CJCE, n° C-177/03, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République française, 9 décembre 2004

  • Détermination au cours de la procédure précontentieuse·
  • Cee/ce - contentieux * contentieux·
  • Droit d'action de la commission·
  • 1. recours en manquement·
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  • Exercice discrétionnaire·
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  • Recours en manquement·
  • Protection sanitaire·
  • Nouvel avis motivé

Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CJUE, Cour, 9 déc. 2004, Commission / France, C-177/03
Numéro(s) : C-177/03
Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 décembre 2004. # Commission des Communautés européennes contre République française. # Manquement d'État - Directive 89/618/Euratom - Information de la population en cas d'urgence radiologique - Défaut de transposition. # Affaire C-177/03.
Date de dépôt : 16 avril 2003
Précédents jurisprudentiels : Commission/Allemagne, C-383/00
Commission/Belgique, C-236/99
Commission/Espagne, C-266/94
Commission/France, C-233/00, Rec. p. I-6625, point 76, et du 20 novembre 2003, Commission/France, C-296/01
Commission/Portugal, C-392/99
Cour ( voir, notamment, arrêt du 6 mars 2003, Commission/Luxembourg, C-211/02
Solution : Recours en constatation de manquement : rejet sur le fond, Recours en constatation de manquement : obtention
Identifiant CELEX : 62003CJ0177
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2004:784
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Sur les parties

Texte intégral

Affaire C-177/03

Commission des Communautés européennes
contre
République française

«Manquement d’État – Directive 89/618/Euratom – Information de la population en cas d’urgence radiologique – Défaut de transposition»

Conclusions de l’avocat général M. L. A. Geelhoed, présentées le 1 juillet 2004
Arrêt de la Cour (première chambre) du 9 décembre 2004

Sommaire de l’arrêt

1. Recours en manquement – Droit d’action de la Commission – Exercice discrétionnaire – Limites
(Art. 141 EA)

2. Recours en manquement – Objet du litige – Détermination au cours de la procédure précontentieuse – Changement fondamental des dispositions nationales pertinentes entre l’expiration du délai fixé pour le respect de l’avis motivé et l’introduction du recours – Nouvel avis motivé
(Art. 141 EA)

1. Dans le système établi par l’article 141 EA, la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour intenter un recours en manquement et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’opportunité de son exercice. En revanche, il appartient à cette dernière d’apprécier, le cas échéant, si un recours au titre dudit article est irrecevable en raison de son introduction tardive ou est constitutif d’un détournement de procédure.

(cf. points 16-17)

2. La régularité de la procédure précontentieuse prévue à l’article 141 EA constitue une garantie essentielle voulue par le traité non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini.
Ainsi, dès lors que les dispositions nationales pertinentes ont fondamentalement changé entre l’expiration du délai fixé pour le respect de l’avis motivé et l’introduction du recours en manquement, cette évolution peut priver l’arrêt à prononcer par la Cour d’une part importante de son utilité. Dans une telle situation, il pourrait être préférable que la Commission ne forme pas un recours, mais émette un nouvel avis motivé précisant les griefs qu’elle entend retenir au vu des circonstances modifiées.

(cf. points 20-21)

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
9 décembre 2004(1)

«Manquement d’État – Directive 89/618/Euratom – Information de la population en cas d’urgence radiologique – Défaut de transposition»

Dans l’affaire C-177/03,ayant pour objet un recours en manquement au titre de l’article 141 EA, introduit le 16 avril 2003, Commission des Communautés européennes, représentée par MM. J. Grunwald et B. Stromsky, en qualité d’agents, ayant élu domicile à Luxembourg,

partie requérante,

République française, représentée par MM. G. de Bergues et E. Puisais, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LA COUR (première chambre),,

composée de M. P. Jann, président de chambre, MM. K. Lenaerts, J. N. Cunha Rodrigues (rapporteur), M. Ilešič et E. Levits, juges, avocat général: M. L. A. Geelhoed,
greffier: M. R. Grass, vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 1er juillet 2004,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, la Commission des Communautés européennes demande à la Cour de constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour se conformer aux articles 2, 3, 5, 6, 7 et 8 de la directive 89/618/Euratom du Conseil, du 27 novembre 1989, concernant l’information de la population sur les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à adopter en cas d’urgence radiologique (JO L 357, p. 31, ci-après la «directive»), la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

