une communication des griefs et d’ entendre les parties, en ce qu’ elle permettrait l’ utilisation de ces documents en dehors des procédures d’ application du droit de la concurrence pendantes devant la Commission. En troisième lieu, la Commission aurait violé le principe de protection de la confiance légitime en revenant sur l’ interdiction formelle dont elle avait assorti la transmission de la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg, condition qui aurait amené la requérante à ne pas contester cette transmission devant le Tribunal. En quatrième lieu, la Commission aurait violé l’ article 190 du traité CE, en ce qu’ elle n’ aurait pas exposé les motifs fondant l’ autorisation accordée dans sa lettre du 23 septembre 1993. En cinquième lieu, cette lettre violerait les dispositions combinées des article 185 du traité et 20, paragraphe 2, du règlement n 17, en ce que la Commission, contrairement à ce que lui imposerait l’ arrêt de la Cour du 24 juin 1986, Akzo Chemie/Commission (53/85, Rec. p. 1985, point 29), n’ a pas donné préalablement à la requérante l’ occasion de faire connaître son point de vue à l’ égard de la transmission de la communication des griefs à NUON et à Mega Limburg et, le cas échéant, de saisir le Tribunal.

19 S’ agissant du préjudice grave et irréparable qui résulterait pour elle du non-octroi des mesures provisoires sollicitées, la requérante souligne à titre liminaire que, pour autant que les documents en question n’ ont pas été formellement versés au dossier dans les affaires pendantes devant la juridiction nationale ° ce qui ne devrait avoir lieu que lors de l’ audience de plaidoirie fixée au 6 décembre 1994 °, les mesures demandées peuvent encore être adoptées efficacement. La requérante fait valoir, ensuite, que la Commission a transmis à NUON et à Mega Limburg une version de la communication des griefs contenant non seulement des informations reproduites en dehors de leur contexte et souvent assorties de suppositions et d’ arguments inexacts et trompeurs, mais aussi « des secrets d’ entreprise absolus » et des informations confidentielles. Cette version ne saurait donc être produite ni utilisée dans des procédures judiciaires nationales sans que la requérante ait à subir un dommage irréparable. La requérante fait, enfin, observer que ce dommage ne saurait être évité même si le Gerechtshof te Amsterdam décidait de surseoir à statuer en attendant que le Tribunal rende une décision au fond, puisque la juridiction nationale ne manquerait alors, pour ce faire, de prendre connaissance de la communication des griefs en question. A cet égard, la requérante a encore ajouté, lors de l’ audition, que la procédure devant le juge national étant publique, une large divulgation risque de s’ ensuivre et d’ entraîner, par ailleurs, des demandes identiques, de la part d’ autres intéressés potentiels, souhaitant disposer de ces documents.

20 S’ agissant, enfin, de la mise en balance des intérêts des parties concernées, la requérante estime que s’ il est fait droit à sa demande de mesures provisoires, il n’ en résultera aucun problème, de quelque nature que ce soit, pour la Commission. En ce qui concerne les intérêts de NUON et Mega Limburg, la requérante estime que la lettre que la Commission leur a adressée le 23 septembre 1994 viole le droit communautaire de façon si flagrante que les intérêts éventuels de celles-ci ne sauraient faire obstacle à l’ octroi des mesures provisoires demandées. En revanche, l’ intérêt de la requérante à obtenir, grâce à ces mesures, le rétablissement du status quo ante serait manifeste puisqu’ il s’ agirait de protéger ses secrets d’ affaires.

21 La Commission, pour sa part, estime que le recours au principal est irrecevable, « faute de décision susceptible de recours, ainsi que pour avoir été formé tardivement ». A cet égard, elle fait valoir, en premier lieu, que la lettre du 23 septembre 1994 ne contient qu’ une interprétation de sa décision du 4 octobre 1993. De l’ avis de la Commission, le directeur à la DG IV a essentiellement répondu, dans la lettre en cause, qu’ il se ralliait à l’ interprétation, faite par NUON et Mega Limburg, de la situation de fait et de droit née de la transmission des pièces en question et, en particulier, à leur opinion selon laquelle la Commission ne saurait empêcher des parties qui disposent déjà de certaines pièces de produire celles-ci devant une juridiction nationale. Dans ces conditions, la lettre du 23 septembre 1994 n’ aurait produit aucun effet obligatoire ni modifié la situation juridique de la requérante par rapport au cadre qu’ avait défini la lettre du 4 octobre 1993, laquelle n’ a pas été attaquée dans le délai imparti.

