CJCE, n° C-51/97, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Réunion européenne SA e.a. contre Spliethoff's Bevrachtingskantoor BV et Capitaine commandant le navire "Alblasgracht V002", 5 février 1998

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 5 févr. 1998, Réunion européenne e.a., C-51/97
Numéro(s) : C-51/97
Conclusions de l'avocat général Cosmas présentées le 5 février 1998. # Réunion européenne SA e.a. contre Spliethoff's Bevrachtingskantoor BV et Capitaine commandant le navire "Alblasgracht V002". # Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation - France. # Convention de Bruxelles - Interprétation des articles 5, points 1 et 3, et 6 - Demande d'indemnisation formée par le destinataire ou l'assureur de la marchandise sur le fondement du connaissement, contre un défendeur n'ayant pas émis le connaissement mais considéré par le demandeur comme le transporteur maritime réel. # Affaire C-51/97.
Date de dépôt : 7 février 1997
Précédents jurisprudentiels : 46 Dans l' affaire Dumez France et Tracoba ( C-220/88
Benincasa ( C-269/95
Cosmas présentées le 5 février 1998. - Réunion européenne SA e.a. contre Spliethoff' s Bevrachtingskantoor BV et Capitaine commandant le navire " Alblasgracht V002
Custom Made Commercial ( C-288/92
Marinari ( C-364/93
Reichert e.a. ( C-261/90, Rec. p. I-2149
Shevill e.a. ( C-68/93
Solution : Renvoi préjudiciel
Identifiant CELEX : 61997CC0051
Identifiant européen : ECLI:EU:C:1998:45
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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61997C0051

Conclusions de l’avocat général Cosmas présentées le 5 février 1998. – Réunion européenne SA e.a. contre Spliethoff’s Bevrachtingskantoor BV et Capitaine commandant le navire « Alblasgracht V002 ». – Demande de décision préjudicielle: Cour de cassation – France. – Convention de Bruxelles – Interprétation des articles 5, points 1 et 3, et 6 – Demande d’indemnisation formée par le destinataire ou l’assureur de la marchandise sur le fondement du connaissement, contre un défendeur n’ayant pas émis le connaissement mais considéré par le demandeur comme le transporteur maritime réel. – Affaire C-51/97.


Recueil de jurisprudence 1998 page I-06511


Conclusions de l’avocat général


I – Observations liminaires

1 Par quatre questions préjudicielles, la Cour de cassation française demande à la Cour l’interprétation de l’article 5, points 1 et 3, et de l’article 6 de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (1), telle qu’elle a été modifiée en dernier lieu par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du royaume d’Espagne et de la République portugaise (2).

II – Les faits

2 Les circonstances de fait de la présente affaire ne ressortent pas avec toute la clarté souhaitable de la décision de renvoi, des observations des parties ou du dossier de la procédure au principal. D’après les éléments du dossier dans son ensemble, la société de droit français Brambi Fruits, ayant son siège à Rungis (ci-après «Brambi»), a acheté, en mai 1988 (3), une grande quantité de poires à la société de droit australien F. W. Year, ayant son siège à Melbourne.

3 C’est sous couvert d’un connaissement au porteur émis le 8 mai 1992, à Sydney, par la société australienne Refrigerated Container Carriers PTY Ltd, ayant son siège à Sydney (ci-après «RCC»), que la marchandise a été embarquée, dans huit conteneurs frigorifiques contenant 5 199 cartons de poires, au port de Melbourne à bord du navire Alblasgracht V002, à destination du port de Rotterdam, qui était désigné comme lieu de déchargement et de livraison. Ce navire serait, paraît-il, géré par la société néerlandaise Spliethoff’s, qui n’est pas mentionnée dans le connaissement et qui a son siège à Amsterdam. Brambi devait simplement recevoir notification du connaissement.

4 De Rotterdam, les conteneurs ont été transportés par route, sous couvert de lettres de voiture internationales, à Rungis en France, où se trouve le siège de Brambi. Les lettres de voiture pour cette partie du transport indiquent avoir été émises par la société Transeco et mentionnent «Conship» comme expéditeur.

5 Lorsque le chargement est arrivé à Rungis, Brambi a constaté la présence d’avaries et a donc formulé des réserves à la livraison. Les avaries résultaient d’une maturation précoce des fruits, due à une rupture de la chaîne du froid (4). Le préjudice a été pris en charge par la société Réunion européenne et par neuf autres sociétés d’assurance, toutes parties demanderesses et requérantes au pourvoi dans la procédure au principal.

6 Après avoir versé l’indemnité due, les assureurs, subrogés dans les droits de Brambi, ont saisi le tribunal de commerce de Créteil, dans le ressort duquel se trouve Rungis. Leur recours était dirigé, d’une part, contre RCC, qui avait émis le connaissement pour la partie maritime du transport, et, d’autre part, a) contre la société Spliethoff’s et b) contre le capitaine commandant le navire Alblasgracht, en leur qualité de transporteurs maritimes réels.

7 Le tribunal a estimé, au vu de la correspondance entre Brambi et RCC, que la livraison des poires était prévue à Rungis et qu’en conséquence il était compétent pour la «transaction» entre ces deux sociétés. A cet effet, conformément à l’article 4, point 1, de la convention sans doute, il a appliqué le droit français et non pas les dispositions de ladite convention, puisque le Commonwealth d’Australie n’est pas partie à cette dernière. De surcroît, estimant qu’elle n’avait pas respecté son «contrat», le tribunal a condamné RCC au paiement d’un dédommagement de 400 000 FF environ aux assureurs, ainsi qu’aux dépens de la procédure (5).

En revanche, il s’est déclaré incompétent en ce qui concerne les deux autres défendeurs, aux motifs qu’aucun élément ne démontrait qu’il y ait eu transport combiné de Melbourne jusqu’à Rungis, que le lieu où les parties défenderesses devaient exécuter leur obligation était Rotterdam et que, en conséquence, en vertu de la convention, les juridictions compétentes étaient celles de Rotterdam, où la marchandise devait être livrée, ou celles d’Amsterdam, lieu du domicile des parties défenderesses.

8 Les assureurs l’ayant saisie d’un contredit, la cour d’appel de Paris a confirmé la décision de première instance en estimant que la responsabilité de la société Spliethoff’s et du capitaine se fondait nécessairement sur un contrat et qu’en conséquence la compétence revenait, en vertu des articles 2 et 5, point 1, de la convention de Bruxelles, aux juridictions néerlandaises précitées.

9 Les assureurs ont saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi en cassation contre cette décision. Ils ont fait valoir que le litige avec les parties défenderesses n’était pas à caractère contractuel, comme l’avait jugé à tort la cour d’appel, mais bien un litige en matière délictuelle, soumis à l’article 5, point 3, de la convention, avec les conséquences qui en découlent en ce qui concerne la compétence. A titre subsidiaire, les assureurs ont fait valoir que, les défendeurs ayant tous trois participé à la même opération de transport maritime, le litige était indivisible. En conséquence, la juridiction d’appel aurait dû se juger compétente pour les deux autres parties défenderesses aussi, puisqu’elle avait retenu sa compétence pour la première partie défenderesse.

10 Estimant que, compte tenu notamment du caractère autonome de la notion de «matière contractuelle», la solution du litige exigeait d’interpréter la convention, la Cour de cassation française a saisi la Cour de justice des quatre questions préjudicielles suivantes.

