Cour nationale du droit d'asile, 31 décembre 2020, n° 20028277

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 31 déc. 2020, n° 20028277
Numéro(s) : 20028277

Sur les parties

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE N° 20028277

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme F G C D

___________

La Cour nationale du droit d’asile Mme X

Présidente

___________ (4ème section, 1ère chambre)

Audience du 10 décembre 2020 Lecture du 31 décembre 2020 ___________

Vu la procédure suivante :

Par un recours et des mémoires complémentaire respectivement enregistrés les 8 septembre, 7 octobre, 17 et 30 novembre 2020, Mme F G C D, représentée par Me Y, demande à la Cour :

1°) d’annuler la décision du 20 juillet 2020 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugiée ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1500 euros, à verser à Me Y en application de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.

Mme C D, née le […], qui se déclare de nationalité congolaise, soutient qu’elle craint d’être persécutée ou risque d’être exposée à des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles, sans pouvoir se prévaloir de la protection des autorités.

Vu :

- la décision attaquée ;

- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 18 novembre 2020 accordant à Mme C D le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

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Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience qui s’est tenue à huis clos :

- le rapport de Mme Z, rapporteure ;

- les explications de Mme C D, entendue en français ;

- et les observations de Me Y.

Considérant ce qui suit :

Sur la demande d’asile :

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

2. Un groupe social est, au sens de ces dispositions, constitué de personnes partageant un caractère inné, une histoire commune ou une caractéristique essentielle à leur identité et à leur conscience, auxquels il ne peut leur être demandé de renoncer, et une identité propre perçue comme étant différente par la société environnante ou par les institutions. En fonction des conditions qui prévalent dans un pays, des personnes peuvent, en raison de leur orientation sexuelle, constituer un groupe social au sens de ces dispositions. Il convient, dès lors, dans l’hypothèse où une personne sollicite le bénéfice du statut de réfugié en raison de son orientation sexuelle, d’apprécier si les conditions existant dans le pays dont elle a la nationalité permettent d’assimiler les personnes se revendiquant de la même orientation sexuelle à un groupe social du fait du regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions et dont les membres peuvent craindre avec raison d’être persécutés du fait même de leur appartenance à ce groupe.

3. Il résulte de ce qui précède que l’octroi du statut de réfugié du fait de persécutions liées à l’appartenance à un groupe social fondé sur une orientation sexuelle commune ne saurait être subordonné à la manifestation publique de cette orientation sexuelle par la personne qui sollicite le bénéfice du statut de réfugié. D’une part, le groupe social n’est pas institué par ceux qui le composent, ni même du fait de l’existence objective de caractéristiques qu’on leur prête mais par le regard que portent sur ces personnes la société environnante ou les institutions. D’autre part, il est exclu que le demandeur d’asile doive, pour éviter le risque de persécutions dans son pays d’origine, dissimuler son homosexualité ou faire preuve de réserve dans l’expression de son orientation sexuelle. L’existence d’une législation pénale qui réprime spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes doivent être considérées comme formant un certain groupe social.

4. Bien que l’homosexualité ne soit pas criminalisée en tant que telle en République du Congo, des poursuites judiciaires peuvent être engagées pour outrage à la pudeur sur le fondement de l’article 330 du code pénal congolais, qui réprime un tel délit par une peine allant de trois mois à deux ans d’emprisonnement. En outre, l’article 331 du code pénal prévoit entre trois mois et deux ans de prison pour quiconque « commet un acte contre-nature avec un individu du même sexe de moins de 21 ans ». Ainsi, même si les sources d’informations

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publiquement disponibles soulignent que la situation des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (« LGBTI ») est meilleure en République du Congo qu’elle ne peut l’être dans d’autres pays limitrophes, l’homosexualité demeure cependant l’objet d’une importante stigmatisation et un sujet tabou au sein de la société congolaise, comme le rapporte notamment une note du 28 janvier 2015 établie par la Division de l’information, de la documentation et des recherches (« DIDR ») de l’OFPRA et intitulée « La situation des minorités sexuelles » et qui constate que l’homosexualité est « ressentie comme contraire aux traditions et aux valeurs familiales ». Cette analyse est corroborée par le Rapport du Département d’Etat américain, intitulé « Rapport 2015 sur les droits de l’homme – République du Congo » publié le 13 avril 2016. De surcroît, une note de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, en date du 11 avril 2014, intitulée « République du Congo : information sur la situation des minorités sexuelles, y compris la loi et le traitement réservé par la société et les autorités ; protection offerte par l’État et services de soutien », souligne que les personnes LGBTI font l’objet de manifestations d’hostilité et s’exposent à la réprobation sociale, sans pouvoir se prévaloir de la protection des autorités congolaises. Aussi, tant en raison de l’ostracisme dont elles sont l’objet de la part de la société congolaise que de l’absence de protection des autorités contre les agissements subis, les personnes homosexuelles constituent au Congo un groupe social, dont la caractéristique essentielle à laquelle elles ne peuvent renoncer est leur orientation sexuelle et dont l’identité propre est perçue comme étant différente par la société environnante et par les institutions de leur pays.

