CJCE, n° C-243/95, Arrêt de la Cour, Kathleen Hill et Ann Stapleton contre The Revenue Commissioners et Department of Finance, 17 juin 1998

  • Inadmissibilité en l'absence de justifications objectives·
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Chronologie de l’affaire

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www.revuegeneraledudroit.eu · 20 mars 2003

Dans l'affaire C-187/00, ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 234 CE, par l'Arbeitsgericht Hamburg (Allemagne) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre Helga Kutz-Bauer et Freie und Hansestadt Hamburg, une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation des articles 2, paragraphe 1, et 5, paragraphe 1, de la directive 76/207/CEE du Conseil, du 9 février 1976, relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 17 juin 1998, Hill et Stapleton, C-243/95
Numéro(s) : C-243/95
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 juin 1998. # Kathleen Hill et Ann Stapleton contre The Revenue Commissioners et Department of Finance. # Demande de décision préjudicielle: Labour Court, Dublin - Irlande. # Egalité de traitement entre hommes et femmes - Fonctionnaires - Régime du travail partagé - Avancement déterminé sur la base du critère du temps réel de travail - Discrimination indirecte. # Affaire C-243/95.
Date de dépôt : 12 juillet 1995
Précédents jurisprudentiels : 14 février 1995, Schumacker ( C-279/93
arrêts du 30 mars 1993, Thomas e.a., C-328/91
Cour du 7 février 1991, Nimz ( C-184/89, Rec. p. I-297
Roks e.a., C-343/92
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61995CJ0243
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1998:298
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61995J0243

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 17 juin 1998. – Kathleen Hill et Ann Stapleton contre The Revenue Commissioners et Department of Finance. – Demande de décision préjudicielle: Labour Court, Dublin – Irlande. – Egalité de traitement entre hommes et femmes – Fonctionnaires – Régime du travail partagé – Avancement déterminé sur la base du critère du temps réel de travail – Discrimination indirecte. – Affaire C-243/95.


Recueil de jurisprudence 1998 page I-03739


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


Politique sociale – Travailleurs masculins et travailleurs féminins – Égalité de rémunération – Système de travail partagé («job-sharing» scheme) dans la fonction publique – Avancement déterminé sur la base du critère du temps réel de travail – Rétrogradation sur l’échelle des rémunérations des travailleurs à temps partagé intégrant ou réintégrant un régime à temps plein – Effectif des travailleurs à temps partagé composé principalement de femmes – Inadmissibilité en l’absence de justifications objectives

(Traité CE, art. 119; directive du Conseil 75/117)

Sommaire


L’article 119 du traité ainsi que la directive 75/117, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation qui prévoit que, lorsqu’un pourcentage beaucoup plus élevé de travailleurs féminins par rapport à celui de travailleurs masculins exerce son emploi à temps partagé, les travailleurs à temps partagé qui accèdent à un emploi à temps plein se voient attribuer un échelon de l’échelle des rémunérations applicable au personnel travaillant à temps plein inférieur à celui de l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé à temps partagé dont ces travailleurs bénéficiaient auparavant, en raison de l’application par l’employeur du critère du service calculé par référence à la durée du temps de travail effectivement accompli dans un emploi, à moins que cette législation ne soit justifiée par des critères objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Parties


Dans l’affaire C-243/95,

ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l’article 177 du traité CE, par la Labour Court (Irlande) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre

Kathleen Hill,

Ann Stapleton

et

The Revenue Commissioners,

Department of Finance,

une décision à titre préjudiciel sur l’interprétation de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19),

LA COUR

(sixième chambre),

composée de MM. H. Ragnemalm, président de chambre, R. Schintgen, G. F. Mancini, J. L. Murray (rapporteur) et G. Hirsch, juges,

avocat général: M. A. La Pergola,

greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,

considérant les observations écrites présentées:

— pour Mmes Hill et Stapleton, par Mme Mary Redmond, solicitor, assistée de M. James O’Reilly, SC,

— pour The Revenue Commissioners et le Department of Finance, par M. Michael A. Buckley, Chief State Solicitor, assisté de Mmes Mary Finlay, SC, et Finola Flanagan, du bureau de l’Attorney General, en qualité d’agents,