III – Les questions préjudicielles

La Cour de cassation française demande à la Cour de justice de dire:

«1) si l’action par laquelle le destinataire de marchandises reconnues avariées à l’issue d’un transport maritime puis terrestre, ou son assureur subrogé dans ses droits pour l’avoir indemnisé, réclame réparation de son préjudice, en se fondant sur le connaissement couvrant le transport maritime, non pas à l’encontre de celui qui a émis ce document à son en-tête, mais à l’encontre de la personne que le demandeur tient pour être le transporteur maritime réel, a pour base le contrat de transport et relève, à ce titre ou à un autre, de la matière contractuelle au sens de l’article 5, point 1, de la convention;

2) si, en cas de réponse négative à la question précédente, la matière est délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5, point 3, de la convention ou s’il y a lieu de revenir à la règle de compétence de principe en faveur des juridictions de l’État sur le territoire duquel le défendeur est domicilié, fixée à l’article 2 de la convention;

3) si, dans l’hypothèse où la matière doit être considérée comme délictuelle ou quasi délictuelle, le lieu où le destinataire, après l’exécution du transport maritime puis du transport terrestre final, n’a fait que constater l’existence des avaries aux marchandises qui lui ont été livrées peut, et à quelles conditions, constituer le lieu de survenance du dommage que l’arrêt du 30 novembre 1976, Bier/Mines de potasse d’Alsace (21/76, Rec. p. 1735), a visé comme pouvant être celui `où le fait dommageable s’est produit’ au sens de l’article 5, point 3, de la convention;

4) si un défendeur domicilié sur le territoire d’un État contractant peut être attrait dans un autre État contractant devant la juridiction saisie d’une demande dirigée à l’encontre d’un codéfendeur domicilié en dehors du territoire de tout État contractant, au motif que le litige présenterait un caractère indivisible, et pas seulement connexe.»

IV – Le cadre juridique

11 L’article 2 de la convention dispose:

«Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État…»

12 L’article 3 dispose:

«Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État contractant ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État contractant qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 6 du présent titre.»

13 L’article 4 dispose:

«Si le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État contractant, la compétence est, dans chaque État contractant, réglée par la loi de cet État, sous réserve de l’application des dispositions de l’article 16.»

14 L’article 5 de la convention dispose:

«Le défenseur domicilié sur le territoire d’un État contractant peut être attrait, dans un autre État contractant:

1) en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée

3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit».

15 L’article 6 de la convention dispose:

«Ce même défendeur peut aussi être attrait:

1) s’il y a plusieurs défendeurs, devant le tribunal du domicile de l’un deux;

…»

16 Enfin, l’article 22 de la convention dispose:

«Lorsque des demandes connexes sont formées devant des juridictions d’États contractants différents et sont pendantes au premier degré, la juridiction saisie en second lieu peut surseoir à statuer.

Cette juridiction peut également se dessaisir, à la demande de l’une des parties, à condition que sa loi permette la jonction d’affaires connexes et que le tribunal premier saisi soit compétent pour connaître des deux demandes.

Sont connexes, au sens du présent article, les demandes liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément».

V – Sur le fond

Sur la première question

17 Les parties défenderesses soutiennent que, dans la mesure où l’action dont elles font l’objet a pour base le connaissement, c’est-à-dire l’instrumentum du contrat de transport, le litige relève de la matière contractuelle. En revanche, les gouvernements allemand et français, ainsi que la Commission, soutiennent que, faute de lien contractuel entre l’acheteur et le transporteur maritime, le litige n’est pas de nature contractuelle.

18 La position des parties défenderesses ne peut être retenue.

19 Il faut rappeler tout d’abord que la convention vise à unifier les règles de compétence internationale des juridictions des États contractants. Son objectif est en particulier d’éviter, dans la mesure du possible, la multiplication des chefs de compétence judiciaire à propos d’un même rapport juridique et de renforcer la protection juridique des personnes établies dans la Communauté, en permettant à la fois au demandeur d’identifier facilement la juridiction qu’il peut saisir et au défendeur de prévoir raisonnablement celle devant laquelle il peut être attrait (6). La protection juridique des personnes établies dans la Communauté et la sécurité juridique se trouvent ainsi renforcées.

20 Dans le système de la convention, la compétence des juridictions de l’État contractant sur le territoire duquel le défendeur a son domicile constitue le principe (article 2); ce n’est que par dérogation à ce principe que la convention prévoit des cas limitativement énumérés dans lesquels le défendeur peut (lorsqu’il s’agit de compétences spéciales) ou doit (dans l’hypothèse d’une règle de compétence exclusive ou d’une prorogation de compétence), selon le cas, être attrait devant une juridiction d’un autre État contractant (7).

En effet, en général, le défendeur est réputé être, d’un point de vue procédural, la partie la plus faible du fait que c’est lui qui subit l’action du demandeur, sauf dans certains cas bien précis, où c’est le demandeur qui est réputé être le plus faible, et qui sera alors favorisé par la convention (8).

21 Ainsi, l’article 5 prévoit des cas de compétence spéciale où le demandeur peut choisir d’attraire le défendeur ailleurs qu’au lieu de son domicile.

Cette liberté d’option a été introduite en considération de l’existence, dans certaines hypothèses bien déterminées, d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre une contestation et la juridiction qui peut être appelée à en connaître en vue de l’organisation utile du procès (9).

22 L’un de ces cas se présente dans les litiges en matière contractuelle. La notion de «matière contractuelle» n’est pas explicitée dans la convention. Cependant, comme la Cour l’a souligné à maintes reprises, en vue d’assurer la pleine efficacité de la convention, cette notion doit être interprétée de façon autonome, en se référant au système et aux objectifs de ladite convention, et elle ne saurait être comprise comme renvoyant à la qualification que la loi nationale applicable donne au rapport juridique en cause devant la juridiction nationale (10).

23 La notion de matière contractuelle a été précisée en particulier dans l’arrêt Handte (11). Dans cette affaire, une société française ayant son siège à Bonneville avait acheté des produits à la filiale d’une société allemande, dont le siège se trouvait à Strasbourg. Comme les produits en question lui semblaient défectueux, elle a saisi le tribunal de grande instance de Bonneville d’un recours en indemnisation à la fois contre la venderesse et contre la société allemande ayant fabriqué le produit. Invitée à statuer sur la question de savoir si la relation entre le sous-acquéreur et le fabricant est à caractère contractuel (seule hypothèse dans laquelle la société fabricante pouvait être attraite devant les juridictions du «lieu d’exécution de l’obligation»), la Cour a estimé, après avoir rappelé les objectifs de la convention, que la notion de «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, de la convention ne peut être comprise comme visant une situation dans laquelle il n’existe aucun engagement librement assumé d’une partie envers une autre (point 15), comme dans la relation entre le sous-acquéreur d’une marchandise achetée auprès d’un vendeur intermédiaire et le fabricant de cette marchandise (point 16).

La Cour a souligné que, «dans l’hypothèse d’une chaîne de contrats internationaux, les obligations contractuelles des parties peuvent varier d’un contrat à l’autre, de sorte que les droits contractuels que le sous-acquéreur peut faire valoir à l’encontre de son vendeur immédiat ne sont pas nécessairement les mêmes que ceux que le fabricant a assumés dans ses relations avec le premier acheteur» (point 17).

