CJCE, n° C-456/00, Arrêt de la Cour, République française contre Commission des Communautés européennes, 12 décembre 2002

  • Vin - marché intérieur * marché intérieur·
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  • Dérogations à l'interdiction des aides·
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  • Régime de la concurrence·
  • Contrôle juridictionnel·
  • Communauté européenne·
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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 12 déc. 2002, France / Commission, C-456/00
Numéro(s) : C-456/00
Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 décembre 2002. # République française contre Commission des Communautés européennes. # Recours en annulation - Aides d'État - Organisation commune des marchés - Vin - Mesures en faveur de l'adaptation du vignoble charentais. # Affaire C-456/00.
Date de dépôt : 18 décembre 2000
Précédents jurisprudentiels : Allemagne/Commission, C-156/98
arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93
arrêts du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission, C-288/96
Matra/Commission, C-225/91
Solution : Recours en annulation : rejet sur le fond
Identifiant CELEX : 62000CJ0456
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2002:753
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Sur les parties

Texte intégral

Avis juridique important

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62000J0456

Arrêt de la Cour (sixième chambre) du 12 décembre 2002. – République française contre Commission des Communautés européennes. – Recours en annulation – Aides d’État – Organisation commune des marchés – Vin – Mesures en faveur de l’adaptation du vignoble charentais. – Affaire C-456/00.


Recueil de jurisprudence 2002 page I-11949


Sommaire

Parties

Motifs de l’arrêt

Décisions sur les dépenses

Dispositif

Mots clés


1. Agriculture – Politique agricole commune – Primauté par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence – Conséquences quant à l’application des dispositions relatives aux aides d’État dans un secteur couvert par une organisation commune de marché

(Art. 36 CE et 87 CE à 89 CE)

2. Agriculture – Organisation commune des marchés – Vin – Aides d’État concernant des produits soumis à une organisation commune de marché – Incompatibilité de l’aide avec les dispositions régissant cette organisation

(Règlements du Conseil n° s 822/87 et 1493/1999)

3. Aides accordées par les États – Interdiction – Dérogations – Pouvoir d’appréciation de la Commission – Contrôle juridictionnel – Limites

(Art. 87, § 3, CE)

Sommaire


1. L’appréciation par la Commission d’une aide d’État dans un secteur où a été instituée une organisation commune de marché suppose l’examen de l’effet qu’une telle aide peut avoir sur le fonctionnement de cette organisation commune, les États membres étant tenus de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte. En d’autres termes, le recours, par un État membre, aux dispositions des articles 87 CE à 89 CE ne saurait avoir priorité sur les dispositions du règlement portant organisation commune du marché concerné, l’article 36 CE reconnaissant par ailleurs la primauté de la politique agricole commune par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence.

( voir points 31-33 )

2. Le cognac constituant une eau-de-vie de vin, il est exclu de la catégorie des produits agricoles et, par conséquent, ne fait pas partie des produits réglementés dans le cadre de l’organisation commune du marché vitivinicole. En conséquence, si des surfaces plantées de cépages ugni blanc, dont le produit sert à la fabrication d’une eau-de-vie qui, en tant que produit industriel, n’est pas distribuée sur le marché vinicole, sont reconverties en surfaces destinées à la production de vins de pays vendus sur ce marché, la quantité de ces vins produite dans la région concernée fera forcément l’objet d’une augmentation, laquelle va à l’encontre de l’objectif d’équilibre entre la production et la demande de cette organisation. Dès lors, des aides nationales visant à favoriser l’arrachage de cépages ugni blanc en vue de leur remplacement par des cépages permettant la production de vins de pays sont incompatibles avec les dispositions régissant cette organisation.

( voir points 35, 37-39 )

3. La Commission jouit, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire. La Cour, en contrôlant la légalité de l’exercice d’une telle liberté, ne saurait substituer son appréciation en la matière à celle de l’autorité compétente, mais doit se limiter à examiner si cette dernière appréciation est entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir.

