CJUE, n° C-465/20, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 9 novembre 2023

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Chronologie de l’affaire

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CJUE · 9 novembre 2023

COMMUNIQUE DE PRESSE n° 168/23 Luxembourg, le 9 novembre 2023 Arrêt de la Cour dans l'affaire C-319/22 | Gesamtverband Autoteile-Handel (Accès aux informations sur les véhicules) Les constructeurs automobiles doivent mettre les numéros d'identification des véhicules à la disposition des opérateurs indépendants Lorsque ce numéro permet d'identifier le détenteur d'un véhicule, constituant ainsi une donnée à caractère personnel, cette obligation est compatible avec le règlement général sur la protection des données Le droit de l'Union 1 oblige les constructeurs automobiles à rendre …

 
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Sur la décision

Référence :
CJUE, 9 nov. 2023, C-465/20
Numéro(s) : C-465/20
Conclusions de l'avocat général M. G. Pitruzzella, présentées le 9 novembre 2023.###
Précédents jurisprudentiels : 100.
102.
105.
107.
109.
10 mars 2022, Commission/Freistaat Bayern e.a. ( 17
111.
113.
11 Voir arrêt du 22 juin 2023, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy GdyniaKosakowo/Commission ( C-163/22 P, EU:C:2023:515
12 C164/98 P, EU:C:2000:48
12 mai 2021, Luxembourg et Amazon/Commission ( T-816/17 et T-318/18, EU:T:2021:252
13 C486/15 P, EU:C:2016:912
13 février 2014, Mediaset, C-69/13, EU:C:2014:71 ( 64
15 septembre 2022, Fossil ( Gibraltar ) ( C-705/20, EU:C:2022:680
16 et T-892/16 et a décidé que l' Irlande, dans l' affaire T-892/16
16 Voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission ( C-487/06 P, EU:C:2008:757
19 Voir arrêt du 27 avril 2023, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro e.a./Commission ( C-549/21 P, EU:C:2023:340
24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission ( T-760/15 et T-636/16, EU:T:2019:669
26 Voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. ( C-425/19 P, EU:C:2021:154
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43 Voir arrêt du 22 juin 2023, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy GdyniaKosakowo/Commission ( C-163/22 P, EU:C:2023:515
46
47 C81/10 P, EU:C:2011:811
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48 Voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona ( C-362/19 P, EU:C:2021:169
49 Voir arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne ( C-933/19 P, EU:C:2021:905
50
50 Voir arrêt du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen ( C-520/07 P, EU:C:2009:557
51 Voir arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne ( C-933/19 P, EU:C:2021:905
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53.
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54 Voir arrêt du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen ( C-520/07 P, EU:C:2009:557
55.
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57.
58.
58 Voir arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission ( C-382/12 P, EU:C:2014:2201, point 41
59.
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61.
63 Voir arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission ( C-148/19 P, EU:C:2020:354
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affaire T-778/16 ) ainsi qu' ASI et AOE ( affaire T-892/16
C215/12 P et C223/12 P, EU:C:2013:682
C-51/19 P et C-64/19 P, EU:C:2021:793
Camomilla/EUIPO ( C-68/19 P, EU:C:2019:711
Casa Regina Apostolorum della Pia Società delle Figlie di San Paolo/Commission ( C-492/21 P, EU:C:2023:354
Commission ( C-148/19 P, EU:C:2020:354
Commission ( C-599/18 P, EU:C:2019:966
Commission ( C-696/21 P, EU:C:2023:217
Commission ( C-747/21 P et C-748/21 P, EU:C:2023:459
Commission demande l' annulation de l' arrêt du 15 juillet 2020, Irlande e.a./Commission
Commission/Frucona Košice ( C-300/16 P, EU:C:2017:706
Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo ( C-56/18 P, EU:C:2020:192
Commission/Scott ( C-290/07 P, EU:C:2010:480
Fiat Chrysler Finance Europe/Commission ( C-885/19 P et C-898/19 P, EU:C:2022:859
Kokott dans l' affaire Commission/Luxembourg e.a., C-457/21 P, EU:C:2023:466
MasterCard e.a./Commission ( C-382/12 P, EU:C:2014:2201, point 41
Natural Instinct/M. I. Industries ( C-218/17 P, EU:C:2017:655
Pandalis/EUIPO ( C-194/17 P, EU:C:2019:80
TUIfly/Commission, C-763/21 P, EU:C:2023:528
TUIfly/Commission ( C-763/21 P, EU:C:2023:528
Identifiant CELEX : 62020CC0465
Identifiant européen : ECLI:EU:C:2023:840
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Sur les parties

Texte intégral

Édition provisoire

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 9 novembre 2023 (1)

Affaire C-465/20 P

Commission européenne

contre

Irlande,

Apple Sales International,

Apple Operations International, anciennement Apple Operations Europe,

Grand-Duché de Luxembourg,

République de Pologne,

Autorité de surveillance de l’AELE

« Pourvoi – Aides d’État – Décisions fiscales anticipatives (tax rulings) – Avantages fiscaux sélectifs »

I. Introduction

1. La présente affaire s’inscrit dans un courant désormais assez étoffé d’affaires portant sur l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE aux « rulings fiscaux ». Comme on le sait, le « ruling fiscal » permet aux entreprises de demander à l’administration fiscale une « décision anticipative » relative à l’impôt dont elles seront redevables et d’obtenir ainsi de cette administration une position officielle sur l’application des règles fiscales nationales ainsi que des assurances quant au traitement fiscal qui leur sera appliqué. Il ne fait aucun doute que la règlementation relative aux aides d’État ne saurait être utilisée pour réaliser subrepticement une harmonisation fiscale qui se heurte à des obstacles politiques ni pour lutter contre la concurrence fiscale dommageable. En effet, tirer parti des disparités entre les systèmes fiscaux n’implique pas l’octroi d’une aide et, en soi, la concurrence fiscale entre États n’est pas interdite. La Commission doit toutefois pouvoir vérifier si, par le biais d’une mesure fiscale, telle qu’une décision anticipative, un État membre accorde un avantage sélectif à une entreprise donnée. Dans un tel cas, des entreprises qui, comme Apple, disposent déjà, par elles-mêmes, d’un pouvoir de marché important, compte tenu également de la dynamique des marchés digitaux qui tendent à concentrer ces pouvoirs, se trouveraient avantagées par rapport aux concurrentes, ce qui affecterait le level playing field (les conditions de concurrence équitables) entre entreprises. Les règles sur les aides d’État servent à éviter ces conséquences dommageables pour la concurrence et préjudiciables à l’innovation et aux consommateurs.

2. La Commission demande l’annulation de l’arrêt du 15 juillet 2020, Irlande e.a./Commission (ci-après l’« arrêt attaqué ») (2), par lequel le Tribunal a annulé la décision (UE) 2017/1283 de la Commission, du 30 août 2016 (3) (ci-après la « décision litigieuse »), qui concerne deux décisions fiscales anticipatives rendues par les autorités fiscales irlandaises en faveur d’Apple Sales International (ASI) et d’Apple Operations Europe (AOE), deux sociétés du groupe Apple (ci-après, dénommées ensemble, les « décisions anticipatives »).

II. Les faits et les antécédents du litige

3. Fondé en 1976 et établi à Cupertino, Californie (États-Unis), le groupe Apple se compose d’Apple Inc. et de toutes les sociétés contrôlées par cette dernière. Son activité mondiale est articulée autour de secteurs fonctionnels clés, gérés et dirigés au niveau central depuis les États-Unis (point 1 de l’arrêt attaqué). Apple Operations International (AOI) est une filiale à 100 % d’Apple Inc. AOI détient à 100 % la filiale AOE, qui à son tour détient à 100 % la filiale ASI. ASI et AOE sont toutes deux constituées en tant que sociétés de droit irlandais, mais ne sont pas résidentes fiscales irlandaises (point 3 de l’arrêt attaqué) (4). ASI et AOE ont constitué des succursales irlandaises (ci-après, dénommées ensemble, les « succursales irlandaises »). La succursale irlandaise d’ASI est notamment responsable de la réalisation des activités d’achat, de vente et de distribution, associées à la vente de produits de la marque Apple à des parties liées et à des clients tiers dans les régions couvrant l’Europe, le Moyen-Orient, l’Inde et l’Afrique (EMEIA) ainsi que l’Asie-Pacifique (APAC). Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent l’achat de produits finis de marque Apple auprès de fabricants tiers et liés, les activités de distribution associées à la vente de produits à des parties liées dans les régions EMEIA et APAC ainsi qu’à la vente de produits à des clients tiers dans la région EMEIA, la vente en ligne, les opérations logistiques et l’exploitation du service après-vente. La succursale irlandaise d’AOE est responsable de la fabrication et du montage d’une gamme spécialisée de produits informatiques en Irlande, tels que des ordinateurs de bureau iMac, des ordinateurs portables MacBook et d’autres accessoires informatiques, qu’elle fournit à des parties liées pour la région EMEIA. Les principales fonctions exercées au sein de cette succursale incluent la planification et la programmation de la production, l’ingénierie des processus, la production et l’exploitation, l’assurance et le contrôle de la qualité et les opérations de reconditionnement (points 9 et 10 de l’arrêt attaqué).

4. Au cours de la période couverte par la décision attaquée, c’est-à-dire de 1991 à 2014 (ci-après la « période pertinente »), Apple Inc., d’une part, et ASI et AOE, d’autre part, étaient liées par un accord de partage des coûts (ci-après l’« accord de partage des coûts »). Les coûts partagés portaient notamment sur la recherche et le développement (ci-après la « R&D ») des technologies incorporées aux produits du groupe Apple. En vertu de cet accord, d’une part, les parties ont accepté de partager les coûts et les risques liés à la R&D concernant les biens incorporels à la suite des activités de développement concernant les produits et services du groupe Apple. D’autre part, elles se sont accordées sur le fait qu’Apple Inc. demeurait propriétaire des actifs incorporels à coûts partagés, y compris les droits de propriété intellectuelle (ci-après la « PI »). En outre, Apple Inc. a octroyé une licence libre de redevance à ASI et à AOE leur permettant de fabriquer et de vendre les produits Apple concernés dans le territoire qui leur avait été assigné, à savoir le monde à l’exclusion du continent américain (ci-après les « licences de PI ») (5). Les parties à l’accord étaient tenues d’assumer les risques résultant de cet accord. Le principal risque était constitué par l’obligation de payer les coûts de développement des droits de PI. Pendant la période pertinente, différentes modifications ont été apportées à l’accord de partage des coûts, afin notamment de prendre en compte des changements dans la réglementation applicable (points 5 et 6 de l’arrêt attaqué.)

5. En 2008, ASI a conclu avec Apple Inc. un contrat de services marketing (ci-après l’« accord relatif aux services de commercialisation »), dans le cadre duquel cette dernière s’engageait à fournir à ASI des services de commercialisation comprenant notamment la création, le développement et la mise en œuvre de stratégies de marketing, de programmes et de campagnes de promotion. ASI s’engageait à rémunérer Apple Inc. pour ces services par le paiement d’une redevance correspondant à un pourcentage des « frais raisonnables encourus » par Apple Inc. pour ces services, augmenté d’une marge (point 7 de l’arrêt attaqué).

A. Sur les décisions anticipatives

6. Par lettre du 12 octobre 1990, adressée aux autorités fiscales irlandaises, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont décrit les activités d’Apple Computer Ltd (ACL), prédécesseur d’AOE, en Irlande, en indiquant les fonctions qui auraient été exercées par sa succursale irlandaise établie à Cork (Irlande). Ils ont précisé que cette succursale aurait été propriétaire des actifs afférents aux activités de fabrication, mais qu’AOE aurait conservé la propriété des matériaux utilisés, des produits en cours et des produits finis. Par lettre du 2 janvier 1991, les autorités fiscales irlandaises ont été informées de l’existence d’une nouvelle société, Apple Computer Accessories Ltd (ACAL), prédécesseur d’ASI, dont la succursale en Irlande était décrite comme étant responsable de l’approvisionnement des produits destinés à l’exportation, auprès de fabricants irlandais. Par lettre du 29 janvier 1991 (ci-après la « décision anticipative de 1991 »), les autorités fiscales irlandaises ont confirmé les termes proposés par le groupe Apple en ce qui concerne le calcul du bénéfice imposable d’ACL et d’ACAL en Irlande. Le bénéfice imposable d’ACL était calculé sur la base d’un pourcentage des coûts d’exploitation de sa succursale irlandaise, fixé à 65 % de ces coûts à concurrence d’un montant annuel égal à [confidentiel] et à 20 % de ces coûts au-delà de ce montant [confidentiel]. Si le bénéfice global était inférieur au montant obtenu grâce à cette formule, ce dernier serait utilisé pour déterminer les bénéfices nets. Les coûts d’exploitation à prendre en considération pour ce calcul comprenaient l’ensemble des dépenses d’exploitation, à l’exclusion du matériel destiné à la revente et de l’élément des coûts relatif aux actifs incorporels facturés par les sociétés affiliées au groupe Apple. Le bénéfice imposable d’ACAL était calculé sur la base d’une marge de 12,5 % des coûts d’exploitation de sa succursale irlandaise (matériaux pour revente exclus) (points 11 à 16 de l’arrêt attaqué).

Par lettre du 16 mai 2007 adressée aux autorités fiscales irlandaises, les conseillers fiscaux du groupe Apple ont résumé leur proposition pour réviser la méthode de détermination de la base imposable des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE. Dans les deux cas, il était proposé que le bénéfice imposable corresponde à un pourcentage des coûts d’exploitation, à l’exclusion des coûts tels que les sommes facturées par les sociétés affiliées au sein du groupe Apple et les coûts de matériel. Dans le cas de la succursale irlandaise d’AOE, il était proposé d’y ajouter un montant correspondant au rendement sur la PI pour les technologies de processus de fabrication élaborées par cette succursale, égal à un pourcentage de son chiffre d’affaires. Il était également proposé que l’accord entre en vigueur le 1er octobre 2007 pour les deux succursales, qu’il soit applicable pendant cinq années, qu’il soit ensuite renouvelé sur une base annuelle et qu’il soit applicable à de nouvelles entités créées ou transformées au sein du groupe Apple, pour autant que leurs activités correspondent à celles effectuées par AOE et par ASI. Par lettre du 23 mai 2007 (ci-après la « décision anticipative de 2007 »), les autorités fiscales irlandaises ont confirmé leur accord sur l’ensemble de ces propositions. Cet accord a été appliqué jusqu’à l’exercice fiscal 2014 (points 17 à 21 de l’arrêt attaqué).

B. Sur la décision litigieuse

7. Dans la décision litigieuse, la Commission a conclu que les décisions anticipatives, en entraînant une réduction de la charge fiscale qu’ASI et AOE auraient dû supporter, avaient octroyé à ces sociétés, durant la période pertinente, un aide au fonctionnement qui avait profité au groupe Apple dans son ensemble (considérants 417 et 418). Elle a déclaré cette aide illégale et incompatible avec le marché intérieur en vertu de l’article 107, paragraphe 3, sous c), TFUE (article 1er de la décision litigieuse) et en a ordonné la récupération (article 2 de la décision litigieuse).

8. Dans la section 8.2 de cette décision, afin de démontrer l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, la Commission a suivi l’analyse en trois étapes issue de la jurisprudence (6).

9. En ce qui concerne la première étape, qui porte sur l’identification du système de référence, elle a considéré que celui-ci était constitué du système de droit commun d’imposition des bénéfices des sociétés en Irlande, dont l’objectif était d’imposer les bénéfices de toutes les sociétés soumises à l’impôt dans ce pays. Eu égard à cet objectif, la Commission a considéré que toutes les sociétés soumises à l’impôt en Irlande, qu’elles soient ou non résidentes, intégrées ou non, se trouvaient dans une situation juridique et factuelle comparable. Elle a dès lors considéré que l’article 25 du Taxes Consolidation Act de 1997 (ci-après le « TCA 97 »), relatif à l’imposition des sociétés non résidentes, faisait partie intégrante du système de référence et ne constituait pas un cadre de référence distinct (considérants 227 à 243 de la décision litigieuse). En vertu de cet article, une société non résidente n’est soumise à l’impôt sur les sociétés que si elle exerce une activité commerciale en Irlande par l’intermédiaire d’une succursale ou d’une agence. Dans cette hypothèse, cette société est imposée « sur l’ensemble de ses revenus commerciaux tirés directement ou indirectement de la succursale ou de l’agence et des actifs ou des droits utilisés par, ou détenus par ou pour, la succursale ou l’agence […] » (voir point 158 de l’arrêt attaqué).

10. En ce qui concerne la deuxième étape, qui vise à déterminer s’il existe un avantage sélectif découlant d’une dérogation au système de référence, la Commission a tout d’abord précisé que, compte tenu de son libellé et de sa finalité, l’article 25 du TCA 97 devait être appliqué en combinaison avec une méthode d’attribution des bénéfices qui permette de parvenir à un bénéfice imposable conforme à « une approximation fiable d’un résultat basé sur le marché conformément au principe de pleine concurrence » (considérant 253). Ce principe qui « vise à garantir que des transactions réalisées entre des sociétés intégrées d’un même groupe sont traitées à des fins fiscales en tenant compte du montant du bénéfice qui aurait été réalisé si les mêmes transactions avaient été conclues par des sociétés autonomes non intégrées », s’applique en effet « aux transactions internes de différentes parties d’une même société intégrée, par exemple une succursale effectuant des transactions avec les autres parties de la société à laquelle elle appartient » (considérants 252 et 253). Dans ce contexte, la Commission a en outre précisé qu’elle n’appliquerait pas directement les principes développés dans le cadre de l’Organisation de coopération et de développement économique (ci-après l’« OCDE »), qui découlent notamment de l’article 7, paragraphe 2, et de l’article 9 du modèle de convention fiscale de l’OCDE et du rapport de 2010 sur l’attribution de bénéfices aux établissements stables, approuvé par le Conseil de l’OCDE le 22 juillet 2010, qui décrit l’approche autorisée de l’OCDE relative à la mise en œuvre du principe de pleine concurrence tel que le définissent les principes de l’OCDE applicables en matière de prix de transfert à l’intention des entreprises multinationales et des administrations fiscales (7) dans le cadre de l’attribution des bénéfices à un établissement stable (ci-après l’« approche autorisée de l’OCDE ») (8), mais qu’elle en tiendrait compte en tant d’orientations utiles sur la manière d’assurer que les méthodes d’attribution des bénéfices et de fixation des prix de transfert produisent des résultats conformes aux conditions du marché (considérant 255). La Commission a ensuite mené son analyse en se fondant sur trois raisonnements distincts, dont chacun permet de conclure à l’existence d’un avantage sélectif en l’espèce. Aux fins de la présente affaire, seuls les deux premiers raisonnements, à titre principal et à titre subsidiaire, sont pertinents. S’appuyant sur le raisonnement à titre principal (considérants 265 à 321 de la décision litigieuse), la Commission a considéré que le fait que, dans les décisions anticipatives, les autorités fiscales irlandaises aient accepté l’hypothèse non démontrée selon laquelle les licences de PI devaient être attribuées hors d’Irlande à des fins fiscales – et donc aux sièges d’ASI et d’AOE (ci-après les « sièges ») et non à leurs succursales irlandaises – avait donné lieu à un bénéfice annuel imposable de ces sociétés s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat basé sur le marché selon le principe de pleine concurrence. Sur le fondement du raisonnement à titre subsidiaire (considérants 325 à 360 de la décision litigieuse), la Commission a considéré que, même si les autorités fiscales irlandaises avaient eu raison d’accepter cette hypothèse, le résultat aurait été le même puisque les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées dans les décisions anticipatives étaient fondées sur des choix méthodologiques inadéquats, qui avaient de toute façon entraîné une réduction du montant d’impôt qu’ASI et AOE devaient payer par rapport aux sociétés non intégrées dont le bénéfice imposable était déterminé par les prix négociés sur le marché selon le principe de pleine concurrence.

11. Enfin, dans le cadre de la troisième étape de son analyse, la Commission a constaté que l’Irlande et Apple n’avaient pas présenté d’arguments concernant la justification de l’avantage sélectif octroyé par les décisions anticipatives (considérants 404 à 411 de la décision litigieuse).

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12. L’Irlande (affaire T-778/16) ainsi qu’ASI et AOE (affaire T-892/16) ont introduit des recours contre la décision litigieuse. Dans l’affaire T-778/16, le Grand-Duché de Luxembourg a été admis à intervenir au soutien des conclusions de l’Irlande, et la République de Pologne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission. Dans l’affaire T-892/16, l’Autorité de surveillance de l’AELE a été admise à intervenir au soutien des conclusions de la Commission, et l’Irlande a été admise à intervenir au soutien des conclusions d’ASI et d’AOE. Les affaires ont été jointes aux fins de la phase orale de la procédure. À l’appui de leur recours, l’Irlande, d’une part, et ASI et AOE, d’autres part, ont soulevé, respectivement, neuf et quatorze moyens, qui se recoupent en grande partie, et que le Tribunal a examiné conjointement.