Le cadre juridique

2 Selon l’article 1er de la directive:
«La présente directive vise à définir, au niveau de la Communauté, des objectifs communs concernant les mesures et les procédures d’information de la population ayant pour but de renforcer la protection sanitaire opérationnelle de celle-ci pour les cas d’urgence radiologique.» 3 L’article 2 de la directive prévoit:
«Pour l’application de la présente directive, on entend par cas d’urgence radiologique toute situation:
1) découlant: a) d’un accident survenu sur le territoire d’un État membre dans des installations ou dans le cadre d’activités visées au paragraphe 2 et entraînant ou risquant d’entraîner une importante émission de matières radioactives

ou

b) de la détection, sur son propre territoire ou en dehors de celui-ci, de taux anormaux de radioactivité susceptibles de porter atteinte à la santé publique dans cet État membre

ou

c) d’accidents autres que ceux visés au point a) et survenus dans des installations ou dans le cadre d’activités visées au paragraphe 2 et entraînant ou risquant d’entraîner une importante émission de matières radioactives

ou

d) d’autres accidents entraînant ou risquant d’entraîner une importante émission de matières radioactives; 2) imputable aux installations et activités mentionnées au paragraphe 1 points a) et c) et qui sont les suivantes: a) tout réacteur nucléaire, où qu’il soit installé; b) toute autre installation du cycle du combustible nucléaire; c) toute installation de gestion de déchets radioactifs; d) le transport et le stockage de combustibles nucléaires ou de déchets radioactifs; e) la production, l’utilisation, le stockage, l’évacuation et le transport de radio-isotopes à des fins agricoles, industrielles, médicales ou à des fins scientifiques et de recherche connexes

et

f) l’utilisation de radio-isotopes pour la production d’énergie dans les engins spatiaux.» 4 Aux termes de l’article 3 de la directive:
«Pour l’application de la présente directive, les termes ‘importante émission de matières radioactives’ et ‘taux anormaux de radioactivité susceptibles de porter atteinte à la santé publique’ s’entendent comme couvrant des situations susceptibles d’entraîner un dépassement des limites de dose prescrites, pour les personnes du public, par les directives fixant les normes de base communautaires en matière de radioprotection […]» 5 L’article 5 de la directive dispose:
«1. Les États membres veillent à ce que la population susceptible d’être affectée en cas d’urgence radiologique soit informée sur les mesures de protection sanitaire qui lui seraient applicables, ainsi que sur le comportement qu’elle aurait à adopter en cas d’urgence radiologique.
2. L’information fournie porte au minimum sur les points figurant à l’annexe I.
3. Cette information est communiquée à la population mentionnée au paragraphe 1, sans qu’elle ait à en faire la demande.
4. Les États membres mettent à jour l’information, la communiquent régulièrement, et également lorsque des modifications significatives dans les mesures décrites interviennent. Cette information est, d’une façon permanente, accessible au public.» 6 Selon l’article 6 de la directive:
«1. Les États membres veillent à ce que, dès la survenance d’un cas d’urgence radiologique, la population effectivement affectée soit informée, sans délai, sur les données de la situation d’urgence, sur le comportement à adopter et, en fonction du cas d’espèce, sur les mesures de protection sanitaire qui lui sont applicables.
2. L’information diffusée porte sur ceux des points figurant à l’annexe II qui sont pertinents selon le cas d’urgence radiologique.» 7 L’article 7 de la directive prévoit:
«1. Les États membres veillent à ce que les personnes ne faisant pas partie du personnel des installations et/ou ne participant pas aux activités, telles que définies à l’article 2 paragraphe 2, mais susceptibles d’intervenir dans l’organisation des secours en cas d’urgence radiologique reçoivent une information adéquate et régulièrement mise à jour sur les risques que leur intervention présenterait pour leur santé et sur les mesures de précaution à prendre en pareil cas; cette information tient compte des différents cas d’urgence radiologique susceptibles de survenir.
2. Les informations précitées sont, dès survenance d’un cas d’urgence radiologique, complétées par des informations appropriées, eu égard aux circonstances de l’espèce.» 8 L’article 8 de la directive dispose:
«Les informations visées aux articles 5, 6 et 7 comportent également l’indication des autorités chargées d’appliquer les mesures visées à ces mêmes articles.» 9 En vertu de l’article 161, troisième alinéa, EA, la directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens.

