Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 19 décembre 2008, n° 10013

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Résumé de la juridiction

Demande son relèvement d’incapacité après avoir, en 2003, été radié du tableau et condamné à 10 ans de réclusion criminelle par la cour d’assises. Si le praticien proclame avec vivacité son innocence et, alléguant être victime d’un complot ou de machinations de la part de ses accusateurs, conteste expressément la matérialité des faits qui lui sont reprochés, ce mode de défense reste inopérant, le juge disciplinaire ordinal étant tenu de reconnaître pour établis les faits constatés par une décision pénale devenue définitive. S’il était tenté de suivre l’argumentation du requérant, le juge ordinal s’exposerait à la cassation automatique de sa décision par le Conseil d’Etat.

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Sur la décision

Référence :
CNOM, ch. disciplinaire nationale, 19 déc. 2008, n° 10013
Numéro(s) : 10013
Dispositif : Rejet de la demande de relèvement d'incapacité

Texte intégral

N° 10013
Dr Philippe R
Audience du 12 novembre 2008
Décision rendue publique par affichage le 19 décembre 2008
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS, Vu, enregistrés au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’Ordre des médecins les 23 juin et 5 août 2008, la requête et le mémoire présentés par le Dr Philippe R, qualifié en médecine générale et qualifié compétent en médecine appliquée aux sports ; le Dr R demande à la chambre d’annuler la décision n° 03.1166, en date du 19 mai 2008, par laquelle la chambre disciplinaire de première instance d’Auvergne a rejeté sa demande de relèvement d’incapacité ;

Le Dr R soutient que son embauche éventuelle au centre de régulation départemental de l’Allier n’implique pas qu’il y occuperait un emploi public mais un emploi de médecin libéral employé par une association ; qu’il se déclare innocent des faits qui lui sont reprochés mais que cela n’implique pas pour autant un risque de récidive ; qu’il a reçu le soutien de l’ensemble de sa clientèle ; qu’il a reçu plus de cent cinquante visiteurs autorisés pendant sa détention ; qu’il a fait l’objet de très nombreux témoignages favorables, y compris d’adolescents qui l’ont côtoyé dans le cadre de ses activités à la fédération française de basket-ball ; qu’il a donné l’image d’un médecin dévoué et compétent tant dans le cadre de son activité professionnelle que dans celui de son activité associative ; que les faits qui lui sont reprochés n’ont aucun lien avec son exercice professionnel ; que le suivi ne lui a pas été imposé par l’arrêt de condamnation de la cour d’assises mais par le juge de l’application des peines ; qu’il a effectué sept ans de prison et que sa peine est totalement exécutée ; qu’il convient de lui donner une seconde chance ;

Vu la décision attaquée ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu l’ordonnance de non publicité de l’audience établie par le président de la chambre disciplinaire nationale le 16 septembre 2008 ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience non publique du 12 novembre 2008 :

 – le rapport du Dr Wolff ;

 – les observations du Dr R ;

Le Dr R ayant été invité à reprendre la parole en dernier ;

APRES EN AVOIR DELIBERE, Considérant que, par décision en date du 27 septembre 2003 dont il n’a pas relevé appel, le Dr Philippe R, à l’époque des faits médecin généraliste à Jaligny-sur-Besbre dans l’Allier, a été condamné par le conseil régional d’Auvergne (formation disciplinaire) à la peine de la radiation du tableau de l’Ordre ; que le conseil régional relevait que le Dr R avait précédemment été condamné par un arrêt, en date du 24 mai 2003, de la cour d’assises de l’Allier, dont il n’a pas non plus relevé appel et qui est donc devenu définitif, à la peine de dix ans de réclusion criminelle « pour avoir commis des actes de sodomie et de pénétration buccale sur la personne de Christophe A…, mineur de quinze ans, pour avoir pratiqué de graves atteintes sexuelles sans pénétration sur la personne de quatre autres mineurs de quinze ans et accompli des actes de corruption à l’égard des mêmes mineurs en organisant des séances de masturbations collectives et l’accès à des revues ou à des films à caractère pornographique » ; que ladite décision ajoutait que la cour d’assises avait retenu que « les enfants victimes de ses agissements lui avaient été confiés en sa qualité de médecin de famille, caractérisant la circonstance que les faits avaient été perpétrés par une personne ayant autorité sur eux » mais que « même commis en dehors du cabinet médical et de l’exercice professionnel, ces faits caractérisent un comportement qui porte une très grave atteinte à la considération de la profession médicale » ;

Considérant qu’après avoir accompli effectivement sept ans de réclusion criminelle, le Dr R, par le bénéfice des textes sur les remises de peine, serait sorti de prison, selon ses dires, en juillet 2007 ; que, par jugement du 17 avril 2007 du tribunal de l’application des peines de Châteauroux, confirmé par jugement de la cour d’appel de Bourges –chambre de l’application des peines- en date du 17 juillet 2007, le Dr R a été placé sous contrôle judiciaire pour une durée de vingt-deux mois à compter de sa libération, soit jusqu’en mai 2009 si l’on admet la date de sortie de prison alléguée par lui, soit jusqu’au 31 août 2009 si l’on retient le premier des deux jugements précités qui déclare que le Dr R serait libérable le 30 octobre 2007, notamment sous la double obligation «de ne pas exercer la profession dans l’exercice ou à l’occasion de laquelle l’infraction a été commise : en l’espèce la profession de médecin généraliste, (…) [et de ne pas] exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec des mineurs » ;