13. Dans l’arrêt attaqué, pour ce qui intéresse la présente instance, le Tribunal a, en premier lieu, rejeté les moyens invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE et tirés du dépassement, par la Commission, de ses compétences ainsi que de la violation du principe d’autonomie fiscale des États membres (points 103 à 124 de l’arrêt attaqué). Il a, en deuxième lieu, examiné les moyens tirés des erreurs commises par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre principal. Dans ce contexte, il a tout d’abord rejeté le grief invoqué par l’Irlande et tiré de l’examen conjoint des critères de l’avantage et de la sélectivité. Il a ensuite examiné les griefs tirés d’erreurs dans l’identification du système de référence et d’erreurs relatives à l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais. Au terme de cet examen, le Tribunal a conclu que le raisonnement à titre principal de la Commission était fondé sur « des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce » (point 249 de l’arrêt attaqué). Enfin, le Tribunal a examiné « aux fins d’exhaustivité » les griefs invoqués à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission concernant les activités au sein du groupe Apple et a conclu que la Commission n’était pas parvenue à démontrer que, eu égard, d’une part, aux activités et aux fonctions effectivement exercées par les succursales irlandaises d’ASI et d’AOE et, d’autre part, aux décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales, les licences de PI auraient dû être attribuées auxdites succursales irlandaises aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande (point 310 de l’arrêt attaqué). Enfin, le Tribunal a examiné les griefs concernant les appréciations effectuées par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire. Au terme de son analyse, tout en reconnaissant que « les défaillances dans les méthodes de calcul des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE démontrent le caractère lacunaire et parfois incohérent des [décisions anticipatives] » (point 479 de l’arrêt attaqué), le Tribunal a considéré que ces défaillances ne suffisaient pas à prouver l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

14. Le Tribunal a donc annulé la décision litigieuse dans son intégralité, sans examiner les autres griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE, il a condamné la Commission aux dépens des requérantes dans les affaires T-778/16 et T-892/16 et a décidé que l’Irlande, dans l’affaire T-892/16, le Grand-Duché de Luxembourg, la République de Pologne et l’Autorité de surveillance de l’AELE, supporteraient leurs propres dépens.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

15. Par requête déposée au greffe de la Cour le 25 septembre 2020, la Commission a demandé l’annulation de l’arrêt attaqué. L’Irlande, ASI et AOE, le Grand-Duché de Luxembourg et l’Autorité de surveillance de l’AELE ont présenté des observations écrites. Par lettre du 4 avril 2023, les avocats d’ASI et AOE ont informé la Cour qu’à la suite d’une fusion réalisée conformément au droit irlandais, AOE avait été absorbée par AOI à partir du 2 avril 2023. Le nom d’AOI a donc remplacé celui d’AOE en sa qualité de partie à la présente affaire. Les parties ont été entendues à l’audience du 23 mai 2023. La Commission demande à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de rejeter les premier, deuxième, troisième, quatrième et huitième moyens dans l’affaire T-778/16, ainsi que les premier, deuxième, troisième, quatrième, cinquième, huitième et quatorzième moyens dans l’affaire T-892/16, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il se prononce sur les autres moyens et de réserver les dépens de la procédure devant le Tribunal et devant la Cour. ASI et AOI demandent à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la Commission aux dépens. L’Irlande demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la Commission aux dépens. L’Autorité de surveillance de l’AELE demande à la Cour d’accueillir le pourvoi dans son intégralité, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour examen des moyens sur lesquels il n’a pas été statué et de réserver les dépens de la procédure devant le Tribunal et devant la Cour. Le Grand-Duché de Luxembourg demande à la Cour de rejeter le pourvoi dans son intégralité et de condamner la Commission aux dépens encourus par le Grand-Duché de Luxembourg.

V. Sur le pourvoi

16. À l’appui de son pourvoi, la Commission soulève deux moyens, divisés chacun en plusieurs branches. Le premier moyen porte sur les points de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a rejeté le raisonnement à titre principal. Le second moyen est dirigé contre la partie de l’arrêt dans laquelle le Tribunal a infirmé le raisonnement à titre subsidiaire.

A. Observations liminaires

17. Comme nous l’avons vu, en vertu de l’accord de partage des coûts, durant la période pertinente, ASI et AOE détenaient les licences de PI et versaient à Apple Inc. une somme destinée à financer les activités de R&D du groupe. Les accords de partage des coûts (cost sharing) tendent à éviter que, dans l’incertitude des résultats des investissements en R&D, il ne soit pas possible de récupérer la perte éventuellement subie par la société qui a effectué ces investissements. Les coûts de R&D sont répartis entre les sociétés du groupe de manière à ce que les éventuels revenus soient attribués à chaque société selon un pourcentage correspondant à celui des coûts qui lui ont été attribués. Telle est la justification de l’accord, mais il convient de garder à l’esprit que, dans la pratique des multinationales, un accord de partage des coûts peut permettre d’attribuer les coûts et les profits correspondants dans les territoires où l’imposition est moins élevée. En l’espèce, en supprimant le lien entre l’attribution d’une partie des coûts et des bénéfices liés à la PI d’Apple et le lieu où l’activité de R&D du groupe était principalement réalisée, c’est-à-dire au siège d’Apple Inc. en Californie, ces coûts et bénéfices ont été déplacés vers ASI et AOE. Comme cela a déjà été indiqué, bien que constituées en Irlande, ces sociétés n’étaient pas, durant la période pertinente, fiscalement résidentes en Irlande, ni dans d’autres juridictions fiscales. En Irlande, en vertu de l’article 25 du TCA 97, leur obligation fiscale était limitée aux bénéfices imputables à leurs succursales irlandaises, avec pour conséquence que, en substance, les bénéfices qui n’étaient pas attribués à ces succursales n’étaient en fait imposés nulle part (9). Le nœud du problème réside par conséquent dans la méthode de détermination des bénéfices imposables attribuables aux succursales irlandaises en l’absence d’indication à l’article 25 du TCA 97. Puisque la majeure partie des bénéfices d’ASI et d’AOE provenaient des licences de PI, afin de procéder à cette détermination, il fallait tout d’abord déterminer comment ces licences devaient être attribuées au sein de ces sociétés, en tenant compte de leurs diverses composantes, à savoir les sièges, d’une part, et les succursales irlandaises, d’autre part. C’est, en substance, sur cette question que les points de vue de l’Irlande et de la Commission divergent. En effet, les décisions anticipatives avaient approuvé la méthode de détermination de la base imposable d’ASI et d’AOE proposée par Apple, qui prévoyait de facto l’attribution des licences de PI et de la plupart des bénéfices de ces sociétés en dehors des succursales irlandaises. Selon la Commission, une telle attribution des bénéfices, qui réduisait l’obligation fiscale d’ASI et d’AOE, conférait à ces dernières un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et constituait une aide fiscale qui bénéficiait au groupe Apple dans son ensemble.

B. Sur le premier moyen de pourvoi

18. Le premier moyen de pourvoi est divisé en trois branches.

1. Sur la première branche du premier moyen de pourvoi

19. Par la première branche du premier moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que le Tribunal a interprété la décision litigieuse de manière erronée, qu’il a commis une irrégularité de procédure ainsi qu’une contradiction de motifs lorsque, aux points 125, 183 à 187, 228, 242 et 243 de l’arrêt attaqué, il a affirmé que lorsqu’elle a considéré que les licences de PI auraient dû être attribuées à des fins fiscales aux succursales irlandaises puisque les sièges d’ASI et d’AOE n’avaient pas de salariés ni de présence physique pour en assurer le contrôle et la gestion, la Commission avait procédé à une attribution de bénéfices « par exclusion » qui n’était pas conforme à l’article 25 du TCA 97, au principe de pleine concurrence, ni à l’approche autorisée de l’OCDE. ASI et AOI, l’Irlande et le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent que les critiques formulées par la Commission sont irrecevables, inopérantes et, en tout état de cause, non fondées.

a) Analyse

1) Sur la recevabilité

20. Je rappelle que, conformément à l’article 256, paragraphe 1, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. Le Tribunal est seul compétent pour constater les faits, sauf dans le cas où l’inexactitude matérielle de ses constatations résulterait des pièces du dossier qui lui ont été soumises, et pour apprécier les éléments de preuve retenus (10). La constatation de ces faits et l’appréciation de ces éléments de preuve ne constituent donc pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (11).

21. ASI et AOI font valoir qu’alléguer une erreur d’interprétation de l’acte attaqué devant le Tribunal ne revient pas à invoquer une erreur de droit, sous réserve du cas de la dénaturation de cet acte résultant d’une lecture manifestement erronée de celui-ci par le Tribunal. Afin d’étayer leur position, elles rappellent les arrêts du 27 janvier 2000, DIR International Film e.a./Commission (12), et du 30 novembre 2016, Commission/France et Orange (13). Dans le premier de ces arrêts, la Cour a précisé que si, dans le cadre d’un recours en annulation, le Tribunal peut être amené à interpréter la motivation de l’acte attaqué d’une manière différente de son auteur, voire même, dans certaines circonstances, à rejeter la motivation formelle retenue par celui-ci, il ne peut le faire lorsqu’aucun élément matériel ne le justifie, puisque dans ce cas il substituerait sa propre motivation à celle de l’auteur de l’acte et commettrait ainsi une erreur de droit susceptible d’être invoquée devant la Cour (14). Or, s’il est vrai que dans cet arrêt la Cour a conclu qu’il y avait eu une dénaturation du contenu de la décision en cause (15), il n’est cependant pas possible d’en déduire, comme le voudraient ASI et AOI, que seule une lecture manifestement inexacte de l’acte attaqué effectuée par le Tribunal peut être invoquée au stade du pourvoi. Une telle conclusion irait d’ailleurs à l’encontre de l’application, en sens opposé, qu’a fait la Cour de ce précédent (16). En ce qui concerne l’arrêt Commission/France et Orange, il suffit de relever que, au point 102 de cet arrêt sur lequel se fondent ASI et AOE, la Cour s’est bornée à constater que la Commission n’avait pas avancé d’arguments au soutien de son allégation de dénaturation de la décision attaquée devant le Tribunal. Ce point n’apporte donc aucun élément au soutien de l’exception d’irrecevabilité soulevée par ASI et AOI. J’ajouterai que la Cour a déjà eu l’occasion de rejeter explicitement une exception analogue dans l’arrêt du 10 mars 2022, Commission/Freistaat Bayern e.a. (17), dans lequel elle a affirmé que constitue une question de droit recevable au stade du pourvoi celle de l’interprétation correcte par le Tribunal de la décision dont il est appelé à apprécier la légalité dans le cadre d’un recours en annulation (18). Plus généralement, la question de l’interprétation correcte d’une décision de la Commission adoptée sur le fondement de l’article 108, paragraphe 2, premier alinéa, TFUE ne peut être soustraite au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi au prétexte qu’il s’agit d’une « question de fait ». Si je n’exclus pas que, parfois, une erreur d’interprétation d’un tel acte puisse être invoquée dans le but d’obtenir, en réalité, que la Cour réexamine les appréciations de fait du Tribunal, tel n’est, selon moi, manifestement pas le cas du grief analysé, qui porte sur la compréhension correcte du raisonnement suivi par la Commission et du critère juridique appliqué par celle-ci. En l’espèce, en invoquant une interprétation incorrecte de la décision litigieuse, la Commission a donc soulevé une erreur de droit susceptible d’être invoquée dans le cadre d’un pourvoi.

22. L’Irlande soutient que la première branche du premier moyen de pourvoi est inopérante étant donné que, même en supposant que le Tribunal ait interprété la décision litigieuse de manière erronée, la non-attribution aux succursales irlandaises des bénéfices générés par les licences de PI serait maintenue sur le fondement des seules constatations de fait relatives aux activités de ces succursales énoncées dans le reste de l’arrêt attaqué. À cet égard, je rappelle qu’il ressort d’une jurisprudence constante qu’un moyen dirigé contre des motifs d’un arrêt attaqué qui sont sans influence sur le dispositif de celui-ci est inopérant et doit, dès lors, être rejeté (19). Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal ne s’est pas contenté de constater que le raisonnement à titre principal était fondé sur des appréciations erronées concernant l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable. Il a, en effet, également examiné, et accueilli, les critiques formulées par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE à l’encontre des appréciations factuelles de la Commission relatives aux activités du groupe Apple. Par conséquent, pour contester utilement les constatations du Tribunal concernant les défaillances du raisonnement à titre principal, constatations fondées sur deux types de motifs distincts et autonomes, il incombait à la Commission d’invoquer des griefs contre ces deux types de motifs. Or, le premier moyen de pourvoi est structuré exactement en ce sens. La première branche du moyen tend à critiquer la conclusion du Tribunal selon laquelle, dans le cadre de son raisonnement à titre principal, la Commission a appliqué une approche « par exclusion », tandis que la deuxième et la troisième branches tendent à contester les motifs par lesquels le Tribunal a infirmé lesdites appréciations factuelles. La circonstance que les griefs développés dans le cadre de chacune de ces branches, envisagés séparément, ne seraient pas en soi suffisants, s’ils étaient accueillis, pour obtenir l’annulation de l’arrêt attaqué ne permet pas de conclure qu’ils sont inopérants puisqu’ils doivent être appréciés dans le cadre du premier moyen de pourvoi envisagé dans son ensemble. L’argument de l’Irlande doit donc, selon moi, être rejeté.

2) Sur le fond

i) Sur le premier grief : erreur d’interprétation de la décision litigieuse

23. À titre préliminaire, il faut relever que la Commission ne conteste pas l’incompatibilité d’un raisonnement « par exclusion » avec l’article 25 du TCA 97, avec le principe de pleine concurrence ou avec l’approche autorisée de l’OCDE. Elle affirme toutefois qu’elle n’a pas appliqué un tel raisonnement. Cela étant précisé, j’estime nécessaire de rappeler brièvement les points saillants du raisonnement à titre principal de la Commission. Selon la structure de la décision litigieuse, ce raisonnement comporte quatre parties.

24. Dans la première partie, figurant à la section 8.2.2.1 de cette décision, la Commission a énoncé les deux prémisses sur lesquelles elle s’est fondée dans la suite de son analyse. Elle a affirmé, d’une part, que l’application de l’article 25 du TCA 97 requérait que soit déterminée au préalable une méthode d’attribution des bénéfices que cette disposition ne définit pas et, d’autre part, que cette méthode devait parvenir à un résultat conforme au principe de pleine concurrence. La justesse de ces deux prémisses a été reconnue implicitement par le Tribunal – la première au point 113 de l’arrêt attaqué et la seconde aux points 211 et 212 – et elle n’a pas été contestée, ni dans le cadre d’un pourvoi autonome contre l’arrêt attaqué, ni, à titre incident, dans le cadre de la présente affaire. Malgré l’absence de contestation à cet égard, il importe tout de même de préciser que les conclusions du Tribunal relatives à l’application du principe de pleine concurrence dans le contexte de l’article 25 du TCA 97 sont pleinement conformes à l’arrêt Fiat Chrysler dans lequel la Cour a affirmé que la Commission ne peut se fonder sur ce principe que si, et dans la mesure où, son application est prévue par la législation fiscale de l’État membre concerné (20). En effet, d’une part, au point 221 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expressément rejeté la thèse de la Commission selon laquelle il découle de l’article 107, paragraphe 1, TFUE une obligation autonome pour les États membres d’appliquer ledit principe. D’autre part, il ressort en particulier des points 210, 211, 218 à 220 et 247 de cet arrêt que, en l’espèce, l’application du principe de pleine concurrence est fondée sur les règles fiscales du droit irlandais en matière d’imposition des sociétés et trouve sa justification à l’intérieur du système de référence identifié par la Commission et confirmé par le Tribunal. En outre, il ne semble pas que la pratique administrative des autorités fiscales irlandaises avait établi des méthodes ou des règles d’application du principe de pleine concurrence que la Commission aurait, de fait, écartés en faveur de paramètres et de règles extérieures au système fiscal national. Par contre, au point 239 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que l’application de l’article 25 du TCA 97, telle que décrite par l’Irlande, et l’analyse fonctionnelle et factuelle dans le cadre de la première étape de l’analyse proposée par l’approche autorisée de l’OCDE se chevauchent (21). Enfin, comme l’a constaté le Tribunal, en particulier au point 433 de l’arrêt, l’Irlande n’a pas su expliquer de manière suffisante quelle était la justification exacte des indicateurs retenus dans les décisions anticipatives pour le calcul des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE.

25. Dans la deuxième partie de son raisonnement à titre principal, figurant à la section 8.2.2.2, sous a), de la décision litigieuse, la Commission a précisé la méthode d’attribution des bénéfices fondée sur le principe de pleine concurrence que, selon elle, les autorités fiscales irlandaises auraient dû suivre en vertu de l’article 25 du TCA 97. Au considérant 272 de cette décision, elle a affirmé qu’il convenait de considérer que les bénéfices à attribuer à la succursale d’une société non résidente en application de cet article sont « ceux que celle-ci aurait pu réaliser, dans des conditions de pleine concurrence, en particulier dans ses opérations avec d’autres parties de la société, si elle avait constitué une entreprise distincte et indépendante exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par la société par l’intermédiaire de sa succursale et des autres parties de la société ». Selon la Commission, il incombait dès lors en l’espèce aux autorités irlandaises de vérifier, avant d’approuver la méthode de répartition des bénéfices proposée par Apple, si, comme l’affirmait cette dernière, les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués hors d’Irlande, et pour ce faire elles auraient dû comparer les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par ASI et par AOE par l’intermédiaire, respectivement de leurs sièges et de leurs succursales irlandaises (considérant 273).

26. Dans la troisième partie de son raisonnement à titre principal, la Commission a procédé elle-même à cette vérification, en suivant le schéma présenté au considérant 275 de la décision litigieuse, qui impliquait l’analyse des deux scénarios différents invoqués par l’Irlande et par Apple pour justifier l’attribution des licences de PI hors d’Irlande. Ces scénarios, qui sont fondés, le premier, sur les fonctions exercées par les sièges et, le second, sur celles exercées par Apple Inc., ont été examinés respectivement à la section 8.2.2.2, sous b), de la décision litigieuse (considérants 276 à 307) et à la section 8.2.2.2, sous c), de cette décision (considérants 308 à 318). C’est dans le cadre de l’examen du premier de ces scénarios que la Commission aurait suivi l’approche « par exclusion » rejetée par le Tribunal. Il convient dès lors d’évoquer à nouveau brièvement les deux étapes distinctes de cet examen. Dans la première étape, aux considérants 281 à 293, la Commission a examiné la situation des sièges. Elle a tout d’abord observé que, durant la période pertinente, ces sièges existaient uniquement « sur papier » puisqu’ils n’avaient ni salariés ni présence physique hors d’Irlande et que les fonctions qui leur étaient attribuées n’auraient pu être exercées que par les membres de leurs conseils d’administration respectifs (considérant 281). Cependant les seules preuves d’activités exécutées par les conseils d’administration qui lui avaient été présentées n’auraient fourni aucune indication d’activités liées aux licences de PI ni de discussions ou décisions relatives à la conclusion ou à la modification de l’accord de partage des coûts, tout au moins jusqu’à la fin de l’année 2014 (considérants 282 à 285). Dans ce contexte, elle a rejeté comme étant vague et non démontrée l’allégation d’Apple selon laquelle les activités des conseils d’administration d’ASI et d’AOE auraient été réalisées de « multiples façons », et a observé que, du reste, si ces activités avaient réellement été importantes, ASI et AOE auraient été considérées comme ayant un établissement stable aux États-Unis étant donné que la majorité des membres de ces conseils étaient établis aux États-Unis (considérant 287). Aux considérants 288 et 289, sur lesquels le Tribunal se fonde plus particulièrement, la Commission a ensuite précisé, d’une part, que non seulement il n’y avait aucune preuve des activités réalisées par les sièges en lien avec les licences de PI, mais que ces sièges ne disposaient pas non plus de la capacité requise pour exécuter des fonctions de gestion active dans ce cadre et, d’autre part, que, compte tenu de l’absence de personnel de ces sièges, ces fonctions, y compris celles attribuées à ASI et à AOE dans le cadre de l’accord de partage des coûts, ne pouvaient être exercées que par les succursales irlandaises (22). La Commission a dès lors conclu, au considérant 293 de la décision litigieuse que les sièges « ne contrôlaient pas, ne géraient pas et n’étaient en position ni de contrôler, ni de gérer les licences de PI […] de telle manière à générer des bénéfices tels que ceux enregistrés par ces sociétés ». Dans la seconde étape de son examen, la Commission a pris en considération la situation des succursales irlandaises afin de démontrer qu’une analyse effectuée en ne tenant compte que des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par ces succursales aurait abouti au même résultat. Aux considérants 296 à 303 de la décision litigieuse, elle a donc énuméré les fonctions exercées par lesdites succursales qui, selon elle, auraient dû conduire les autorités fiscales irlandaises à ne pas accepter sans autre contrôle l’affirmation sans fondement d’Apple selon laquelle les licences de PI et les bénéfices y afférents devaient être attribués hors d’Irlande dans leur totalité. Au considérant 305 de la décision litigieuse, la Commission a conclu, d’une part, qu’une telle attribution de bénéfices ne correspondait pas à une distribution que les succursales irlandaises auraient acceptée si elles avaient été des entreprises distinctes et autonomes agissant dans des conditions de marché et, d’autre part, que, compte tenu de l’absence de fonctions exercées par les sièges et/ou compte tenu des activités exercées par les succursales irlandaises, les licences de PI auraient dû être attribuées à ces dernières à des fins fiscales.