La procédure précontentieuse 10 Après avoir mis la République française en demeure de présenter ses observations, la Commission a adressé à celle-ci un avis motivé le 27 juillet 2000 en constatant que cet État membre n’avait pas pris les mesures nécessaires pour se conformer à certaines dispositions de la directive et en lui enjoignant de prendre de telles mesures dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet avis. Ce délai a été prolongé, à la demande des autorités françaises, jusqu’au 27 octobre 2000.
11 La République française a ensuite adopté plusieurs mesures législatives en vue de la transposition de la directive. N’étant pas satisfaite de ces mesures, la Commission a introduit le présent recours par une requête déposée le 16 avril 2003.

Position des parties 12 La Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour de:
– constater que, en ne prenant pas les mesures nécessaires pour se conformer aux articles 2, 3, 5, 6, 7 et 8 de la directive, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive, et de

– condamner la République française aux dépens. 13 La Commission évoque, à l’appui de ce recours, six griefs tirés respectivement de chacune desdites dispositions.
14 Dans les conclusions formelles de son mémoire en défense, le gouvernement français fait valoir que la Commission devrait se désister de ses premier à quatrième et sixième griefs. Toutefois, dans son mémoire en duplique, il conclut au rejet de ces même griefs. Il admet, en revanche, le bien-fondé du cinquième grief.

Sur les conclusions subsidiaires du gouvernement français 15 Si le gouvernement français a conclu principalement au rejet des premier à quatrième et sixième griefs formulés par la Commission, il a également estimé que cette dernière devrait se désister de ces mêmes griefs.
16 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour ne peut pas se prononcer sur une demande tendant à ce que la Commission se désiste d’un grief dans le cadre d’un recours en manquement. En effet, dans le système établi par l’article 141 EA, la Commission dispose d’un pouvoir discrétionnaire pour intenter un recours en manquement et il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’opportunité de son exercice (voir, en ce sens, arrêts du 6 juillet 2000, Commission/Belgique, C-236/99, Rec. p. I-5657, point 28, et du 14 mai 2002, Commission/Allemagne, C-383/00, Rec. p. I-4219, point 19).
17 En revanche, il appartient à la Cour d’apprécier, le cas échéant, si un recours au titre de l’article 141 EA est irrecevable en raison de son introduction tardive ou est constitutif d’un détournement de procédure (voir arrêt du 14 décembre 1971, Commission/France, 7/71, Rec. p. 1003, points 2 à 13).
18 Dans le cas d’espèce, le délai fixé dans l’avis motivé est venu à expiration le 27 octobre 2000, tandis que le recours a été introduit le 16 avril 2003, soit presque deux ans et six mois plus tard. Pendant cette période, l’État membre concerné a adopté des mesures nombreuses et substantielles dans le domaine en cause. Tant le gouvernement français que la Commission ont consacré une part importante de leurs mémoires à discuter si ces mesures nationales adoptées après le 27 octobre 2000 étaient adéquates pour mettre en œuvre la directive, tandis qu’il est patent que la Cour ne saurait prendre en compte cette discussion.
19 En effet, il découle d’une jurisprudence constante que l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation de l’État membre telle qu’elle se présentait au terme du délai fixé dans l’avis motivé et que les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte par la Cour (voir, notamment, arrêt du 6 mars 2003, Commission/Luxembourg, C-211/02, Rec. p. I-2429, point 6).
20 L’introduction d’un recours en manquement dans de telles circonstances est difficilement compatible avec le système établi par l’article 141 EA. En effet, la régularité de la procédure précontentieuse prévue à cet article constitue une garantie essentielle voulue par le traité non seulement pour la protection des droits de l’État membre en cause, mais également pour assurer que la procédure contentieuse éventuelle aura pour objet un litige clairement défini (voir, en ce sens, ordonnance du 11 juillet 1995, Commission/Espagne, C-266/94, Rec. p. I-1975, point 17, et arrêt du 10 avril 2003, Commission/Portugal, C-392/99, Rec. p. I-3373, point 133).
21 Quand les dispositions nationales pertinentes ont fondamentalement changé entre l’expiration du délai fixé pour le respect de l’avis motivé et l’introduction du recours en manquement, cette évolution peut priver l’arrêt à prononcer par la Cour d’une part importante de son utilité. Dans une telle situation, il pourrait être préférable que la Commission ne forme pas un recours mais émette un nouvel avis motivé précisant les griefs qu’elle entend retenir au vu des circonstances modifiées (voir, en ce sens, ordonnance Commission/Espagne, précitée, point 24).
22 Néanmoins, bien que les conditions dans lesquelles la Commission a formé le présent recours rendent plus complexe l’examen du litige par la Cour, il convient d’admettre qu’elles ne sont pas de nature à justifier le rejet du recours comme irrecevable.