Dans ces conditions, la Cour a estimé que, en l’absence de relation contractuelle entre un fabricant et un sous-acquéreur, dont le premier peut légitimement ignorer l’identité et le domicile, le fabricant ne peut prévoir devant quelle juridiction, autre que celle de son domicile, il pourrait être attrait, ce qui serait incompatible avec le principe de la sécurité juridique que la convention entend protéger (points 18 et 20).

24 Il résulte de cette jurisprudence que, au sens de l’article 5, point 1, de la convention, qui est d’interprétation stricte dans la mesure où il déroge à l’article 2 (12), un recours en indemnisation ne se rattache à une «matière contractuelle» que s’il y a un engagement librement consenti, non pas entre le demandeur et un tiers, ou entre le défendeur et un tiers, mais entre le demandeur et le défendeur et à condition que le demandeur fasse valoir dans sa requête que le défendeur a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cet engagement.

25 En l’espèce, la juridiction de renvoi demande si, dans les conditions données, le litige pourrait être considéré comme ayant un caractère contractuel parce qu’il a pour base le «contrat de transport». Mais quel «contrat de transport» et entre qui?

26 Ce point n’est pas clair et tant les parties demanderesses que les parties défenderesses, à la fois dans leurs écritures de la procédure au principal et dans leurs observations dans la présente procédure, n’ont guère éclairci les choses, pour ne pas dire qu’elle ont soigneusement évité de les clarifier.

27 Il résulte en tout état de cause des constatations faites par la juridiction de première instance et par celle de deuxième instance que la livraison des poires à Rungis a été concertée entre RCC et Brambi, et ce probablement dans le cadre d’un contrat de transport entre les deux sociétés, concernant l’acheminement de la marchandise de Melbourne à Rungis (13). Le transport a en tout cas été réalisé en deux étapes bien distinctes et indépendantes l’une de l’autre, une première de transport maritime et une autre de transport terrestre.

28 Pour la partie maritime, qui est la seule qui nous intéresse ici, RCC a émis un connaissement au porteur, sur lequel l’expéditeur indiqué est la société Year (c’est-à-dire la venderesse), tandis que Brambi est mentionnée comme étant la personne à laquelle le connaissement doit être notifié, et que le transport est signalé comme devant être effectué sur le navire Alblasgracht. Les juridictions de première et de deuxième instance ont estimé que, bien que le formulaire porte la mention préimprimée qu’il s’agirait d’un transport combiné (c’est-à-dire couvrant plusieurs types de transport), le connaissement ne concernait en réalité que la partie maritime du transport, puisque le port de déchargement et de livraison de la marchandise était Rotterdam. A partir de ces éléments, les juges de première instance et d’appel ont conclu que le transporteur maritime réel était la société Spliethoff’s, qui n’est pas mentionnée sur le connaissement, mais qui est la gestionnaire du navire sur lequel le transport a eu lieu.

29 En ce qui concerne les relations entre Brambi et Spliethoff’s, nous ne disposons d’aucun élément concret. Les allégations des parties au cours de la procédure au principal et leurs observations écrites devant la Cour ne permettent en effet pas de dire s’il y a eu un lien contractuel entre les deux sociétés. Au contraire, les parties demanderesses ont fait valoir, sans que les parties défenderesses leur opposent sur ce point aucun argument convaincant, que RCC aurait sous-traité l’exécution du transport maritime à Spliethoff’s (14). Ceci implique, logiquement, qu’un contrat a dû être conclu entre RCC et Spliethoff’s (15). L’existence éventuelle d’un tel contrat est cependant sans pertinence en l’espèce puisque, en tout état de cause, Brambi est une tierce partie par rapport à ce contrat. En effet, comme indiqué ci-dessus (voir le point 20), pour qu’il y ait «matière contractuelle» au sens de l’article 5, point 1, de la convention, il ne suffit pas de n’importe quel contrat, même relatif à l’affaire, entre un demandeur ou une partie défenderesse et un tiers, mais il faut un contrat entre le demandeur et le défendeur.

30 Partant, en l’espèce, indépendamment de la nature juridique du connaissement litigieux (16), et indépendamment de la question du lien entre RCC et Brambi, une conclusion peut être tirée avec une relative clarté des éléments du dossier, à savoir qu’il n’y a eu aucun lien contractuel librement consenti entre Brambi, d’une part, et la société Spliethoff’s et le capitaine, d’autre part.

31 Par conséquent, dans la mesure où les juridictions nationales, qui sont seules compétentes pour se prononcer sur les faits, concluent qu’il n’y a pas eu de lien contractuel entre Brambi et les parties défenderesses, ou plus précisément entre la première et la société Spliethoff’s, le litige ne peut en aucun cas être considéré comme ayant un fondement contractuel au sens de l’article 5, point 1, de la convention (17).

Sur la deuxième question

32 Toutes les parties s’accordent pour dire que, dans la mesure où la responsabilité du transporteur maritime est mise en jeu et où le litige n’a pas un fondement contractuel, il ressortit à la matière délictuelle.

33 Ce point de vue doit être accueilli.

34 Comme nous l’avons dit précédemment, par dérogation au principe général de la compétence internationale du lieu du domicile du défendeur, l’article 5, point 3, de la convention prévoit que ce dernier peut être attrait

«3) en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit».

35 D’après la jurisprudence de la Cour, la notion de «matière délictuelle ou quasi délictuelle» visée à l’article 5, point 3, doit, à l’instar de la notion de «matière contractuelle» de l’article 5, point 1, être interprétée de façon autonome. Afin d’assurer une solution uniforme dans tous les États membres, il convient d’admettre que cette notion comprend «toute demande qui vise à mettre en jeu la responsabilité d’un défendeur et qui ne se rattache pas à la `matière contractuelle’ au sens de l’article 5, paragraphe 1» (18).

36 Comme, dans la présente affaire, la responsabilité des parties défenderesses est mise en cause pour l’avarie subie par la marchandise lors du transport maritime et comme le litige n’est pas contractuel, il s’agit nécessairement d’un litige en matière délictuelle ou quasi délictuelle au sens de l’article 5, point 3, de la convention. En conséquence, dans la mesure où nous sommes en présence d’un cas de compétence spéciale, il n’y a pas lieu d’appliquer l’article 2 qui établit le cas de compétence générale.

Sur la troisième question

37 Il y a lieu de considérer que, par la troisième question, la juridiction de renvoi vise à savoir si, dans des conditions comme celles de la procédure au principal, le lieu où l’avarie a simplement été constatée constitue le «lieu où le fait dommageable s’est produit», au sens de l’article 5, point 3, de la convention, telle que cette disposition a été interprétée par la Cour.

38 Cette question soulève deux problèmes. Le premier est de savoir quel est l’endroit où le fait dommageable s’est produit lorsque l’avarie intervient pendant la durée d’un transport international, comme celui dans la procédure au principal. Le deuxième problème est de savoir si cet endroit coïncide avec le lieu où l’avarie a tout simplement été constatée.

39 En principe, toutes les parties conviennent que le lieu où le dommage a simplement été constaté est dépourvu de pertinence lorsqu’il ne coïncide pas avec le lieu où le fait dommageable s’est effectivement produit ou avec le lieu de survenance du dommage. De surcroît, ainsi que l’on peut le déduire de leurs observations, les parties défenderesses et le gouvernement français considèrent que, dans des circonstances comme celles de la procédure au principal, le lieu de survenance du dommage est celui où le trajet maritime a pris fin et où les parties défenderesses devaient livrer la marchandise.