( voir point 41 )

Parties


Dans l’affaire C-456/00,

République française, représentée par M. G. de Bergues et Mme L. Bernheim, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

contre

Commission des Communautés européennes, représentée par Mme A. Alves Vieira et M. D. Triantafyllou, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie défenderesse,

ayant pour objet l’annulation de la décision 2001/52/CE de la Commission, du 20 septembre 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France dans le secteur viticole (JO 2001, L 17, p. 30),

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. R. Schintgen, président de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la sixième chambre, M. V. Skouris, Mmes F. Macken et N. Colneric, et M. J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), juges,

avocat général: M. A. Tizzano,

greffier: M. R. Grass,

vu le rapport du juge rapporteur,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2002,

rend le présent

Arrêt

Motifs de l’arrêt


1 Par requête déposée au greffe de la Cour le 18 décembre 2000, la République française a, en vertu de l’article 230 CE, demandé l’annulation de la décision 2001/52/CE de la Commission, du 20 septembre 2000, concernant l’aide d’État mise à exécution par la France dans le secteur viticole (JO 2001, L 17, p. 30, ci-après la «décision attaquée»).

Le cadre juridique

2 Aux termes de l’article 36, premier alinéa, CE:

«Les dispositions du chapitre relatif aux règles de concurrence ne sont applicables à la production et au commerce des produits agricoles que dans la mesure déterminée par le Conseil dans le cadre des dispositions et conformément à la procédure prévues à l’article 37, paragraphes 2 et 3, compte tenu des objectifs énoncés à l’article 33.»

3 L’article 87, paragraphe 1, CE dispose:

«Sauf dérogations prévues par le présent traité, sont incompatibles avec le marché commun, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d’État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions.»

4 Aux termes de l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE:

«Peuvent être considérées comme compatibles avec le marché commun:

[…]

c) les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n’altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun.»

5 Le règlement (CEE) n° 822/87 du Conseil, du 16 mars 1987, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 84, p. 1), a procédé à une codification des règles concernant l’organisation commune du marché vitivinicole (ci-après l'«OCM vitivinicole»).

6 L’article 6, paragraphe 1, du règlement n° 822/87 dispose:

«Toute plantation nouvelle de vigne est interdite jusqu’au 31 août 1990. […]»

7 L’article 14 du règlement n° 822/87, tel que modifié par le règlement (CEE) n° 2253/88 du Conseil, du 19 juillet 1988 (JO L 198, p. 35, ci-après le «règlement n° 822/87»), énonce:

«1. Toute aide nationale à la plantation des superficies destinées à la production de vin de table classées en catégorie 3 est interdite.

2. En ce qui concerne la plantation des superficies viticoles autres que celles visées au paragraphe 1, toute aide nationale est interdite à l’exception de celles:

— prévues par des dispositions spécifiques communautaires;

— admises en vertu des articles [87] à [89] du traité [CE] et répondant à des critères qui devront notamment permettre d’atteindre l’objectif de la diminution de la quantité de la production ou de l’amélioration qualitative sans entraîner d’augmentation de la production. […]

3. L’interdiction visée au paragraphe 2 s’applique à partir du 1er septembre 1988. […]

[…]»

8 L’article 76 du règlement n° 822/87 précise:

«Sous réserve des dispositions contraires du présent règlement, les articles [87], [88] et [89] du traité sont applicables à la production et au commerce des produits visés à l’article 1er.»

9 Le règlement n° 822/87 a été remplacé par le règlement (CE) n° 1493/1999 du Conseil, du 17 mai 1999, portant organisation commune du marché vitivinicole (JO L 179, p. 1), lequel prévoit à son article 2, paragraphe 1, premier alinéa:

«La plantation de vignes avec des variétés classées, conformément à l’article 19, paragraphe 1, en tant que variétés à raisins de cuve est interdite jusqu’au 31 juillet 2010 […]»

10 L’article 11, paragraphes 1 à 3, du règlement n° 1493/1999 dispose:

«1. Il est institué un régime de restructuration et de reconversion des vignobles.

2. Le régime a pour objectif d’adapter la production à la demande du marché.

3. Le régime couvre une ou plusieurs des actions suivantes:

a) la reconversion variétale, y compris par surgreffage;

b) la réimplantation de vignobles;

c) les améliorations des techniques de gestion des vignobles liées à l’objectif du régime.