Sur le premier grief, relatif à l’article 2 de la directive 23 La Commission développe ce grief en quatre branches. Premièrement, elle fait valoir que la République française n’a pas complètement transposé la définition du «cas d’urgence radiologique» énoncée à l’article 2 de la directive, étant donné que le décret n° 88-622, du 6 mai 1988, relatif aux plans d’urgence, pris en application de la loi n° 87-565, du 22 juillet 1987, relative à l’organisation de la sécurité civile, à la protection de la forêt contre l’incendie et à la prévention des risques majeurs (JORF du 8 mai 1988, p. 6636), ne concerne qu’une partie des situations visées à cet article. En effet, les activités mentionnées audit article 2, paragraphe 2, sous d), e) et f), ne seraient pas prévues dans ce décret. Deuxièmement, l’article 6, paragraphe 1, dudit décret viserait seulement les réacteurs nucléaires d’une puissance thermique supérieure à dix mégawatts, contrairement à la directive, qui serait applicable à l’ensemble des réacteurs nucléaires. Troisièmement, selon la Commission, l’article 6, paragraphe 2, du même décret ne comporterait pas d’installation visée à l’article 1er, paragraphe 2, de la directive. Enfin, ledit décret viserait seulement les installations situées en France, contrairement aux exigences de l’article 2, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive.
24 Le gouvernement français répond que les défaillances alléguées par la Commission ont été corrigées par les modifications introduites par les décrets n° 2002-367, du 13 mars 2002 (JORF du 20 mars 2002, p. 4955), et n° 2003-295, du 31 mars 2003 (JORF du 2 avril 2003, p. 5776).
25 Comme il a été rappelé au point 19 du présent arrêt, l’existence d’un manquement doit être appréciée en fonction de la situation prévalant au terme du délai fixé pour le respect de l’avis motivé et les changements intervenus par la suite ne sauraient être pris en compte. En l’espèce, il est constant que le délai fixé dans cet avis, et prolongé à la demande des autorités françaises, est venu à expiration le 27 octobre 2000. C’est donc au vu de l’état de la législation française en vigueur à cette date qu’il convient d’apprécier l’existence ou non du manquement allégué.
26 Dans sa version en vigueur à ladite date, l’article 6 du décret n° 88-622 prévoyait:
«Les plans particuliers d’intervention sont établis pour faire face aux risques particuliers liés à l’existence ou au fonctionnement d’ouvrages ou d’installations dont l’emprise est localisée et fixe.
Font l’objet d’un plan particulier d’intervention:
1 o Les sites comportant au moins une installation nucléaire de base de type suivant:
a) un réacteur nucléaire d’une puissance thermique supérieure à dix mégawatts; b) une usine de traitement de combustibles nucléaires irradiés; c) une usine de séparation des isotopes de combustibles nucléaires; d) une usine de conversion chimique de combustibles nucléaires; e) une usine de fabrication de combustibles nucléaires. […]»

