Conseil national de l'ordre des médecins, Chambre disciplinaire nationale, 29 juin 2015, n° 12226

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Résumé de la juridiction

En réitérant, sur son blog, ses thèses, exprimées dans de nombreux ouvrages ou articles, défavorables à l’utilisation des statines, auxquelles il préconise de substituer des régimes nutritionnels, le praticien ne saurait être regardé, eu égard à la controverse existant dans les milieux scientifiques sur le rôle du cholestérol dans les maladies cardio-vasculaires et sur leur utilisation, comme ayant méconnu l’article R. 4127-13 CSP.

Consultation à distance – Conseils à distance

En préconisant, à des visiteurs de son blog qui l’avaient interrogé sur la thérapie à suivre, une absence de recours aux statines, ou un arrêt des traitements anti-cholestérolémiques, et ce, sans aucun examen de la situation personnelle de ses interlocuteurs, a méconnu les articles R. 4127-32, R. 4127-33 et R. 4127-40 CSP.

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Sur la décision

Texte intégral

N° 12226 __________________
Dr Michel de Lorgeril __________________
Audience du 4 juin 2015
Décision rendue publique par affichage le 29 juin 2015
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE, Vu, enregistrée au greffe de la chambre disciplinaire nationale le 11 février 2014, la requête présentée par le Dr Michel de Lorgeril, qualifié en médecine générale, élisant domicile 11 allée des Eyminées à Meylan (38240) ; le Dr de Lorgeril demande à la chambre :
- d’annuler la décision n° 2013.42, en date du 17 janvier 2014, de la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes qui, statuant sur la plainte du conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Isère, lui a infligé la sanction du blâme ;
- de rejeter la plainte présentée par le conseil départemental de l’Isère devant la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes ;

Le Dr de Lorgeril soutient que le plaignant n’a pu citer qu’une seule et unique circonstance où sa réponse pourrait être éventuellement interprétée comme une consultation ; qu’il a écrit que ses propos ne sont pas une consultation, comme clairement indiqué sur la page d’ouverture de son blog ; que la suggestion d’arrêter le traitement anticholestérol et de s’adresser à un nutritionniste, est un message mille fois répété dans ses livres et articles scientifiques ; qu’en affirmant que ses réponses « risquent d’avoir des conséquences néfastes sur la santé des intéressés » les premiers juges ont outrepassé leur rôle ; qu’il s’est exprimé en tant qu’expert scientifique et médical, et non en tant que médecin traitant de telle ou telle personne ; que le conseil, qu’il a prodigué sur son blog, de s’adresser à un nutritionniste ne signifie en rien qu’il ne faille pas en parler à son médecin traitant ; qu’il est poli-diplômé en cardiologie de prestigieuses universités européennes et nord-américaines ; qu’il aurait dû être convoqué par le conseil de l’ordre de l’Isère avant le dépôt de toute plainte ; que la qualité de cardiologue, dont il se prévaut sur son blog, lequel est destiné à un public international et multiculturel, est totalement indifférente aux notions de qualification selon les normes sanitaires françaises ; qu’il n’a jamais essayé de faire croire qu’il était cardiologue selon la norme sanitaire française ; que le Dr Olivier Roux, président du conseil départemental, a manifesté une hostilité déraisonnable à son encontre ; qu’il convient de vérifier que des conflits d’intérêts n’auraient pas inspiré les comportements anti-confraternels du Dr Roux, ainsi que de toutes les personnes impliquées de près ou de loin dans ce dossier de plainte ; qu’on ne peut s’empêcher de soupçonner que l’ensemble de la procédure ne soit une tentative maladroite d’empêcher la liberté d’expression ;

Vu la décision attaquée ;

Vu, enregistré comme ci-dessus le 3 avril 2014, le mémoire présenté par le conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Isère, dont le siège est 1A boulevard de la Chantourne CS 20100 à La Tronche cedex (38021) ; celui-ci conclut au rejet de la requête ;