27. Enfin, dans la quatrième partie de son raisonnement à titre principal, qui figure sous la section 8.2.2.2, sous c), de la décision litigieuse, la Commission a tiré les conséquences de son analyse précédente et a constaté que, compte tenu de la méthode d’attribution des licences de PI et des bénéfices y afférents utilisée par les autorités fiscales irlandaises, les décisions anticipatives avaient entraîné une réduction sensible des bénéfices d’ASI et d’AOE imposables en Irlande et avaient dès lors octroyé à ces sociétés un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

28. De ce qui précède, on peut tirer les conclusions suivantes concernant l’approche suivie par la Commission dans son raisonnement à titre principal. Premièrement, elle a considéré qu’il y avait lieu- en vertu de l’article 25 du TCA 97 et afin de déterminer, conformément à cet article, les bénéfices imposables d’ASI et d’AOE selon le principe de pleine concurrence – d’appliquer un critère juridique consistant à comparer les fonctions exercées respectivement par les sièges et par les succursales irlandaises en rapport avec les licences de PI. Deuxièmement, en application de ce critère, elle a procédé à un examen distinct du rôle de chacune de ces entités en rapport avec ces licences. Troisièmement, au terme de cet examen, elle a constaté, d’une part, une totale absence de fonctions en rapport avec les licences de PI pour ce qui est des sièges et, d’autre part, un rôle actif, découlant de l’exercice d’un certain nombre de fonctions – dont certaines sont considérées comme étant « critiques » – et de risques liés à la gestion et à l’utilisation de ces licences en ce qui concerne les succursales irlandaises. Quatrièmement, la constatation de l’absence de fonctions pertinentes exercées par les sièges est fondée sur l’absence de preuves contraires apportées par Apple, en conjonction avec l’absence de capacité effective de ces sièges à exercer ces fonctions. Cinquièmement, le raisonnement de la Commission ne repose pas, ni exclusivement ni principalement, sur la constatation de l’absence de personnel et de présence physique dans les sièges, bien que cette constatation revienne de manière répétée dans les considérants de la décision litigieuse, mais plutôt sur l’absence de fonctions exercées par ces derniers en rapport avec les licences de PI.

29. Il en résulte que, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal aux points contestés de l’arrêt attaqué, ce n’est pas la constatation en soi du fait que les sièges n’avaient ni salariés ni présence physique qui a conduit la Commission à conclure que les licences de PI, et les bénéfices y afférents, devaient être attribués aux succursales irlandaises mais plutôt la mise en relation de deux constatations distinctes – à savoir, d’une part, l’absence totale de fonctions exercées et de risques assumés par les sièges et, d’autre part, la multiplicité et le caractère central des fonctions exercées et des risques assumés par les succursales – opérée dans le cadre de l’application du critère juridique énoncé au considérant 272 de la décision litigieuse qui demandait, précisément, la comparaison entre les fonctions exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par les différentes parties d’ASI et d’AOE.

30. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a conclu, en interprétant la décision litigieuse de manière erronée, que, dans son raisonnement à titre principal, la Commission avait adopté une approche « par exclusion ». Cette erreur affecte non seulement les conclusions auxquelles le Tribunal est parvenu aux points 187 et 188 de l’arrêt attaqué en référence à l’article 25 du TCA 97, mais également les motifs de cet arrêt par lesquels le Tribunal a rejeté les autres appréciations de la Commission concernant l’imposition normale des bénéfices au sens du droit fiscal irlandais, qui portent respectivement sur le principe de pleine concurrence (points 228 et 229) et sur l’approche autorisée de l’OCDE (points 243 et 244). C’est en effet en s’appuyant sur la même erreur d’interprétation que le Tribunal a conclu que la méthode suivie par la Commission dans la décision litigieuse n’était conforme ni à ce principe ni à cette approche.

ii) Sur le deuxième grief : irrégularité de procédure

31. Dans le cadre du deuxième grief de la première branche de son premier moyen de pourvoi, en rappelant l’arrêt du 24 octobre 2013, Land Burgenland e.a./Commission (23), la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a commis une irrégularité de procédure en ignorant l’analyse des fonctions exercées par les succursales irlandaises figurant aux considérant 296 à 303 de la décision litigieuse, ainsi que les observations qu’elle a présentées en première instance dans lesquelles ces fonctions sont exposées plus en détail.

32. Ce grief ne saurait, selon moi, être accueilli. Sans qu’il soit nécessaire de s’attarder sur le peu de pertinence du précédent rappelé par la Commission – dans lequel la Cour a constaté que le Tribunal n’avait pas examiné les arguments déjà contenus de manière succincte dans la requête introductive d’instance et que la partie requérante n’avait développé qu’ultérieurement au cours de la procédure – il suffit de relever que la Commission cherche en substance à faire censurer, en tant qu’irrégularité de procédure, le fait que le Tribunal a adopté une interprétation de la décision litigieuse différente de la sienne. Or, comme je l’ai rappelé au point 18 des présentes conclusions, non seulement il appartenait au Tribunal d’interpréter cette décision mais ce dernier était également en droit de s’écarter de l’interprétation défendue par la Commission au cours de la procédure si cela se justifiait. En l’espèce, il ressort d’une lecture d’ensemble de l’arrêt attaqué que, lorsqu’il a conclu que la Commission s’était fondée sur une approche « par exclusion », le Tribunal n’a omis de prendre en considération aucun élément de la décision litigieuse, en ce compris l’analyse des fonctions exercées par les succursales irlandaises mais qu’il s’est limité à interpréter d’une manière différente de la Commission le poids de ces éléments distincts et leur articulation dans l’économie de cette décision. Dans ces conditions, le grief de la Commission est donc dépourvu d’autonomie et se confond avec l’invocation d’une erreur d’interprétation.

iii) Sur le troisième grief : motivation contradictoire et insuffisante

33. Par le troisième grief de la première branche de son premier moyen de pourvoi, la Commission reproche au Tribunal un double vice de motivation.

34. En premier lieu, en se fondant sur les arguments déjà invoqués au soutien du grief tiré de l’irrégularité de procédure que je viens d’examiner, la Commission fait valoir que l’arrêt attaqué n’est pas suffisamment motivé en ce qu’il conclut que le raisonnement à titre principal est fondé sur une approche « par exclusion », sans indiquer les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas pris en considération l’analyse des fonctions des succursales irlandaises effectuée par la Commission. À cet égard, j’estime, en substance pour les motifs exposés au point 28 des présentes conclusions que la critique formulée par la Commission doit être rejetée comme étant dépourvue de fondement.

35. En second lieu, la Commission fait valoir que l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction de motifs. À cet égard, force est de constater qu’il existe une tension claire entre, d’une part, les conclusions auxquelles est parvenu le Tribunal aux points 186, 228 et 243 de l’arrêt attaqué, selon lesquelles la Commission n’avait pas cherché à démontrer que l’attribution des licences de PI aux succursales irlandaises découlait des activités effectivement exercées par ces dernières et, d’autre part, les points 283, 284 et 295 de cet arrêt, dans lesquels le Tribunal a en revanche considéré que la Commission avait identifié les fonctions exercées par ces succursales qui, selon elle, justifiaient une telle attribution. Cette tension ne s’explique pas, comme le suggèrent ASI et AOI, en interprétant l’arrêt attaqué en ce sens que le Tribunal aurait en réalité reproché à la Commission d’avoir procédé non pas selon une approche « par exclusion » mais selon une approche « mixte ». Outre le texte clair de cet arrêt, s’oppose également à une telle interprétation l’articulation des différentes parties de celui-ci dans lesquelles se trouvent les points dont découle la contradiction invoquée par la Commission. En effet, les points 255 à 295 de l’arrêt attaqué sont insérés dans la troisième partie des motifs relatifs à l’analyse du raisonnement à titre principal. Or, il ressort du point 250 de cet arrêt que les appréciations figurant dans cette partie sont effectuées « [a]ux fins d’exhaustivité » (« for the sake of completeness »), le Tribunal ayant déjà conclu, au terme de la deuxième partie de son analyse, que le raisonnement à titre principal était « fondé sur des appréciations erronées sur l’imposition normale en vertu du droit fiscal irlandais applicable en l’espèce ». En d’autres termes, les points 255 à 295 de l’arrêt attaqué revêtent, dans l’économie du raisonnement suivi par le Tribunal, un caractère surabondant. En effet, la conclusion figurant au point 249 ne semble pas avoir un caractère intermédiaire ni requérir le surplus d’analyse repris aux points 255 à 295 de cet arrêt, que le Tribunal n’effectue qu’aux fins d’exhaustivité. Le troisième grief de la première branche du premier moyen de pourvoi, en ce qu’il fait valoir l’existence d’une contradiction de motifs, me semble dès lors devoir être accueilli.

b) Conclusion sur la première branche du premier moyen

36. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’accueillir la première branche du premier moyen de pourvoi.

2. Sur la deuxième branche du premier moyen de pourvoi

37. La deuxième branche du premier moyen de pourvoi est dirigée contre les points 251 à 311 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a examiné les appréciations de la Commission relatives aux activités au sein du groupe Apple, en passant en revue successivement les activités de la succursale irlandaise d’ASI (points 255 à 284), les activités de la succursale irlandaise d’AOE (points 285 à 295) et les activités en dehors de ces succursales (points 296 à 309). La Commission conteste l’acceptation implicite par le Tribunal de la pertinence des fonctions exercées par Apple Inc. aux fins de déterminer les bénéfices d’ASI et d’AOE imposables en Irlande. Elle fait valoir que, étant donné qu’Apple Inc. est une entité distincte d’ASI et d’AOE, les fonctions qu’elle a exercé en rapport avec la PI du groupe Apple en sa qualité de société faîtière du groupe ou en exécution d’accords intragroupe, que ce soit « au bénéfice » de l’ensemble du groupe ou spécifiquement d’ASI et d’AOE, ou « pour le compte » de ces dernières, n’ont aucune incidence sur la question de savoir à qui, des succursales irlandaises ou des sièges, il convenait d’attribuer, à des fins fiscales, les licences territorialement limitées détenues par ces sociétés. La Commission invoque deux griefs distincts. Le premier porte sur une irrégularité de procédure ainsi que sur une motivation insuffisante et contradictoire. Le second a trait à une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, à une dénaturation du droit irlandais et à une irrégularité de procédure. Sur le fondement d’arguments qui coïncident en grande partie, ASI et AOE ainsi que l’Irlande et le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent que les griefs invoqués par la Commission sont partiellement irrecevables, inopérants et, en tout état de cause, non fondés. J’inverserai l’ordre de présentation qu’a suivi la Commission et commencerai par examiner le second grief.

a) Sur le second grief

38. La Commission fait valoir, à titre principal, qu’en se basant sur les fonctions d’Apple Inc., le Tribunal a méconnu l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence sur lequel repose l’article 25 du TCA 97. Dès lors que, conformément à l’arrêt du 28 juin 2018, Andres (faillite Heitkamp BauHolding)/Commission (ci-après l’« arrêt Andres ») (24), une erreur dans l’interprétation ou l’application du droit national constitue une erreur d’interprétation et d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le Tribunal aurait également méconnu cette disposition. Plus précisément, le Tribunal aurait correctement interprété le droit irlandais en affirmant, au point 248 de l’arrêt attaqué que, « aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, l’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non résidente devait prendre en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». Toutefois, aux points 255 à 302 de cet arrêt, il aurait appliqué un « critère juridique » différent et erroné en comparant les fonctions exercées par les succursales irlandaises à celles exercées par Apple Inc. plutôt qu’à celles exercées par les sièges. À titre subsidiaire, la Commission soutient que la violation du principe de pleine concurrence et de l’approche de l’entité distincte constitue une dénaturation manifeste du droit national. Enfin, la Commission reproche au Tribunal une irrégularité de procédure en ce qu’il se serait fondé sur des éléments de preuve irrecevables.

1) Sur la recevabilité

39. ASI et AOI ainsi que l’Irlande et le Grand-Duché de Luxembourg soutiennent que le grief examiné est irrecevable en ce qu’il tend à contester l’appréciation des faits et des éléments de preuve effectuée par le Tribunal.

40. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler que la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues à l’appui de ces faits, sous réserve de l’inexactitude matérielle des constatations de fait qu’il a opérées et de la dénaturation des éléments de preuve produits devant lui (25). La Cour a toutefois précisé que, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, elle est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, son contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences en droit qui en ont été tirées. Le pouvoir de contrôle de la Cour s’étend, notamment, à la question de savoir si les règles en matière de charge et d’administration de la preuve ont été respectées ainsi qu’à celle de savoir si le Tribunal a appliqué des critères juridiques corrects lors de son appréciation des faits et des éléments de preuve (26). En l’espèce, comme je l’ai déjà exposé, la Commission fait valoir que, en prenant en considération les fonctions d’Apple Inc., le Tribunal a commis une erreur qui entache l’analyse factuelle qu’il a menée aux points 251 à 311 de l’arrêt attaqué ainsi que les résultats auxquels cette analyse aboutit, et donne lieu à une application erronée du droit national ainsi qu’à une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Par conséquent, les arguments de la Commission portent sur la conformité au droit irlandais du paramètre sur la base duquel le Tribunal a qualifié les faits (le « critère juridique » appliqué par le Tribunal) ainsi que sur les conséquences juridiques qui en découlent. Dans ces conditions, il me semble clair que le grief examiné ne tend pas, dans son ensemble, à contester la constatation des faits ou l’appréciation des éléments de preuve par le Tribunal. Cela n’exclut pas que certaines des critiques formulées par la Commission à l’encontre de certains éléments de l’analyse factuelle menée par le Tribunal puissent, envisagées isolément, se révéler irrecevables à ce titre. Cette éventualité sera vérifiée au cours de l’analyse.

41. ASI et AOI ainsi que l’Irlande et le Grand-Duché de Luxembourg font également valoir que le grief examiné est irrecevable en ce qu’il tend à contester les appréciations effectuées par le Tribunal concernant le droit irlandais, sans invoquer une dénaturation de ce droit. L’Irlande soutient notamment que la Commission se fonde sur une interprétation erronée de l’arrêt Andres lorsqu’elle affirme en substance que toute erreur dans l’interprétation et l’application du droit national constitue une erreur d’interprétation et d’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

42. Je rappelle que, selon une jurisprudence constante, « pour ce qui est de l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, des appréciations du Tribunal à l’égard du droit national, qui, dans le domaine des aides d’État, constituent des appréciations de faits, la Cour n’est compétente que pour vérifier s’il y a eu une dénaturation de ce droit ». En revanche, « l’examen, dans le cadre d’un pourvoi, de la qualification juridique au regard d’une disposition du droit de l’Union qui a été donnée à ce droit national par le Tribunal constituant une question de droit, il relève de la compétence de la Cour » (27). Aux points 79 à 81 de l’arrêt Andres, auxquels la Commission fait référence, la Cour a précisé que si « le contenu ou la portée du droit national » tels qu’ils ont été constatés par le Tribunal, ne sont pas, en principe et sous réserve d’une dénaturation de ce droit, susceptibles de pourvoi, en revanche la qualification de « cadre de référence » attribuée aux règles de ce droit, et donc la délimitation par le Tribunal du système de référence pertinent, le sont. Dans l’arrêt Fiat Chrysler, la Cour a ensuite précisé que la question de savoir si, lorsqu’il a délimité le système de référence, le Tribunal a appliqué de manière correcte un critère juridique, tel que le principe de pleine concurrence, constitue « par extension », une question de droit susceptible de faire l’objet du contrôle de la Cour au stade du pourvoi (28).

43. À la lumière des principes exposés ci-dessus et dans l’état actuel de la jurisprudence, l’interprétation de l’arrêt Andres que suggère la Commission semble critiquable. L’automatisme sur lequel elle se fonde fini en effet par annuler la distinction entre, d’une part, les constatations du Tribunal visant à préciser le sens et la portée du droit national ainsi que son application dans l’affaire en cause et, d’autre part, les constatations relatives à ce droit dont dépend la délimitation correcte du système de référence aux fins de l’application de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et donc l’identification des dispositions du droit national qui relèvent de ce système de référence (29).

44. En réalité, le débat entre les parties soulève la délicate question de la frontière entre la constatation des faits et leur qualification juridique en ce qui concerne les appréciations relatives au droit national faites par le Tribunal en matière d’aides d’État. Comme on le sait, la qualification juridique consiste à classer les faits pertinents précédemment constatés dans une catégorie juridique ou un concept juridique déterminé dont découle l’identification des règles de droit applicables à l’espèce. S’agissant d’un processus essentiellement cognitif, elle se distingue de la simple constatation des faits et, compte tenu de l’importance fondamentale qu’elle revêt dans le cadre du raisonnement juridique, elle est, comme cela a été dit, susceptible d’être contrôlée au stade du pourvoi. Or, si on considère qu’une erreur dans la détermination du sens et de la portée d’une disposition du droit national ou dans son application, invoquée au stade du pourvoi, est susceptible d’avoir une incidence sur le rattachement du cas d’espèce à la notion d’avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE parce qu’elle a des répercussions sur la délimitation ou l’application du système de référence, cette erreur doit, à mon sens, pouvoir faire l’objet d’un contrôle de la Cour en tant qu’erreur dans la qualification juridique du droit national sur le fondement d’une disposition du droit de l’Union (30).

45. La portée effective des principes exposés au point 37 des présentes conclusions doit toutefois encore être précisée par la Cour et la frontière entre griefs recevables au stade du pourvoi et griefs non recevables demeure souple lorsqu’il s’agit des appréciations relatives au droit national effectuées par le Tribunal.

46. Ce qui vient d’être dit n’a cependant pas d’incidence sur la recevabilité des arguments développés par la Commission dans le grief examiné. En effet, d’une part, la Commission approuve sans réserve le critère juridique que le Tribunal aurait dû, selon elle, considérer applicable en l’espèce en vertu du droit irlandais aux fins de l’analyse de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. D’autre part, si la Commission fait valoir une application erronée du droit national aux circonstances de l’espèce, c’est uniquement dans la mesure où, selon elle, le Tribunal aurait en réalité appliqué un critère juridique différent de celui correctement identifié. Le grief soulevé par la Commission me semble donc se placer parmi ceux que, au point 85 de l’arrêt Fiat Chrysler, la Cour a jugé recevables « par extension », dans la mesure où, en fin de compte, ils tendent à remettre en cause le choix du système de référence dans le cadre de la première étape de l’analyse de l’existence d’un avantage sélectif.

47. En tout état de cause, contrairement à ce que soutiennent ASI et AOI ainsi que l’Irlande, la Commission invoque également explicitement une dénaturation du droit irlandais, ce qui doit nécessairement amener la Cour à apprécier le fond des arguments de la Commission, à tout le moins afin de vérifier si une telle dénaturation est prouvée à suffisance de droit.

48. Eu égard à ce qui précède, les exceptions d’irrecevabilité soulevées par l’Irlande ainsi que par ASI et AOI et tirées de la prétendue contestation par la Commission des appréciations relatives au droit irlandais doivent, selon moi, également être rejetées.

2) Sur le fond

i) Sur la prise en compte d’éléments de preuve irrecevables

49. J’estime qu’il est nécessaire d’examiner en priorité le grief portant sur une irrégularité de procédure résultant de la prise en considération d’éléments de preuve irrecevables, dans la mesure où il a une incidence sur la validité de la base probatoire sur laquelle s’est fondé le Tribunal. La Commission excipe de l’irrecevabilité des éléments mentionnés au point 301 de l’arrêt attaqué, dont il ressort, selon le Tribunal, que les contrats avec les producteurs tiers (les Original Equipment Manufacturers, ci-après les « OEMs »), responsables de la fabrication d’une grande partie des produits vendus par ASI, et les contrats avec des clients tels que les opérateurs de télécommunications, avaient été négociés par des directeurs du groupe Apple et signés par Apple Inc., et par ASI, par l’intermédiaire de leurs directeurs respectifs, directement ou par procuration. Selon la Commission, le Tribunal ne pouvait pas tenir compte de ces éléments – qui consistent, d’une part, en divers échanges de courriels entre directeurs d’Apple Inc. concernant les contacts avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications et, d’autre part, en quatre procurations octroyées par ASI aux directeurs d’Apple Inc. (ci-après « les procurations relatives à la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications » (31)) – dans la mesure où ils n’avaient pas été produits au cours de la procédure administrative et, pour trois des procurations mentionnées, également en raison de leur présentation tardive devant le Tribunal, au stade de la réplique. ASI et AOI ne contestent pas que lesdits éléments de preuve ont été produits pour la première fois devant le Tribunal. Elles affirment toutefois que la Commission était au courant des activités des dirigeants d’ASI et AOE établis aux États-Unis ainsi que de l’existence et de l’importance des procurations mentionnées ci-dessus et que, si elle avait mené une enquête appropriée, elle aurait pu obtenir tous les éléments de preuve pertinents.