Considérant que le Dr R a présenté une demande de relèvement d’incapacité en s’appuyant sur les dispositions de l’article L. 4124-8 du code de la santé publique selon lesquelles : « Après qu’un intervalle de trois ans au moins s’est écoulé depuis la décision définitive de radiation du tableau, le médecin … frappé de cette peine peut être relevé de l’incapacité en résultant par une décision de la chambre disciplinaire qui a statué sur l’affaire en première instance … » ; que cette demande a été rejetée par décision de la chambre disciplinaire de première instance d’Auvergne du 19 mai 2008 dont le Dr R relève appel devant la chambre disciplinaire nationale ;

Considérant tout d’abord que, tant dans ses mémoires écrits que dans ses déclarations orales à l’audience, le Dr R persiste, comme il l’a fait tout au long de la procédure, à proclamer avec vivacité son innocence et, alléguant être victime d’un complot ou de machinations de la part de ses accusateurs, a contesté expressément la matérialité des faits qui lui sont reprochés ; que force est de lui répondre que ce mode de défense est inopérant, le juge disciplinaire ordinal étant tenu de reconnaître pour établis les faits constatés par une décision pénale devenue définitive, ce qui est le cas en l’espèce ; que, serait-il tenté de suivre le Dr R dans son argumentation, le juge ordinal s’exposerait à la cassation automatique de sa décision par le Conseil d’Etat ;

Considérant, en deuxième lieu, que dans son arrêt précité plaçant le Dr R sous contrôle judiciaire, la cour d’appel de Bourges a relevé que M. R avait fait l’objet d’une expertise médicale réalisée les 17 avril et 7 mai 2004 et que cette expertise relevait qu’il présentait « un trouble pervers de la sexualité susceptible d’influencer son comportement » et « un état dangereux en ce sens que le trouble pervers est toujours susceptible de provoquer une récidive en milieu libre, d’autant plus qu’il n’est pas avoué par le sujet » ; que ladite décision de la cour d’appel de Bourges poursuivait en déclarant que « M. R a été soumis à une seconde expertise effectuée le 26 août 2006 », soit un an avant sa libération ; que les deux experts concluent que celui-ci « présente des troubles de la personnalité de type personnalité narcissique avec des traits paranoïaques et aménagements pervers » ; qu’ils notaient l’absence d’évolution durant sa détention tant du point de vue de sa personnalité que de sa position par rapport aux faits ou aux victimes ; qu’ils ajoutent que « les éléments pronostiques en faveur d’un risque de récidive sont importants » ; que la décision de la cour d’appel de Bourges concluait enfin que le risque de récidive « découlait sans la moindre équivoque de deux rapports d’expertise établis à deux ans d’intervalle (et) qu’il s’agit donc d’un risque constant qui ne s’est pas amenuisé avec la période d’incarcération » ; que le juge ordinal n’est en possession au jour de la présente audience d’aucun élément lui permettant de déclarer que les risques de récidive invoqués ci-dessus auraient aujourd’hui disparu ;

Considérant, en troisième lieu, que, tant par la gravité des faits pour lesquels le Dr R a été condamné, le retentissement qu’ils ont eu dans la presse locale et l’importance de sa condamnation pénale, le comportement du Dr R a bien été de nature à déconsidérer la profession médicale au sens des dispositions de l’article R. 4127-31 du code de la santé publique ; que cette déconsidération ne peut être regardée comme ayant cessé de produire ses effets du seul fait que le Dr R a purgé la peine pénale qui lui a été infligée ;

Considérant qu’en admettant même que la cour d’assises de l’Allier n’a pas assorti sa condamnation d’une interdiction d’exercer la profession médicale, mesure qu’a ordonnée en revanche le juge de l’application des peines pendant la période de contrôle judiciaire à laquelle il a été soumis, il résulte des considérations qui précèdent que la demande du Dr R ne saurait être favorablement accueillie ;

Considérant qu’il y a lieu de mettre les dépens de la présente instance à la charge du Dr R ;

PAR CES MOTIFS,
D E C I D E :

Article 1 : La demande de relèvement d’incapacité présentée par le Dr Philippe R est rejetée.

Article 2 : Les dépens de la présente instance s’élevant à 17,36 euros seront supportés par le Dr R et devront être réglés dans le délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 3 : La présente décision sera notifiée au Dr Philippe R, au conseil départemental de l’Allier, à la chambre disciplinaire de première instance d’Auvergne, au préfet de l’Allier (DDASS), au préfet de la région d’Auvergne (DRASS), au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Moulins, au conseil national de l’Ordre des médecins, au ministre chargé de la santé et à tous les conseils départementaux.

Ainsi fait et délibéré par : M. Chéramy, conseiller d’Etat honoraire, président ; Mme le Dr Chapelle, MM. les Drs Biclet, Brouchet, Wolff, membres.

Le conseiller d’Etat honoraire, président de la chambre disciplinaire nationale

Bruno Chéramy
Le greffier en chef
Isabelle Levard

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Textes cités dans la décision

  1. Code de la santé publique
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