Conseil national de l'ordre des médecins, 18 septembre 2023, n° -- 14996, 14996

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Sur la décision

Référence :
CNOM, 18 sept. 2023, n° -- 14996, 14996
Numéro(s) : -- 14996, 14996
Dispositif : Rejet Réformation Interdiction temporaire d'exercer

Texte intégral

CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17
N° 14996 _________________
Dr A _________________
Audience du 12 juillet 2023
Décision rendue publique par affichage le 18 septembre 2023
LA CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE DE L’ORDRE DES MEDECINS,
Vu la procédure suivante :
Par deux plaintes distinctes, enregistrées le 26 juin 2020 à la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne-Franche-Comté de l’ordre des médecins, transmises par le conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins, qui s’y est associé, Mme B et M. C ont demandé à cette chambre de prononcer une sanction à l’encontre du Dr A, qualifié spécialiste en ophtalmologie.
Par une décision n°0059, 0060 du 4 décembre 2020, la chambre disciplinaire de première instance de l’ordre des médecins, après avoir joint les deux plaintes, a prononcé la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée d’un an dont huit mois assortis du sursis à l’encontre du Dr A et a mis à la charge de celui-ci le versement de la somme de 2 000 euros à Mme B et de celle de 1 000 euros au conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
I- Par une requête, enregistrée le 7 janvier 2021, le conseil départemental de Saôneet-Loire de l’ordre des médecins demande à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins :
1° de réformer cette décision ;
2° de prononcer à l’encontre du Dr A une sanction qui ne saurait être inférieure à celle prononcée en première instance ;
3° de mettre à la charge du Dr A le versement de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens et de celle de 3 000 euros au titre de ceux exposés en appel.
Il soutient que :
- de nombreuses difficultés ont été portées à sa connaissance depuis l’installation du Dr Garnier en octobre 2012 alors qu’il l’avait mis en garde dès juillet 2014 sur un certain nombre d’obligations déontologiques mal ou non respectées par lui ; bien qu’ayant fait l’objet d’un blâme en novembre 2015, il n’apparait pas avoir changé de comportement ainsi qu’en attestent les nouvelles doléances de patients depuis lors, qui recoupent les manquements objets de la présente instance ;
- il a fait courir des risques injustifiés aux deux patients plaignants en préconisant une opération de la cataracte des deux yeux dont il n’est pas établi qu’ils présentaient des gênes fonctionnelles la rendant nécessaire ;
- le Dr A n’établit pas avoir donné à ces deux patients une information claire et appropriée sur les soins qu’il allait pratiquer et le schéma qu’il leur a présenté n’était pas compréhensible pour un non professionnel ; il ne leur a consacrés que de brefs instants lors de ses consultations et a procédé avec empressement sans s’assurer que l’information délivrée avait été comprise de telle sorte que chacun n’a pu donner un consentement éclairé ;
- le montant des honoraires demandés – 150 ou 160 euros par consultation – ne correspond pas aux exigences de tact et de mesure imposées et ne prend pas en considération la nécessité de tenir compte de la situation financière du patient ; en outre, la demande de versement d’acomptes faite à Mme B le jour même de la consultation initiale et la remise de chèques la 1 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 concrétisant contreviennent aux dispositions réglementaires en la matière et sont contraires au devoir de probité ;
- le compte rendu de l’opération de Mme B ne permet pas d’établir que le praticien a eu recours au robot-laser Femtosecond contrairement au devis chirurgical remis à l’intéressée qui prévoyait un dépassement d’honoraires à ce titre ;
- le Dr A a fini par reconnaitre avoir procédé par technique manuelle classique et sa surfacturation constitue une fraude à l’assurance maladie en matière d’honoraires ;
- le Dr A n’a pas respecté par son attitude, notamment son manque d’empathie, les mots grossiers employés et les écrits désobligeants adressés à ses patients, l’obligation de ne pas porter atteinte à la dignité de ceux-ci.
II – Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 janvier 2021, les 3 juin et 13 décembre 2021 et le 13 juin 2023, le Dr A demande à la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins :
1° d’annuler cette décision ;
2° de rejeter les plaintes de M. C et de Mme B auxquels le conseil départemental de Saône-etLoire de l’ordre des médecins s’est associé ;
3° de mettre à la charge in solidum des plaignants le versement de la somme de 5 000 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Il soutient que :
- le principe du contradictoire et les droits de la défense ont été méconnus en première instance dès lors que la juridiction ne lui a laissé que trois jours pour répliquer au mémoire et aux pièces produites par le conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins le jour même de la clôture programmée de l’instruction, de telle sorte qu’il n’a pas eu droit à un procès équitable ;
- la présente instance se situe dans un contexte surprenant de diverses plaintes similaires auprès du conseil départemental, le plus souvent abandonnées par la suite, mais qui ont été instrumentalisées dans le souci de lui nuire ;
- le conseil départemental, en produisant l’intégralité de son dossier administratif, a violé le secret professionnel ;
- il n’a commis aucun manquement déontologique ; les premiers juges ont fait une appréciation inexacte des faits et ont commis une erreur de qualification juridique de ceux-ci ;
- il a élaboré son diagnostic à l’égard de M. C après avoir effectué un bilan complet qui lui a permis de conclure que les troubles visuels de l’intéressé résultaient d’une cataracte ;
- il a donné à ce patient toutes explications sur l’intervention chirurgicale à venir, y compris ses risques, en lui commentant un schéma et en lui laissant le temps de la réflexion ; d’ailleurs, l’intéressé ne formule aucun grief sur ce point ;
- M. C n’invoque pas davantage une surfacturation indue ;
- c’est donc à tort que le conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins soulève ces deux derniers griefs ;
- les consultations non réellement conclusives de ce patient auprès d’autres confrères spécialistes sur l’inutilité de l’intervention projetée pas plus que la mention anonyme d’opération « abusive » ne sont de nature à établir de diagnostic erroné ;
- s’agissant de Mme B, son diagnostic a été également consciencieux et s’il lui a fortement recommandé une intervention sur les deux yeux alors que la vision de l’un était satisfaisante, c’est en raison de la pratique assidue par l’intéressée de la conduite automobile qui nécessite un total confort ;
- il lui a délivré une information complète et appropriée en lui proposant deux procédés différents, l’un manuel l’autre robotique avec deux devis distincts pour lui permettre de choisir ; il lui a laissé le temps de la réflexion et la patiente lui a retourné trois jours après les devis signés ainsi que la feuille d’information, reconnaissant ainsi être pleinement éclairée ;
- s’il lui a demandé le jour de la consultation deux chèques en règlement des dépassements d’honoraires, il ne s’agissait pas d’acomptes mais de dépôts ; non seulement il ne les a pas 2 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 encaissés aussitôt, mais encore il a restitué le second après que la patiente a renoncé à l’intervention sur son œil gauche ;
- si l’opération sur l’œil droit de Mme B a nécessité une sédation renforcée de la part de l’anesthésiste vu son état d’agitation et d’anxiété, cette pratique habituelle peut provoquer une amnésie temporaire qui explique les erreurs commises dans sa relation des faits, notamment la prétendue intervention d’assistantes alors qu’il a réalisé lui-même intégralement l’opération ;
- cet état d’agitation explique qu’il a dû en définitive renoncer au procédé robotique et opérer manuellement ;
- le compte rendu opératoire est fidèle et sa rédaction n’imposait pas de faire état de ce changement ni de l’agitation de la patiente ;
- l’avis négatif rendu par une consœur que Mme B a consulté rapidement pour l’opération de son œil gauche ne repose pas sur des données scientifiques pertinentes, le critère à retenir n’étant pas l’acuité visuelle mais le confort ;
- les attestations produites par Mme B et provenant d’anciennes employées sont diffamatoires et il a porté plainte ; celles-ci ont d’ailleurs été déboutées aux prud’hommes ;
- il n’a pratiqué un dépassement d’honoraires que pour une consultation sur les quatre accordées à l’intéressée et celui-ci était raisonnable et pleinement justifié du fait, en particulier, de la technique retenue ;
- il est admis que certaines consultations post-opératoires, notamment en cas de complication comme en l’espèce, puissent faire l’objet d’une cotation spécifique ; il ne s’agit ni d’une surfacturation indue ni d’une fraude à l’assurance maladie ;
- il ne s’est jamais départi d’un comportement correct et n’a pas déconsidéré la profession ;
- on ne peut lui reprocher financièrement son volume d’activité alors qu’il exerce dans une région en sous-effectif médical dans sa spécialité ;
- la sanction prononcée en première instance est en tout état de cause excessive.