— pour la Commission des Communautés européennes, par Mme Marie Wolfcarius et M. Christopher Docksey, membres du service juridique, en qualité d’agents,

vu le rapport d’audience,

ayant entendu les observations orales de Mmes Hill et Stapleton, représentées par Mme Mary Redmond, assistée de M. James O’Reilly, des Revenue Commissioners et du Department of Finance, représentés par Mme Mary Finlay, du gouvernement du Royaume-Uni, représenté par Mme Lindsey Nicoll, du Treasury Solicitor’s Department, en qualité d’agent, assistée de M. Clive Lewis, barrister, et de la Commission, représentée par Mme Marie Wolfcarius et M. Christopher Docksey, à l’audience du 10 décembre 1996,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 20 février 1997,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par ordonnance du 5 avril 1995, parvenue à la Cour le 12 juillet suivant, la Labour Court a posé, en vertu de l’article 177 du traité CE, trois questions préjudicielles sur l’interprétation de la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins (JO L 45, p. 19, ci-après la «directive»).

2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d’un litige opposant Mmes Hill et Stapleton, qui exerçaient précédemment leur activité dans le cadre de contrats à temps partagé («job-sharing»), aux Revenue Commissioners et au Department of Finance au sujet de la décision de ces derniers de les classer, lors de leur réintégration dans un emploi à temps plein, à un échelon de l’échelle des rémunérations applicable au personnel à temps plein inférieur à celui de l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé à temps partagé dont elles bénéficiaient auparavant.

3 L’article 119 du traité CE énonce le principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins pour un même travail. Le deuxième alinéa de cette disposition précise que, «Par rémunération, il faut entendre, au sens du présent article, le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier».

4 La directive se réfère, en son article 1er, au principe de l’égalité des rémunérations qui «implique, pour un même travail ou pour un travail auquel est attribuée une valeur égale, l’élimination, dans l’ensemble des éléments et conditions de rémunérations, de toute discrimination fondée sur le sexe».

5 Le régime du travail partagé a été introduit en Irlande en 1984 par décision gouvernementale, en vue, principalement, de créer des emplois.

6 Un tel régime, mis en place par la circulaire 3/84, prévoyait un accord en vertu duquel deux fonctionnaires se partageaient de manière égalitaire un emploi à temps plein, afin que les avantages du système bénéficient également à chaque personne concernée et que le coût du poste reste identique pour l’administration. Le personnel, qui était recruté à temps plein, pouvait opter pour ce régime et conservait le droit de réintégrer un emploi à temps plein à l’expiration de la période pour laquelle il avait opté pour le temps partagé, sous réserve des vacances de postes. Le personnel recruté en temps partagé entre 1986 et 1987 avait le droit d’obtenir, dans les deux ans suivant son recrutement, un emploi à temps plein, sous réserve, également, des vacances de postes. Le personnel choisissant le régime du travail partagé devait s’engager par écrit à ne pas exercer d’autre activité professionnelle. Ce régime a été modifié en 1988 et, depuis lors, les personnes recrutées dans le cadre du temps partagé le sont dans celui de contrats temporaires sans avoir droit à un emploi à temps plein.

7 La circulaire 3/84 prévoyait que, «Pour chaque grade pour lequel sont en vigueur des accords de temps partagé, l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé en temps partagé sera une échelle dont chaque échelon représentera 50 % du degré correspondant de l’échelle des rémunérations applicable au personnel à temps plein. Des augmentations d’échelon seront accordées chaque année si les services du fonctionnaire donnent satisfaction».

8 La circulaire 3/84 ne définissait pas les règles de l’avancement progressif en cas de passage du temps partagé au temps plein, mais cela a été précisé par une lettre du Department of Finance adressée le 31 mars 1987 aux divers ministères aux termes de laquelle, «Pour chaque année de service à temps partagé équivalant à six mois de service à temps plein, un fonctionnaire qui a servi deux ans sous le régime du temps partagé doit être reclassé au second échelon de l’échelle correspondant à un emploi à temps plein (représentant une année d’ancienneté à temps plein). Lorsque des fonctionnaires ont accompli plus de deux ans de service à temps partagé, la date de changement d’échelon doit être ajustée au prorata».