22 S’ agissant du fumus boni juris, la Commission est d’ avis que les moyens invoqués par la requérante sont dénués de tout fondement. En ce qui concerne, en premier lieu, la violation de l’ article 214 du traité et de l’ article 20, paragraphes 1 et 2, du règlement n 17, la Commission estime, en substance, que la production d’ une communication des griefs et d’ un procès-verbal d’ audition devant une juridiction nationale, dans le cadre d’ un litige entre les parties qui en disposent déjà, n’ entre pas dans le champ d’ application des interdictions édictées par ces dispositions. En particulier, selon la Commission, l’ interdiction d’ utiliser certaines informations prévue à l’ article 20, paragraphe 1, s’ applique à la Commission et aux administrations des États membres, mais pas aux juridictions nationales. Par ailleurs, toutes les informations contenues dans la version expurgée des annexes de la communication des griefs seraient déjà connues, non seulement des banques néerlandaises, mais aussi de NUON et Mega Limburg, en leur qualité d’ utilisateurs des formules de virement en question. Dans ces conditions, la Commission estime qu’ elle pouvait procéder à l’ envoi de cette communication à NUON et à Mega Limburg sans suivre la procédure prévue par l’ arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, laquelle aurait pour seul but d’ éviter que des secrets d’ affaires soient divulgués à des tiers. En tout état de cause, si le document en question contenait effectivement des secrets d’ affaires, seule la possibilité pour NUON et Mega Limburg d’ en prendre connaissance aurait été problématique et non pas l’ éventuelle production ultérieure de ce document devant un juge national.

23 S’ agissant de l’ urgence dans l’ adoption des mesures provisoires demandées, la Commission fait valoir en substance que, puisque NUON et Mega Limburg, mais aussi les conseillers du Gerechtshof te Amsterdam, disposent déjà d’ une version de la communication des griefs, ces mesures ne sauraient plus éviter le préjudice allégué par la requérante. Par ailleurs, selon la Commission, même si la juridiction nationale devait prendre en considération le contenu de la communication des griefs, la requérante aurait la possibilité d’ exposer à cette juridiction les raison pour lesquelles elle estime que cette communication contient des éléments inexacts ou trompeurs. Par conséquent, aucun préjudice irréparable ne saurait, de ce fait, se produire dans le chef de la requérante. En tout état de cause, l’ adoption des mesures demandées constituerait un dépassement de la compétence du Tribunal, puisque l’ acte attaqué serait non pas un acte faisant grief, mais un acte interprétatif à l’ égard duquel aucun sursis à exécution ne saurait être ordonné. Au demeurant, à supposer que la lettre du 23 septembre 1994 contienne une autorisation, aucun sursis à son exécution ne saurait, pour cette raison même, être ordonné puisqu’ une autorisation « est un acte qui n’ implique pas d’ exécution ».

24 S’ agissant enfin de la mise en balance des intérêts des parties, la Commission est d’ avis qu’ il est superflu d’ examiner cette question, puisqu’ il n’ est nullement satisfait aux conditions essentielles justifiant l’ octroi des mesures demandées. Soulignant l’ intérêt qui s’ attache au respect des procédures judiciaires nationales, la Commission considère que, si la requérante s’ oppose à ce que la communication des griefs soit formellement versée au dossier dans l’ affaire pendante devant le Gerechtshof te Amsterdam, elle doit présenter ses objections avant tout devant cette juridiction. Selon la Commission, c’ est à cette dernière qu’ il appartient de décider si le document peut être versé aux débats et de se prononcer sur l’ usage qui peut en être fait et sur la force probante qui s’ attache éventuellement à son contenu.

Appréciation du juge des référés

Sur la recevabilité

25 Il convient, tout d’ abord, pour le juge des référés, de prendre position sur la recevabilité de la présente demande de mesures provisoires au regard des arguments avancés par la Commission, tendant à établir l’ irrecevabilité du recours principal. A cet égard, il suffit de constater que la lettre du 23 septembre 1994 s’ apparente suffisamment à une décision productrice d’ effets juridiques pour permettre au juge des référés d’ écarter toute constatation, à ce stade, d’ une irrecevabilité manifeste du recours principal. Il convient de relever, d’ ailleurs, que la Commission se limite à invoquer une simple irrecevabilité du recours, sans pour autant la qualifier de manifeste.