50. À cet égard, je relève que, selon une jurisprudence constante, la légalité d’une décision en matière d’aides d’État doit être appréciée par le juge de l’Union en fonction des éléments d’information dont la Commission pouvait disposer au moment où elle l’a arrêtée (32). Dans l’arrêt du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (33), la Cour a précisé que les éléments d’information dont la Commission « pouvait disposer » incluent ceux qui apparaissaient pertinents pour l’appréciation à effectuer et dont elle aurait pu, sur sa demande, obtenir la production au cours de la procédure administrative (34). En l’espèce, en ce qui concerne, en premier lieu, les échanges entre directeurs d’Apple Inc. de courriels relatifs aux contacts avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications, j’observe qu’il ressort du dossier de l’affaire devant le Tribunal que ces échanges se limitent, dans la quasi-totalité des cas, à rendre compte d’activités exercées par les salariés d’Apple Inc. dans le cadre de l’accord de partage des coûts et qu’ils ne contiennent aucune référence implicite ou explicite à ASI. Il s’agit donc de documents dont la Commission considérait qu’ils étaient étrangers à l’objet de la procédure administrative dans la mesure où ils concernaient les activités d’une entité distincte d’ASI et des relations intragroupe étrangères à l’objet des décisions anticipatives. Selon moi, il ne peut donc être affirmé que, à supposer qu’elle ait pu en soupçonner l’existence, la Commission était tenue de demander la production de ces éléments de preuve au cours de la procédure administrative. En revanche, il incombait à Apple, en particulier à la lumière de la position adoptée par la Commission, de fournir tous les éléments dont elle disposait afin de démontrer que les négociations mentionnées ci-dessus étaient en réalité effectuées pour le compte du siège d’ASI et non pour l’ensemble du groupe Apple. En ce qui concerne, en deuxième lieu, les procurations relatives à la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications, je relève avant tout qu’il est constant qu’il s’agit des principaux, si pas des seuls, éléments de preuve sur lesquels le Tribunal s’est fondé au point 301 de l’arrêt attaqué. Il est également constant que la liste complète des procurations accordées par les directeurs d’ASI et d’AOE n’a été fournie qu’en annexe au recours en première instance présenté par ces sociétés et que le texte de trois de ces procurations n’a été produit qu’au stade de la réplique tandis que la quatrième, d’après ce qu’indique la Commission sans être contredite par ASI et AOI, n’a jamais été produite (35). Il n’est pas non plus contesté que les procès-verbaux des réunions des conseils d’administration d’ASI et d’AOE présentés au cours de la procédure administrative (ci-après « les procès-verbaux examinés par la Commission ») ne mentionnaient pas les procurations relatives à la signature des contrats avec les OEMs mais seulement celle relative à la signature des contrats avec les opérateurs de télécommunications qui, comme il a été indiqué, n’a toutefois jamais été produite. Quant aux éléments portés à la connaissance de la Commission au cours de la procédure administrative, je relève que dans ses observations du 7 septembre 2015, produites en annexe au recours d’ASI et AOE devant le Tribunal, Apple mentionne l’existence d’un système de procurations données par les conseils d’administration d’ASI et d’AOE en vue, notamment, des négociations et de la signature des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications. Ces observations n’y font toutefois qu’une référence vague et imprécise (36). Dans ces conditions, j’estime qu’il ne peut être reproché à la Commission de ne pas avoir obtenu les procurations en question au cours de la procédure administrative, notamment compte tenu du fait qu’elle avait demandé et examiné tous les procès-verbaux des conseils d’administration d’ASI et d’AOE de la période pertinente, sans trouver pratiquement aucune trace de ces procurations. Selon moi, il incombait en revanche à Apple, afin d’étayer sa présentation des faits, de produire ces procurations à un stade le plus précoce possible, sans attendre la dernière occasion se présentant à elle dans le cadre de la procédure devant le Tribunal pour le faire.

51. Les arguments de la Commission portant sur une irrégularité de procédure résultant de la prise en considération d’éléments de preuve irrecevables doivent dès lors, selon moi, être accueillis.

ii) Sur le critère juridique applicable en vertu du droit irlandais

52. La Commission considère qu’au point 248 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a correctement identifié le critère juridique applicable en droit irlandais afin de déterminer les bénéfices d’une société non résidente qui sont imposables en Irlande et que ce critère doit prendre en compte la « répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». L’Irlande considère en revanche que l’analyse pertinente aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97 doit porter, comme l’a affirmé le Tribunal au point 227 de l’arrêt attaqué et comme il l’a confirmé dans plusieurs autres points de cet arrêt, sur les « activités réelles [des succursales irlandaises d’une société non résidente] et sur la valeur de marché » de ces activités. De leur côté, ASI et AOI font valoir que, aux points 182 à 186 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que, sur le fondement du droit irlandais, les bénéfices découlant de la PI ne peuvent être attribués à la succursale irlandaise d’une société non résidente que si la PI qui les génère est contrôlée par la succursale. Comme l’Irlande, ASI et AOI considèrent que les activités exercées par les sièges sont dépourvues de toute pertinence aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97. Enfin, tant l’Irlande qu’ASI et AOI font valoir, en substance, que le point 248 de l’arrêt attaqué, sur lequel se fonde la Commission, concerne l’application de l’approche autorisée de l’OCDE et non celle de l’article 25 du TCA 97 et que, en tout état de cause, il ressort en particulier du point 242 de cet arrêt que cette approche n’avalise pas l’analyse comparative sur laquelle se fonde la Commission, analyse qui serait contraire au droit irlandais.

53. Cette brève présentation des arguments des parties appelle deux observations préliminaires. Premièrement, toutes les thèses exposées ci-dessus excluent la pertinence, aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, des fonctions exercées par une entité distincte- en l’espèce Apple Inc. – de la société non résidente dont il faut évaluer le bénéfice imposable en Irlande, même si ces sociétés sont liées. Un critère d’attribution des bénéfices tel que celui défendu par l’Irlande et par ASI et AOI, qui tient compte exclusivement des activités effectivement exercées par les succursales irlandaises a en effet nécessairement et en toute logique pour résultat de faire sortir les fonctions exercées par Apple Inc. de l’analyse pertinente aux fins de cet article. Deuxièmement, l’arrêt attaqué manque de clarté quant à la définition de la méthode d’attribution des bénéfices dans le cadre de l’application de l’article 25 du TCA 97. Il s’agit pourtant d’un point d’une importance cruciale aux fins de l’analyse à mener sur le fondement de l’article 107, paragraphe 1, TFUE puisqu’il a une incidence sur la définition de l’imposition « normale » en vertu du droit irlandais, sur la base de laquelle il convient d’apprécier l’existence d’un avantage au sens de cette disposition. En se fondant sur divers points de l’arrêt attaqué, les parties ont identifié trois critères d’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non résidente. Le premier requiert la preuve du contrôle, par la succursale, des actifs générant les bénéfices à attribuer (le « critère du contrôle », points 182 à 185 de l’arrêt attaqué), le deuxième est fondé sur les activités réellement exercées par la succursale et l’évaluation de leur valeur de marché (le « critère des activités réelles », principalement aux points 179, 218, 219 et 227 de l’arrêt attaqué), le troisième implique la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de la société (le « critère de la répartition des fonctions au sein de la société », points 240, 242 et 248 de l’arrêt attaqué).

54. Dans ces conditions, il convient d’effectuer, autant que possible, une lecture cohérente de l’arrêt attaqué sur ce point, en partant de la prémisse non contestée sur laquelle repose cet arrêt, selon laquelle, afin de déterminer les bénéfices imposables en Irlande d’une société non résidente, il est nécessaire d’effectuer une « analyse fonctionnelle » en vue de déterminer les activités exercées, les actifs utilisés et les risques assumés par sa succursale en Irlande. Cette analyse est requise tant par l’article 25 du TCA 97 que par le principe de pleine concurrence et l’approche autorisée de l’OCDE (37). Les positions opposées des parties se différencient en ce qui concerne l’objet de cette analyse en l’espèce.

55. J’estime qu’une lecture cohérente de l’arrêt attaqué ne permet pas de conclure que le Tribunal a considéré que, en vertu du droit irlandais, un critère portant exclusivement sur les activités des succursales irlandaises des sociétés non résidentes était applicable. Certes, comme il est affirmé au point 177 de l’arrêt attaqué, l’article 25 du TCA 97 « vise uniquement les bénéfices découlant des activités que les succursales irlandaises ont elles-mêmes effectuées, à l’exclusion de ceux découlant des activités qui seraient effectuées par d’autres parties de la société non résidente en question ». Cependant, la Commission n’a pas tort de considérer qu’une telle affirmation se borne en substance à rappeler le principe de territorialité fiscale et ne constitue pas en soi la description d’une méthode d’attribution des bénéfices en vertu de l’article 25 du TCA 97 – et encore moins d’une méthode d’attribution d’un actif générant des bénéfices – qui exclut de prendre en considération les fonctions exercées par les autres parties de la société non résidente. À cet égard, je partage la position de la Commission qui considère qu’une telle exclusion ne ressort d’aucun point de l’arrêt attaqué. Elle ne peut notamment se déduire, comme le soutiennent l’Irlande ainsi que ASI et AOI, des points 179 à 184 de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a rappelé l’arrêt de la High Court (Haute Cour, Irlande) dans l’affaire S. Murphy (Inspector of Taxes) v. Dataproducts (Dub.) Ltd. (38). En effet, dans cette décision, la High Court (Haute Cour) avait procédé à une analyse extensive des fonctions exercées respectivement par la succursale irlandaise de la société Dataproducts, résidente des Pays-Bas et des dirigeants de cette dernière hors d’Irlande ainsi qu’à une comparaison de ces fonctions et des risques assumés par cette société au travers de ses différentes parties, avant de conclure que l’actif en question, un compte suisse dont les fruits avaient été en partie mis à la disposition de la succursale irlandaise, n’était pas contrôlé par cette dernière mais par le siège néerlandais de Dataproducts et que, dès lors, les sommes litigieuses ne pouvaient pas constituer des bénéfices imposables en Irlande. Cet arrêt constitue donc plutôt une illustration d’une méthode d’attribution des actifs telle que celle invoquée par la Commission.

56. Compte tenu de ce qui précède, force est de constater que le Tribunal a, d’une part, explicitement admis au point 240 de l’arrêt attaqué que, afin d’identifier les fonctions effectivement assumées par la succursale irlandaise d’une société non résidente aux fins de l’application de l’article 25 du TCA 97, il fallait prendre en compte « la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société ». D’autre part, il a affirmé, au point 242 de cet arrêt, que l’analyse visant à identifier les actifs, les fonctions et les risques qui doivent être attribués à l’établissement stable d’une société, en vertu des activités réellement exercées par celle-ci, ne pouvait « se faire de manière abstraite, en ignorant les activités et les fonctions exercées au sein de la société dans son ensemble ».

57. Par ailleurs, le libellé même de l’article 25 du TCA 97 milite en ce sens dans la mesure où il demande d’identifier les « revenus commerciaux réalisés directement ou indirectement par l’intermédiaire de […] ou pour, la succursale ». En effet, on n’aperçoit pas comment il serait possible d’effectuer une telle opération qui implique, notamment, d’établir la propriété économique des actifs détenus par la société concernée, sans prendre en compte, en les comparant, les activités effectuées en lien avec ces actifs par les différentes parties de cette société. Une telle comparaison permet de vérifier si la répartition des actifs au sein de la société non résidente qui a été acceptée par les autorités fiscales comme base de détermination des bénéfices imposables en Irlande est conforme à la répartition réelle des fonctions, des actifs et des risques entre les différentes parties de cette société.

58. Eu égard à ce qui précède, j’estime que la Commission interprète correctement l’arrêt attaqué lorsqu’elle affirme que le critère de détermination des bénéfices d’une société non résidente, que le Tribunal a considéré être applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97, demande que soit prise en compte la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société et exclut de tenir compte du rôle joué par des entités distinctes.

59. J’ajoute que, en l’espèce, la nécessité de limiter l’analyse aux rapports entre les sièges et les succursales irlandaises découle également du choix effectué par Apple Inc. dans le cadre de son autonomie entrepreneuriale de déplacer, avec l’accord de partage des coûts, une partie de ces revenus vers ASI et AOE. Il s’agit dès lors de répartir ces revenus entre les diverses parties de ces sociétés, auxquelles Apple Inc. reste étrangère. Comme le souligne à juste titre la Commission, appliquer un autre critère a pour conséquence qu’il ne serait pas tenu compte de la réalité de cet accord ni de la structure fiscale du groupe Apple, des éléments que les autorités fiscales irlandaises ne pouvaient ignorer dans le cadre d’une appréciation globale de la méthode de détermination du bénéfice imposable d’ASI et d’AOE proposée par le groupe. Par ailleurs, on parviendrait autrement au résultat paradoxal que les actifs légalement déplacés par Apple Inc. en dehors des États-Unis et les revenus y afférents y retourneraient, mais seulement virtuellement, lorsqu’il s’agit de déterminer l’impôt dû en Irlande, ce qui réduirait encore l’obligation fiscale du groupe.

iii) Sur la prise en compte des fonctions d’Apple Inc. par le Tribunal

60. Il convient maintenant de vérifier si, comme le soutient la Commission, le Tribunal s’est effectivement fondé sur les fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple ou si, comme le font valoir l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI, l’argument de la Commission dénature les motifs de l’arrêt attaqué sur ce point.

61. En premier lieu, la Commission fait valoir que le Tribunal s’est référé aux fonctions exercées par Apple Inc. aux points 259 à 267 et au point 288 de l’arrêt attaqué lorsqu’il a examiné les considérants 289 à 295 de la décision litigieuse qui attribuaient aux succursales irlandaises les fonctions de contrôle de qualité, de gestion des infrastructures de R&D et de gestion des risques d’entreprise. À cet égard, j’observe que, aux points 206 à 267 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est référé de manière générale à l’ensemble des fonctions et des risques énumérés à l’annexe B de l’accord de partage des coûts et relatifs aux biens incorporels qui font l’objet de cet accord (39), « à savoir, en substance, l’ensemble de la PI du groupe Apple » (point 261) que, en vertu du même accord, ASI et AOE étaient autorisées à exercer ou pouvaient être amenées à assumer. Aux points 263 et 264 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que la Commission n’avait fourni aucun élément de preuve pour démontrer que ces fonctions avaient été effectivement exercées par ASI et AOE, et encore moins par leurs succursales irlandaises ou que le personnel de ces succursales avait effectivement géré ces risques. Au point 266 de cet arrêt, il a rappelé que la Commission n’avait pas cherché à établir que « les organes de gestion des succursales irlandaises […] avaient effectivement exercé la gestion quotidienne active de l’ensemble des fonctions et des risques afférents à la PI du groupe Apple qui sont énumérés dans l’annexe B de l’accord de partage des coûts ». Or, comme le soutient à juste titre la Commission, dans une multinationale, les fonctions et les risques énumérés aux points 261 et 262 de l’arrêt attaqué sont normalement réservés à la société faîtière du groupe. Par ailleurs, en l’espèce, ainsi que l’a souligné le Tribunal au point 267 de cet arrêt, il s’agit, en substance, « de l’ensemble des fonctions au cœur du modèle économique […] du groupe Apple, centré sur le développement de produits technologiques » ainsi que des « risques clés, inhérents à ce modèle économique ». Il ressort en outre du dossier de l’affaire devant le Tribunal ainsi que de la décision litigieuse que la Commission, l’Irlande ainsi qu’ASI et AOE s’accordaient sur le fait que ces fonctions et ces risques, afférents à l’ensemble de la PI du groupe Apple, à son développement et à sa gestion, étaient pour leur plus grande part assumés par Apple Inc. en sa qualité de société faîtière du groupe ou dans le cadre de l’accord de partage des coûts, et centralisés par celle-ci à Cupertino. La Commission n’a donc pas tort d’affirmer que, dans les points de l’arrêt attaqué qui viennent d’être examinés, le Tribunal a inclus, dans son appréciation des faits, des fonctions et des risques assumés par Apple Inc.

62. En deuxième lieu, la Commission soutient que le Tribunal aurait invoqué à tort les fonctions d’Apple Inc. aux points 268 à 295 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, le Tribunal a examiné les activités et les fonctions mentionnées aux considérants 296 à 300 de la décision litigieuse comme ayant été effectivement exercées par la succursale irlandaise d’ASI. Il a considéré que ces activités et fonctions, qu’elles soient envisagées séparément ou dans leur ensemble, ne justifiaient pas l’attribution des licences de PI du groupe Apple à cette succursale. Les activités examinées par le Tribunal incluaient le contrôle de qualité, diverses activités de R&D et la gestion des coûts de marketing locaux.

63. À cet égard, en ce qui concerne le contrôle de qualité, j’observe que cette fonction faisait partie des fonctions énumérées dans l’accord de partage des coûts et associées tant à Apple Inc. qu’à ASI et AOE. Dans ces conditions, force est de constater que, lorsque, au point 269 de l’arrêt attaqué, le Tribunal évoque l’affirmation d’ASI et AOE selon laquelle « des milliers de personnes étaient occupées, dans le monde entier, dans la fonction du contrôle de qualité alors qu’une seule personne était employée dans cette fonction en Irlande », il fait référence à des activités exercées par des entités distinctes de ces sociétés et, notamment, aux activités effectuées par Apple Inc. (40). Il en va de même, selon moi, au point 274 de l’arrêt attaqué, dans lequel le Tribunal a affirmé que le fait que la succursale d’ASI ait engagé les coûts de marketing local « n’implique pas que cette succursale soit responsable de la conception de la stratégie de marketing en elle-même ». En vertu de l’accord sur les services de commercialisation, la conception de cette stratégie incombe en effet à Apple Inc.

64. En ce qui concerne les points 273 et 275 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il affirme que les fonctions de R&D et les activités de collecte et d’analyse des données régionales exercées par les salariés de la succursale d’ASI sont de nature « auxiliaire », le Tribunal compare une nouvelle fois ces activités à celles exercées au niveau global par des entités extérieures à ASI. Enfin, une référence explicite aux politiques et stratégies de groupe conçues par Apple Inc. est reprise au point 277 de l’arrêt attaqué en rapport avec les activités de la succursale d’ASI dans le cadre du service AppleCare, lequel est qualifié d’activité « d’“exécution”, suivant les orientations et la direction stratégique définies aux États-Unis » ainsi qu’aux points 281 et 283 de cet arrêt qui contiennent une appréciation globale du Tribunal concernant la nature « auxiliaire » et « d’exécution » des activités de cette succursale.

65. En troisième lieu, la Commission considère que le Tribunal aurait fait référence aux activités d’Apple Inc. lorsqu’il a examiné les fonctions exercées par la succursale irlandaise d’AOE identifiées au considérant 301 de la décision litigieuse. Au point 290 de l’arrêt attaqué, le Tribunal affirme, en ce qui concerne les procédures propres et l’expertise qui ont été développées par cette succursale dans le cadre de ses activités de fabrication, que, quand bien même ces compétences bénéficieraient de la protection de certains droits de propriété intellectuelle, « il s’agit d’un domaine restreint et propre aux activités de cette succursale », qui ne justifie pas l’attribution à cette dernière de l’ensemble des licences de PI. Il me semble clair qu’une telle appréciation « quantitative » n’est possible que dans la mesure où les compétences développées par la succursale irlandaise d’AOE sont, comme l’affirme à juste titre la Commission, comparées à l’ensemble des fonctions de R&D relatives à la PI du groupe Apple. En revanche il convient de rejeter, en ce qu’il vise à contester une appréciation de fait du Tribunal, l’argument de la Commission dirigé contre les points 291 à 294 de l’arrêt attaqué, selon lequel la PI développée par la succursale irlandaise d’AOE représentait une contribution unique et de valeur, incompatible avec l’attribution d’un rendement limité tel que celui prévu par les décisions anticipatives.

66. Enfin, la Commission fait valoir que, aux points 298 à 302 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a tenu compte des fonctions exercées par Apple Inc. lorsqu’il a examiné les activités effectuées en dehors des succursales d’ASI et d’AOE. À cet égard, il est incontestable que, notamment aux points 299 et 300 de cet arrêt, le Tribunal a rappelé les fonctions d’Apple Inc. et son rôle de société faîtière du groupe lorsque, d’une part, il a constaté, de manière générale, le « caractère centralisé des décisions stratégiques au sein du groupe Apple, prises par des directeurs, à Cupertino » et, d’autre part, plus spécifiquement, en ce qui concerne les décisions dans le domaine R&D, qui est à l’origine de la PI du groupe Apple, a rappelé le fait que « les décisions relatives aux produits à développer […] et à la stratégie de R&D […] avaient été prises et mises en œuvre par des dirigeants du groupe établis à Cupertino ». De même, le Tribunal a constaté que « les stratégies de lancement des nouveaux produits, et, notamment, l’organisation de la distribution sur les marchés européens […] [avaient] été établies au niveau du groupe Apple, notamment par les cadres dirigeants du groupe (Executive Team) sous la direction du directeur général du groupe, à Cupertino » (41).