27 En ce qui concerne la première branche du présent grief, le décret n° 88-622 ne mentionne de manière expresse aucune des activités énumérées à l’article 2, paragraphe 2, sous d), e) et f) de la directive. Si les situations que vise ce décret sont susceptibles, éventuellement, de concerner l’une ou l’autre de ces activités, ce n’est que très partiellement. Il convient de constater que, de ce fait, ledit décret n’est pas entièrement conforme à la directive.
28 S’agissant de la deuxième branche du présent grief, l’article 6, paragraphe 1, point a), du décret n° 88-622 vise les réacteurs nucléaires d’une puissance thermique supérieure à dix mégawatts tandis que la directive, et notamment son article 2, paragraphe 2, sous a), est applicable à l’ensemble des réacteurs nucléaires. Ledit décret n’est pas non plus, de ce fait, conforme à la directive.
29 Par la troisième branche du présent grief, la Commission allègue que:
«[…] les installations classées visées par l’article 6, paragraphe 2, du décret n° 88-622 ne comportent pas d’installation visée par l’article 1er, paragraphe 2, de la directive. En effet, par sa référence initiale au décret prévu à l’article 7-1 de la loi n° 76-663 et, tel que modifié par le décret n° 2002-367, par sa référence actuelle à l’article 515-8 du code de l’environnement, l’article 6, paragraphe 2 du décret n° 88-622 concerne en fait ces installations classées pour lesquelles une servitude d’utilité publique a été établie. Au vu de la nomenclature des installations classées qui a été transmise (et qui, datant d’avril 2000, a été communiquée par les autorités françaises par lettre du 18 octobre 2000), il y a lieu d’observer que les rubriques 1700 à 1721, qui correspondent aux substances radioactives, ne portent en aucun cas la mention ‘S’, qui correspond à ‘servitude d’utilité publique’, et ne sont donc pas visées par l’article 6, paragraphe 2, du décret n° 88-622.» 30 L’énoncé de cette branche du grief est d’une compréhension difficile. La nature de la nomenclature alléguée et son lien avec la mise en œuvre de la directive ne sont pas expliqués. Le décret n° 2002-367 ne peut pas être pris en compte par la Cour, pour les raisons énoncées aux points 19 et 25 du présent arrêt. Enfin, bien que la Commission mentionne plusieurs fois l’article 1er, paragraphe 2, de la directive, celle-ci ne contient pas une telle disposition.
31 Il en résulte que, faute de la clarté nécessaire, la troisième branche du premier grief doit être rejetée.
32 En ce qui concerne la quatrième branche de ce grief, il ressort du décret n° 88-622 que celui-ci vise seulement des installations situées en France, tandis que l’article 2, paragraphe 1, sous b) et c), de la directive vise des accidents survenus à l’extérieur du territoire national de l’État membre concerné. Ledit décret n’est donc pas conforme à la directive sur ce point.
33 Il en découle que, à la date du 27 octobre 2000, et dans la mesure précisée aux points 27, 28 et 32 du présent arrêt, la législation française en vigueur n’avait pas mis en œuvre de façon adéquate l’article 2 de la directive.

Sur le deuxième grief, relatif à l’article 3 de la directive 34 La Commission fait valoir que la législation française ne contient pas de définition des termes «importante émission de matières radioactives» et «taux anormaux de radioactivité susceptibles de porter atteinte à la santé publique» au sens de l’article 3 de la directive. Une telle définition serait nécessaire afin de déterminer avec précision et avec un degré suffisant de sécurité juridique les situations auxquelles les mesures nationales de transposition s’appliquent.
35 Le gouvernement français répond qu’une définition adéquate a été introduite dans la législation française par le décret n° 2003-295 et par un arrêté du 2 juin 2003 (en réalité du 17 octobre 2003) portant organisation d’un réseau national de mesures de la radioactivité de l’environnement (JORF du 28 octobre 2003, p. 18382).
36 Pour les raisons précisées aux points 19 et 25 du présent arrêt, ces actes ne peuvent pas être pris en compte par la Cour, et l’existence du manquement allégué doit être appréciée en fonction de la législation de l’État membre défendeur, telle qu’elle se présentait le 27 octobre 2000.
37 Or, le gouvernement français ne conteste pas que, à cette date, ne figurait pas dans sa législation de définition des notions dont la Commission fait état.
38 D’après les éléments soumis à la Cour, les dispositions françaises en vigueur au 27 octobre 2000 ne comportaient aucune indication des limites de dose dont le risque de dépassement doit déclencher les mesures d’information de la population prévues par la directive.
39 Il en découle que, à cette date et dans cette mesure, la législation française en vigueur n’avait pas transposé de façon adéquate l’article 3 de la directive.