40 Il y a lieu d’examiner ces points de vue.

41 Ainsi que la Cour l’a reconnu à plusieurs reprises, cette règle de compétence spéciale de l’article 5, point 3, dont le choix dépend d’une option du demandeur, est fondée sur l’existence d’un lien de rattachement particulièrement étroit entre la contestation et des juridictions autres que celles du domicile du défendeur, et elle vise à une bonne administration de la justice et à l’organisation utile du procès (19).

42 Le sens de l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit» employée à l’article 5, point 3, en tant que critère de la compétence internationale spéciale n’est nullement clair. Déjà le rapport Jenard (20) soulignait: «Le comité n’a pas cru devoir régler expressément le point de savoir s’il y a lieu de prendre en considération le lieu où a été commis le fait générateur du dommage ou le lieu où le dommage s’est réalisé, ayant estimé préférable de s’en tenir à une formulation consacrée par plusieurs législations».

43 Dans l’arrêt Mines de potasse d’Alsace (21), la Cour a relevé que le sens de l’expression ci-dessus «est incertain lorsque le lieu de l’événement qui est à l’origine d’un dommage est situé dans un État autre que celui du lieu où le dommage est survenu» (point 13) et elle a posé la question de savoir si, dans un tel cas, il faut tenir compte du lieu de l’événement causal ou du lieu où le dommage est survenu ou s’il faut considérer que le demandeur a une option entre l’une et l’autre de ces deux solutions (point 14).

Selon le même arrêt, le lieu de l’événement causal, non moins que le lieu de la matérialisation du dommage, peut, selon le cas, constituer un point de rattachement significatif pour déterminer la compétence. En effet, tous deux peuvent constituer des points de rattachement significatifs du litige avec le tribunal saisi, étant donné que chacun d’entre eux est susceptible, selon les cas, de fournir une indication particulièrement utile du point de vue de la preuve et de l’organisation du procès (points 15 à 17) (22).

Ainsi, la Cour a estimé que chaque fois que le lieu où s’est produit l’événement susceptible de fonder la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne coïncide pas avec le lieu où est intervenu le dommage, l’expression «lieu où le fait dommageable s’est produit», contenue à l’article 5, point 3, de la convention, doit être entendue en ce sens qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est survenu et le lieu de l’événement causal, de sorte que le défendeur peut être attrait, au choix du demandeur, devant le tribunal de l’un comme de l’autre (points 24 et 25) (23).

La Cour a également jugé que l’option pour le seul lieu de l’événement causal aurait pour effet d’entraîner, dans un nombre appréciable de cas, une confusion entre les chefs de compétence prévus par les articles 2 et 5, point 3, de la convention, de manière que cette dernière disposition perdrait une partie de son effet utile (point 20) (24).

44 Dans l’affaire Mines de potasse d’Alsace, le lieu du fait dommageable (celui où la société française avait rejeté des déchets dans le Rhin, dont les eaux s’étaient ainsi trouvées polluées) était clairement différent du lieu où le préjudice s’est produit (l’endroit où l’entreprise horticole néerlandaise a alimenté ses plantations en eaux polluées, ce qui les a fortement endommagées). Cependant, cette distinction n’est pas toujours facile, d’autant que la détermination exacte du lieu où s’est produit le dommage présente par ailleurs certaines difficultés. La jurisprudence de la Cour a tranché un assez grand nombre de questions semblables dans des cas similaires.

45 Dans l’arrêt Shevill e.a. (25), la Cour devait répondre à la question de savoir quelle est la juridiction compétente en cas de diffamation par voie de presse, lorsque le journal a été publié dans un État, mais que le dommage résulte de sa circulation notamment dans l’État du domicile de la personne diffamée. La Cour a estimé que la compétence appartient la fois à la juridiction du lieu où est survenu le dommage et au tribunal du lieu du fait qui est à l’origine du préjudice, c’est-à-dire au tribunal du lieu de la publication du journal, et ce pour l’ensemble du dommage moral (points 24 et 25). Ce lieu de matérialisation du préjudice est «l’endroit où le fait générateur, engageant la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle de son auteur, a produit ses effets dommageables à l’égard de la victime» (point 28). Sur la base de ces considérations, la Cour a conclu que les juridictions des États membres dans lesquels la publication diffamatoire a été diffusée sont compétentes pour connaître de la question de la réparation des seuls dommages causés à la réputation de la victime du fait de la circulation du journal dans l’État correspondant (points 29 à 33).

46 Dans l’affaire Dumez France et Tracoba (C-220/88), des sociétés françaises avaient saisi les juridictions de leur pays d’un recours contre des banques allemandes pour la réparation du préjudice qu’elles avaient subi à la suite de la faillite de leurs sociétés filiales établies en Allemagne. Selon les parties demanderesses, le préjudice avait été provoqué par l’arrêt d’un programme de construction d’immeubles qu’un promoteur allemand devait réaliser en Allemagne; le préjudice était le résultat direct de la dénonciation par les banques allemandes de l’accord de financement conclu avec ce promoteur.

Par arrêt du 11 janvier 1990 (26), la Cour a estimé dans cette affaire que le dommage causé aux sociétés mères était simplement une conséquence indirecte du préjudice subi par les filiales dans un autre lieu (points 13 à 16) et, après avoir rejeté une interprétation de la convention qui aurait permis au demandeur de déterminer, en dehors des cas expressément prévus, la juridiction compétente par le choix de son domicile (point 19), la Cour a estimé que «la règle de compétence juridictionnelle énoncée à l’article 5, point 3, de la convention ne peut être interprétée comme autorisant un demandeur qui invoque un dommage qu’il prétend être la conséquence du préjudice subi par d’autres personnes, victimes directes du fait dommageable, à attraire l’auteur de ce fait devant les juridictions du lieu où il a lui-même constaté le dommage dans son patrimoine» (point 22, les italiques ont été ajoutés par nous).

47 L’arrêt Marinari (27) est plus intéressant. Dans cette affaire, M. Marinari, domicilié en Italie, avait déposé des billets à ordre auprès d’une banque anglaise. Les employés de la banque, estimant que ces billets étaient de provenance douteuse, ont ouvert le pli qui les contenait et ont informé la police, ce qui a provoqué l’arrestation de M. Marinari et la mise sous séquestre des billets à ordre. Après que la justice anglaise l’eut blanchi de toute accusation, M. Marinari a saisi les juridictions italiennes d’un recours dirigé contre la banque, dans lequel il demandait, d’une part, une réparation égale à la valeur des billets à ordre et, d’autre part, une réparation pour son emprisonnement, pour la rupture de plusieurs contrats ainsi que pour l’atteinte portée à sa réputation.

Ayant été saisie de la question de savoir si la compétence appartenait dans cette affaire aux juridictions anglaises ou italiennes, la Cour, après avoir rappelé les principes qui découlent de la jurisprudence Mines de potasse d’Alsace, Dumez France et Tracoba et Shevill e.a., a estimé que l’option ouverte au demandeur de choisir entre le lieu de l’événement causal et celui de la matérialisation du dommage ne peut être étendue au-delà des circonstances particulières qui la justifient, sous peine de vider de son contenu le principe général de la compétence des juridictions de l’État contractant sur le territoire duquel le défendeur a son domicile et d’aboutir à reconnaître, en dehors des cas expressément prévus, la compétence des juridictions du domicile du demandeur, alors même que la convention se montre défavorable à cette solution en écartant, dans son article 3, deuxième alinéa, l’application de dispositions nationales prévoyant de tels fors de compétence à l’égard des défendeurs domiciliés sur le territoire d’un État contractant (point 13).