9 La circulaire 9/87, qui est la première circulaire globale sur la progression salariale, se substitue à toutes les précédentes circulaires en la matière. Elle dispose, en son article 2, qu'«un incrément est une augmentation de salaire prévue sur une échelle des rémunérations. En règle générale, il est accordé chaque année une augmentation dès lors que les services du fonctionnaire sont satisfaisants».

10 Mmes Hill et Stapleton, recrutées à la suite d’un concours général dans la fonction publique irlandaise avec le grade de «Clerical Assistant», ont été affectées au service des Revenue Commissioners. Mme Hill a été recrutée en juillet 1981 et a débuté son activité, dans le cadre du régime du travail à temps partagé, au mois de mai 1988. Mme Stapleton a été recrutée en avril 1986 dans le cadre de ce même régime. Mmes Hill et Stapleton ont exercé leur emploi à temps partagé pendant deux années. Elles ont accompli exactement la moitié de la durée de service d’un fonctionnaire à temps plein, selon le système de l’alternance hebdomadaire. Pendant toute la période pendant laquelle elles ont été employées dans le cadre du régime du temps partagé, chacune d’elles a progressé chaque année d’un échelon et a été rémunérée au taux de 50 % du traitement d’un «Clerical Assistant» en fonction de l’échelon atteint.

11 Mme Hill a repris un emploi à temps plein en juin 1990. A cette date, elle avait atteint le neuvième échelon de l’échelle en usage pour le temps partagé. A son retour au temps plein, elle a été tout d’abord classée au neuvième échelon de l’échelle correspondante, puis reclassée au huitième échelon au motif que deux années de temps partagé équivalaient à une année de temps plein.

12 Mme Stapleton, quant à elle, a obtenu un poste à temps plein en avril 1988. Elle était alors au troisième échelon de l’échelle en usage pour le temps partagé. Elle a continué à gravir l’échelle en 1989 et 1990, jusqu’aux quatrième et cinquième échelons, mais a été informée, au mois d’avril 1991, qu’une erreur de reclassement avait été commise, en sorte qu’elle n’a pas obtenu le sixième échelon. Il lui a été en effet indiqué que ses deux années de temps partagé devaient compter pour une année d’emploi à temps plein.

13 Mmes Hill et Stapleton ont contesté, sur le fondement de la section 7, paragraphe 1, de l’Anti-Discrimination (Pay) Act 1974 (loi contre la discrimination en matière salariale), la décision de reclassement devant l'«Equality Officer». Ce dernier, se fondant sur l’arrêt de la Cour du 7 février 1991, Nimz (C-184/89, Rec. p. I-297), a recommandé qu’il soit fait droit à leur demande au motif que l’employeur ne pouvait pas appliquer une règle selon laquelle il ne devait être tenu compte, aux fins de la progression de l’ancienneté, que des services rémunérés.

14 Les Revenue Commissioners et le Department of Finance ont interjeté appel de cette recommandation devant la Labour Court. Mmes Hill et Stapleton ont demandé en appel la mise en oeuvre de la recommandation.

15 Estimant que l’issue du litige dépendait de l’interprétation du droit communautaire, la Labour Court, exerçant les fonctions qui lui ont été accordées par l’article 8 de l’Anti-Discrimination (Pay) Act de 1974, a posé à la Cour les trois questions préjudicielles suivantes:

«Lorsque beaucoup plus de femmes que d’hommes accomplissent une partie de leur carrière sous le régime du temps partagé

1) Est-on apparemment en présence d’une discrimination indirecte lorsque des travailleurs à temps partagé qui passent à temps plein se voient attribuer un avancement progressif sur l’échelle des rémunérations applicable au personnel travaillant à temps plein par référence à la durée du travail effectif de telle sorte que, tout en se voyant accorder des augmentations strictement proportionnelles à celles accordées au personnel employé à temps plein en permanence, ils se trouvent placés sur l’échelle des rémunérations applicable au temps plein à un échelon inférieur par rapport à des collègues cités en référence, en tous points semblables à eux si ce n’est qu’ils ont été employés en permanence à plein temps?

