Cour nationale du droit d'asile, 16 mars 2022, n° 21039870

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
CNDA, 16 mars 2022, n° 21039870
Numéro(s) : 21039870

Sur les parties

Texte intégral

COUR NATIONALE DU DROIT D’ASILE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 21039870

___________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme C Z

___________

La Cour nationale du droit d’asile M. X

Président

___________ (5ème Section 1ère Chambre)

Audience du 23 février 2022 Lecture du 16 mars 2022 ___________

Vu la procédure suivante :

Par un recours enregistré le 4 août 2021, Mme C Z, représentée par Mme D E et par M. F Z, ses représentants légaux ainsi que par Me Y, demande à la Cour :

1°) d’annuler la décision du 11 mai 2021 par laquelle le directeur général de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande d’asile et de lui reconnaître la qualité de réfugiée ou, à défaut, de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire ;

2°) de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 500 (mille cinq cents) euros à verser à Me Y en application de l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Mme Z, qui se déclare de nationalité ivoirienne, née le […], soutient par le biais de ses parents et représentants légaux qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle H d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave du fait de son appartenance au groupe social des jeunes filles Koyaka non excisées, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités.

Vu :

- la décision attaquée ;

- la décision du bureau d’aide juridictionnelle du 7 juillet 2021 accordant à Mme Z le bénéfice de l’aide juridictionnelle ;

- les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 relatifs au statut des réfugiés ;

- le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;


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- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

- le rapport de Mme A, rapporteure ;

- les explications des représentants légaux de Mme Z, entendus en français ;

- et les observations de Me Y.

Une note en délibéré, enregistrée le 24 février 2022 a été produite par Me Y.

Considérant ce qui suit :

Sur la demande d’asile :

1. Aux termes de l’article 1er, A, 2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New York le 31 janvier 1967, doit être considérée comme réfugiée toute personne qui « craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut, ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».

2. Il en résulte que, dans une population dans laquelle les mutilations génitales féminines sont couramment pratiquées au point de constituer une norme sociale, les enfants non mutilées constituent de ce fait un groupe social. Dès lors que l’existence de ce groupe social ne dépend pas du nombre des personnes qui le composent mais du regard porté par la société environnante et les institutions sur les personnes appartenant à ce groupe, l’observation des variations des taux de prévalence des mutilations génitales féminines parmi les populations d’un pays, qui a pour seul objet de mesurer la présence et l’évolution de ce fait social objectif au sein de ces populations, permet d’établir, parmi d’autres facteurs géographiques, ethniques, culturels, sociaux ou familiaux, le lien éventuel entre cette persécution et l’appartenance au groupe social des enfants et des femmes non mutilées. Il appartient ainsi à une personne qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugiée en se prévalant de son appartenance à ce groupe social de fournir l’ensemble des éléments circonstanciés, notamment familiaux, géographiques, sociologiques, relatifs aux risques qu’elle encourt personnellement de manière à permettre à l’OFPRA et, le cas échéant, au juge de l’asile d’apprécier le bien-fondé de sa demande.

3. Il ressort des sources d’information actuelles, pertinentes et publiquement disponibles, notamment de la note de l’OFPRA intitulé « Les mutilations génitales féminines (MGF) en Côte d’ivoire » publié le 21 février 2017 que, bien que la pratique de l’excision soit interdite en Côte d’ivoire par la loi n° 98/757 du 23 décembre 1998 qui prévoit des sanctions pénales pour les auteurs de mutilations sexuelles et leurs commanditaires, cette loi a très peu d’application effective. Selon la note intitulée « Côte d’ivoire : information sur la pratique de l’excision chez les Malinkés, y compris sur sa fréquence et l’âge auquel l’excision est pratiquée; information indiquant si la coutume veut qu’une jeune femme soit excisée avant de se marier; les lois touchant l’excision; la possibilité de refuser l’excision et les conséquences en cas de refus; les recours possibles (2014-2016) » publiée par la Commission de l’immigration et des réfugiés canadienne du 24 mars 2016 l’excision est une pratique courante chez les ethnies issues