Sur le troisième grief, relatif à l’article 5 de la directive 40 La Commission fait valoir que:
«Dès lors [que les premier et deuxième griefs sont retenus], l’article 5 de la directive […], qui règle l’information préalable de la population susceptible d’être affectée en cas d’urgence radiologique, n’est pas complètement transposé pour toutes les installations et activités définies à l’article 2 de cette même directive, pour les raisons déjà exposées aux points 29 à 38 [points qui énoncent les deuxième et troisième griefs] de la présente requête. En effet, l’ensemble de la population concernée n’est pas appréhendée par les mesures nationales de transposition de la directive.» 41 Il en ressort que le troisième grief est une simple conséquence de l’existence des manquements allégués aux premier et deuxième griefs. Il n’a donc aucune existence autonome.
42 Un même grief ne peut pas être retenu deux fois contre un État membre défendeur dans une procédure en manquement.
43 Par conséquent, il convient de rejeter le troisième grief.

Sur le quatrième grief, relatif à l’article 6 de la directive 44 La Commission fait valoir que les modalités d’information de la population effectivement affectée prévues par les dispositions législatives ou réglementaires françaises diffèrent de celles énoncées à l’article 6 de la directive. Ce dernier exigerait qu’une telle population soit informée «sans délai». Or, les articles 7, troisième alinéa, et 9, deuxième alinéa, du décret n° 90-394, du 11 mai 1990, relatif au code d’alerte nationale (JORF du 15 mai 1990, p. 9585), prévoiraient que la population soit informée dans les délais prescrits respectivement par le ministre ou le préfet.
45 Le gouvernement français invoque, dans son mémoire en défense, le décret n° 2001-368, du 25 avril 2001, relatif à l’information sur les risques et sur les comportements à adopter en situation d’urgence modifiant le décret n° 90-394, du 11 mai 1990, relatif au code national d’alerte (JORF du 28 avril 2001, p. 6737), et l’arrêté du 30 novembre 2001, portant sur la mise en place d’un dispositif d’alerte d’urgence autour d’une installation nucléaire de base dotée d’un plan particulier d’intervention (JORF du 14 décembre 2001, p. 19848). Dans son mémoire en duplique, le gouvernement français invoque également les articles L.1333-3 et L.1333-8 du code de la santé publique, tels qu’ils résultent de l’ordonnance n° 2001-270, du 28 mars 2001 (JORF du 31 mars 2001, p. 5057), et de la loi n° 2001-398, du 9 mai 2001 (JORF du 10 mai 2001, p. 7325).
46 Ces dispositions ayant été adoptées après le 27 octobre 2000, la Cour ne peut les prendre en compte, pour les raisons exposées aux points 19 et 25 du présent arrêt.
47 Il convient ainsi de limiter l’examen de la Cour au décret n° 90-394. Les articles 7, troisième alinéa, et 9, deuxième alinéa, dudit décret prévoyaient que les messages, diffusés par radio et télévision en vue de confirmer l’alerte et d’indiquer à la population la conduite à tenir, étaient diffusés dans les délais prescrits respectivement par le ministre chargé de la sécurité civile ou par le préfet chargé de la direction des secours et étaient répétés, le cas échéant, selon une périodicité précisée par celui-ci.
48 Force est de constater que cette disposition ne mettait pas pleinement en œuvre l’article 6 de la directive selon lequel la population effectivement affectée doit être informée, sans délai, sur la situation d’urgence et le comportement à adopter.
49 Il en découle que, dans cette mesure, la législation nationale en vigueur au jour de l’expiration du délai fixé pour le respect de l’avis motivé, n’avait pas transposé de façon adéquate l’article 6 de la directive.