En d’autres termes, y a-t-il infraction au principe de l’égalité de rémunération, tel que défini à la directive 75/117/CEE, lorsque des salariés qui passent du temps partagé au temps plein voient leur avancement régresser et, partant, leur salaire, en raison de l’application par l’employeur du critère du service calculé par référence à la durée du temps de travail dans un emploi?

2) Le cas échéant, l’employeur doit-il justifier spécialement le recours au critère du service, défini comme la durée de travail effectivement accomplie, dans l’appréciation de l’avancement progressif à accorder?

3) Le cas échéant, une méthode de progression salariale basée sur la durée de travail effectivement accomplie est-elle objectivement justifiée par des critères autres que l’acquisition au cours d’un certain temps d’un niveau particulier de connaissances et d’expérience?»

16 Par ces trois questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande en substance s’il existe une discrimination lorsque des travailleurs qui passent du temps partagé au temps plein voient leur avancement et, partant, leur salaire régresser en raison de l’application par l’employeur du critère du service calculé par référence à la durée du temps de travail dans un emploi. Si une discrimination indirecte résulte de l’application d’un tel critère, la juridiction de renvoi demande si elle peut être justifiée.

17 Il ressort du dossier que le système national en cause au principal défavorise les travailleurs qui passent du temps partagé au temps plein par rapport à ceux qui ont travaillé à temps plein pendant le même nombre d’années dans la mesure où, lors du passage au régime du temps plein, le travailleur à temps partagé est placé, sur l’échelle des rémunérations à temps plein, à un niveau inférieur à celui de l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé à temps partagé dont il bénéficiait auparavant et, partant, à un niveau inférieur à celui d’un travailleur à temps plein occupé au cours de la même période de temps.

18 A titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 119 du traité pose le principe de l’égalité de rémunération entre travailleurs masculins et travailleurs féminins pour le même travail. Ainsi que la Cour l’a déjà jugé dans l’arrêt du 8 avril 1976, Defrenne II (43/75, Rec. p. 455, point 12), ce principe fait partie des fondements de la Communauté.

19 Il convient ensuite de rappeler que la Cour a également jugé dans l’arrêt du 31 mars 1981, Jenkins (96/80, Rec. p. 911), que l’article 1er de la directive, destiné essentiellement à faciliter l’application concrète du principe de l’égalité des rémunérations qui figure à l’article 119 du traité, n’affecte en rien la portée et le contenu de ce principe, tel que défini par cette dernière disposition.

20 Afin de donner une réponse utile à la juridiction de renvoi, il convient au préalable de vérifier si le système de classement des travailleurs qui passent du temps partagé au temps plein relève de l’article 119 du traité et, par conséquent, de la directive.

21 A cet égard, il y a lieu de constater que ledit système détermine l’évolution de la rémunération en tant que telle due à ces travailleurs. Il s’ensuit qu’il relève de la notion de rémunération au sens de l’article 119 du traité.

22 Ainsi que la Cour l’a constaté dans l’arrêt du 14 février 1995, Schumacker (C-279/93, Rec. p. I-225, point 30), une discrimination ne peut consister que dans l’application de règles différentes à des situations comparables ou bien dans l’application de la même règle à des situations différentes.

23 Il y a lieu de relever à cet égard que, ainsi que l’a d’ailleurs constaté la Labour Court, il n’a pas été établi que le traitement défavorable qui a été appliqué à Mmes Hill et Stapleton constitue une discrimination directe fondée sur le sexe. Il convient, dès lors, d’examiner si un tel traitement défavorable peut constituer une discrimination indirecte.

24 Selon une jurisprudence constante, l’article 4, paragraphe 1, de la directive s’oppose à l’application d’une mesure nationale qui, bien que formulée de façon neutre, désavantage en fait un pourcentage beaucoup plus élevé de femmes que d’hommes, à moins que cette mesure ne soit justifiée par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (voir, en ce sens, arrêts du 24 février 1994, Roks e.a., C-343/92, Rec. p. I-571, point 33, et du 14 décembre 1995, Megner et Scheffel, C-444/93, Rec. p. I-4741, point 24).