26 Cette constatation prima facie s’ appuie sur les éléments suivants. En premier lieu, il convient de relever que la lettre précédente du 4 octobre 1993, envoyée par les services de la Commission au conseil de NUON et de Mega Limburg, avait quant à elle, à première vue, un contenu décisionnel. D’ une part, la Commission a admis, lors de l’ audition du 22 novembre 1994, que la lettre en question contient, au moins implicitement, une double décision, à savoir la transmission de la communication des griefs aux destinataires de la lettre et la constatation que ladite communication ne contenait pas de secrets d’ affaires. D’ autre part, afin de former sa conviction prima facie sur ce point, le juge des référés ne saurait ignorer le libellé très précis de cette lettre, dans laquelle on peut lire: « Je fais explicitement remarquer que ces informations sont mises à votre disposition à la condition qu’ elles soient exclusivement utilisées par vous-même dans le cadre de la préparation de l’ audition pour les besoins de vos clients… Toute autre utilisation de ces informations, par exemple dans le cadre de procédures judiciaires n’ est pas autorisée. » En second lieu, le juge des référés se doit de tenir compte de ce que la lettre du 23 septembre 1994 a été envoyée en réponse à la demande présentée à la Commission, par lettre du 30 août 1994, par le conseil de NUON et de Mega Limburg, tendant à obtenir l’ autorisation de transmettre la communication des griefs et le procès-verbal de l’ audition aux conseillers du Gerechtshof te Amsterdam. Il convient de rappeler, en troisième lieu, que c’ est précisément à la suite de l’ envoi, par la Commission, de la lettre du 23 septembre 1994 que, le même jour, NUON et Mega Limburg ont transmis à la juridiction nationale copie de la communication des griefs adressée à NVB.

Sur l’ existence d’ un fumus boni juris

27 Il est de jurisprudence constante que, afin d’ établir l’ existence d’ un fumus boni juris, il y a lieu pour le juge des référés de vérifier si, au vu des circonstances de fait et de droit de l’ espèce, les moyens et arguments que le requérant invoque à l’ appui de son recours en annulation devant le Tribunal présentent un caractère sérieux (voir l’ ordonnance du président du Tribunal du 30 novembre 1993, D./Commission, T-549/93 R, Rec. p. II-1347, point 34).

28 A cet égard, le juge des référés constate que la question de savoir si et dans quelle mesure les dispositions de l’ article 20 du règlement n 17 s’ appliquent dans une situation comme celle de l’ espèce et, en particulier, si la Commission, en transmettant à des tiers une communication des griefs adressée à certaines entreprises, est ou non tenue de s’ assurer qu’ un tel document ne soit utilisé que dans le cadre de la procédure administrative pendante devant elle, est une question extrêmement délicate, qui doit faire l’ objet d’ un examen approfondi dans le cadre de la procédure principale. Dans ce contexte, on ne saurait, à première vue, nier l’ importance et la portée que la Cour, dans son arrêt du 16 juillet 1992, Asociación Española de Banca Privada e.a. (C-67/91, Rec. p. I-4785), a reconnu aux différentes obligations destinées à assurer la protection des droits des entreprises en ce qui concerne l’ utilisation des informations qu’ elles ont communiquées à la Commission, au regard notamment des exigences tenant au respect des droits de la défense et du secret professionnel (voir, en particulier, points 47 à 55). On ne saurait non plus refuser toute signification au fait que la lettre du 23 septembre 1994 était destinée à faire droit à une demande présentée par des particuliers, aux fins d’ utiliser certains documents dans le cadre d’ un litige mettant en cause des intérêts essentiellement privés, et pas à une demande d’ information ou de coopération formulée par une juridiction d’ un État membre.

29 Par ailleurs, le débat sur l’ éventuelle violation, par la Commission, lors de l’ envoi de la lettre du 23 septembre 1994, des obligations qui peuvent découler pour elle de l’ arrêt Akzo Chemie/Commission, précité (voir, en particulier, points 28, 29 et 30) doit également faire l’ objet d’ un examen approfondi, qui ne pourra avoir lieu que dans le cadre de la procédure principale. Le juge des référés ne saurait, pour sa part, considérer les arguments invoqués à cet égard par la requérante comme manifestement dépourvus de tout fondement à première vue. Dans ce contexte, il convient de rappeler, en particulier, le principe énoncé par la Cour, au point 28 de l’ arrêt Akzo Chemie/Commission, précité, selon lequel les dispositions du règlement n 17, qui imposent à la Commission l’ obligation de tenir compte de l’ intérêt légitime des entreprises à ce que leurs secrets d’ affaires ne soient pas divulgués, « doivent être considérées comme l’ expression d’ un principe général qui s’ applique pendant le déroulement de la procédure administrative ».

Sur le risque de préjudice grave et irréparable

30 Pour ce qui est de l’ urgence dans l’ adoption des mesures provisoires et de l’ existence d’ un risque de préjudice grave et irréparable en leur absence, il ressort d’ une jurisprudence constante que ceux-ci doivent s’ apprécier par rapport à la nécessité qu’ il y a de statuer provisoirement, afin d’ éviter qu’ un préjudice grave et irréparable ne soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure provisoire. C’ est à la partie requérante qu’ il appartient d’ apporter la preuve qu’ elle ne saurait attendre l’ issue de la procédure principale sans avoir à subir un préjudice qui entraînerait des conséquences graves et irréparables (voir l’ ordonnance Transacciones Maritimas e.a./Commission, précitée, point 41).