La Cour a ainsi estimé que la notion de «lieu où le fait dommageable s’est produit» ne peut être interprétée de façon extensive au point d’englober tout lieu où peuvent être ressenties les conséquences préjudiciables d’un fait ayant déjà causé un dommage effectivement survenu dans un autre lieu (point 14).

Plus précisément, cette notion ne peut être interprétée comme incluant le lieu où la victime prétend avoir subi un préjudice patrimonial consécutif à un dommage initial survenu et subi par elle dans un autre État contractant (point 15).

48 A nos yeux, la jurisprudence citée ci-dessus montre que, pour la détermination du «lieu de survenance du dommage», il importe de définir le «dommage» qui doit être pris en compte. Par «dommage», il faut entendre les atteintes portées au patrimoine ou à la personne du demandeur, lorsqu’elles se rattachent au fait dommageable, c’est-à-dire au comportement illégal imputé au défendeur, par un lien direct et causal (28), à l’exclusion du préjudice indirect, plus éloigné ou qui est subi par ricochet. En conséquence, «le lieu de survenance du dommage» est celui où le fait dommageable a provoqué dans le chef du demandeur un préjudice au sens indiqué ci-dessus.

49 Les décisions précitées fournissent suffisamment d’éléments pour déterminer le «lieu de survenance du dommage» dans l’hypothèse d’une avarie se produisant, comme en l’espèce, au cours d’un transport international de marchandises.

50 Il faut observer tout d’abord que l’obligation de base de tout transporteur est de prendre la marchandise en charge en un point déterminé pour la remettre intacte en un autre point. En conséquence, le transporteur est responsable en principe de tout dommage subi par la marchandise entre les points de départ et d’arrivée du trajet, c’est-à-dire pendant toute la durée de celui-ci.

51 Lorsque le destinataire n’a contracté qu’avec un seul transporteur, la responsabilité de ce dernier à l’égard du premier pour les avaries subies par la marchandise pendant la durée du trajet est d’ordre contractuel. Partant, lorsque les deux sont domiciliés dans la Communauté, l’article 5, point 1, de la convention permet au destinataire d’attraire le transporteur devant les tribunaux du lieu où la marchandise a été livrée ou aurait dû être livrée.

52 Supposons cependant que le transporteur ait, à l’insu du destinataire, confié une partie du transport à un autre transporteur (le sous-traitant), même domicilié dans la Communauté, qui a provoqué l’avarie subie par la marchandise. Dans ce cas, le premier transporteur reste responsable envers le destinataire, en vertu du contrat qui les lie. Le sous-traitant est responsable, d’une part, à l’égard du transporteur initial en vertu du contrat qui les lie, et, d’autre part, sur la base de sa responsabilité délictuelle (29), à l’égard du destinataire, auquel il n’est lié par aucun lien contractuel.

53 Dans cette dernière hypothèse, le destinataire peut, en vertu de la jurisprudence Mines de potasse d’Alsace, attraire le sous-traitant soit devant le tribunal du lieu où s’est produit le fait dommageable, soit devant le tribunal du lieu de survenance du dommage.

54 Le lieu où l’avarie s’est produite peut être connu du demandeur et se trouver dans la Communauté, auquel cas le tribunal compétent sera facile à déterminer. Ce lieu peut aussi être impossible à localiser, ou se trouver en dehors de la Communauté, de sorte qu’il ne sera pas possible de désigner le tribunal compétent (30). Le comportement dommageable peut également avoir duré pendant tout le trajet, et il serait alors déraisonnable d’obliger le demandeur à saisir les juridictions de tous les endroits par lesquels est passé le navire. Dans ces hypothèses, le destinataire devra se limiter au lieu de survenance du dommage. Il convient donc de se demander quel est ce lieu.

55 D’abord, le lieu de survenance du dommage ne peut être celui de la «livraison finale» de la marchandise, autrement dit le lieu où le transporteur initial devait livrer la marchandise au destinataire, comme le soutiennent les parties demanderesses.

Les raisons en sont évidentes. Dans une opération de transport international comme celle de la procédure au principal, qui est exécutée par plusieurs transporteurs successifs, il y a une succession de contrats de transport dans lesquels les droits et obligations des parties peuvent varier dans une mesure significative. Le sous-traitant peut ignorer l’endroit où le transporteur initial a convenu avec le destinataire de livrer les marchandises, ainsi que l’existence et l’adresse de ce dernier. Cet endroit ne présente en conséquence aucun lien organique avec le litige entre destinataire et sous-traitant. D’ailleurs, comme la Commission le relève à juste titre, dans le commerce international, les marchandises peuvent changer de destination en cours de route, de sorte que leur lieu de destination ne peut être déterminé aisément, voire peut être fixé de façon arbitraire par le demandeur, ce qui encouragerait le «forum shopping». De surcroît, le lieu de la livraison finale de la marchandise étant en règle générale le lieu de l’établissement commercial du demandeur, en l’espèce le choix de ce lieu risquerait d’ériger en nouveau critère de compétence le lieu du domicile ou de l’établissement professionnel du demandeur, à l’égard duquel la convention a pourtant manifesté sa défaveur (31). Un tel résultat serait contraire à la règle établie à l’article 2 de la convention, ainsi qu’à l’économie du système qu’a voulu établir cette dernière.

56 Par ailleurs, le lieu de survenance du dommage ne peut être celui où il a été simplement constaté par le demandeur.

En effet, en cas de transport international effectué par plusieurs transporteurs successifs, comme en l’espèce, le dommage prétendument provoqué à la marchandise par un transporteur intermédiaire peut être constaté soit lors de l’une des étapes ultérieures du trajet, soit au lieu de livraison de la marchandise, soit au lieu où les marchandises ont été envoyées par la suite, etc., tous lieux que le défendeur ne pouvait en aucune manière prévoir. Or, si le lieu où le dommage a été constaté était pertinent, l’existence d’une compétence internationale dépendrait d’éléments incertains et fortuits, ce qui serait contraire à l’objectif fondamental de la convention «de définir des attributions de compétence certaines et prévisibles» (32). De surcroît, une telle interprétation pourrait attribuer compétence à une juridiction d’un lieu n’ayant aucun rattachement avec les éléments du litige, de sorte que, du point de vue de l’efficacité de la preuve, la juridiction de ce lieu serait dépourvue de toute pertinence (33). Enfin, le demandeur pourrait toujours affirmer qu’il a constaté le dommage au lieu de son domicile ou de son établissement professionnel, avec les résultats que nous avons indiqués au point précédent.

57 Selon nous, dans une affaire comme celle de la procédure au principal, le lieu de survenance du dommage ne peut être autre que celui jusqu’où le sous-traitant contre lequel le demandeur se retourne a été responsable de la marchandise, c’est-à-dire le lieu où il devait livrer cette marchandise.

58 En premier lieu, il y a bien un lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice. Les demandeurs ont en effet fait valoir que, pendant le transport, les défendeurs n’avaient pas respecté la température normale de réfrigération, ce qui aurait entraîné une maturation précoce des poires. Ce comportement des défendeurs, s’il est vrai, est de nature à provoquer la détérioration d’une marchandise aussi sensible.