25 Il ressort du dossier au principal que 99,2 % des «Clerical Assistants» qui exercent leur activité à temps partagé sont des femmes ainsi d’ailleurs que 98 % de l’ensemble des salariés employés dans la fonction publique dans le cadre de contrats à temps partagé. Dans de telles circonstances, une disposition qui, sans justification objective, régit de manière désavantageuse la situation juridique de ceux qui relèvent de la catégorie de travailleurs à temps partagé a des effets discriminatoires fondés sur le sexe.

26 La Labour Court estime que le temps partagé constitue à lui seul une catégorie puisqu’il n’implique pas d’interruption de l’emploi. La spécificité qui différencierait le travail à temps partiel du travail à temps partagé résiderait dans le fait que ce dernier est un partage entre deux employés du travail et des responsabilités liées à ce travail. Il ressort du dossier au principal qu’il peut être exigé du travailleur à temps partagé qu’il se voue à sa tâche à temps plein et coordonne son action avec celle de son partenaire pour le bon fonctionnement du poste partagé.

27 Il convient de rappeler que la Labour Court a constaté que Mmes Hill et Stapleton accomplissaient un travail analogue à celui de leurs collègues qui travaillent à temps plein et qui se trouvent dans une situation comparable à la leur. Ainsi qu’il a été précisé au point 6 du présent arrêt, le personnel choisissant le régime du travail partagé devait s’engager par écrit à ne pas exercer d’autre activité professionnelle. Or, la Labour Court ne doute pas qu’un travailleur à temps partagé puisse acquérir la même expérience qu’un travailleur à temps plein. La seule différence entre un travailleur à temps partagé et son collègue à temps plein est le temps de travail effectivement accompli pendant la période de temps partagé.

28 Il y a lieu également de rappeler que, pendant toute la période passée sous le régime du temps partagé, Mmes Hill et Stapleton ont progressé chaque année d’un échelon et ont été rémunérées au taux de 50 % du traitement d’un «Clerical Assistant» en fonction de l’échelon atteint.

29 Selon les règles applicables au temps partagé, ainsi que selon celles prévues dans le régime applicable aux travailleurs à temps plein, l’avancement sur l’échelle des rémunérations est le résultat d’une appréciation qui concerne tant la qualité que la quantité du travail fourni. Si l’on part d’une même évaluation qualitative des deux catégories de travailleurs en cause, l’employé travaillant à temps partagé, lorsqu’il exerce son emploi sous le régime précité, avance sur l’échelle des rémunérations parallèlement au travailleur à temps plein. A chaque échelon de l’avancement correspond un chiffre équivalant à la moitié de la rémunération prévue pour le travailleur à temps plein. Le salaire horaire pour les deux catégories de travailleurs est, par conséquent, le même à chaque échelon de l’échelle.

30 Dans de telles circonstances, lorsqu’un travailleur passe du régime du temps partagé, dans le cadre duquel il a travaillé pendant 50 % du temps plein, recevant 50 % du salaire se rapportant à cet échelon de l’échelle des rémunérations au régime du temps plein, il devrait voir tant ses heures de travail que le niveau de sa rémunération augmenter de 50 %, tout comme un travailleur qui passe du régime du temps plein au régime du temps partagé les voit réduits de 50 %, à moins qu’un traitement différent ne soit justifié.

31 Cependant, une telle progression ne se réalise pas dans l’affaire au principal. Lors de la conversion au régime du temps plein, la situation du travailleur à temps partagé est réexaminée de manière automatique de façon à ce que l’intéressé soit placé, sur l’échelle des rémunérations à temps plein, à un niveau inférieur par rapport à celui qui était le sien dans l’échelle des rémunérations applicable au temps partagé.