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du Nord et du Nord-Ouest de la Côte d’ivoire. Ce rapport précise également l’impossibilité pour les jeunes filles de refuser l’excision, sous peine de se voir exclues socialement par leur communauté, et d’obtenir une protection auprès des autorités. Enfin, il ressort du rapport de la mission menée conjointement en République de Côte d’ivoire par l’OFPRA et la Cour du 25 novembre au 7 décembre 2019 que la pratique de l’excision demeure particulièrement élevée au sein du groupe ethnique des Mandés du Nord, dont relèvent les Koyaka, ethnie à laquelle appartient la requérante. Le taux de prévalence y est ainsi d’environ 60%, et ce quel que soit l’endroit où les membres de cette ethnie résident. Ainsi, il peut être considéré que l’excision s’apparente, au sein de l’ethnie Koyaka, à une norme sociale et que les filles et femmes non mutilées y constituent un groupe social au sens de la convention de Genève.

4. Mme Z, de nationalité ivoirienne, née le […] en France, soutient par le biais de ses parents et représentants légaux qu’en cas de retour dans son pays d’origine, elle H d’être exposée à des persécutions ou à une atteinte grave du fait de son appartenance au groupe social des jeunes filles Koyaka non excisées, sans pouvoir bénéficier de la protection effective des autorités. Elle fait notamment valoir que depuis sa naissance, ses parents ont fait l’objet de pressions de la part de la famille de son père pour qu’elle soit excisée et particulièrement de la part de la tante de son père, qui est exciseuse.

5. Les déclarations concrètes des parents de Mme Z ont permis de considérer qu’il existe un risque réel pour l’intéressée d’être excisée en cas de retour en Côte d’Ivoire. Le père de Mme Z a notamment tenu des propos empreints de vécu sur les excisions auxquelles il a assisté ainsi que sur la pérennité de cette pratique au sein de sa famille. Les certificats médicaux qu’ils ont produits, qui attestent de l’excision de la sœur du père de l’intéressée et d’une autre fille issue de sa famille viennent en outre corroborer leurs dires sur ce sujet. Interrogés sur la possibilité de protéger leur fille en Côte d’Ivoire, ils ont répondu de manière claire sur le risque d’enlèvement que courrait Mme Z, contre lequel ils se retrouveraient démunis. Ils ont, enfin, étayé en des termes concrets leur opposition à cette pratique. Ainsi, il résulte de ce qui précède que Mme Z H avec raison, au sens des stipulations précitées de la convention de Genève, d’être persécutée en cas de retour dans son pays en raison de son appartenance au groupe social des jeunes filles Koyaka exposées aux mutilations génitales féminines. Dès lors, elle est fondée à se prévaloir de la qualité de réfugiée.

Sur l’application de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :

6. Mme Z ayant obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me Y, avocate de Mme Z, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’État, il y a lieu de mettre à la charge de l’OFPRA la somme de 1 000 (mille) euros au profit de Me Y.

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D E C I D E:

Article 1er : La décision du directeur général de l’OFPRA du 11 mai 2021 est annulée.

Article 2 : La qualité de réfugiée est reconnue à Mme C Z.

Article 3 : L’OFPRA versera à Me Y la somme de 1000 (mille) euros en application du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve que Me Y renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à Mme D E et à M. F Z, représentants légaux de Mme C Z, à Me Y et au directeur général de l’OFPRA.

Délibéré après l’audience du 23 février 2022 à laquelle siégeaient :

- M. X, président ;

- Mme B, personnalité nommée par le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés ;

- M. I, personnalité nommée par le vice-président du Conseil d’Etat.

Lu en audience publique le 16 mars 2022.

Le président : La cheffe de chambre :

V. X F. Onteniente

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Si vous estimez devoir vous pourvoir en cassation contre cette décision, votre pourvoi devra être présenté par le ministère d’un avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de Cassation dans un délai de deux mois, devant le Conseil d’Etat. Le délai ci-dessus mentionné est augmenté d'un mois, pour les personnes qui demeurent en Guadeloupe, en Guyane, à la Martinique, à La Réunion, à Saint-Barthélemy, à Saint-Martin, à Mayotte, à Saint-Pierre-et-Miquelon, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises et de deux mois pour les personnes qui demeurent à l’étranger.

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Textes cités dans la décision

  1. Loi n° 91-647 du 10 juillet 1991
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