Le conseil départemental soutient que le Dr de Lorgeril a fait état, sur son blog, d’une qualification qui lui a été refusée par les instances ordinales ; que le fait de donner des conseils thérapeutiques sans avoir rencontré les patients, et sur leurs simples dires, consiste en une véritable téléconsultation, qui obéit à un cadre réglementaire, lequel, en l’occurrence, n’a pas été respecté ; que le conseil départemental, qui a agi dans le cadre de ses compétences, est directement attaqué dans sa fonction, et dans la personne de son président, avec de nombreux insinuations désobligeantes ; que le Dr de Lorgeril a une attitude anti-confraternelle vis-à-vis du conseil départemental et de son président ;

Vu, enregistrés comme ci-dessus les 30 avril 2014 et 24 mars 2015, les mémoires présentés par le Dr de Lorgeril ; celui-ci reprend, dans le même sens, les conclusions de sa requête, par les mêmes moyens ;

Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles R. 4127-1 à R. 4127-112 ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 4 juin 2015 :

- le rapport du Dr Ducrohet ;

- les observations du Dr de Lorgeril ;

- les observations du Dr Finet pour le conseil départemental de l’Isère ;

Le Dr de Lorgeril ayant été invité à reprendre la parole en dernier ;

APRES EN AVOIR DELIBERE,
Sur la régularité de la décision attaquée :

1. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article L. 4123-2 du code de la santé publique : « Il est constitué auprès de chaque conseil départemental une commission de conciliation composée d’au moins trois de ses membres. La conciliation peut être réalisée par un ou plusieurs des membres de cette commission, selon des modalités fixées par décret en Conseil d’Etat./ Lorsqu’une plainte est portée devant le conseil départemental, son président en accuse réception à l’auteur, en informe le médecin (…) mis en cause et les convoque dans un délai d’un mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte en vue d’une conciliation. En cas d’échec de celle-ci, il transmet la plainte à la chambre disciplinaire de première instance avec l’avis motivé du conseil dans un délai de trois mois à compter de la date d’enregistrement de la plainte, en s’y associant le cas échéant./ Lorsque le litige met en cause un de ses membres, le conseil départemental peut demander à un autre conseil de procéder à la conciliation./ En cas de carence du conseil départemental, l’auteur de la plainte peut demander au président du conseil national de saisir la chambre disciplinaire de première instance compétente. Le président du conseil national transmet la plainte dans le délai d’un mois » ;

2. Considérant qu’il résulte des dispositions précitées que la conciliation qu’elles prévoient, n’est pas imposée lorsque la plainte émane d’un conseil départemental ; qu’il s’ensuit que le Dr de Lorgeril n’est fondé à se prévaloir, pour soutenir que la procédure suivie devant la chambre disciplinaire de première instance aurait été irrégulière, ni de ce que la plainte du conseil départemental n’a pas été précédée d’une conciliation, ni de ce qu’il n’a pas été entendu par le conseil départemental préalablement au dépôt de la plainte ;

3. Considérant, en second lieu, que, si le Dr de Lorgeril soutient que le Dr Roux, président du conseil départemental, aurait été animé d’une hostilité particulière à son égard, et qu’il aurait été, ainsi que les autres membres du conseil départemental, en situation de conflit d’intérêts, à raison de liens entretenus avec l’industrie pharmaceutique, ces moyens ne sont, en tout état cause, pas assortis de précisions suffisantes permettant d’en apprécier le bien-fondé ;

4. Considérant qu’il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que le Dr de Lorgeril n’est pas fondé à soutenir que la décision attaquée serait intervenue sur une procédure irrégulière ;

Au fond :
5. Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article R. 4127-13 du code de la santé publique : « Lorsque le médecin participe à une action d’information du public de caractère éducatif et sanitaire, quel qu’en soit le moyen de diffusion, il doit ne faire état que de données confirmées, faire preuve de prudence et avoir le souci des répercussions de ses propos auprès du public. Il doit se garder à cette occasion de toute attitude publicitaire, soit personnelle, soit en faveur des organismes où il exerce ou auxquels il prête son concours, soit en faveur d’une cause qui ne soit pas d’intérêt général » ; qu’aux termes de l’article R. 4127-32 du même code : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents » ; qu’aux termes de l’article R. 4127-33 : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés » ; qu’enfin, aux termes de l’article R. 4127-40 : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié » ;