Sur le cinquième grief, relatif à l’article 7 de la directive 50 La Commission fait valoir que l’article 7 de la directive, concernant l’information des équipes d’intervention, n’a pas fait l’objet d’une transposition complète en droit français. La circulaire 1102, du 29 septembre 1987, relative à l’organisation des soins médicaux le premier jour en cas d’accident radiologique ou nucléaire (aide médicale urgente), ne suffirait pas pour atteindre les objectifs dudit article. Elle ne répondrait pas aux exigences de sécurité juridique qu’impose la jurisprudence constante de la Cour.
51 Le gouvernement français ne conteste pas le bien-fondé de ce grief. Il fait savoir son intention de modifier dans les meilleurs délais l’article R.1333-85 du code de la santé publique en vue d’assurer une transposition complète de l’article 7 de la directive.
52 Il convient de souligner que ladite circulaire 1102 ne contient aucune disposition relative à l’information des équipes de secours.
53 Par ailleurs, l’arrêté du 21 novembre 1994, relatif à la formation des sapeurs-pompiers professionnels (JORF du 7 janvier 1995, p. 319), dans sa version initiale, n’est applicable qu’aux sapeurs-pompiers et non pas à d’autres personnes susceptibles d’intervenir dans l’organisation des secours.
54 En outre, si cet arrêté prévoit une formation spécialisée en matière de risques radiologiques, il ressort de ses articles 23, paragraphe 2, et 27, paragraphe 2, que celle-ci n’est prévue que de façon facultative aux fins de l’avancement en grade.
Pour cette dernière raison, cette formation ne correspond pas à la formation adéquate et régulière qui est prévue de façon obligatoire à l’article 7 de la directive.
55 Il en résulte que, dans la mesure précisée, la réglementation française en vigueur au 27 octobre 2002 n’avait pas mis en œuvre de façon adéquate l’article 7 de la directive.

Sur le sixième grief, relatif à l’article 8 de la directive 56 La Commission rappelle que, aux termes de l’article 8 de la directive, les informations visées aux articles 5, 6 et 7 de celle-ci «comportent également l’indication des autorités chargées d’appliquer les mesures visées à ces mêmes articles». La pratique des autorités françaises, qui consisterait à inclure la mention des autorités responsables sur les supports d’information au public, ne saurait à cet égard être considérée comme suffisante pour assurer la transposition correcte et complète dudit article 8. En effet, elle ne correspondrait pas aux exigences de sécurité juridique.
57 Il convient de rappeler que, selon les termes mêmes de l’article 161, troisième alinéa, EA, les États membres bénéficient du choix de la forme et des moyens de mise en œuvre des directives permettant de garantir au mieux le résultat auquel ces dernières tendent. Il ressort de cette disposition que la transposition en droit interne d’une directive n’exige pas nécessairement une action législative dans chaque État membre. Aussi la Cour a-t-elle itérativement jugé qu’une reprise formelle des prescriptions d’une directive dans une disposition légale expresse et spécifique n’est pas toujours requise (voir, en ce sens, arrêts du 26 juin 2003, Commission/France, C-233/00, Rec. p. I-6625, point 76, et du 20 novembre 2003, Commission/France, C-296/01, non encore publié au Recueil, point 55).
58 C’est à la lumière de cette jurisprudence qu’il convient d’examiner le sixième grief de la Commission.
59 En l’espèce, cette dernière n’a aucunement démontré que le respect de l’obligation prévue à l’article 8 de la directive nécessite l’adoption de mesures de transposition spécifiques dans l’ordre juridique national.
60 En outre, la Commission admet l’existence d’une pratique des autorités françaises, qui consiste à inclure la mention des autorités responsables sur les supports d’information au public, sans démontrer en quoi cette pratique serait contraire à l’obligation prévue audit article 8.
61 Partant, il y a lieu de rejeter comme non fondé le sixième grief.
62 Au vu de ce qui précède, il convient de constater que, du fait qu’elle n’avait pas pris, au 27 octobre 2000, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux articles 2, 3, 6 et 7 de la directive, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de celle-ci.

Sur les dépens
63 Aux termes de l’article 69, paragraphe 2, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Toutefois, en vertu de l’article 69, paragraphe 3, du même règlement, la Cour peut répartir les dépens ou décider que chaque partie supporte ses propres dépens si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs.
En l’espèce, chaque partie ayant partiellement succombé en ses moyens, il y a lieu de décider que chacune supporte ses propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) déclare et arrête:

1) Du fait qu’elle n’avait pas pris, au 27 octobre 2000, toutes les mesures nécessaires pour se conformer aux articles 2, 3, 6 et 7 de la directive 89/618/Euratom du Conseil, du 27 novembre 1989, concernant l’information de la population sur les mesures de protection sanitaire applicables et sur le comportement à adopter en cas d’urgence radiologique, la République française a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive.

2) Le recours est rejeté pour le surplus.

3) Chaque partie supporte ses propres dépens. Signatures


1 – Langue de procédure: le français.

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CJCE, n° C-177/03, Arrêt de la Cour, Commission des Communautés européennes contre République française, 9 décembre 2004