67. Il ressort de l’analyse qui précède que, dans tous les points de l’arrêt attaqué contestés par la Commission, le Tribunal s’est fondé de manière plus ou moins implicite, mais néanmoins claire, sur les fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple dans le cadre de l’accord de partage des coûts ou de l’accord sur les services de commercialisation ou encore dans son rôle de société faîtière du groupe, en comparant ces fonctions à celles exercées par les succursales irlandaises en rapport avec les licences de PI. Dès lors, contrairement à ce que soutiennent l’Irlande ainsi qu’ASI et AOI, le grief analysé ne repose pas sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et encore moins sur sa dénaturation.

iv) L’incidence de la prise en compte des activités d’Apple Inc. sur la qualification juridique des faits

68. L’Irlande ainsi que ASI et AOI font valoir en substance que le grief examiné est en tout état de cause inopérant puisque, même à supposer que le Tribunal ait tenu compte des fonctions d’Apple Inc., les conclusions auxquelles il est parvenu au terme de son examen des faits sont fondées sur une analyse de l’activité des succursales irlandaises et des sièges et sur la constatation de la nature « routinière » des fonctions exercées par ces succursales, laquelle ne suffisait pas, selon le Tribunal, à justifier que les licences de PI et les bénéfices y afférents leur soient attribuées.

69. À cet égard, j’observe qu’il ressort de l’ensemble des constatations de fait du Tribunal, telles qu’elles sont récapitulées au point 310 de l’arrêt attaqué, que la conclusion formulée sous ce point, selon laquelle la Commission n’était pas parvenue à démontrer que les licences de PI auraient dû être attribuées aux succursales irlandaises aux fins de la détermination des bénéfices annuels imposables d’ASI et d’AOE en Irlande, est fondée, d’une part, sur l’appréciation des activités réellement effectuées par ces succursales et, d’autre part, sur les « décisions stratégiques prises et mises en œuvre en dehors de ces succursales ».

70. En supposant que ce dernier élément inclut une référence aux fonctions exercées par les sièges, il convient d’analyser de plus près les appréciations formulées aux points 298 à 309 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a examiné les arguments de l’Irlande ainsi que d’ASI et d’AOE selon lesquels ces dernières, par le biais de leurs organes de direction, avaient mis à exécution les décisions stratégiques relatives à la conception et au développement des produits du groupe Apple prises centralement pour l’ensemble du groupe à Cupertino.

71. Dans ces points, le Tribunal a, dans un premier temps, constaté que ASI et AOE avaient présenté des éléments de preuve sur le caractère centralisé de ces décisions et, s’agissant plus spécifiquement des décisions dans le domaine de la R&D, des éléments qui démontraient, d’une part, que les décisions relatives aux produits à développer et à la stratégie de R&D avaient été prises et mises en œuvre par des dirigeants du groupe établis à Cupertino et, d’autre part, que les stratégies de lancement des nouveaux produits et l’organisation de la distribution sur les marchés européens étaient établies au niveau du groupe Apple, notamment par les cadres dirigeants du groupe sous la direction du directeur général du groupe, à Cupertino (points 298 à 301). J’observe que, dans cette partie de ses appréciations – abstraction faite du point 301 qui est examiné aux points 42 et 43 des présentes conclusions, – le Tribunal n’a en aucune façon évoqué une participation, directe ou indirecte, des sièges à la prise des décisions en matière de R&D et à la conception des stratégies de marketing et de distribution au niveau du groupe Apple mentionnées ci-dessus.

72. Dans un second temps, le Tribunal a examiné le rôle décisionnel des sièges. Il a ainsi relevé, en ce qui concerne la capacité d’ASI et d’AOE de prendre des décisions affectant leurs fonctions essentielles par le biais de leurs organes de direction, que la Commission elle-même avait pris acte de l’existence des conseils d’administration et de leurs réunions régulières durant la période pertinente et avait présenté, dans des tableaux annexés à la décision attaquée, des extraits des procès-verbaux desdites réunions. Le Tribunal a ensuite précisé que « les résolutions des conseils d’administration, actées dans ces procès-verbaux, portaient, notamment, de manière régulière (et à plusieurs reprises dans l’année), sur le versement de dividendes, l’approbation des rapports des directeurs ainsi que la nomination et la démission de directeurs » et, de manière plus occasionnelle, sur « la procuration autorisant certains directeurs à exécuter différentes activités telles que la gestion des comptes bancaires, les relations avec les gouvernements et les organismes publics, les audits, la prise d’assurances, les locations, l’achat et la vente d’actifs, la réception de marchandises et les contrats commerciaux ». Le Tribunal a également relevé qu’il ressortait de ces procès-verbaux que « des pouvoirs très larges de gestion [avaient] été délégués en faveur d’administrateurs individuels » (point 306) et il a conclu que la Commission avait erronément considéré qu’ASI et AOE, par le biais de leurs organes de direction, notamment leurs conseils d’administration, n’avaient pas les capacités d’exercer les fonctions essentielles de ces sociétés, le cas échéant, en déléguant leurs pouvoirs à des dirigeants individuels, en dehors du personnel des succursales irlandaises (point 309). À cet égard, j’observe que ni cette conclusion, ni les éléments tirés des procès-verbaux examinés par la Commission et évoqués aux points 305 et 306 de l’arrêt attaqué ne fournissent d’indications sur une implication effective des conseils d’administration des sièges dans la prise de décisions concernant la gestion des licences de PI. À cet égard, au point 304 de l’arrêt attaqué, le Tribunal s’est contenté d’affirmer que le fait que ces procès-verbaux « ne montrent pas de détails sur les décisions concernant la gestion des licences de PI […], sur l’accord de partage des coûts et sur les décisions commerciales importantes ne saurait exclure l’existence de ces décisions elles-mêmes ». Je reviendrai sur ce point, que conteste la Commission, dans le cadre de la troisième branche du premier moyen de pourvoi.

73. Il ressort de ce qui précède que, aux points 298 à 309 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté, d’une part, l’existence d’un système décisionnel centralisé au sein du groupe Apple, avec Apple Inc. à sa tête, y compris en ce qui concerne la gestion et le développement de la PI du groupe et, d’autre part, la capacité des sièges de prendre, par l’intermédiaire de leurs conseils d’administration respectifs, « les décisions clés pour la société […], telles que l’approbation des comptes annuels », également par le biais d’un système de délégation des pouvoirs en faveur d’administrateurs individuels. Il n’a toutefois pas constaté la participation des sièges à la prise des décisions stratégiques prises par Apple Inc. ni leur implication effective dans l’exécution de ces décisions ou dans la gestion active des licences de PI. La seule constatation à cet égard, qui figure au point 307 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ASI et AOE avaient fourni des informations montrant que les différentes versions de l’accord de partage des coûts avaient été signées par des membres du conseil d’administration à Cupertino, est contestée par la Commission dans le cadre de la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, à l’analyse de laquelle je renvoie. Par conséquent il y a lieu de rejet l’argument d’ASI et AOI ainsi que de l’Irlande selon lequel le grief examiné est inopérant.

3) Conclusion sur la deuxième branche

74. Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que la Commission a raison lorsqu’elle soutient que le Tribunal est parvenu à la conclusion selon laquelle les preuves n’étaient pas suffisantes pour attribuer les licences de PI aux succursales en comparant erronément les fonctions exercées par ces dernières en rapport avec ces licences à celles exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple plutôt qu’à celles exercées par les sièges en lien avec lesdites licences. Cela ressort de manière particulièrement évidente des conclusions intermédiaires du Tribunal aux différentes étapes de son analyse des faits et, notamment, aux points 266 et 302 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a affirmé, d’une part, que la Commission n’avait pas cherché à établir que les organes de gestion des succursales irlandaises avaient effectivement exercé la gestion quotidienne active « de l’ensemble des fonctions et des risques afférents à la PI du groupe Apple qui sont énumérés dans l’annexe B de l’accord de partage des coûts » et, d’autre part, que, puisque les décisions stratégiques concernant le développement des produits à l’origine de la PI du groupe Apple avaient été prises pour l’ensemble du groupe à Cupertino, la Commission avait erronément considéré que la gestion de cette PI avait été nécessairement assumée par leurs succursales irlandaises. Le deuxième grief de la deuxième branche du premier moyen de pourvoi est donc, selon moi, fondé.

b) Sur le premier grief

75. Dans le cadre du premier grief de la deuxième branche de son premier moyen de pourvoi, la Commission soutient que, bien qu’il ait évoqué aux points 255 à 302 de l’arrêt attaqué, diverses fonctions importantes exercées par les directeurs ou les salariés d’Apple Inc. en rapport avec la PI d’Apple, le Tribunal n’aurait pas pris position sur les considérants 308 à 318 de la décision litigieuse dans lesquels elle-même avait exposé les raisons pour lesquelles elle considérait que ces fonctions étaient dénuées de pertinence aux fins de l’appréciation des décisions anticipatives au regard de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. De même, le Tribunal n’aurait pas pris en considération les arguments exposés par la Commission en première instance et portant sur le défaut de pertinence des fonctions exercées par Apple Inc. « au bénéfice » d’ASI et d’AOE ou « pour le compte » des sièges. L’arrêt serait dès lors entaché d’un défaut de motivation.

76. À cet égard, j’observe, en premier lieu, que la Commission a explicitement et itérativement invoqué le défaut de pertinence des fonctions exercées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple aux fins de la détermination des revenus imposables d’ASI et d’AOE en Irlande, tant au cours de la procédure administrative que devant le Tribunal et devant la Cour (42). Je relève, en deuxième lieu, qu’il ressort clairement de la décision litigieuse comme du dossier de l’affaire devant le Tribunal et de l’arrêt attaqué que, depuis le début de la procédure administrative, ASI et AOE (et actuellement ASI et AOI) ainsi que l’Irlande fondent leur position sur l’affirmation selon laquelle la PI d’Apple, y compris les licences détenues par ces sociétés, était gérée de manière centralisée depuis le quartier général d’Apple à Cupertino. En troisième lieu, je rappelle que, aux points 50 à 55 des présentes conclusions, j’ai constaté que, dans l’analyse factuelle réalisée aux points 255 à 302 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, à diverses reprises, implicitement ou explicitement, directement ou indirectement, comparé les fonctions exercées par les succursales irlandaises en rapport avec les licences de PI à celles assumées par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple dans le cadre d’accords intragroupe ou en sa qualité de société faîtière du groupe. Enfin, j’observe que, malgré les arguments en sens contraire invoqués par ASI et AOI ainsi que par l’Irlande, il ressort, selon moi, clairement de la lecture des points pertinents de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a en aucune manière pris position sur les arguments soulevés par la Commission aux considérants 308 à 318 de la décision litigieuse, ni sur les arguments que cette dernière a fait valoir au cours de la procédure en première instance quant à la possibilité que les fonctions d’Apple Inc. entrent en ligne de compte dans la détermination des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE en Irlande en tant que fonctions exercées « au bénéfice » ou « pour le compte » des sièges. Plus spécifiquement, contrairement à ce que soutient l’Irlande, les points 298 à 309 de l’arrêt attaqué ne constituent pas une prise de position sur ces arguments. En effet, même à supposer que, dans ces points, le Tribunal aurait implicitement admis la pertinence, aux fins de l’analyse fonctionnelle et factuelle à mener au titre de l’article 25 du TCA 97, des fonctions exercées par des employés d’entités distinctes de la société non résidente « au bénéfice » ou « pour le compte » de cette dernière ou de parties de celle-ci, force est de constater qu’il n’a en aucune manière justifié cette pertinence ni répondu aux arguments en sens contraire avancés par la Commission.

77. Or, il est exact que, comme le font valoir tant ASI et AOI que l’Irlande, l’obligation de motiver les arrêts, qui incombe au Tribunal en vertu de l’article 36 et de l’article 53, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut également être implicite (43). Toutefois, en l’espèce, eu égard au caractère central de la question de la pertinence des fonctions exercées par Apple Inc. dans le cadre du raisonnement à titre principal de la Commission et dans l’économie de la motivation qui a conduit le Tribunal à accueillir les recours d’ASI et AOE et de l’Irlande sur ce point, j’estime que le fait que ce dernier ait omis de prendre explicitement position sur cette question constitue un défaut de motivation qui empêche la Cour de connaître les raisons du rejet d’un des arguments fondamentaux de l’analyse de la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre principal ainsi qu’au cours de la procédure devant le Tribunal, et qui interfère avec l’exercice du contrôle que la Cour est appelée à effectuer dans le cadre du présent pourvoi.

78. Les motifs de l’arrêt attaqué sont également entachés d’une contradiction, comme l’a également fait valoir la Commission, puisque le Tribunal, d’une part, a considéré aux points 240, 242 et 248 de l’arrêt attaqué que, pour déterminer si une décision fiscale d’attribution des bénéfices à la succursale irlandaise d’une société non résidente était conforme au régime d’imposition « normal » en Irlande, il était nécessaire de prendre en considération la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de cette société, et, d’autre part, aux points 255 à 302 de cet arrêt, il s’est amplement fondé sur les fonctions exercées par une entité distincte d’ASI et d’AOE.

79. Le premier grief de la deuxième branche du premier moyen de pourvoi doit donc, selon moi, être accueilli.

c) Conclusions sur la deuxième branche du premier moyen de pourvoi

80. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’accueillir la deuxième branche du premier moyen de pourvoi.

3. Sur la troisième branche du premier moyen de pourvoi

81. Par la troisième branche de son premier moyen de pourvoi, dirigée contre les points 301 et 303 à 309 de l’arrêt attaqué, la Commission conteste plus particulièrement les appréciations du Tribunal relatives aux activités réalisées par les sièges. Elle soulève deux griefs distincts qu’il convient d’examiner conjointement. Dans le premier grief, la Commission invoque une irrégularité de procédure en ce que le Tribunal n’a pas pris en considération les arguments de défense qu’elle avait soulevés en première instance, en ce qu’il a adopté une motivation insuffisante et contradictoire et en ce qu’il s’est fondé sur des éléments de preuve irrecevables. Dans le second grief, elle fait valoir une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et/ou une dénaturation du droit national. L’Irlande, ASI et AOI, ainsi que le Grand-Duché de Luxembourg considèrent que ces griefs sont irrecevables et/ou inopérants et, en tout état de cause, non fondés.

82. En premier lieu, la Commission fait valoir que le Tribunal n’a pas répondu à l’argument qu’elle avait soulevé dans son mémoire en défense selon lequel les procès-verbaux examiné par la Commission étaient l’unique élément de preuve produit par Apple et par l’Irlande au cours de la procédure administrative afin de démontrer l’existence de fonctions exercées par les sièges.

83. À cet égard, je rappelle que, selon une jurisprudence constante à laquelle j’ai déjà fait référence dans les présentes conclusions, d’une part, au stade du pourvoi, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les preuves que le Tribunal a retenues au soutien de ces faits et, d’autre part, l’obligation de motiver les arrêts qui incombe au Tribunal n’impose pas à celui-ci de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige. En l’espèce, au point 305 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, dans l’exercice de sa compétence exclusive en matière d’appréciation des preuves que, malgré leur caractère sommaire, les extraits des procès-verbaux examinés par la Commission étaient suffisants pour « comprendre comment les décisions clés pour la société [avaient] été adoptées et actées [à ces] procès-verbaux ». Une telle appréciation – qui permet à la Commission de comprendre les raisons pour lesquelles le Tribunal a accordé de l’importance à ces procès-verbaux, quand bien même il se serait agi de l’unique élément de preuve fourni au cours de la procédure administrative en ce qui concerne les fonctions des sièges – n’est pas susceptible de recours devant la Cour, sauf en cas de dénaturation, laquelle n’a pas été invoquée par la Commission à cet égard.

84. En deuxième lieu, la Commission soutient que, au point 304 de l’arrêt attaqué, le Tribunal fait reposer sur elle une charge de la preuve impossible à satisfaire. Dans ce point, comme cela a déjà été exposé, le Tribunal a affirmé que « le fait que les procès-verbaux [examinés par la Commission] ne montrent pas de détails sur les décisions concernant la gestion des licences de PI du groupe Apple, sur l’accord de partage des coûts et sur les décisions commerciales importantes ne saurait exclure l’existence de ces décisions elles-mêmes ».

85. À cet égard, je souscris à la position de la Commission. En effet, je ne vois pas comment il serait possible de déduire, comme le Tribunal semble le faire aux points 305 et 306 de l’arrêt attaqué, des procès-verbaux du conseil d’administration d’une société des éléments concernant la prise de décisions portant sur un objet spécifique, en l’absence d’indications explicites ou implicites en ce sens. Par contre, il me semble en revanche possible, comme l’a fait la Commission dans la décision litigieuse, de tirer d’une telle absence d’indications et en l’absence de preuve contraire, des éléments qui militent en faveur de l’inexistence de ces décisions, en particulier lorsqu’il apparaît que, par sa pratique ou par obligation légale, cette société procède en principe à l’inscription des décisions pertinentes prises par son conseil d’administration dans les procès-verbaux des réunions de ce dernier. Dans la mesure où il ne permet pas à la Commission de se fonder sur ces éléments, lorsqu’il s’agit de prouver l’existence de faits négatifs qui, par essence, ne peuvent être démontrés mais seulement déduits au travers de présomptions tirées de faits positifs constatés ou par la preuve d’un fait positif contraire, le point 304 de l’arrêt attaqué fait, selon moi, reposer sur la Commission une charge de la preuve excessive sans justification.

86. En troisième lieu, la Commission conteste le point 306 de l’arrêt attaqué en particulier en ce que le Tribunal affirme que « il ressort [des procès-verbaux examinés] que des pouvoirs très larges de gestion ont été délégués en faveur d’administrateurs individuels ». Elle fait valoir que, s’il est vrai que les procès-verbaux en question consignaient de manière occasionnelle l’octroi de procurations par le conseil d’administration, une seule de ces procurations concernait la conclusion de contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications.

87. À cet égard, dans la mesure où, en invoquant cet argument, la Commission entend remettre en question l’appréciation de la valeur probatoire de l’inscription dans le procès-verbal de la procuration mentionnée ci-dessus, je rappellerai, d’une part, que cette appréciation relève en principe de la compétence exclusive du Tribunal et, d’autre part, qu’aucune règle ni aucun principe du droit de l’Union n’interdisent au Tribunal de se fonder sur un seul élément de preuve pour constater les faits pertinents (44). J’estime donc que ce grief doit être rejeté. Je rappelle toutefois que la Commission conteste également la recevabilité de la procuration en question en tant qu’élément de preuve, dans la mesure où elle n’a pas été produite au cours de la procédure administrative. Sur cette question, je renvoie à l’analyse effectuée aux points 42 et 43 des présentes conclusions. Comme je l’ai relevé dans ces points, bien qu’elle soit mentionnée dans le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration d’ASI du 27 juillet 2011, selon ce qu’affirme la Commission sans être contredite par ASI et AOI, jusqu’à présent, la procuration en question n’a pas été produite. Par conséquent, le Tribunal ne peut s’être fondé que sur l’inscription au procès-verbal de l’octroi de cette procuration et non sur le texte de cette dernière.

88. En quatrième lieu, la Commission conteste la conclusion du Tribunal figurant plus spécifiquement aux points 301, 306 et 307 de l’arrêt attaqué, selon laquelle des « actes formels », tels que l’octroi d’une procuration aux fins de négocier ou de signer un accord (en l’espèce, les diverses modifications apportées à l’accord de partage des coûts au cours de la période pertinente), constituent des fonctions effectivement exercées par les sièges en rapport avec les licences de PI. La Commission reconnaît notamment que les négociations en vue de la conclusion de contrats commerciaux tels que les contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications sont susceptibles de constituer des « fonctions humaines significatives » aux fins de l’analyse fonctionnelle et factuelle à effectuer sur le fondement de l’article 25 du TCA 97. Toutefois, en l’espèce, ces fonctions auraient été exercées par des employés d’Apple Inc. pour le compte de l’ensemble du groupe Apple ou au bénéfice d’ASI et d’AOE, et non pas par les sièges. Les points mentionnés ci-dessus seraient également entachés d’un défaut de motivation ainsi que d’une motivation contradictoire.