32 La rétrogradation que le travailleur subit en intégrant ou en réintégrant le régime du travail à temps plein a des effets directs sur sa rémunération. Le travailleur perçoit, en effet, un salaire réel inférieur au double de ce qu’il aurait perçu en exerçant son activité à temps partagé. Il subit, par conséquent, une perte en ce qui concerne le montant de son salaire horaire. Par le renvoi au critère des heures effectuées au cours de la période d’emploi exercé à temps partagé, comme le prévoit le régime applicable au principal, il n’est tenu compte ni du fait que le temps partagé, ainsi que cela a été précisé au point 26 du présent arrêt, constitue en lui seul une catégorie en ce qu’il n’implique pas d’interruption de l’emploi ni du fait, précisé au point 27 du présent arrêt, qu’un travailleur à temps partagé peut acquérir la même expérience qu’un travailleur à temps plein. En outre, il est introduit, a posteriori, une disparité dans l’ensemble des rémunérations des salariés qui exercent les mêmes tâches sous l’aspect tant qualitatif que quantitatif des prestations fournies. Cette disparité a pour conséquence que les salariés qui travaillent dans le cadre du régime du temps plein mais qui ont travaillé sous le régime du temps partagé auparavant et ceux qui ont toujours travaillé dans le cadre du régime du temps plein sont traités différemment.

33 Il existe donc une inégalité de rémunérations au sein de la catégorie des travailleurs à temps plein à l’encontre des travailleurs qui ont précédemment exercé leur emploi dans le cadre du régime du temps partagé et qui sont rétrogradés par rapport à la position qu’ils occupaient déjà sur l’échelle des rémunérations.

34 Dans un tel cas, il convient de constater que des dispositions telles que celles en cause au principal aboutissent en fait à une discrimination des travailleurs féminins par rapport aux travailleurs masculins et doivent, en principe, être considérées comme contraires à l’article 119 du traité et, par conséquent, à la directive. Il n’en irait autrement qu’au cas où la différence de traitement entre les deux catégories de travailleurs se justifierait par des facteurs objectifs étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe (voir, en ce sens, arrêts du 13 mai 1986, Bilka, 170/84, Rec. p. 1607, point 29; du 13 juillet 1989, Rinner-Kühn, 171/88, Rec. p. 2743, point 12, et du 6 février 1996, Lewark, C-457/93, Rec. p. I-243, point 31).

35 Il appartient à la juridiction nationale, qui est seule compétente pour apprécier les faits et pour interpréter la législation nationale, de déterminer si et dans quelle mesure une disposition législative qui s’applique indépendamment du sexe du travailleur, mais qui frappe en fait davantage les femmes que les hommes, est justifiée par des raisons objectives et étrangères à toute discrimination fondée sur le sexe (voir arrêts précités Jenkins, point 14; Bilka, point 36, et Rinner-Kühn, point 15).

36 Néanmoins, il y a lieu de rappeler que, même s’il appartient à la juridiction nationale, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, de constater l’existence de tels facteurs objectifs dans le cas concret dont elle est saisie, la Cour, appelée à fournir au juge national des réponses utiles, est compétente pour donner des indications, tirées du dossier de l’affaire au principal ainsi que des observations écrites et orales qui lui ont été soumises, de nature à permettre à la juridiction nationale de statuer (voir arrêts du 30 mars 1993, Thomas e.a., C-328/91, Rec. p. I-1247, point 13, et Lewark, précité, point 32).

37 Selon les Revenue Commissioners et le Department of Finance, une méthode de progression salariale fondée sur la durée de travail effectivement accomplie est objectivement justifiée par des critères répondant aux conditions fixées par la jurisprudence de la Cour.

38 A cet égard, il y a lieu de constater que ni la justification présentée par les Revenue Commissioners et le Department of Finance selon laquelle il existe une pratique courante dans la fonction publique de ne «comptabiliser» que le service effectivement accompli ni celle selon laquelle cette pratique présente un système de récompense qui maintient la motivation, l’engagement et le moral du personnel ne sont pertinentes. La première justification n’est qu’une généralité qui n’a pas été justifiée par des critères objectifs. En ce qui concerne la seconde, le système de récompense des travailleurs qui exercent leur activité dans le cadre du régime du travail à temps plein ne saurait être influencé par le régime du travail à temps partagé.