5. Mme C D, de nationalité congolaise, née le […], soutient qu’elle craint d’être persécutée ou risque d’être exposée à des atteintes graves, en cas de retour dans son pays d’origine, de la part de sa famille et de la famille de son ex-concubine, en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles, sans pouvoir se prévaloir de la protection des autorités. Elle fait valoir qu’elle a pris conscience de son orientation sexuelle à l’âge de 13 ans. En 2009, elle s’est liée d’amitié avec une camarade de classe avec laquelle elle a entretenu une relation affective entre 2010 et 2011. Leur relation a été découverte par la direction de l’école qui en a informé leurs parents. La requérante a été exclue et contrainte de changer d’établissement scolaire. Elle a subi des violences verbales et physiques de la part de sa mère et de son beau-père. A la suite du décès de sa mère en mars 2012, elle a été chassée du domicile familial par son beau-père, en raison de son orientation sexuelle. Entre 2012 et 2013, elle a été contrainte de vivre dans la rue, étant ponctuellement hébergée chez une amie de sa mère. En 2013, elle a été agressée et a subi des violences sexuelles de la part de deux policiers. A la suite de cet événement, elle a été durablement hébergée chez l’amie de sa mère. En 2014, elle a rencontré une jeune fille avec laquelle elle s’est liée d’amitié, puis avec laquelle elle a entretenu une relation amoureuse. En 2015, la famille de sa compagne a découvert la nature de leur relation et la requérante a été menacée par les frères de cette dernière. En juin 2016, elle a été arrêtée par la police et elle a été détenue à la prison du commissariat de Tibeliba. Elle a subi des mauvais traitements lors de sa détention et a été contrainte de prodiguer des services sexuels à un commissaire pour obtenir sa libération. En mars 2017, elle a été libérée et s’est rendue à Kombé, où elle a passé un mois en clandestinité. Le 23 avril 2017, craignant pour sa sécurité, elle a quitté son pays.

6. Les déclarations extrêmement circonstanciées et spontanées de la requérante permettent de tenir pour établie son orientation sexuelle et les menaces dont elle a été victime, de la part de sa famille et en particulier de son beau-père, en raison de son homosexualité. La requérante est revenue, en tenant des propos personnalisés, sur la manière dont elle a pris conscience de son orientation sexuelle et sur les relations affectives qu’elle a entretenues avec une camarade de classe, puis avec une jeune fille de son voisinage, dont le témoignage a été versé au

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dossier et corrobore ses dires. Elle a décrit, en des termes précis et avec force détails, les mauvais traitements qui lui ont été infligés par sa famille à la découverte de son orientation sexuelle, expliquant notamment que sa mère avait tenté de la guérir par le biais de breuvages traditionnels et que son beau-père lui avait infligé des violences physiques. C’est également d’une manière précise et circonstanciée qu’elle a relaté ses conditions de vie dans la rue, après avoir été chassée du domicile familial, puis chez une amie de sa mère qui l’a recueillie et qui a, également, produit devant la Cour un témoignage confortant ses déclarations. Enfin, Mme C D a su décrire, en des termes empreints de vécu, ses conditions de détention et la manière dont elle a pu négocier sa libération, dans le cadre des sévices sexuels imposés par un commissaire de police dont elle a été victime. En outre, la requérante est revenue spontanément sur ses conditions de vie en France en tant que personne homosexuelle, expliquant avoir participé à des événements de sociabilité et avoir bénéficié d’un soutien auprès des associations ARDHIS et Centre LGBT de Paris, dont elle a versé au dossier des attestations confirmant sa qualité de membre. Ainsi, il résulte de ce qui précède que Mme C D craint avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécutée en raison de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des personnes homosexuelles. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée.

Sur l’application de l’article 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 :

7. Mme C D ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce et sous réserve que Me Y, conseil de Mme C D, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 800 euros, à verser à Me Y.

D E C I D E :

Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 20 juillet 2020 est annulée.

Article 2 : La qualité de réfugiée est reconnue à Mme C D.

Article 3 : L’OFPRA versera à Me Y la somme de huit cents (800) euros, à charge pour Me Y de renoncer à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme C E, à Me Y et au directeur général de l’OFPRA.

Délibéré après l’audience du 10 décembre 2020 à laquelle siégeaient :

- Mme X, présidente ;

- Mme A, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;

- M. B, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.

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Lu en audience publique le 31 décembre 2020.

La présidente : La cheffe de chambre :

V. X C. Marin

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne ou, à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
  2. CODE PENAL
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Cour nationale du droit d'asile, 31 décembre 2020, n° 20028277