Il ne couvre pas le remplacement normal des vignobles parvenus au terme de leur cycle de vie naturel.»

11 Aux termes de l’article 15 du règlement n° 1493/1999, les modalités d’application du chapitre III de ce règlement, intitulé «Restructuration er reconversion» et comprenant les articles 11 à 15, peuvent prévoir en particulier «des dispositions visant à empêcher une augmentation du potentiel de production».

12 L’article 71, paragraphe 1, du règlement n° 1493/1999 énonce:

«Sauf dispositions contraires du présent règlement, les articles 87, 88 et 89 du traité s’appliquent à la production et au commerce des produits relevant du présent règlement.»

Les antécédents du litige

13 Le gouvernement français a notifié à la Commission, par lettre du 3 février 1999, le projet d’un régime d’aides destiné à inciter les producteurs de cognac à se reconvertir dans la production de vins de pays. Ces aides, qui devaient concerner 1 000 hectares en Charentes (France), visaient à favoriser l’arrachage de cépages ugni blanc, dont le produit sert majoritairement à la fabrication du cognac, en vue de leur remplacement par des cépages permettant la production de vins de pays de qualité.

14 La Commission a décidé, en octobre 1999, d’engager la procédure d’examen prévue à l’article 88, paragraphe 2, CE en ce qui concerne trois des quatre mesures ainsi communiquées par le gouvernement français.

15 À l’issue de cette procédure, la Commission a adopté la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit:

«Article premier

1. La mesure mise à exécution par la France qui consiste en un complément à l’aide nationale à l’amélioration de l’encépagement d’exploitations viticoles dans la région délimitée Cognac pour les campagnes 1998/1999 et 1999/2000, est une aide illégale incompatible avec les articles 87 à 89 du traité et ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, du traité.

2. La mesure d’accompagnement d’appui technique aux producteurs est incompatible avec les articles 87 à 89 du traité et ne peut pas bénéficier de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, du traité.

Article 2

La France est tenue de supprimer les régimes d’aides visés à l’article 1er.

Article 3

La France prend les mesures nécessaires pour récupérer les aides versées auprès des bénéficiaires au titre des régimes visés à l’article 1er.

Article 4

La France informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures qu’elle a prises pour s’y conformer.

Article 5

La République française est destinataire de la présente décision.»

16 Entre-temps, le gouvernement français avait adopté, sans attendre la clôture de la procédure d’examen, deux arrêtés relatifs aux conditions d’attribution de l’aide à l’amélioration de l’encépagement d’exploitations viticoles dans la région délimitée «Cognac», dont l’un, du 12 mars 1999 (JORF du 11 avril 1999, p. 5387), portait sur la campagne 1998/1999 et l’autre, du 6 avril 2000 (JORF du 23 avril 2000, p. 6260), sur la campagne 1999/2000.

Arguments des parties

17 À l’appui de son recours en annulation, le gouvernement français soulève un moyen unique, tiré d’une erreur de droit commise par la Commission dans l’interprétation des dispositions des règlements nos 822/87 et 1493/1999.

18 D’abord, le gouvernement français soutient que les aides en cause respectent l’objectif, fixé à l’article 14, paragraphe 2, du règlement n° 822/87, de diminution de la quantité de la production ou d’amélioration qualitative sans augmentation de la production. Cet objectif figurerait également dans le règlement n° 1493/1999.

19 En effet, la reconversion de superficies plantées en cépages ugni blanc, au rendement moyen d’environ 150 hl/ha, en vignes destinées à produire des vins de pays charentais, soumises à un plafond de rendement de 80 hl/ha, s’accompagnerait d’une réduction des volumes de vin produits.

20 Le gouvernement français rejette la conclusion de la Commission selon laquelle les aides à la reconversion du vignoble planté en cépages ugni blanc en vignoble destiné exclusivement à la production de vins de pays seraient assimilables au financement de plantations additionnelles de vignes, interdites depuis 1988. Selon lui, il n’est pas possible d’effectuer une reconversion variétale sans planter de nouvelles vignes, d’un cépage moins productif, à la place des anciennes. D’ailleurs, dans la mesure où les nouvelles vignes ne font que remplacer des vignes arrachées, on ne pourrait prétendre qu’il s’agit de plantations additionnelles.