6. Considérant qu’en réitérant, sur son blog, ses thèses, exprimées dans de nombreux ouvrages ou articles, défavorables à l’utilisation des statines, auxquelles il préconise de substituer des régimes nutritionnels, le Dr de Lorgeril ne saurait être regardé, eu égard, notamment, à la controverse existant, dans les milieux scientifiques, sur le rôle du cholestérol dans les maladies cardio-vasculaires, et sur l’utilisation des statines, comme ayant méconnu les dispositions précitées de l’article R. 4127-13 du code de la santé publique ;

7. Mais considérant, qu’en préconisant, à plusieurs reprises, ainsi que l’atteste le document intitulé « Extraits du site Internet du Dr de Lorgeril », produit en première instance par le conseil départemental, à des visiteurs de son blog qui l’avaient interrogé sur la thérapie à suivre, une absence de recours aux statines, ou un arrêt des traitements anti-cholestérolémiques, et ce, sans aucun examen de la situation personnelle de ses interlocuteurs, le Dr de Lorgeril a méconnu les dispositions précitées des articles R. 4127-32, R. 4127-33 et R. 4127-40 du code de la santé publique ;

8. Considérant, en second lieu, qu’aux termes de l’article R. 4127-80 du code de la santé publique : « Les seules indications qu’un médecin est autorisé à faire figurer dans les annuaires à usage du public, quel qu’en soit le support, sont : 1° Ses nom, prénoms, adresse professionnelle, numéros de téléphone et de télécopie, jours et heures de consultation ; 2° Sa situation vis-à-vis des organismes d’assurance maladie ; 3° La qualification qui lui aura été reconnue conformément au règlement de qualification, les diplômes d’études spécialisées complémentaires et les capacités dont il est titulaire » ;

9. Considérant qu’il est constant, et d’ailleurs non contesté, d’une part, que le Dr de Lorgeril a fait état, sur son blog, de la qualité de médecin cardiologue, d’autre part, que ne lui a jamais été reconnue la qualification de médecin spécialiste en cardiologie ; qu’il résulte de ce qui précède que le Dr de Lorgeril a méconnu les dispositions précitées de l’article R. 4127-80 du code de la santé publique, et ce, alors même qu’il a, postérieurement, substitué à la mention de médecin cardiologue celle d’« expert international en cardiologie et nutrition » ;

10. Considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que le Dr de Lorgeril a commis des manquements professionnels, d’une part, en préconisant, à des visiteurs de son blog, l’absence, ou l’arrêt, de traitements anti-cholestérolémiques, d’autre part, en faisant état, sur ce blog, de la qualité de médecin cardiologue ; que la chambre disciplinaire de première instance n’a pas fait une inexacte appréciation de la gravité de ces manquements en les sanctionnant par un blâme ; qu’il s’ensuit que l’appel du Dr de Lorgeril doit être rejeté ;

PAR CES MOTIFS,
D E C I D E :

Article 1 : La requête du Dr de Lorgeril est rejetée.

Article 2 : La présente décision sera notifiée au Dr Michel de Lorgeril, au conseil départemental de l’ordre des médecins de l’Isère, à la chambre disciplinaire de première instance de Rhône-Alpes, au préfet de l’Isère, au directeur général de l’agence régionale de santé de Rhône-Alpes, au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Grenoble, au conseil national de l’ordre des médecins, au ministre chargé de la santé.

Ainsi fait et délibéré par M. Lévis, conseiller d’Etat, président ; Mmes les Drs Bohl, Rossant-Lumbroso, MM. les Drs Ducrohet, Emmery, Mornat, membres.

Le conseiller d’Etat, président de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins

Daniel Lévis
Le greffier en chef
François-Patrice Battais
La République mande et ordonne au ministre chargé de la santé en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Textes cités dans la décision

  1. Code de la santé publique
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