Cette détérioration constitue en elle-même un préjudice direct pour le patrimoine, au sens large, du destinataire ou de l’ayant droit de la marchandise (34). Le fait que la détérioration de la marchandise s’est progressivement aggravée (soit en raison de sa nature, soit à cause de la négligence des autres transporteurs) n’a aucune importance pour ce qui nous intéresse et ne change rien au fait que le préjudice est survenu pendant la durée du transport et au plus tard au terme de celui-ci (35).

59 Par ailleurs, ce lieu est concret et prévisible pour le défendeur et, en conséquence, il est garant de sécurité juridique. Deuxièmement, il a par nature un lien étroit avec le litige entre le destinataire et le défendeur et il facilite la réunion des preuves. En conséquence, il est favorable à une bonne administration de la justice. En outre, il avantage même jusqu’à un certain point le demandeur, dans la mesure où il lui permet, lorsque l’endroit où s’est produit le fait dommageable est difficile ou impossible à déterminer, ou est très éloigné, de choisir un lieu qui pourra être plus proche de son domicile que le lieu du domicile du défendeur. Au surplus, si le transporteur initial a confié le transport à un seul sous-traitant, le lieu d’exécution de la prestation du transporteur initial et le lieu où est survenu le dommage se confondent, ce qui restreint le nombre des juridictions susceptibles d’être compétentes ratione loci, au bénéfice d’une bonne administration de la justice pour l’ensemble du litige. Cette solution prend donc en compte l’ensemble des intérêts en cause et n’aboutit pas à favoriser l’une des parties en particulier.

60 En l’espèce, dans la mesure où il est reproché dans la procédure au principal aux parties défenderesses d’être responsables de l’avarie survenue pendant la durée du transport maritime de Melbourne à Rotterdam, c’est dans ce dernier port que les marchandises se sont pour la dernière fois trouvées sous la responsabilité des parties défenderesses et ont subi les conséquences dommageables du comportement illégitime imputé à ces dernières (36). En conséquence, c’est là que s’est produit le dommage au sens de l’article 5, point 3, de la convention.

Sur la quatrième question

61 Compte tenu de l’historique de l’affaire exposé ci-dessus, il y a lieu de considérer que, par sa dernière question, la juridiction de renvoi vise à savoir en substance si la convention permet à des personnes domiciliées dans un État contractant qui font l’objet d’une demande en responsabilité fondée sur son article 5, point 3, d’être attraites devant un tribunal d’un autre État contractant, qui est saisi d’une autre demande de la même action, dirigée contre un défendeur non domicilié dans un État contractant et en outre fondée sur le droit national, pour le motif que le litige dans ces deux affaires se présente comme ayant un caractère «indivisible», et pas seulement connexe.

62 La question préjudicielle ne mentionne pas de dispositions concrètes dont elle demanderait l’interprétation. Par ailleurs, si le terme «connexité» est explicité à l’article 22, le terme «indivisible» appliqué au litige, tel qu’il est employé dans la question préjudicielle comme critère probable de compétence, n’est pas mentionné dans la convention (37).

63 Dans ces conditions, il y a lieu de rappeler tout d’abord que, conformément à l’article 3 de la convention, la personne domiciliée dans un État contractant ne peut être attraite devant les tribunaux d’un autre État contractant que dans les cas expressément et limitativement prévus aux sections 2 à 6 du titre II (38).

64 L’article 22, qui se réfère à la connexité, fait partie de la section 8 du titre II, précité. Cet article ne s’applique donc pas en l’espèce.

Comme la Cour l’a dit dans son arrêt du 24 juin 1981, Elefanten Schuh (39), «l’article 22 de la convention a pour objet de régler le sort de demandes connexes dont les juridictions de différents États membres sont saisies. Il n’est pas attributif de compétences; en particulier, il n’établit pas la compétence d’un juge d’un État contractant pour statuer sur une demande qui est connexe à une autre demande dont ce juge est saisi en application des règles de la convention» (point 19).

«Il y a donc de lieu de répondre … que l’article 22 de la convention est seulement d’application lorsque des demandes connexes sont formées devant les juridictions de deux ou plusieurs États contractants» (point 20).

En l’occurrence, indépendamment du point de savoir s’il y a »connexité» au sens de l’article 22 de la convention entre la demande introduite contre RCC et celle dirigée contre les parties défenderesses, il est de fait qu’il n’y a pas eu d’actions séparées engagées devant les juridictions de différents États membres. En conséquence, et en toute hypothèse, les conditions d’application de l’article 22 ne sont pas réunies.

65 Revenons maintenant à l’article 3 de la convention. Des sections 2 à 6 du titre II, les sections 3 à 5 ne nous intéressent pas en l’espèce. Or, puisque l’article 5 n’offre pas la possibilité de changer de tribunal compétent, la seule disposition se rapportant à l’objet de la question préjudicielle est celle de l’article 6, point 1. Nous nous bornerons donc à examiner cette disposition.

66 Il résulte du texte de cette disposition qu’une condition indispensable pour son application est, en premier lieu, que le litige soit porté devant le tribunal du lieu du domicile de l’un des défendeurs (40). Cela signifie de toute évidence que le domicile de ce défendeur doit se trouver sur le territoire d’un État contractant et que, en conséquence, ce défendeur doit être domicilié dans un État contractant. De surcroît, comme la jurisprudence le montre, il faut qu’il y ait en deuxième lieu un lien de connexité, au sens de l’article 22, entre les demandes qui concernent les parties défenderesses (41).

67 Pour ce qui est de la première condition, rappelons que RCC, à laquelle on prétend rattacher le litige avec les défendeurs, a un siège non pas dans le ressort du tribunal de commerce de Créteil, devant lequel elle a été attraite, mais dans un État non contractant. En conséquence, et pour cette raison avant tout, les parties défenderesses ne peuvent être attraites devant le tribunal de commerce de Créteil sur la base de l’article 6, point 1, de la convention.

68 En ce qui concerne la deuxième condition, observons que la Cour a déjà été consultée, dans l’affaire Kalfelis, sur le point de savoir si un critère de droit interne comme la connexité simple ou comme l’indivisibilité peut être employé pour la définition de la notion de «connexité» au sens de l’article 6, point 1, de la convention, en cas d’introduction de plusieurs demandes contre un même défendeur.

69 La Cour a souligné que l’exception au principe de l’article 2 que constitue l’article 6, point 1, doit être aménagée de telle sorte qu’elle ne puisse remettre en question l’existence même du principe (point 8). Tel pourrait être le cas si un demandeur avait la liberté, après avoir formé une action dirigée contre plusieurs défendeurs, de soustraire l’un de ces défendeurs aux tribunaux de l’État où il est domicilié; il est nécessaire à cet effet qu’il existe entre les demandes formulées contre chacun des défendeurs (point 9) un lien de connexité dont la nature doit être définie de façon autonome (point 10).

Ensuite, après avoir souligné que l’article 6, point 1, de même d’ailleurs que l’article 22, a pour but d’éviter que des décisions incompatibles entre elles ne soient rendues dans les États contractants (point 11), la Cour a estimé que «la règle posée par l’article 6, paragraphe 1, s’applique donc lorsque les demandes formées contre les différents défendeurs sont connexes lors de leur introduction, c’est-à-dire lorsqu’il y a intérêt à les instruire et à les juger ensemble afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier dans chaque cas particulier si cette condition se trouve satisfaite» (point 12).