21 Pour le gouvernement français, la Commission considère erronément qu’il s’agit en l’espèce d’une reconversion de vignes utilisées pour la production d’eaux-de-vie en des vignes productrices de «vin normal», entraînant, en conséquence, une augmentation de la production d’un tel vin. Cette notion de «vin normal» n’aurait pas de sens au regard de l’OCM vitivinicole, qui ne distinguerait pas entre les vins destinés à la production de cognac et les autres vins. Il n’existerait d’ailleurs aucune obligation de produire du cognac à partir d’un vin issu d’un cépage ugni blanc.

22 Selon le gouvernement français, le règlement n° 1493/1999 n’établit aucune corrélation entre la reconversion d’une surface et l’obligation éventuelle pour les États membres de diminuer la production sur des surfaces non reconverties. L’article 11 de ce règlement ne prévoirait pas non plus que la reconversion d’une surface donnée doit s’accompagner de l’arrachage de vignes d’une superficie équivalente. Or, la Commission ne pourrait pas imposer des conditions autres que celles fixées par ledit règlement.

23 Ensuite, le gouvernement français fait valoir que l’évolution du marché du vin ne peut être appréhendée que sur une longue période. L’augmentation constante des ventes de vins de pays français dans le monde constatée pour la période 1994-1998 constituerait une tendance générale qu’un léger recul durant les années 1998-1999 ne suffirait pas à remettre en cause.

24 Enfin, faute d’une analyse adéquate du marché du vin, la Commission resterait imprécise lorsqu’elle cherche à prouver que les aides en cause induisent des distorsions de concurrence.

25 Selon la Commission, il résulte de la jurisprudence de la Cour que, s’agissant d’une aide nationale dans le domaine agricole, le recours par un État membre aux dispositions des articles 87 CE à 89 CE ne saurait l’emporter sur celles du règlement régissant l’organisation commune de marché concernée (arrêt du 26 juin 1979, McCarren, 177/78, Rec. p. 2161).

26 Quant aux réductions des rendements et des surfaces de production, la Commission, se fondant sur la classification du cognac en tant qu’eau-de-vie de vin, fait valoir qu’il ne s’agit pas tant en l’espèce d’une reconversion de vignes productrices de vin au rendement élevé que d’une reconversion de vignes destinées à la production de vin servant à la fabrication d’eaux-de-vie en des vignes productrices de «vin normal».

27 Le régime d’aides en cause financerait des plantations additionnelles de vigne et aurait comme résultat une augmentation de la production de «vin normal», interdite par l’OCM vitivinicole.

28 Pour la Commission, il ne s’agissait pas d’imposer des conditions en vue de l’autorisation des aides en cause, mais tout simplement d’évaluer l’impact négatif sur la concurrence résultant de telles aides. Ce serait pour cette raison que la Commission aurait examiné si les autorités françaises avaient effectivement prévu des mesures réduisant l’impact desdites aides sur le marché, par une réduction des rendements, notamment ceux des vignes de cépage ugni blanc, et par une réduction des surfaces de production dans la région, ainsi que le gouvernement français l’aurait proposé. Après avoir constaté que les autorités nationales n’étaient pas parvenues à la concrétisation de ces objectifs, c’est-à-dire qu’elles n’avaient pas pris des mesures pour minimiser l’impact des aides, la Commission aurait conclu que celles-ci n’étaient pas compatibles avec les nouvelles exigences communautaires dans le secteur vitivinicole.

29 À propos de l’adaptation de la production à la demande et des distorsions de concurrence, la Commission affirme que les informations concernant la croissance du marché fournies par le gouvernement français ne sont pas confirmées par les données émanant de l’Office national interprofessionnel des vins quant au recul des prix des vins de pays. Ces données démontreraient que le marché des vins de pays connaît des difficultés.