39 En ce qui concerne la justification selon laquelle, si une exception était faite au profit du travail à temps partagé, cela aboutirait à créer des situations arbitraires ou inéquitables ou équivaudrait à une discrimination inadmissible en faveur des femmes, il convient de rappeler, ainsi qu’il ressort du point 29 du présent arrêt, qu’accorder au travailleur qui intègre un travail à temps plein le même échelon que celui dont il bénéficiait dans le cadre de son contrat à temps partagé ne constitue pas une discrimination en faveur des travailleurs féminins.

40 En ce qui concerne la justification fondée sur des raisons économiques, il convient de rappeler qu’un employeur ne saurait justifier une discrimination qui ressort d’un régime de travail à temps partagé au seul motif que l’élimination d’une telle discrimination entraînerait une augmentation de ses frais.

41 Il y a lieu de rappeler que toutes les parties au principal ainsi que la juridiction de renvoi s’accordent pour affirmer que les femmes constituent la quasi-totalité des travailleurs à temps partagé dans le secteur public irlandais. Il ressort du dossier au principal qu’environ 83 % de ceux qui optaient pour le temps partagé le faisaient afin de concilier travail et charges familiales, ce qui englobe toujours l’éducation des enfants.

42 La politique communautaire dans ce domaine consiste à encourager et si possible à adapter les conditions du travail aux charges de famille. La protection de la femme dans la vie familiale ainsi que dans le déroulement de son activité professionnelle est, tout comme celle de l’homme, un principe qui est largement considéré dans les ordres juridiques des États membres comme étant le corollaire naturel de l’égalité entre hommes et femmes et reconnu par le droit communautaire.

43 Il appartient donc aux Revenue Commissioners et au Department of Finance de démontrer devant la juridiction de renvoi que le recours au critère de service, défini comme la durée de travail effectivement accomplie, dans l’appréciation de l’avancement progressif à accorder aux travailleurs qui passent du régime de travail à temps partagé au régime de travail à temps plein, est justifié par des facteurs objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe. Si cette preuve est rapportée par ces autorités, la seule circonstance que la législation nationale frappe un nombre beaucoup plus élevé de travailleurs féminins que de travailleurs masculins ne saurait être considérée comme une violation de l’article 119 du traité et, par conséquent, de la directive.

44 Il y a donc lieu de répondre que l’article 119 du traité et la directive doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation qui prévoit que, lorsqu’un pourcentage beaucoup plus élevé de travailleurs féminins par rapport à celui de travailleurs masculins exerce son emploi à temps partagé, les travailleurs à temps partagé qui accèdent à un emploi à temps plein se voient attribuer un échelon de l’échelle des rémunérations applicable au personnel travaillant à temps plein inférieur à celui de l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé à temps partagé dont ces travailleurs bénéficiaient auparavant, en raison de l’application par l’employeur du critère du service calculé par référence à la durée du temps de travail effectivement accompli dans un emploi, à moins que cette législation ne soit justifiée par des critères objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

45 Les frais exposés par le gouvernement du Royaume-Uni ainsi que par la Commission, qui ont soumis des observations à la Cour, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement. La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction nationale, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR

(sixième chambre),

statuant sur les questions à elle soumises par la Labour Court, par ordonnance du 5 avril 1995, dit pour droit:

L’article 119 du traité CE ainsi que la directive 75/117/CEE du Conseil, du 10 février 1975, concernant le rapprochement des législations des États membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation qui prévoit que, lorsqu’un pourcentage beaucoup plus élevé de travailleurs féminins par rapport à celui de travailleurs masculins exerce son emploi à temps partagé, les travailleurs à temps partagé qui accèdent à un emploi à temps plein se voient attribuer un échelon de l’échelle des rémunérations applicable au personnel travaillant à temps plein inférieur à celui de l’échelle des rémunérations applicable au personnel employé à temps partagé dont ces travailleurs bénéficiaient auparavant, en raison de l’application par l’employeur du critère du service calculé par référence à la durée du temps de travail effectivement accompli dans un emploi, à moins que cette législation ne soit justifiée par des critères objectifs et étrangers à toute discrimination fondée sur le sexe.

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CJCE, n° C-243/95, Arrêt de la Cour, Kathleen Hill et Ann Stapleton contre The Revenue Commissioners et Department of Finance, 17 juin 1998