89. À ce propos, il convient de relever que, dans la logique du raisonnement suivi par le Tribunal aux points 251 à 311 de l’arrêt attaqué, les appréciations contenues aux points 303 à 309 de cet arrêt tendent à démontrer que les sièges d’ASI et d’AOE – par l’intermédiaire des résolutions adoptées par leurs conseils d’administration respectifs et, notamment par l’intermédiaire d’un système de délégations accordées à des directeurs individuels ou à des dirigeants individuels en dehors du personnel des succursales irlandaises – avaient la capacité d’exercer les « fonctions essentielles » de ces sociétés. Ceci ressort plus particulièrement du point 303 de l’arrêt attaqué, qui délimite l’objet de l’analyse effectuée par le Tribunal, ainsi que du point 305 et du point 309 de cet arrêt qui énonce la conclusion de cette analyse selon laquelle la Commission avait erronément considéré dans la décision litigieuse qu’en l’absence de salariés et à défaut de présence physique, les sièges n’avaient pas la capacité d’exercer des fonctions pour le compte de ces sociétés. En revanche, il ne figure, aux points 303 à 309 de l’arrêt, aucune affirmation explicite d’une participation des sièges à la prise de décisions relatives à la gestion des licences de PI, si on exclut le point 304 – dans lequel, comme je l’ai indiqué, le Tribunal se limite à affirmer, avec une argumentation qui me semble critiquable, que l’absence de trace de ces décisions dans les procès-verbaux n’exclut pas que ces dernières aient effectivement été prises – et le point 307 qui porte sur la signature de l’accord de partage des coûts, lequel concerne toutefois un accord intragroupe en principe exclu de l’objet des décisions anticipatives. Enfin, s’agissant du point 301 de cet arrêt, il est inséré dans l’analyse consacrée aux modalités centralisées de prise des décisions stratégiques au sein du groupe Apple.

90. Je ne suis donc pas convaincu qu’il soit correct d’interpréter les points 301, 306 et 307 de l’arrêt attaqué dans le sens suggéré par la Commission. Il me semble en effet que lorsqu’il a constaté que des directeurs d’ASI et d’AOE avaient participé, directement ou par procuration, à des négociations avec les OEMs et avec les opérateurs de télécommunications ou encore à la conclusion de contrats commerciaux ou d’accords intragroupe, le Tribunal n’a pas entendu affirmer que les sièges avaient exercé des « fonctions humaines significatives » en rapport avec les licences de PI mais il a plutôt constaté que la décision litigieuse avait erronément conclu que la gestion de la PI du groupe Apple avait nécessairement été assumée par les succursales irlandaises puisque les sièges n’avaient pas la capacité de prendre des décisions relatives à la gestion des licences de PI (voir, notamment, points 302 et 309 de l’arrêt attaqué).

91. Dans ces conditions, l’argumentation de la Commission semble devoir être rejetée en ce qu’elle repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué. Pour les mêmes motifs, il convient de rejeter les arguments contraires soulevés par l’Irlande ainsi que par ASI et AOI, selon lesquels la signature des modifications apportées à l’accord de partage des coûts et les procurations portant sur les négociations et la conclusion des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications prouveraient que des décisions concernant la gestion des licences de PI auraient été prises par les sièges. En effet, ce constat ne figure pas dans l’arrêt attaqué.

92. Cela étant dit, j’observe que la difficulté d’attribuer un sens univoque aux constatations contenues dans les points 301 et 307 de l’arrêt attaqué et d’en définir clairement la portée doit, encore une fois, être imputée à l’absence de prise de position du Tribunal sur la question de savoir si, et à quelles conditions, les « fonctions humaines significatives » exercées par la société faîtière du groupe pour le compte ou en faveur de cette société hors d’Irlande peuvent être prises en considération afin d’attribuer à des fins fiscales la propriété économique d’un bien générant des revenus détenu par une société non résidente dont il faut déterminer les bénéfices imposables en Irlande conformément à l’article 25 du TCA 97. Sur ce point, je renvoie à ce qui a été dit au point 61 des présentes conclusions.

93. En réalité, l’analyse des activités en dehors des succursales irlandaises figurant aux points 296 à 309 de l’arrêt attaqué semble influencée par la prémisse, erronée comme nous l’avons vu, sur laquelle le Tribunal fonde l’examen des griefs formulés à l’encontre du raisonnement à titre principal de la Commission, à savoir que cette dernière aurait procédé selon une approche « par exclusion ». En partant d’une telle prémisse, il n’était en effet pas nécessaire, pour infirmer le raisonnement à titre principal dans son ensemble, de démontrer que les sièges avaient effectivement exercé des fonctions significatives en rapport avec les licences de PI, il suffisait de prouver qu’ils avaient la capacité de prendre de telles décisions ou, encore plus généralement, la capacité de prendre des « décisions clés pour la société » (point 305 de l’arrêt attaqué) ou « des décisions affectant [les] fonctions essentielles » d’ASI et d’AOE (point 303 de l’arrêt attaqué).

94. En tout état de cause, si la Cour devait considérer que le Tribunal a implicitement estimé aux points 301 et 307 de l’arrêt attaqué que, en accordant aux dirigeants d’Apple Inc. – qu’ils s’agisse ou non de membres des conseils d’administration d’ASI et d’AOE – des procurations pour la signature de contrats ou d’accords intragroupe, les sièges avaient effectivement exercé des fonctions pertinentes en rapport avec les licences de PI aux fins de l’analyse à effectuer au titre de l’article 25 du TCA 97, je souscris à la position de la Commission selon laquelle la nature simplement formelle de ces actes et l’amalgame entre les fonctions exercées par la société faîtière du groupe et les fonctions attribuables aux sièges qu’un tel système de délégations suscite ne permettent pas d’avaliser une telle conclusion.

95. Eu égard à ce qui précède, je considère que la troisième branche du premier moyen de pourvoi est partiellement recevable et fondée, comme je l’ai indiqué au terme de l’examen de chacun des griefs invoqués.

4. Conclusions sur le premier moyen de pourvoi

96. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, selon moi, le premier moyen de pourvoi est fondé. En s’attachant aux fonctions et aux risques assumés par Apple Inc. en rapport avec la PI du groupe Apple au lieu de se concentrer uniquement sur les activités exercées respectivement par les succursales et par les sièges en rapport avec la gestion et l’exploitation des licences de PI, le Tribunal a procédé à une analyse factuelle et à une qualification des faits examinés en appliquant un critère juridique différent de celui considéré comme étant applicable en vertu de l’article 25 du TCA 97, lequel demande de tenir compte de la répartition des actifs, des fonctions et des risques entre la succursale et les autres parties de la société et, en application du principe de pleine concurrence, exclut que le rôle d’entités distinctes soit pris en considération.

C. Sur le second moyen de pourvoi

97. Le second moyen de pourvoi est dirigé contre les motifs de l’arrêt attaqué par lesquels le Tribunal a accueilli les griefs invoqués par l’Irlande et par ASI et AOE à l’encontre du raisonnement à titre subsidiaire de la Commission. Je rappelle que, dans le cadre de ce raisonnement, exposé aux considérants 325 à 360 de la décision litigieuse, la Commission a soutenu que, même en admettant que les licences de PI devaient être attribuées hors d’Irlande, les méthodes d’attribution des bénéfices approuvées dans les décisions anticipatives avaient conduit à sous-estimer le bénéfice annuel imposable d’ASI et d’AOE en Irlande dans la mesure où elles étaient fondées sur des choix inappropriés qui avaient abouti à un résultat s’écartant d’une approximation fiable d’un résultat fondé sur le marché selon le principe de pleine concurrence. Plus précisément, après avoir constaté que les décisions anticipatives avaient accepté des méthodes unilatérales d’attributions des bénéfices semblables à la méthode transactionnelle de la marge nette (ci-après la « MTMN ») prévue par les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert (45), la Commission a conclu que les autorités fiscales irlandaises avaient avalisé trois choix méthodologiques erronés concernant l’identification des succursales irlandaises comme « parties testées » – à savoir comme parties sur l’activité desquelles se concentre l’analyse conduite dans le cadre de la méthode unilatérale d’attribution des bénéfices (considérants 328 à 333 de la décision litigieuse) –, le choix des dépenses d’exploitation comme indicateur du niveau de bénéfices (considérants 334 à 345 de la décision litigieuse) et les niveaux de rémunération acceptés (considérants 346 à 359 de la décision litigieuse).

98. Le second moyen de pourvoi est divisé en trois branches. La première branche concerne une erreur dans la détermination du niveau de preuve requis pour démontrer l’existence d’un avantage dans le cas de décisions anticipatives portant sur l’attribution de bénéfices, la deuxième porte sur une irrégularité de procédure et la troisième concerne une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE et/ou une dénaturation du droit national.

1. Sur la première branche du second moyen de pourvoi

99. Par la première branche de son second moyen de pourvoi, dirigée contre les points 349, 416, 434 et 435 de l’arrêt attaqué (qui renvoient aux points 319 et 332 de cet arrêt), la Commission fait valoir que le Tribunal a retenu un niveau de preuve erroné lorsqu’il a considéré qu’il lui incombait de démontrer que l’attribution des bénéfices figurant dans les décisions anticipatives avait conduit à un allègement de la charge fiscale d’ASI et d’AOE par rapport à celle que ces sociétés auraient supportée en application des règles d’imposition normales et qu’il était insuffisant de constater des erreurs méthodologiques (46). Elle soutient que lorsqu’elle apprécie, à la lumière du principe de pleine concurrence, si une décision anticipative, telle que celle contestée en l’espèce, donne lieu à un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, le niveau de preuve requis est le même que lorsqu’il est recouru au principe de l’opérateur en économie de marché et que dès lors, il lui incomberait seulement de prouver la « plausibilité » d’un tel avantage tandis que l’État membre concerné devrait démontrer que cet avantage est justifié. La Commission renvoie également à l’arrêt du 8 décembre 2011, France Télécom/Commission (47), dans lequel, dans un contexte différent de celui de l’application du principe de l’opérateur en économie de marché, la Cour aurait affirmé qu’afin de démontrer un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, il suffit d’apporter la preuve que la mesure nationale concernée est intrinsèquement susceptible d’alléger la charge fiscale des entreprises bénéficiaires.

100. ASI et AOI ainsi que l’Irlande font valoir que la première branche du second moyen de pourvoi est inopérante puisque, même à supposer, comme l’affirme la Commission, qu’il incombait à l’Irlande et à Apple de démontrer l’inexistence d’un avantage, ces dernières se seraient acquittées de cette charge probatoire en présentant des rapports ad hoc sur l’attribution de bénéfices aux succursales irlandaises établis par leurs conseillers fiscaux respectifs, dont il ressortait que la base imposable de ces sociétés était déterminée conformément à l’article 25 du TCA 97 et au principe de pleine concurrence (ci-après les « rapports ad hoc »).

101. À cet égard, il est certes vrai que dans son analyse des niveaux de rémunération acceptés dans les décisions anticipatives (points 418 à 478 de l’arrêt attaqué) le Tribunal a, d’une part, confirmé la fiabilité de l’étude de comparabilité contenue dans les rapports ad hoc confirmant ex post ces rémunérations (points 450 à 464 de l’arrêt attaqué) et, d’autre part, constaté que l’analyse de comparabilité corrigée effectuée par la Commission aux considérants 353 à 356 de la décision attaquée (ci-après l’« analyse de comparabilité corrigée ») n’était pas susceptible d’infirmer les conclusions de ces rapports (points 469 et 477 de l’arrêt attaqué). Toutefois, dans le cadre de la troisième branche de son deuxième moyen de pourvoi, la Commission critique les points de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a, en substance, approuvé la méthode de calcul adoptée dans les rapports ad hoc et constate le caractère inadéquat de l’analyse de comparabilité corrigée pour remettre en discussion les conclusions de ces rapports. La question de savoir si le grief examiné est inopérant dépend donc de la conclusion de l’analyse de ces critiques.

102. Sur le fond, ASI et AOI, ainsi que l’Irlande et le Grand-Duché de Luxembourg font valoir que la Commission cherche, en substance, à obtenir un renversement de la charge de la preuve. ASI et AOI font également valoir que le grief de la Commission manque en fait puisque le Tribunal aurait conclu qu’aucune des trois erreurs de méthodologie constatées par la Commission n’avait été démontrée.

103. Je rappellerai que, selon une jurisprudence constante, il incombe à la Commission d’apporter la preuve de l’existence d’une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, partant, également la preuve que la condition d’octroi d’un avantage est remplie (48). Ainsi, la Commission est tenue, dans l’intérêt d’une bonne administration des règles fondamentales du traité FUE relatives aux aides d’État, de conduire la procédure d’examen des mesures incriminées de manière diligente et impartiale, afin qu’elle dispose, lors de l’adoption de la décision finale, des éléments les plus complets et fiables possibles pour ce faire (49). La Cour a en outre déclaré que la Commission ne saurait supposer qu’une entreprise a bénéficié d’un avantage constitutif d’une aide d’État en se basant simplement sur une présomption négative, fondée sur l’absence d’informations permettant d’aboutir à la conclusion contraire, en l’absence d’autres éléments de nature à établir positivement l’existence d’un tel avantage (50). Ces principes valent également lorsque la Commission applique le principe de l’opérateur en économie de marché. C’est en effet sur elle que pèse la charge de prouver que les conditions d’application de ce principe ne sont pas remplies (51) et de déterminer, à la lumière des éléments pertinents, si l’entreprise bénéficiaire n’aurait manifestement pas obtenu des facilités comparables d’un opérateur privé (52). Dès lors, même lorsqu’elle applique le principe de l’opérateur en économie de marché, la Commission ne peut se fonder sur de simples allégations « plausibles », dont elle ne serait pas tenue de prouver la véracité (53). Quant à l’arrêt France Telecom, je relève qu’il ressort notamment du point 19 de cet arrêt que même si les caractéristiques du régime fiscal en cause ne permettaient pas de déterminer, à l’avance et pour chaque exercice fiscal, le niveau précis d’imposition afférent à celui-ci, il était toutefois constant que ce régime était susceptible de conduire, et avait effectivement conduit, à une imposition moindre du bénéficiaire par rapport à celle résultant de l’application du régime de droit commun.

104. Cela étant dit, j’observe que, en l’espèce, la constatation de l’existence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, à laquelle la Commission est parvenue au terme de son raisonnement à titre subsidiaire, n’est pas fondée sur « une simple hypothèse, non confirmée ni infirmée par les informations dont [elle] disposait » (54), ni sur de simples « affirmations plausibles » mais sur la constatation d’erreurs précises qui, aux dires de la Commission, affectent la méthode d’attribution des bénéfices acceptée dans les décisions anticipatives et influencent différents éléments du calcul qui a conduit à la détermination des bénéfices imposables d’ASI et d’AOE. Or, il n’est pas exclu, selon moi, que, comme le soutient la Commission, des erreurs fondamentales dans la détermination de la méthode applicable pour attribuer les bénéfices aux fins du calcul de la base imposable d’une société non résidente qui opère par l’intermédiaire d’une succursale soient telles qu’elle conduisent nécessairement à une sous-évaluation de ces bénéfices par rapport à un résultat de pleine concurrence et qu’elles soient dès lors intrinsèquement et manifestement susceptibles de réduire la charge fiscale de cette société par rapport à une imposition considérée normale. Dans ce cas, la Commission peut, selon moi, être autorisée à se fonder, aux fins de prouver l’existence d’un avantage sélectif au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, sur la preuve de l’existence d’une telle erreur et sur le fait que l’État membre concerné ne démontre que cette erreur reste sans incidence sur la correspondance du niveau des bénéfices ainsi calculés à une valeur de pleine concurrence (55). Selon moi, le Tribunal a donc apprécié de manière erronée le niveau de preuve requis s’agissant de décisions telles que la décision litigieuse.

105. En l’espèce, il convient toutefois de constater que, au terme d’une analyse détaillée que la Commission conteste tant sur le fond que sous l’angle du respect des limites du contrôle juridictionnel, le Tribunal a considéré que les erreurs de méthodologie identifiées dans la décision litigieuse n’avaient pas été démontrées et il s’est limité, en substance, à constater l’absence de données contemporaines qui auraient permis de justifier les choix relatifs à la méthode de calcul acceptée dans les décisions anticipatives. Dès lors, l’erreur concernant le niveau de la preuve n’aurait pas de réelle incidence sur l’exactitude des conclusions auxquelles le Tribunal est parvenu s’il apparaissait que les griefs invoqués par la Commission dans la deuxième et la troisième branche de ce moyen ne sont pas fondés. Il est donc nécessaire d’examiner ces griefs.

2. Sur les deuxième et troisième branches du second moyen de pourvoi

106. Par la deuxième branche de son second moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que, en divers points de son analyse, le Tribunal s’est fondé sur des arguments qui ne figuraient pas dans les recours introduits par ASI et AOE ainsi que par l’Irlande mais qui étaient tirés de documents annexés à ces recours, et en particulier des rapports ad hoc, auxquels les parties requérantes n’ont fait que des références générales. La Commission n’aurait donc pas eu la possibilité de prendre position sur certains des motifs qui ont abouti à l’annulation de la décision litigieuse. Par ailleurs, le Tribunal aurait soulevé d’office certains des griefs examinés.

107. Ces critiques seront examinées lors de l’analyse des griefs invoqués dans le cadre de la troisième branche du second moyen de pourvoi. À ce stade, je me contente de rappeler que, selon une jurisprudence constante, afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, l’exposé sommaire des moyens que doit contenir la requête, au sens de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, de ce statut et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, doit être suffisamment clair et précis pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et à la juridiction compétente de statuer (56). S’il est vrai que le corps de la requête peut être étayé et complété, sur des points spécifiques, par des renvois à des passages déterminés de pièces qui y sont annexées, un renvoi global à d’autres écrits, même annexés à la requête, ne saurait pallier l’absence des éléments essentiels de l’argumentation en droit, qui doivent figurer dans la requête. En effet, il n’appartient pas au Tribunal de rechercher et d’identifier, dans les annexes, les moyens qu’il pourrait considérer comme constituant le fondement du recours (57). Des exigences analogues sont requises lorsqu’un argument est invoqué au soutien d’un moyen soulevé devant le Tribunal (58). Il s’ensuit que la partie requérante est tenue d’exposer d’une manière suffisamment systématique les développements relatifs à chaque moyen, sans que le Tribunal puisse être contraint de reconstituer l’articulation juridique censée soutenir ce moyen (59).

108. Par la troisième branche de son second moyen de pourvoi, la Commission fait valoir que le Tribunal a violé l’article 107, paragraphe 1, TFUE et/ou dénaturé le droit national en ce que, au terme de son analyse factuelle, il a conclu que le raisonnement à titre subsidiaire ne permettait pas de démontrer l’existence d’un avantage au sens de cette disposition. La Commission conteste notamment la qualification juridique des faits retenue par le Tribunal qui, selon elle, viole l’approche de l’entité distincte et le principe de pleine concurrence. Elle formule trois griefs qui portent, le premier, sur des erreurs commises par le Tribunal dans l’analyse du choix des succursales irlandaises comme « parties testées » aux fins de l’application de la méthode d’attribution des bénéfices retenue (points 328 à 351 de l’arrêt attaqué), le deuxième, sur le choix des coûts d’exploitation comme indicateur du niveau des bénéfices (points 352 à 417 de l’arrêt attaqué) et le troisième, sur les niveaux de rémunération acceptés (points 418 à 478 de l’arrêt attaqué). L’Irlande ainsi que ASI et AOI soutiennent que les griefs soulevés dans le cadre de cette branche du second moyen de pourvoi sont globalement irrecevables en ce qu’ils tendent à contester des appréciations de fait, qu’ils sont inopérants et non fondés.

a) Sur le premier grief

109. Par le premier grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi, dirigé contre les points 337 à 343 de l’arrêt attaqué, la Commission conteste, en premier lieu, la qualification des fonctions exercées par les succursales irlandaises comme étant « moins complexes » aux fins du choix de la partie testée. Cette qualification serait la conséquence d’une appréciation erronée de ces fonctions se référant à la PI du groupe Apple et non aux licences de PI détenues par ASI et AOE. Puisqu’il tend à contester la qualification juridique erronée des fonctions exercées par les succursales irlandaises, ce grief est, à mon avis, recevable. Je renvoie à cet égard à ce qui est exposé au point 39 des présentes conclusions.

110. Sur le fond, je rappelle que, dans le cadre de l’analyse du premier moyen de pourvoi, je suis parvenu à la conclusion que l’affirmation du Tribunal selon laquelle les succursales irlandaises exerçaient des fonctions « routinières » en rapport avec les licences de PI s’appuie sur une comparaison entre ces fonctions et celles exercées par Apple Inc. en ce qui concerne la PI du groupe Apple et que, en procédant à cette comparaison, le Tribunal a violé le principe de pleine concurrence qui, d’après les constatations contenues dans l’arrêt attaqué, est inhérent à l’application de l’article 25 du TCA 97. Or, une telle erreur a également une incidence sur l’appréciation qui a conduit le Tribunal à approuver le choix des succursales irlandaises comme parties testées, comme cela ressort notamment du point 341 de l’arrêt attaqué qui renvoie aux conclusions de l’analyse factuelle effectuée dans le cadre de l’examen des moyens de recours contre le raisonnement à titre principal.

111. Certes, comme l’a fait valoir en particulier l’Irlande, au point 340 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que puisque le raisonnement à titre subsidiaire partait de la prémisse selon laquelle « la PI du groupe Apple [avait été] correctement attribuée aux sièges », la Commission ne pouvait prétendre, en même temps, que c’étaient les succursales irlandaises « qui [avaient] exercé les fonctions les plus complexes à l’égard de cette PI ». Cette affirmation se fonde toutefois sur une erreur de logique. En effet, s’il est exact que, dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire, la Commission a accepté la prémisse selon laquelle les licences de PI devaient être attribuées aux sièges, cela ne signifie pas, comme semble le considérer le Tribunal, qu’elle a également considéré qu’étaient établis les éléments susceptibles de justifier cette attribution – qu’elle contestait – et, en particulier, l’exercice par les sièges de fonctions humaines significatives en rapport avec les licences.