Appréciation de la Cour

Observations liminaires

30 À titre liminaire, il convient de rappeler que, si la procédure prévue aux articles 87 CE et 88 CE laisse une marge d’appréciation à la Commission et, dans certaines conditions, au Conseil pour porter un jugement sur la compatibilité d’un régime d’aides d’État avec les exigences du marché commun, il résulte de l’économie générale du traité que cette procédure ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité (voir, notamment, arrêt du 15 juin 1993, Matra/Commission, C-225/91, Rec. p. I-3203, point 41).

31 Il y a lieu également de relever que, en présence d’un règlement portant organisation commune des marchés dans un domaine déterminé, les États membres sont tenus de s’abstenir de toute mesure qui serait de nature à y déroger ou à y porter atteinte (voir arrêts du 19 mars 1998, Compassion in World Farming, C-1/96, Rec. p. I-1251, point 41, et du 8 janvier 2002, Denkavit, C-507/99, Rec. p. I-169, point 32).

32 Il en découle que l’appréciation par la Commission d’une aide d’État dans un secteur où a été instituée une organisation commune de marché suppose d’examiner l’effet qu’une telle aide peut avoir sur le fonctionnement de cette organisation commune. En d’autres termes, ainsi que la Cour l’a jugé, le recours, par un État membre, aux dispositions des articles 87 CE à 89 CE ne saurait avoir priorité sur les dispositions du règlement portant organisation commune du marché concerné (voir arrêt McCarren, précité, point 11).

33 En outre, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, l’article 36 CE reconnaît la primauté de la politique agricole commune par rapport aux objectifs du traité dans le domaine de la concurrence (arrêt du 5 octobre 1994, Allemagne/Conseil, C-280/93, Rec. p. I-4973, point 61).

34 Les aides en cause ayant été considérées comme illégales par la décision attaquée au motif qu’elles ne remplissaient pas les exigences prévues par l’OCM vitivinicole, il convient de vérifier si, en l’occurrence, la Commission a fait une interprétation exacte des dispositions régissant cette organisation commune de marché.

Sur le fond

35 Il y a lieu de constater que l’équilibre entre la production et la demande sur le marché du vin constitue l’un des objectifs de l’OCM vitivinicole.

36 Pour atteindre un tel objectif, les dispositions régissant cette organisation commune de marché prévoient de longue date l’interdiction soit de la plantation nouvelle de vignes (articles 6, paragraphe 1, du règlement n° 822/87, en vigueur au moment de la notification des aides en cause à la Commission, et 2, paragraphe 1, du règlement n° 1493/1999, en vigueur depuis le 21 juillet 1999), soit des aides nationales aux plantations qui ne permettent pas de diminuer la quantité de la production (article 14, paragraphe 2, du règlement n° 822/87). Des dispositions visant à empêcher une augmentation du potentiel de production sont également prévues dans le cadre du règlement n° 1493/1999 (article 15, second alinéa, sous c), de ce règlement).

37 Par ailleurs, le cognac constituant une eau-de-vie de vin, il est exclu de la catégorie des produits agricoles (arrêt du 30 janvier 1985, Clair, 123/83, Rec. p. 391, point 15) et, par conséquent, ne fait pas partie des produits réglementés dans le cadre de l’OCM vitivinicole.

38 Dans ce contexte, si des surfaces plantées de cépages ugni blanc, dont le produit sert à la fabrication d’une eau-de-vie qui, en tant que produit industriel, n’est pas distribuée sur le marché vinicole, sont reconverties en surfaces destinées à la production de vins de pays vendus sur ce marché, la quantité de ces vins produite dans la région concernée fera forcément l’objet d’une augmentation.

39 Ainsi qu’il a été relevé au point 35 du présent arrêt, une augmentation de la production de vin va à l’encontre de l’un des objectifs de l’OCM vitivinicole. Dès lors, c’est à bon droit que, dans la décision attaquée, la Commission a considéré que les aides en cause étaient incompatibles avec les dispositions régissant une organisation commune de marché.