70 Telle est la situation lorsque plusieurs demandes sont introduites contre différents défendeurs. Dans la même affaire cependant, la question avait été posée de savoir si, en cas de recours fondé conjointement sur la responsabilité délictuelle, sur le non-respect d’une obligation contractuelle et sur l’enrichissement sans cause, le tribunal compétent pour l’un des éléments de la demande, en vertu de l’article 5, point 3, peut statuer sur les éléments de la demande qui ne s’appuient pas sur un fondement délictuel.

Sur ce point, la Cour a rappelé tout d’abord que les compétences spéciales énumérées aux articles 5 et 6 de la convention constituent des dérogations au principe de la compétence des juridictions de l’État du domicile du défendeur et doivent par conséquent être interprétées de façon stricte. Partant, la Cour a statué que «un tribunal compétent, au titre de l’article 5, paragraphe 3, pour connaître de l’élément d’une demande reposant sur un fondement délictuel n’est pas compétent pour connaître des autres éléments de la même demande qui reposent sur des fondements non délictuels» (point 19) (42).

En effet, a ajouté la Cour, cette solution présente l’inconvénient que les divers aspects d’un même litige seront jugés par des tribunaux différents, mais cet inconvénient est contrebalancé par la possibilité pour le demandeur de porter l’ensemble du litige devant le tribunal du domicile du défendeur, ainsi que par la possibilité qu’offre sous certaines conditions l’article 22 de faire trancher l’affaire par le tribunal premier saisi (point 20).

71 De ce qui précède, nous pouvons déduire que deux demandes d’une même action en réparation, dirigées contre des défendeurs différents et fondées l’une sur la responsabilité contractuelle et l’autre sur la responsabilité délictuelle, ne peuvent être considérées comme présentant un lien de connexité.

72 Cette solution doit également être adoptée, pour la même raison, dans la présente affaire. S’agissant d’une action en réparation, si la juridiction saisie de la demande fondée sur la responsabilité délictuelle n’est pas compétente pour statuer sur la demande qui s’appuie sur la responsabilité contractuelle, le tribunal saisi de cette dernière demande (a fortiori, si c’est en application de dispositions étrangères à celles de la convention) ne pourra pas non plus statuer sur la demande citée en premier lieu. Partant, l’article 6, point 1, ne peut être appliqué en l’espèce.

VI – Conclusion

Par ces motifs, nous proposons de répondre aux questions préjudicielles dans les termes suivants:

«1) Dans une hypothèse comme celle de la procédure au principal, l’action par laquelle le destinataire d’une marchandise réclame réparation de son préjudice auprès du transporteur qui est supposé avoir assuré la partie maritime du transport, en raison d’une avarie subie par la marchandise au cours de cette phase du transport, ne relève pas de la `matière contractuelle’ au sens de l’article 5, point 1, de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, telle qu’elle a été modifiée en dernier lieu par la convention du 26 mai 1989 relative à l’adhésion du royaume d’Espagne et de la République portugaise, dans la mesure où il n’y a pas de lien contractuel librement consenti entre le demandeur et le défendeur.

2) La matière est délictuelle au sens de l’article 5, point 3, de la convention lorsque cette action met en jeu la responsabilité du transporteur pour l’avarie et qu’il n’y a pas de lien contractuel entre le demandeur et le défendeur.

3) Le lieu où le demandeur n’a fait que constater le dommage ne peut servir à déterminer le `lieu où le fait dommageable s’est produit’ au sens de l’article 5, point 3, de la convention, tel qu’il a été interprété par la Cour.

4) Il y a lieu d’interpréter les articles 3 et 6, point 1, de la convention en ce sens qu’une personne domiciliée sur le territoire d’un État contractant ne peut être attraite devant les tribunaux d’un autre État contractant saisis d’une action dirigée à l’encontre d’un codéfendeur domicilié en dehors du territoire de tout État contractant, au motif que le litige présenterait un caractère indivisible, et pas seulement connexe.»

(1) – JO 1972, L 299, p. 32.

(2) – JO 1989, L 285, p. 1.

(3) – Cette date est mentionnée dans des documents de la procédure au principal. Il peut s’agir d’une erreur, puisqu’elle est antérieure de quatre ans au transport litigieux.

(4) – Voir les observations des parties défenderesses devant la cour d’appel ainsi que le rapport d’expert mentionné dans la décision de première instance.

(5) – Relevons que RCC n’a pas comparu devant les juridictions françaises et n’a pas non plus déposé d’observations dans la présente procédure.

(6) – Arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa (C-269/95, Rec. p. I-3767, points 25 et 26), et du 20 mars 1997, Farrell (C-295/95, Rec. p. I-1683, point 13).

(7) – Voir l’arrêt du 17 juin 1992, Handte (C-26/91, Rec. p. I-3967, point 13), ainsi que les arrêts Benincasa (point 13) et Farrell (point 18), précités à la note 6.

(8) – Arrêt Farrell (point 19), précité à la note 6.

(9) – Arrêts du 30 novembre 1976, Mines de potasse d’Alsace (21/76, Rec. p. 1735, point 11), et du 29 juin 1994, Custom Made Commercial (C-288/92, Rec. p. I-2913, point 12).

(10) – Arrêts du 22 mars 1983, Peters (34/82, Rec. p. 987, points 9 et 10); du 8 mars 1988, Arcado (9/87, Rec. p. 1539, points 10 et 11), et Handte (point 10), précité à la note 7.

(11) – Précité à la note 7.

(12) – Voir l’arrêt du 27 septembre 1988, Kalfelis (189/87, Rec. p. 5565, point 19).

(13) – Voir ci-dessus le point 7.

(14) – Les parties demanderesses ont même invoqué un connaissement qui aurait été émis par la société Spliethoff’s dans le cadre du transport de la marchandise (voir, par exemple, leurs conclusions dans la procédure de cassation), mais elles n’ont produit aucun élément de preuve à l’appui.

(15) – C’est peut-être pour cela que la cour d’appel a estimé que l’on avait affaire à une «matière contractuelle», avec Rotterdam comme lieu d’exécution de l’obligation. En ce qui concerne les diverses formes que peut prendre la relation entre un transporteur et un sous-traitant, voir Delebeque, P.: «Sous-traitance et transport», Le droit maritime français, 1995 (47, p. 245).

(16) – La Commission examine en détail le point de savoir si le connaissement contient un contrat de transport maritime ou s’il constitue la preuve d’un tel contrat ou transfère des droits réels sur les marchandises. Nous ne croyons pas que la réponse à ces questions ait une pertinence en l’espèce [voir à ce propos l’arrêt du 19 juin 1984, Russ (71/83, Rec. p. 2417), et les conclusions de l’avocat général Sir Gordon Slynn, ainsi que les commentaires de R. Roland, «Le connaissement et le droit européen», Jurisprudence du port d’Anvers, 1983-1984, p. 403]. Il suffit de constater qu’un connaissement présuppose un contrat de transport. Une telle constatation cependant ne sert à rien en l’occurrence, car un éventuel contrat de transport entre RCC et Brambi serait dépourvu de pertinence, tandis qu’un contrat entre Brambi et Spliethoff’s, qui aiderait effectivement à la solution dans la présente affaire, n’a pas été démontré et ne semble pas avoir été conclu.