112. Plus généralement, contrairement à ce que soutiennent notamment ASI et AOI, en aucun passage des motifs de l’arrêt attaqué relatifs au choix des succursales comme « parties testées », le Tribunal n’a conclu que, dans le rapport entre les succursales irlandaises et les sièges, les premières étaient les entités les moins complexes (60). Il ressort des points 3.18 et 3.19 des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert que le choix de la partie testée doit être compatible avec l’analyse fonctionnelle de la transaction et requiert de tenir compte du rôle respectif des différentes parties qui y ont participé (voir, également, point 2.59 des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, in fine). Par conséquent, dans la mesure où ils ne prennent en considération que la situation des succursales irlandaises, les motifs exposés par le Tribunal aux points 333 à 336 de l’arrêt attaqué, tout comme aux points 342 et 343 de cet arrêt, ne permettent pas à eux seuls d’infirmer la prémisse sur laquelle s’est fondée la Commission dans son raisonnement à titre subsidiaire, à savoir que les sièges, en tant que parties à la transaction qui exerçaient les fonctions moins complexes, auraient dû être les parties testées.

113. En deuxième lieu, la Commission conteste le point 335 de l’arrêt attaqué dans lequel le Tribunal a affirmé que les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert n’imposent pas nécessairement de choisir l’entité qui exerce les fonctions moins complexes comme partie testée dans le cadre de la MTMN, mais se limitent à conseiller de choisir l’entité pour laquelle il existe le plus grand nombre de données fiables. Elle fait valoir, sur ce point, que le Tribunal a constaté d’office une erreur d’interprétation desdits principes de l’OCDE que les requérantes en première instance n’avaient pas invoquée. Cet argument est, selon moi, fondé sur une interprétation erronée de l’arrêt attaqué et doit donc être rejeté. En effet, le point 335 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il est lu dans le contexte du raisonnement suivi par le Tribunal aux points 334 à 336 de ce arrêt, ne soulève aucune critique spécifique à l’égard de la décision litigieuse mais se limite à motiver la conclusion énoncée au point 334 et confirmée au point 336 selon laquelle, « pour autant que les fonctions de la partie testée aient été correctement identifiées, et que la rémunération de ces fonctions ait été correctement calculée, le fait qu’une partie ou une autre ait été choisie en tant que partie testée est sans pertinence ».

114. En troisième lieu, la Commission conteste la validité de cette conclusion. Elle fait valoir que, contrairement à ce qu’affirme le Tribunal au point 336 de l’arrêt attaqué, le choix de la partie testée constitue une étape fondamentale de l’application de la MTMN. Ce grief est à mon avis recevable bien qu’il soit dirigé contre l’interprétation des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert retenue par le Tribunal. À cet égard, je renvoie aux considérations exposées au point 39 des présentes conclusions.

115. Sur le fond, je partage la position de la Commission quant à l’importance qui, dans le cadre de ces principes, est accordée au choix de la partie testée en cas d’application de la MTMN. En effet, il ressort notamment des points 3.18 et 3.19 de la version de ces principes de 2010 – sur laquelle, selon toute probabilité, le Tribunal s’est fondé au point 335 de l’arrêt attaqué – que ce choix dépend de la possibilité de mener une analyse comparative fondée sur des données fiables, qui permette d’identifier correctement le prix de transfert à attribuer à la transaction en question conformément au principe de pleine concurrence. La Commission a donc raison d’affirmer que ce choix n’est pas neutre mais conditionne de manière déterminante la fiabilité du résultat de l’analyse menée en application de la MTMN.

116. Eu égard à ce qui précède et dans les limites exposées ci-dessus, j’estime que le premier grief de la troisième branche du second moyen est fondé.

b) Sur le deuxième grief

117. Par le deuxième grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi, la Commission conteste les points 352 à 417 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a infirmé les conclusions de la décision litigieuse selon lesquelles, même en supposant que le choix des succursales irlandaises comme parties testées était correct, le choix des coûts d’exploitation d’ASI et d’AOE en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices a débouché sur des bénéfices imposables de ces sociétés qui ne reflétaient pas une approximation fiable d’un résultat basé sur le marché selon le principe de pleine concurrence.

1) Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’ASI

118. Aux considérants 336 à 342 de la décision litigieuse, la Commission a considéré que le choix des coûts d’exploitation de la succursale irlandaise d’ASI en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices ne reflétait pas de manière adéquate les risques assumés et les activités exercées par cette succursale ni, de ce fait, sa contribution au chiffre d’affaires d’ASI. Pour les mêmes motifs, elle a considéré que le ratio de Berry, un indicateur du niveau des bénéfices basé sur le rapport entre la marge brute et les charges d’exploitation qui est utilisé dans les rapports ad hoc, ne permettait pas de déterminer une rémunération de pleine concurrence pour les fonctions exercées par cette succursale. Selon la Commission, les ventes d’ASI auraient constitué un indicateur plus approprié. Le Tribunal a rejeté cette conclusion aux points 359 à 407 de l’arrêt attaqué.

119. En premier lieu, la Commission fait valoir que le Tribunal n’a pas tenu compte de l’analyse fonctionnelle exposée dans la décision litigieuse lorsque, au point 360 de l’arrêt attaqué, il a affirmé que la Commission avait fondé ses constatations relatives au caractère inapproprié des coûts d’exploitation pour refléter les fonctions exercées par la succursale irlandaise d’ASI sur une approche par exclusion. À cet égard, je renvoie à l’examen de la première branche du premier moyen de pourvoi. La même erreur entache également le point 365 de l’arrêt attaqué dans lequel le Tribunal a conclu que la Commission s’était en substance contentée d’affirmer que les ventes d’ASI auraient été un indicateur du niveau des bénéfices approprié. Je suis en effet d’accord avec la Commission qui considère que, dans ce point, le Tribunal a procédé à une lecture cloisonnée de la décision litigieuse, sans tenir compte de l’analyse figurant dans d’autres parties de cette décision et, en particulier aux considérants 294 à 305 qui énumèrent les fonctions et les risques que la Commission a considérés être assumés, en particulier par la succursale irlandaise d’ASI.

120. En deuxième lieu, la Commission conteste les points 366 à 372 de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a critiqué le rejet, au considérant 340 de la décision litigieuse, du ratio de Berry en tant qu’indicateur financier adéquat pour estimer, en l’espèce, la rémunération de pleine concurrence. La Commission fait avant tout valoir que dans leurs recours respectifs, ASI et AOE ainsi que l’Irlande se sont contentées à cet égard de faire de simples références au contenu des rapports ad hoc. Or, l’examen du dossier du Tribunal, y compris les réponses aux questions écrites posées par le Tribunal, confirme cette allégation en ce qui concerne l’Irlande. ASI et AOE ont consacré à cette question des développements plus étoffés mais en limitant toutefois leur analyse à une seule des conditions requises pour l’application de cet indicateur. La Commission n’a donc pas tort d’affirmer que l’analyse du ratio de Berry conduite par le Tribunal est en grande partie détachée des arguments invoqués par les requérantes et débattus en première instance.

121. La Commission avance ensuite une série d’arguments tendant à démontrer que le Tribunal aurait commis des erreurs de droit dans l’appréciation effectuée aux points 366 à 372 de l’arrêt attaqué. Elle fait valoir, en substance, que la conclusion du Tribunal est fondée sur une qualification erronée de la succursale irlandaise d’ASI en tant que prestataire ordinaire de services logistiques, qui n’assume pas de risques. ASI et AOI ainsi que l’Irlande répliquent que cette qualification ne peut pas être remise en cause au niveau du pourvoi. Cet argument doit, selon moi, être rejeté. En effet, dans la mesure où l’application correcte des principes établis dans les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, sur lesquels Apple et l’Irlande se sont fondés pour justifier ex post les décisions anticipatives et le caractère approprié des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale d’ASI, dépend de cette qualification, les arguments soulevés par la Commission ne sortent pas des limites du réexamen des faits par la Cour au stade du pourvoi. À cet égard, je renvoie à ce qui est indiqué au point 39 des présentes conclusions.

122. Sur le fond, les arguments invoqués par la Commission à l’encontre des appréciations du Tribunal relatives à l’application du ratio de Berry doivent être examinés conjointement avec les griefs dirigés contre les points 375 à 407 de l’arrêt attaqué. Dans ces points, après avoir examiné les risques qui, selon la Commission, devaient être attribués à la succursale irlandaise d’ASI et qui justifiaient que l’indicateur du niveau des bénéfices de cette succursale soit fondé sur les ventes et non sur les dépenses d’exploitation, le Tribunal a conclu que la succursale n’avait en réalité assumé aucun de ces risques. En effet, si ces griefs se révélaient fondés, ils démontreraient que le Tribunal s’est appuyé sur une qualification erronée de la succursale d’ASI en tant que « distributeur à bas risque » aux fins de l’application des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert. Il est vrai qu’il semble résulter du point 374 de l’arrêt attaqué que l’analyse figurant aux points 375 à 407 revêt un caractère surabondant, compte tenu de l’interprétation du point 2.87 des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert que retient le Tribunal au point 357 de cet arrêt (61). Toutefois les griefs invoqués par la Commission ne sont pas, pour cette seule raison, inopérants. En effet, dans ce même point 357 ainsi qu’au point 364 de l’arrêt attaqué, le Tribunal reconnaît que, sur la base du point 2.87 mentionné ci-dessus, la capacité de l’indicateur des bénéfices retenu à refléter correctement la valeur des fonctions exercées par la partie testée dépend, entre autres, des risques assumés par cette dernière.

123. La Commission conteste dans l’ordre les points 375 à 390 de l’arrêt attaqué, qui concernent le risque lié au chiffre d’affaires (considérant 337 de la décision litigieuse, où ce risque est défini comme étant le « risque d’inventaire »), les points 391 à 400 de cet arrêt, portant sur le risque lié aux garanties des produits Apple (considérant 338 de la décision litigieuse) et les points 401 à 407 du même arrêt, relatifs aux risques liés aux relations avec les contractants tiers (considérant 339 de la décision litigieuse). Comme dans le cadre du premier moyen de pourvoi, la Commission fait valoir, en substance, que le Tribunal a appliqué un critère juridique erroné et contraire au principe de pleine concurrence en qualifiant de distributeur à bas risque la succursale irlandaise d’ASI en comparant les risques assumés par cette succursale aux politiques de risque d’Apple Inc.

124. L’analyse des motifs de l’arrêt attaqué confirme l’approche contestée par la Commission. Avant tout, en ce qui concerne le risque lié au chiffre d’affaires, d’une part, les éléments de preuve mentionnés par le Tribunal aux points 381, 382 et 383 de l’arrêt attaqué, font référence à la conclusion de manière centralisée par Apple Inc. d’accords-cadres avec les OEMs et les principaux acheteurs des produits Apple ainsi qu’à la définition, toujours de manière centralisée, de la tarification internationale des produits Apple. D’autre part, aux points 385 à 386 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu, sur la base de l’ensemble des éléments de preuve présentés, y compris les rapports ad hoc, que les risques inhérents à des produits restant invendus ou à une chute de la demande ne pouvaient pas être attribués à la succursale irlandaise d’ASI dans la mesure où tant l’offre que la demande étaient « déterminées de manière centralisée, en dehors de ladite succursale » (point 386). En ce qui concerne ensuite les risques liés aux garanties des produits, la conclusion à laquelle est parvenu le Tribunal au point 400 de l’arrêt attaqué, selon laquelle il ne saurait être inféré de la gestion du service AppleCare par la succursale irlandaise d’ASI que cette dernière aurait assumé les conséquences économiques liées aux garanties des produits Apple, se fonde sur la constatation du caractère auxiliaire des fonctions exercées par cette succursale, constatation qui, comme j’ai déjà eu l’occasion de le préciser au point 52 des présentes conclusions, découle de la comparaison des fonctions exercées par cette dernière avec celles exercées par Apple Inc. et non avec celles assumées par les sièges. Enfin, en ce qui concerne les risques liés aux activités des contractants tiers, je relève que le Tribunal se limite, en substance, à renvoyer aux considérations exposées aux points 376 à 390 de l’arrêt attaqué en ce qui concerne le risque lié à la possibilité d’une baisse dans la demande et à l’éventualité de produits invendus, auquel est assimilé le risque relatif aux produits non gérés en Irlande parce que sous-traités en dehors de cet État membre. Dans la discussion relative au premier moyen de pourvoi, à laquelle je renvoie, j’ai conclu que l’attribution de bénéfices à une société non résidente en vertu de l’article 25 du TC 97 et du principe de pleine concurrence qu’il inclut doit se limiter à prendre en considération la situation des différentes parties qui composent cette société dans leurs relations réciproques. Or, dans la décision litigieuse, tout en ne niant pas les politiques relatives à la gestion centralisée des risques mises en œuvre par Apple Inc., la Commission a démontré, sans avoir été démentie par le Tribunal et sans se limiter, comme je l’ai démontré, à une approche par exclusion, que, par rapport aux sièges, la succursale irlandaise d’ASI avait assumé un certain niveau de risques. Par contre, comme il a été indiqué, pour exclure le fait que la succursale irlandaise d’ASI avait assumé les risques mentionnés aux considérants 337, 338 et 339 de la décision litigieuse et pour qualifier cette succursale de distributeur à bas risque dont les bénéfices pouvaient être correctement reflétés au moyen d’un indicateur fondé sur les dépenses d’exploitation, le Tribunal s’est fondé sur des fonctions exercées par Apple Inc. et sur la gestion centralisée par cette dernière de tous les risques considérés et donc, encore une fois, sur un critère juridique erroné.

2) Sur le choix des coûts d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices de la succursale irlandaise d’AOE

125. La Commission conteste les points 408 à 412 de l’arrêt attaqué dans lesquels le Tribunal a conclu qu’elle n’était pas parvenue à démontrer que, comme indiqué aux considérants 343 à 345 de la décision litigieuse, l’indicateur du niveau des bénéfices fondé sur les coûts totaux aurait été plus approprié pour déterminer les bénéfices de pleine concurrence de la succursale irlandaise d’AOE.

126. Elle fait valoir, tout d’abord, que ni ASI et AOE, ni l’Irlande n’avaient soulevé de griefs à l’encontre de ces considérants de la décision litigieuse. Outre le fait qu’elle n’est pas contestée, cette circonstance est confirmée par le dossier du Tribunal et est, par ailleurs, cohérente avec le fait que, comme il ressort en particulier des considérants 167 et 343 de la décision litigieuse, les rapports ad hoc eux-mêmes proposaient un indicateur basé sur les coûts totaux pour la succursale d’AOE. Dans ces conditions, le Tribunal a, à mon avis, outrepassé les limites de son contrôle en soulevant d’office et en accueillant des griefs qui n’avaient pas été invoqués par les requérantes et qui portaient sur des points de la décision litigieuse que ces dernières avaient, tout du moins implicitement, approuvés. Je rappelle également que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre du contrôle qu’il exerce sur les appréciations économiques complexes faites par la Commission dans le domaine des aides d’État – tels que celles relatives à la détermination de l’indicateur des bénéfices le plus approprié dans le cadre de l’application de la MTMN – il n’appartient pas au juge de l’Union de substituer son appréciation économique à celle de la Commission (62). Ce juge exerce en effet, dans ce cadre, un contrôle restreint qui se limite nécessairement à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits ainsi que de l’absence d’erreur manifeste d’appréciation et de détournement de pouvoir (63). En l’espèce, j’observe que, aux points 409 et 410 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert sur lesquelles s’est fondée la Commission aux considérants 343 et 344 de la décision litigieuse, « ne préconisent pas l’utilisation d’un [indicateur particulier du niveau des bénéfices], tel que les coûts totaux, et ne s’opposent pas à l’utilisation des coûts d’exploitation […] ». Sans qu’il soit nécessaire de prendre position sur la lecture que fait le Tribunal des principes mentionnés ci-dessus et que la Commission ne conteste pas explicitement, je me limite à relever que, même en supposant que cette lecture est correcte, le seul fait « qu’il [ne soit] pas exclu, par principe, que les coûts d’exploitation puissent constituer un indicateur du niveau des bénéfices approprié » (point 410 de l’arrêt attaqué) ne constitue pas en soi un élément sur lequel le Tribunal pouvait se fonder sans substituer son propre pouvoir d’appréciation à celui de la Commission, ainsi que ses propres arguments à ceux des parties.

127. Il est certes exact que, sur la base de la jurisprudence qui vient d’être rappelée, lorsqu’il contrôle les appréciations économiques complexes effectuées par la Commission, le juge de l’Union doit non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées. Or, en l’espèce, au terme de son examen, le Tribunal n’a pas constaté une erreur d’appréciation mais une insuffisance d’éléments permettant d’étayer la thèse de la Commission. Cette seule qualification ne permet cependant pas, selon moi, de modifier la substance du raisonnement du Tribunal qui affirme essentiellement que, selon lui, un des indicateurs admis par les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert est plus approprié que celui retenu par la Commission.

128. Il est également vrai que, au point 95 de l’arrêt Fiat Chrysler, la Cour a affirmé que, en l’absence d’harmonisation à ce sujet, la fixation éventuelle des méthodes et des critères qui permettent de déterminer un résultat de « pleine concurrence » relève du pouvoir d’appréciation des États membres. Toutefois, comme je l’ai déjà mentionné au point 21 des présentes conclusions, la présente affaire se distingue de celle qui a donné lieu à cet arrêt. En tout état de cause, force est de constater que, comme l’a fait valoir la Commission, le Tribunal n’a pas tenu compte de l’argument que celle-ci avait fait valoir dans la décision litigieuse et en première instance, selon lequel, eu égard aux fonctions exercées et aux risques effectivement assumés par la succursale irlandaise d’AOE, en particulier lorsqu’ils sont comparés à ceux exercés et assumés par le siège de cette société, la circonstance, sur laquelle le Tribunal se fonde au point 411 de l’arrêt attaqué, que cette succursale ne détenait pas la propriété des matériaux utilisés, des produits en cours de fabrication et des produits finis, ne permettait pas en soi de considérer que les coûts totaux n’étaient pas applicables en tant qu’indicateur des bénéfices et, en tout état de cause, ne permettait pas de considérer que l’application de cet indicateur, par ailleurs admis par les conseillers d’Apple et de l’Irlande, était manifestement erronée.

3) Conclusions sur le deuxième grief

129. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le deuxième grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi est fondé.

c) Sur le troisième grief

130. Par le dernier grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi, la Commission conteste les points 418 à 478 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal a infirmé le raisonnement qui l’avait conduite à rejeter, aux considérants 346 à 359 de la décision litigieuse, les niveaux des rémunérations des succursales irlandaises d’ASI et d’AOE acceptés dans les décisions anticipatives.

131. S’agissant de la décision anticipative de 1991, la Commission avait fait valoir, d’une part, que les niveaux de rémunération acceptés n’étaient pas justifiés et, d’autre part, que le seuil prévu pour AOE, au-delà duquel ses bénéfices imposables n’étaient plus calculés sur la base du pourcentage de 65 % des dépenses d’exploitation de la succursale irlandaise de cette société, constituait un allègement fiscal octroyé sur le fondement de critères étrangers au système d’imposition, tels que des considérations touchant à l’emploi (considérant 347 de la décision litigieuse). Le Tribunal a infirmé ces appréciations pour, en substance, deux raisons. En premier lieu, aux points 440 et 441 de l’arrêt attaqué – sur la base de sa propre appréciation des preuves qui ne peut être remise en cause au stade du pourvoi et qui n’est par ailleurs pas contestée par la Commission – le Tribunal a considéré qu’il n’était pas démontré que le seuil de 65 % mentionné ci-dessus avait été accepté par les autorités irlandaises sur la base de considérations touchant à l’emploi. Au point 444 de l’arrêt attaqué, il a en outre affirmé que le fait que ce seuil n’ait jamais été atteint, et donc que le mécanisme de seuil prévu par la décision anticipative de 1991 n’ait jamais été mis en œuvre, excluait la présence d’un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.

132. La Commission fait valoir que, en affirmant cela, le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a confondu la condition relative à l’existence d’un avantage au sens de cette disposition et la quantification des sommes à restituer qui peut aussi être égale à zéro. Au soutien de son argumentation, elle renvoie à l’arrêt du 13 février 2014, Mediaset, C-69/13, EU:C:2014:71 (64). À cet égard, je relève que les faits à l’origine de cet arrêt, dans lequel il s’agissait d’identifier les bénéficiaires d’un régime d’aides fiscales et de quantifier le montant à restituer par chacun d’eux, diffèrent de ceux qui caractérisent la présente affaire, dans laquelle il s’agit en revanche d’établir si le fait d’avoir prévu, dans une décision anticipative, une méthode de calcul individualisée qui n’a jamais été mise en œuvre concrètement peut donner lieu à un avantage au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Or, à tout le moins dans la mesure où l’avantage identifié par la Commission dans la décision litigieuse correspond à l’ampleur de l’allègement fiscal qui aurait découlé de l’application du seuil mentionné ci-dessus, les circonstances de la présente affaire semblent plus susceptibles d’être assimilée à la situation dans laquelle l’aide a été décidée mais n’a pas été versée. L’argument de la Commission me semble donc devoir être rejeté.