40 La Commission a néanmoins examiné, aux points 37 à 49 des motifs de la décision attaquée, si le gouvernement français avait appliqué des mesures susceptibles d’atténuer les effets négatifs des aides en cause sur le marché, au titre de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

41 À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que la Commission jouit, pour l’application de l’article 87, paragraphe 3, CE, d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations d’ordre économique et social qui doivent être effectuées dans un contexte communautaire (voir, notamment, arrêts du 19 septembre 2000, Allemagne/Commission, C-156/98, Rec. p. I-6857, point 67, et du 7 mars 2002, Italie/Commission, C-310/99, Rec. p. I-2289, point 45) et, d’autre part, que la Cour, en contrôlant la légalité de l’exercice d’une telle liberté, ne saurait substituer son appréciation en la matière à celle de l’autorité compétente, mais doit se limiter à examiner si cette dernière appréciation est entachée d’erreur manifeste ou de détournement de pouvoir (voir arrêts du 5 octobre 2000, Allemagne/Commission, C-288/96, Rec. p. I-8237, point 26, et Italie/Commission, précité, point 46).

42 À la lumière de ces principes, ne saurait être accueilli l’argument du gouvernement français selon lequel la Commission a commis une erreur de droit en imposant, au titre de l’article 11 du règlement n° 1493/1999, des conditions relatives aux réductions des rendements et des surfaces de production qui ne sont pas prévues à cette disposition.

43 En effet, il ressort de l’examen de la décision attaquée, que la Commission n’a, à aucun moment, imposé de telles conditions sur le fondement de l’article 11 du règlement n° 1493/1999. D’ailleurs, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 45 de ses conclusions, cet article n’établit pas des règles relatives à l’octroi d’aides nationales à la restructuration et à la reconversion des vignobles, mais institue un régime communautaire de soutien, au financement duquel les États membres ne peuvent pas, en principe, participer.

44 Dans le cadre de la marge d’appréciation dont elle dispose en la matière, la Commission a simplement examiné si les mesures annoncées par les autorités françaises elles-mêmes concernant la réduction des rendements et du potentiel de production seraient suffisantes pour atténuer l’impact des aides en cause sur le marché. Au terme de son examen, elle a conclu à l’insuffisance desdites mesures.

45 En outre, il convient de rappeler que les évaluations d’ordre économique effectuées par la Commission à propos de l’adaptation de la production à la demande et des distorsions de concurrence relèvent également de l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

46 C’est à juste titre que la Commission a considéré, en tenant compte, d’une part, des informations fournies par l’Office national interprofessionnel des vins concernant le recul du prix moyen des vins de pays lors de la campagne 1999/2000, qui a été l’effet d’une diminution de la demande reconnue par le gouvernement français, et, d’autre part, de l’objectif de maintien de l’équilibre du marché poursuivi par l’OCM vitivinicole, qu’une augmentation de la production des vins de pays en France serait de nature à créer des distorsions de concurrence sur un marché viticole dont la croissance n’apparaît pas certaine.

47 De surcroît, il importe de relever que le gouvernement français n’a apporté aucun élément permettant de conclure que la Commission a excédé les limites de son pouvoir d’appréciation en considérant que les aides en cause ne satisfaisaient pas aux conditions requises pour relever de la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), CE.

48 En effet, le gouvernement français s’est limité à affirmer que l’évolution du marché du vin ne pouvait être appréhendée que sur une longue période et que la Commission était restée imprécise lorsqu’elle cherchait à prouver que les aides en cause induisaient des distorsions de concurrence.

49 Dans ces conditions, et étant donné qu’elle a fait apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de la Commission de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle, la motivation de la décision attaquée est conforme aux exigences établies par la jurisprudence de la Cour (voir, notamment, arrêts du 22 mars 2001, France/Commission, C-17/99, Rec. p. I-2481, point 35, et Italie/Commission, précité, point 48).

50 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le moyen tiré d’une erreur de droit commise par la Commission doit être rejeté.

51 Dès lors, il y a lieu de rejeter le recours.

Décisions sur les dépenses


Sur les dépens

52 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La Commission ayant conclu à la condamnation de la République française aux dépens et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

Dispositif


Par ces motifs,

LA COUR (sixième chambre)

déclare et arrête:

1) Le recours est rejeté.

2) La République française est condamnée aux dépens.

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CJCE, n° C-456/00, Arrêt de la Cour, République française contre Commission des Communautés européennes, 12 décembre 2002