(17) – Il vaut la peine d’observer que l’existence éventuelle d’un lien contractuel entre Brambi et Spliethoff’s et, en conséquence, le rattachement du litige à la «matière contractuelle» ne signifient en aucun cas que le litige avec le capitaine aurait également un fondement contractuel au sens de l’article 5, point 1, de la convention. Brambi ne peut en bonne logique avoir conclu de contrat avec le capitaine individuellement. Ce dernier était un simple employé du transporteur réel et, en conséquence, si sa responsabilité est engagée à l’égard du destinataire, cette responsabilité ne peut être que délictuelle. Comme nous allons le voir ci-après, il en résulte que, pour chaque demande de l’action en responsabilité contre Spliethoff’s, d’une part, et contre le capitaine, d’autre part, c’est une autre juridiction qui aura compétence en vertu de la convention, sans que le fait que les demandes des parties demanderesses tirent leur source de la même cause au sens large ait aucune pertinence en l’espèce (voir ci-après le point 70).

(18) – Arrêt Kalfelis (points 16 et 17), précité à la note 12, et arrêt du 26 mars 1992, Reichert e.a. (C-261/90, Rec. p. I-2149, point 16).

(19) – Voir l’arrêt Mines de potasse d’Alsace (point 11), précité à la note 9, et les arrêts du 19 septembre 1995, Marinari (C-364/93, Rec. p. I-2719, points 10 et suiv.), et du 7 mars 1995, Shevill e.a. (C-68/93, Rec. p. I-415, points 19 et suiv.).

(20) – JO 1979, C 59, p. 26.

(21) – Voir ci-dessus la note 9.

(22) – Voir également l’arrêt Shevill e.a. (point 21), précité à la note 19.

(23) – Voir les arrêts Marinari (point 11) et Shevill e.a. (point 20), précités à la note 19.

(24) – Voir également les arrêts Marinari (point 12) et Shevill e.a. (point 22), précités à la note 19.

(25) – Arrêt précité à la note 19.

(26) – Rec. p. I-49.

(27) – Précité à la note 19.

(28) – Relevons que la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle ne peut être envisagée que si l’existence d’un lien de causalité entre le dommage et le fait dans lequel ce dommage trouve son origine est démontrée [voir l’arrêt Mines de potasse d’Alsace (point 16), précité à la note 9].

(29) – Voir ci-dessus les points 32 et suiv. Pour l’épineux problème de la responsabilité des transporteurs successifs en cas de transport combiné, voir Remond-Gouilloud, M.: Droit maritime, Pedone, Paris 1993, points 601 et suiv.

(30) – Selon nous, étant donné la difficulté qu’il y a à déterminer le lieu où s’est produit le fait dommageable, il n’est pas concevable que le lieu de survenance du dommage coïncide avec ce «lieu», comme le propose le gouvernement allemand.

(31) – Voir l’arrêt Dumez France et Tracoba (points 16 à 18) et l’arrêt du 19 janvier 1993, Shearson Lehman Hutton (C-89/91, Rec. p. I-139, point 17).

(32) – Arrêt Marinari (point 19), précité à la note 19.

(33) – Voir le point 20 du même arrêt.

(34) – Le gouvernement allemand estime qu’il faut tenir compte du point de savoir qui est le propriétaire des marchandises au cours du transport. Une telle approche restreindrait cependant dans une mesure injustifiée le cercle de ceux qui ont qualité pour invoquer l’article 5, point 3, de la convention. Par ailleurs, l’appréciation de cette question rendrait excessivement difficile de vérifier la compétence du tribunal qui a été saisi. En conséquence, ce critère semble inapproprié en l’espèce.

(35) – Voir en ce sens, Gaudemet-Tallon, H.: Les conventions de Bruxelles et de Lugano, LGDJ, Paris, 1993, point 191.

(36) – Le point de savoir si celles-ci sont ou non véritablement responsables de l’avarie n’a pas d’importance pour ce qui nous intéresse, à savoir la détermination de la juridiction compétente. Cette question est liée au fond de l’affaire, que le tribunal saisi n’est pas tenu d’examiner pour statuer sur sa compétence [voir l’arrêt Custom Made Commercial (point 20), précité à la note 9], et elle sera examinée par la juridiction qui sera désignée comme compétente en vertu des règles de la convention. Ainsi, s’il apparaît que le fait dommageable s’est effectivement produit pendant le transport maritime et que le transporteur en est responsable, le tribunal fera droit au recours et condamnera le défendeur. Si les circonstances de fait qui fondent le recours ne sont pas démontrées ou si le dommage ne peut être imputé au sous-traitant (parce que, par exemple, le chargeur avait choisi des conteneurs inadéquats) ou s’il y a un motif d’exonérer le sous-traitant de toute responsabilité (par exemple lorsque le préjudice est dû à la force majeure), le tribunal rejettera le recours et condamnera le cas échéant le demandeur aux dépens d’un procès qui était superflu. Pour l’application de l’article 5, point 3, de la convention, il faut se référer aux faits qui sont à la base de la demande, c’est-à-dire au lieu où, selon celle-ci, et selon les éléments de preuve invoqués par le demandeur, le fait dommageable a eu lieu ou le dommage est survenu. La détermination de ce lieu présuppose, bien entendu, que la juridiction saisie procède à une appréciation des faits, conformément aux règles de procédure du juge national [voir l’arrêt Shevill e.a. (points 36 et 41) précité à la note 19]. Cette appréciation est absolument nécessaire pour que la juridiction saisie puisse statuer, le cas échéant d’office [voir l’arrêt Shearson Lehman Hutton (point 10), précité à la note 31], sur sa propre compétence.

(37) – Peut-être la juridiction de renvoi songe-t-elle à l’indivisibilité ou connexité renforcée du droit français (voir le point 8 et la note 12 des conclusions de l’avocat général M. Darmon dans l’affaire Kalfelis, précitée à la note 12). Comme nous allons le voir ci-après (au point 68 des présentes conclusions), la Cour a rejeté le critère en question en tant que critère de détermination de la compétence internationale dans son arrêt Kalfelis.

(38) – Du moins sans qu’ils aient manifesté leur accord. En l’espèce, il n’est question ni d’une prorogation de compétence au sens de l’article 17 de la convention ni d’une prorogation tacite de compétence au sens de l’article 18, puisque, en tout état de cause, les défendeurs ont, en principe, comparu et se sont défendus.

(39) – 150/80, Rec. p. 1671.

(40) – Voir Gothot, P. et Holleaux, D.: La convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, Paris, 1985, point 114, et H. Gaudemet-Tallon, point 223.

(41) – Voir l’arrêt Kalfelis, précité à la note 12. La doctrine va dans le même sens (voir Gaudemet-Tallon e.a., point 224, Gothot-Holleaux e.a., point 111).

(42) – Relevons que la Cour ne s’est pas ralliée à l’avis de l’avocat général M. Darmon, selon lequel le litige en matière contractuelle, en tant que fondement principal, attire à lui tous les litiges incidents qui sont nés à l’occasion du contrat, de sorte que la compétence ne peut être déterminée que sur la base de l’article 5, paragraphe 1 (voir les points 28 et suiv. des conclusions).

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CJCE, n° C-51/97, Conclusions de l'avocat général de la Cour, Réunion européenne SA e.a. contre Spliethoff's Bevrachtingskantoor BV et Capitaine commandant le navire "Alblasgracht V002", 5 février 1998