133. En deuxième lieu, aux points 445 à 447 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, affirmé que dans la mesure où la Commission contestait les niveaux de rémunération acceptés par les autorités fiscales irlandaises parce qu’ils étaient trop faibles pour les fonctions exercées par les succursales, compte tenu des actifs et des risques afférents à ces fonctions, elle n’avait pas démontré que les succursales avaient exercé des fonctions qui auraient dû être rémunérées par des niveaux de rémunération plus élevés. Le Tribunal renvoie à cet égard aux conclusions exposées aux points 348 et 407 de l’arrêt attaqué. Sur ce point, je renvoie donc aux considérations déjà formulées dans l’analyse du premier et du deuxième griefs de la troisième branche du second moyen de pourvoi.

134. S’agissant des niveaux de rémunération acceptés dans la décision anticipative de 2007, la Commission avait avant tout remis en question la fiabilité des études de comparabilité sur lesquelles étaient fondés les rapports ad hoc, dans la mesure où, à son avis, les sociétés sélectionnées dans ces études n’étaient pas comparables à ASI et AOE. Aux points 450 à 464 de l’arrêt attaqué, qui ne sont pas contestés, le Tribunal a conclu que la Commission n’avait pas réussi à démontrer les erreurs constatées. La Commission avait ensuite effectué l’analyse de comparabilité corrigée dont il est question au point 72 des présentes conclusions, en utilisant les sociétés choisies dans les rapports ad hoc et en adoptant comme indicateur du niveau des bénéfices, pour ASI, les ventes, et pour AOE, les coûts totaux. Tout en reconnaissant qu’une telle analyse aurait permis à la Commission de démontrer l’existence d’un avantage sélectif (point 468 de l’arrêt attaqué), le Tribunal en a rejeté la validité pour trois motifs, que la Commission conteste. En premier lieu, se référant aux points 402 à 412 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la Commission n’avait pas démontré que l’utilisation des dépenses d’exploitation en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices était inappropriée en l’espèce (point 470 de l’arrêt attaqué). Sur ce point, je renvoie à ce qui a déjà été exposé lors de l’examen du deuxième grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi. En deuxième lieu, en se référant aux points 348 à 407 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que l’analyse effectuée par la Commission dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire reposait sur la prémisse selon laquelle la succursale irlandaise d’ASI avait exercé des fonctions complexes et avait assumé des risques significatifs mais que cette prémisse n’avait pas été démontrée.

135. La Commission fait valoir que le Tribunal a mal interprété la décision litigieuse et que l’analyse de comparabilité corrigée était fondée sur la prémisse selon laquelle ASI ne pouvait pas être considérée comme un prestataire ordinaire de services logistiques, ce qui justifiait d’utiliser les ventes comme indicateur du niveau des bénéfices et non sur la prémisse que cette dernière aurait exercé des fonctions « de nature complexe et déterminantes pour le succès de la marque Apple » (point 471 de l’arrêt attaqué). À cet égard, il est constant que l’analyse de comparabilité corrigée a été effectuée en partant de l’idée que la situation d’ASI était comparable à celle des sociétés choisies dans les rapports ad hoc, puisqu’elle se base sur les données de ces sociétés (considérant 354 de la décision litigieuse). S’il est vrai que les critiques formulées par la Commission à l’égard de cette comparabilité au considérant 351 de la décision litigieuse se fondaient, notamment, sur le caractère « non négligeable » ou même « important » des risques assumés par ASI par rapport à ces sociétés, force est de constater que, dans la mesure elle utilise les données de ces dernières, le rapport de comparabilité corrigé fait nécessairement abstraction de ces critiques. Par ailleurs, la Commission affirme explicitement, au considérant 353 de la décision litigieuse, que l’analyse de comparabilité corrigée est menée « [m]algré ces préoccupations d’ordre général et spécifique relatives aux études de comparabilité effectuées dans les rapports ad hoc ». Dès lors, indépendamment de toute autre considération, selon moi, le Tribunal n’interprète pas correctement la décision litigieuse lorsque, au point 471 de l’arrêt attaqué, il laisse entendre que cette analyse de comparabilité est fondée sur la prémisse non démontrée selon laquelle ASI aurait exercé des fonctions « de nature complexe et déterminantes pour le succès de la marque Apple ». Enfin, aux points 473 et 474 de l’arrêt attaqué, le Tribunal rappelle les motifs déjà exposés précédemment sur le fondement desquels il a invalidé le raisonnement de la Commission concernant le caractère inapproprié des ventes en tant qu’indicateur du niveau des bénéfices d’ASI. À cet égard, je me limiterai donc à renvoyer à ce qui a été dit dans l’analyse du deuxième grief de la troisième branche du second moyen de pourvoi.

136. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le grief analysé doit lui aussi être accueilli, dans les limites qui découlent de l’analyse exposée.

3. Conclusions relatives au second moyen de pourvoi

137. Il ressort de l’analyse conjointe des deuxième et troisième branches du second moyen de pourvoi que le Tribunal a commis une erreur dans la définition du niveau de preuve qui incombe à la Commission. Il en ressort également qu’il a commis une série d’erreurs de droit dans l’analyse qui l’a conduit à conclure que la Commission n’avait pas démontré les erreurs méthodologiques identifiées dans le cadre de son raisonnement à titre subsidiaire Dans ces conditions, le second moyen de pourvoi doit, selon moi, être considéré comme étant fondé dans son intégralité.

D. Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

138. Conformément à l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour de justice annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue à nouveau. Il résulte de ce qui précède que le pourvoi est fondé et que l’arrêt doit être annulé dans son intégralité. Les griefs invoqués par l’Irlande ainsi que par ASI et AOE en première instance concernant la prétendue approche « par exclusion » doivent être rejetés définitivement. Pour le reste, j’estime que, eu égard aux erreurs de droit commises par le Tribunal, qui remettent en cause les appréciations qu’il a effectué en ce qui concerne tant le raisonnement à titre principal que le raisonnement à titre subsidiaire, la Cour ne dispose pas des éléments qui lui permettraient de statuer définitivement sur les recours en première instance et qu’il convient dès lors de renvoyer les affaires devant le Tribunal, en réservant les dépens, afin que celui-ci procède à une nouvelle analyse et statue sur les motifs non examinés.

VI. Conclusion

139. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.


1 Langue originale : l’italien.


2 T778/16 et T892/16, EU:T:2020:338.


3 Concernant l’aide d’État SA.38373 (2014/C) (ex 2014/NN) (ex 2014/CP) octroyée par l’Irlande en faveur d’Apple (JO 2017, L 187, p. 1).


4 Aux considérants 49 à 52 de la décision litigieuse, la Commission a indiqué que, en vertu du droit irlandais applicable durant la période pertinente, ASI et AOE, bien qu’étant des sociétés de droit irlandais et exerçant une activité commerciale dans ce pays, n’étaient pas considérées comme fiscalement résidentes en Irlande, car elles étaient directement ou indirectement contrôlées par une société résidente des États-Unis (Apple Inc.). Toutefois, comme, en dehors des succursales irlandaises, ASI et AOE n’avaient aucune présence fiscale ni aux États-Unis, ni ailleurs, la Commission en a déduit qu’elles étaient des « “apatrides” aux fins de la résidence fiscale ».


5 Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal désigne ces licences comme les « licences de PI du groupe Apple ». Cette dénomination, que je laisserai inchangée dans les citations de passages de l’arrêt attaqué, est contestée par la Commission, qui considère qu’elle est imprécise en ce qu’elle ne reflèterait pas le fait qu’il s’agit de licences territorialement limitées accordées à ASI et à AOE.


6 Voir, notamment, arrêt du 8 novembre 2022, Fiat Chrysler Finance Europe/Commission (C-885/19 P et C-898/19 P, EU:C:2022:859, point 68 ; ci-après « l’arrêt Fiat Chrysler »).


7 Juillet 2010, éditions OECD, Paris, https://doi.org/10.1787/tpg-2010-fr (ci-après les « principes de l’OCDE en matière de prix de transfert »).


8 Aux considérants 87 à 89 de la décision litigieuse, la Commission a expliqué que l’approche autorisée de l’OCDE consiste en une analyse constituée en deux étapes, dans le cadre de laquelle les revenus sont attribués à un établissement stable. La première étape consiste à prendre comme hypothèse l’établissement stable en tant qu’entreprise distincte et individuelle « exerçant des activités identiques ou analogues dans des conditions identiques ou analogues, compte tenu des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés par l’entreprise par l’intermédiaire de l’établissement stable et des autres parties de l’entreprise ». C’est dans ce contexte qu’est introduite la notion de « fonctions humaines importantes ». Dans le cadre de la première étape, l’approche autorisée de l’OCDE attribue à l’établissement stable la propriété économique des actifs pour lesquels les fonctions importantes pertinentes sont exercées par son personnel. Dans la deuxième étape, les principes de l’OCDE en matière de prix de transfert sont appliqués par analogie aux transactions de l’établissement stable avec d’autres parties de l’entreprise afin de veiller à ce que toutes les fonctions qu’il exerce et qui se rapportent à ces transactions internes soient rémunérées conformément au principe de pleine concurrence.


9 Devant le Tribunal et durant l’audience devant la Cour, la Commission a évalué les impôts effectivement payés sur les bénéfices générés par ASI et AOE à 1 %, en 2003 et à 0,005 % en 2004. Les sociétés ASI et AOI soutiennent que, durant la période pertinente, leurs bénéfices étaient soumis aux États-Unis à une taxation différée des revenus étrangers.


10 Voir arrêt du 27 avril 2023, Casa Regina Apostolorum della Pia Società delle Figlie di San Paolo/Commission (C-492/21 P, EU:C:2023:354, point 106).


11 Voir arrêt du 22 juin 2023, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy GdyniaKosakowo/Commission (C-163/22 P, EU:C:2023:515, point 99).


12 C164/98 P, EU:C:2000:48 (ci-après l’« arrêt DIR International »).


13 C486/15 P, EU:C:2016:912 (ci-après l’« Commission/France et Orange »).


14 Voir arrêt DIR International, point 42.


15 Voir arrêt DIR International, point 48.


16 Voir arrêt du 22 décembre 2008, British Aggregates/Commission (C-487/06 P, EU:C:2008:757, points 142 à 144). Voir également arrêt du 6 octobre 2021, World Duty Free Group et Espagne/Commission (C-51/19 P et C-64/19 P, EU:C:2021:793, points 70 à 79).


17 C167/19 P et C171/19 P, EU:C:2022:176, point 47. Voir également arrêt du 11 mars 2020, Commission/Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia Kosakowo (C-56/18 P, EU:C:2020:192, point 121).


18 Voir également, implicitement, les arrêts du 20 septembre 2017, Commission/Frucona Košice (C-300/16 P, EU:C:2017:706, points 35 à 37), du 14 novembre 2019, Silec Cable et General Cable/Commission (C-599/18 P, EU:C:2019:966, point 82), et du 31 janvier 2019, Pandalis/EUIPO (C-194/17 P, EU:C:2019:80, points 102 à 109), et ordonnance du 7 septembre 2017, Natural Instinct/M. I. Industries (C-218/17 P, EU:C:2017:655, point 4).


19 Voir arrêt du 27 avril 2023, Fondazione Cassa di Risparmio di Pesaro e.a./Commission (C-549/21 P, EU:C:2023:340, point 80 et jurisprudence citée).


20 Voir, notamment, points 73 et 74 ainsi que 96 à 105 de l’arrêt Fiat Chrysler.


21 Dans le cadre de l’approche autorisée de l’OCDE, la première étape de l’analyse tend à identifier les actifs, les fonctions et les risques qu’il y a lieu d’attribuer à l’établissement stable d’une société.


22 On retrouve une argumentation similaire aux considérants 290 et 323 de la décision litigieuse, tandis que de nombreux considérants et l’intitulé de la section 8.2.2.2, sous b), de cette décision font référence de manière plus générale à l’absence de présence physique et de personnel des sièges.


23 C214/12 P, C215/12 P et C223/12 P, EU:C:2013:682, point 112.


24 C203/16 P, EU:C:2018:505, points 77 à 81.


25 Voir, en ce sens, arrêt du 8 juin 2023, Severstal et NLMK/Commission (C-747/21 P et C-748/21 P, EU:C:2023:459, points 45 et 46, et jurisprudence citée).


26 Voir arrêt du 2 mars 2021, Commission/Italie e.a. (C-425/19 P, EU:C:2021:154, point 53).


27 Voir arrêt Andres, point 78.


28 Arrêt Fiat Chrysler, point 85.


29 Selon une jurisprudence constante, la détermination du cadre de référence doit découler d’un examen objectif « du contenu, de l’articulation et des effets concrets des normes applicables en vertu du droit national » de l’État membre concerné (voir arrêt Fiat Chrysler, point 72 et jurisprudence citée).


30 Voir, en ce sens, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Luxembourg e.a., C-457/21 P, EU:C:2023:466, point 88.


31 Il ressort du dossier qu’il s’agit notamment de procurations octroyées au CEO et au vice-président d’Apple Inc.


32 Voir arrêt du 2 septembre 2010, Commission/Scott (C-290/07 P, EU:C:2010:480, point 91 et jurisprudence citée).


33 C300/16 P, EU:C:2017:706, point 71 (ci-après l’« arrêt Commission/Frucona Košice »).


34 Voir également arrêt du 29 juin 2023, TUIfly/Commission, C-763/21 P, EU:C:2023:528, point 47).


35 ASI et AOI se contentent d’affirmer qu’elles ont fourni à la Commission le procès-verbal de la réunion du conseil d’administration d’ASI du 27 juillet 2011 dans lequel la procuration en question est mentionnée, mais elles ne prennent pas position sur l’affirmation de la Commission selon laquelle le texte de cette procuration (qui, selon le procès-verbal, figure en annexe de ce dernier) n’a jamais été produit.


36 Dans les observations du 14 avril 2015, auxquelles ASI et AOI ont également fait référence, Apple se contente d’affirmer que les termes des contrats avec les OEMs et les opérateurs de télécommunications sont définis de manière centralisée par des dirigeants à Cupertino et que, avant l’année 2013, les dirigeants établis aux États-Unis signaient ces contrats pour le compte d’ASI sur la base de procurations. Elle précise également dans ces observations que, une fois formalisés, ces contrats étaient exécutés par la succursale irlandaise d’ASI par l’émission d’ordres d’achats. De la même manière, dans ses observations du 29 janvier 2016, l’Irlande affirme seulement que les contrats avec les OEMs sont signés et exécutés par des dirigeants d’ASI. Devant le Tribunal, ASI et AOE ont produit un document dans lequel elles expliquent les modalités de négociation et de signature conjointe (par Apple Inc. et ASI) des contrats avec les OEMs. Elles ont également produit un de ces contrats qui porte, pour ASI, la signature d’un salarié d’Apple Inc. nommé administrateur d’ASI au cours de l’exercice comptable de référence.


37 Il est précisé, au point 1.42 des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert que l’analyse fonctionnelle a pour but « d’identifier et de comparer les activités et responsabilités économiquement significatives, les actifs utilisés et les risques assumés par les parties aux transactions ».


38 [1988] I.R. 10 note 4507 (ci-après l’« arrêt Dataproducts »).


39 L’annexe B de l’accord de partage des coûts, tel que modifié en 2009, incluait deux tableaux, concernant les fonctions pertinentes portant sur les biens incorporels qui font l’objet de l’accord en question et les risques qui y étaient afférents. Chacune de ces fonctions et chacun de ces risques était associé par un « x », respectivement, à Apple Inc. (identifié en tant que « Apple ») et à ASI et AOE (identifiées collectivement en tant que « International Participant »), à l’exception de l’enregistrement et de la protection de la PI, qui était uniquement associée à Apple Inc. (voir point 260 de l’arrêt attaqué).


40 S’il est vrai qu’au point 269 de l’arrêt attaqué, il est indiqué que le contrôle de qualité pouvait également être externalisé dans le cadre d’accords avec des équipementiers tiers, on ne trouve dans l’arrêt attaqué aucune autre indication de l’existence de tels accords conclus par ASI et AOE.


41 Sans que ASI et AOI ne le contestent, la Commission a précisé que l’« Executive Team » et le directeur général auxquels le Tribunal fait référence sont respectivement les dirigeants et le CEO d’Apple Inc.


42 Dans sa requête en pourvoi, la Commission commence par affirmer que la question autour de laquelle s’articule ce pourvoi porte précisément sur la légalité de la prise en compte par le Tribunal des fonctions exercées par Apple Inc.


43 Voir arrêt du 22 juin 2023, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy GdyniaKosakowo/Commission (C-163/22 P, EU:C:2023:515, point 85).


44 Voir ordonnance du 11 septembre 2019, Camomilla/EUIPO (C-68/19 P, EU:C:2019:711, point 10 et jurisprudence citée).


45 La MTMN, décrite aux points 2.58 et suivants des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, consiste à déterminer, à partir d’une base appropriée (par exemple les coûts, les ventes ou les actifs), le bénéfice net que réalise un contribuable au titre d’une transaction contrôlée. Elle ne s’applique qu’à une des entreprises participant à la transaction, la « partie testée ».


46 Je relève que le Tribunal a énoncé le même niveau de preuve dans l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T-760/15 et T-636/16, EU:T:2019:669).


47 C81/10 P, EU:C:2011:811 (ci-après l’« arrêt France Telecom », points 24 à 27).


48 Voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona (C-362/19 P, EU:C:2021:169, point 62).


49 Voir arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne (C-933/19 P, EU:C:2021:905, point 114 et jurisprudence citée).


50 Voir arrêt du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen (C-520/07 P, EU:C:2009:557, points 55 et 58).


51 Voir arrêt du 11 novembre 2021, Autostrada Wielkopolska/Commission et Pologne (C-933/19 P, EU:C:2021:905, point 108 et jurisprudence citée).


52 Voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2023, TUIfly/Commission (C-763/21 P, EU:C:2023:528, point 79 et jurisprudence citée).


53 Voir, en ce sens, arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission (C-148/19 P, EU:C:2020:354, point 53).


54 Voir arrêt du 17 septembre 2009, Commission/MTU Friedrichshafen (C-520/07 P, EU:C:2009:557, point 52).


55 En sens, voir arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg et Amazon/Commission (T-816/17 et T-318/18, EU:T:2021:252, points 309 à 311), qui interprète le point 211 de l’arrêt du 24 septembre 2019, Pays-Bas e.a./Commission (T-760/15 et T-636/16, EU:T:2019:669). Ce premier arrêt fait l’objet d’un pourvoi de la Commission dans l’affaire C-457/21 P laquelle est actuellement en phase de délibéré.


56 Voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C-382/12 P, EU:C:2014:2201, point 41).


57 Voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, GABO :mi/Commission (C-696/21 P, EU:C:2023:217, points 47 et 48, ainsi que jurisprudence citée).


58 Voir arrêt du 11 septembre 2014, MasterCard e.a./Commission (C-382/12 P, EU:C:2014:2201, point 41)


59 Voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2023, GABO :mi/Commission (C-696/21 P, EU:C:2023:217, point 49, ainsi que jurisprudence citée).


60 Les points 342, 343 et 371, auxquels ASI et AOI font référence, se limitent à souligner le « caractère non complexe et facilement identifiable » des fonctions exercées par les succursales irlandaises, sans faire aucune comparaison avec celles exercées par les sièges.


61 Au point 357 de l’arrêt attaqué, le Tribunal conclut qu’il résulte du point 2.87 des principes de l’OCDE en matière de prix de transfert, que « le choix de l’indicateur du niveau des bénéfices n’est pas fixé pour un type de fonctions quelconque, pour autant que cet indicateur reflète la valeur des fonctions en question » et que dès lors « tant les ventes que les coûts d’exploitation peuvent constituer un indicateur du niveau des bénéfices approprié » (voir point 363 de l’arrêt attaqué, qui renvoie au point 357 de cet arrêt).


62 Voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2023, TUIfly/Commission (C-763/21 P, EU:C:2023:528, point 76 et jurisprudence citée).


63 Voir arrêt du 7 mai 2020, BTB Holding Investments et Duferco Participations Holding/Commission (C-148/19 P, EU:C:2020:354, point 56 et jurisprudence citée).


64 C69/13, EU:C:2014:71, points 36 et 37. Voir, dans le même sens et dans des circonstances analogues, arrêt du 15 septembre 2022, Fossil (Gibraltar) (C-705/20, EU:C:2022:680, point 41).

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CJUE, n° C-465/20, Conclusions de l'avocat général de la Cour, 9 novembre 2023