31 A cet égard, les éléments d’ appréciation suivants sont à prendre en considération. En premier lieu, il convient de tenir compte de la nature même d’ une communication des griefs, qui est un document préparatoire dans le cadre d’ une procédure en constatation d’ infraction, dans lequel certaines allégations de comportement illégal sont faites à l’ encontre d’ entreprises déterminées, sans qu’ une procédure contradictoire ait encore eu lieu. En deuxième lieu, il convient de constater que, au cours de l’ audition devant le juge des référés, la requérante a avancé des considérations de nature à créer au moins une apparence suffisante de ce que la communication des griefs en question contient des références à des données et à des documents qu’ elle a transmis à la Commission, dont la nature de secrets d’ affaires ou d’ éléments confidentiels ne saurait être exclue à ce stade. En troisième lieu, il est constant que le document transmis par la Commission est destiné à être utilisé dans le cadre d’ une procédure judiciaire nationale, dont les conditions de déroulement échappent au juge des référés. Celui-ci ne saurait donc exclure que, ainsi que le prétend la requérante, d’ autres tiers puissent avoir accès aux informations qu’ il contient. Enfin, on ne saurait écarter d’ emblée les risques, évoqués par la requérante, que peut susciter l’ utilisation d’ un document tel que celui en cause quant au respect dû au principe d’ égalité des parties devant le juge national.

32 Dans ces conditions, le juge des référés estime que la partie requérante a rapporté une preuve suffisante de l’ existence d’ un risque de préjudice grave et irréparable au cas où il déciderait de ne pas octroyer les mesures provisoires demandées. L’ urgence de ces mesures est attestée par le fait que le document litigieux sera formellement inclus dans la procédure se déroulant devant le Gerechtshof te Amsterdam lors de l’ audience de plaidoirie qui doit avoir lieu le 6 décembre 1994.

33 Au vu de ce qui précède, il convient de prendre des mesures visant à éviter qu’ une situation irréversible de nature à entraîner un risque sérieux de préjudice grave et irréparable se crée dans le chef de la requérante. Dans le cas d’ espèce, eu égard au fait que le juge des référés ne peut adresser des injonctions à des particuliers qui ne sont pas parties au litige et encore moins à des juridictions nationales, il y a lieu, conformément aux mesures sollicitées par la requérante lors de l’ audition du 22 novembre 1994, d’ ordonner, d’ une part, la suspension de la décision contenue, à première vue, dans la lettre attaquée du 23 septembre 1994 et, d’ autre part, la transmission sans délai par la Commission d’ une copie de la présente ordonnance aux destinataires de cette lettre, à savoir NUON et Mega Limburg.

34 De telles mesures ne semblent pas constituer une entrave grave ou disproportionnée à l’ exercice des droits de NUON et de Mega Limburg. En effet, il n’ a pas été démontré devant le juge des référés que ces dernières soient empêchées d’ utiliser, le cas échéant, après la fin de la procédure principale et en cas d’ arrêt rejetant le recours de Postbank NV, comme éléments de preuve les informations figurant dans les documents qui leur ont été transmis. A cet égard, il n’ est pas sans intérêt de noter que les parties se sont accordées devant le juge des référés sur l’ existence, dans le chef du juge national, d’ une compétence lui permettant d’ ordonner, le cas échéant, la suspension de la procédure pendante devant lui, dans l’ attente de l’ arrêt du Tribunal.

Dispositif


Par ces motifs,

LE PRÉSIDENT DU TRIBUNAL

ordonne:

1) Il est sursis à l’ exécution de la décision de la Commission contenue, à première vue, dans sa lettre du 23 septembre 1994, autorisant NV NUON Veluwse Nutsbedrijven et NV Maatschappij voor Elektriciteit en Gas Limburg à produire et à utiliser devant les juridictions nationales la communication des griefs et le procès-verbal d’ audition afférents à des procédures d’ application du droit de la concurrence pendantes devant la Commission.

2) La Commission transmettra sans délai copie de la présente ordonnance aux destinataires de la lettre du 23 septembre 1994, à savoir NV NUON Veluwse Nutsbedrijven et NV Maatschappij voor Elektriciteit en Gas Limburg.

3) Les dépens sont réservés.

Fait à Luxembourg, le 1er décembre 1994.

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CJCE, n° T-353/94, Ordonnance du Tribunal, Postbank NV contre Commission des Communautés européennes, 1er décembre 1994