Par deux mémoires, enregistrés les 24 février et 2 août 2021, M. C déclare laisser la chambre disciplinaire nationale seule juge du présent dossier.
Il soutient que :
- il a consulté le Dr A pour un simple réajustement de la vue ne présentant aucune gêne fonctionnelle ;
- le schéma que le Dr A lui a présenté rapidement était incompréhensible ;
- les avis qui lui ont été donnés par d’autres spécialistes établissent l’erreur de diagnostic du
Dr A quant à la nécessité de l’opérer de la cataracte ;
- en portant plainte, il n’a eu aucune visée lucrative.
Par un mémoire, enregistré le 6 avril 2021, Mme B conclut :
- au rejet de la requête d’appel du Dr A et à la confirmation de la décision attaquée, ce compris le versement de la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés en première instance et non compris dans les dépens ;
- à ce que soit mis à la charge du Dr A le versement de la somme de 3 000 euros au titre des frais exposés en appel et non compris dans les dépens.
Elle soutient que :
- le Dr A ne lui a délivré qu’une information des plus succinctes qu’impliquait le temps très bref de sa consultation, sans remise d’un écrit de sa part mais une simple présentation d’un schéma au demeurant peu compréhensible ; une fiche d’information stéréotypée lui a été remise ultérieurement par le secrétariat administratif hors la présence du Dr A ; la remise des deux chèques d’acompte exigée le même jour par ce secrétariat ne lui a pas laissé le temps de la réflexion pour confirmer son adhésion aux opérations ;
- elle conteste fermement les propos que le Dr A lui attribue quant à ses antécédents et son mode de vie ;
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- elle n’était venue le consulter que pour un bilan ophtalmologique ;
- les devis produits ne sont pas datés ;
- la première étape de l’intervention a été réalisée hors la présence du Dr A par deux assistants ;
- elle n’a jamais présenté de signe d’agitation ou d’anxiété nécessitant une sédation renforcée et les documents de son dossier médical n’y font pas référence ;
- elle a eu des difficultés à obtenir le compte rendu opératoire et celui-ci, non signé, ne fait état que d’une intervention manuelle alors que le devis qu’elle avait accepté l’était pour l’utilisation d’un robot facturé plus du double ;
- les attestations produites par le Dr A ne sont pas pertinentes, leurs auteurs n’ayant pas été présents lors des faits ;
- à l’inverse, elle produit des pièces propres à conforter ses dires sur l’attitude du Dr A qui, dès la première consultation, l’a mal accueillie et qui n’a fait preuve ni d’empathie ni de respect à tel point que son comportement a eu des répercussions sur sa santé ;
- le Dr A a une vision mercantile de sa profession ; non seulement sa consultation est d’un montant excessif, mais encore il lui a demandé indument des honoraires complémentaires en consultation postopératoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique, notamment le code de déontologie médicale figurant aux articles
R. 4127-1 à R. 4127-112 ;
- le code de justice administrative ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, notamment le I de l’article 75.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.
Ont été entendus au cours de l’audience publique du 12 juillet 2023 :
- le rapport du Dr Bohl ;
- les observations de Me Saggio et des Drs Artus et Ligier pour le conseil départemental de
Saône-et-Loire de l’ordre des médecins ;
- les observations de Me Lucas-Baloup pour le Dr A et celui-ci en ses explications ;
- les observations de Me Ronfard pour Mme B et celle-ci en ses explications.
Le Dr A a été invité à reprendre la parole en dernier.
APRES EN AVOIR DELIBERE,
Considérant ce qui suit :
1. Le Dr A, ophtalmologue à Y, a reçu le 2 septembre 2019 en consultation pour un bilan de la vue M. C, patient qu’il suivait depuis plusieurs années. Faisant état d’une baisse de la vision de l’intéressé et d’une gêne fonctionnelle, le Dr A a prescrit une opération de la cataracte des deux côtés. Ce diagnostic a donné lieu à un avis divergent d’autres spécialistes que M. C a consultés quelques semaines après et qui l’a conduit à renoncer à l’intervention. Estimant n’avoir pas eu d’explications satisfaisantes de la part du Dr A à qui il impute une erreur de diagnostic, M. C a porté plainte contre lui devant les instances ordinales.
2. Mme B a été reçue en consultation par le Dr A le 24 juin 2019 et celui-ci a également prescrit une opération de la cataracte des deux yeux. L’opération de son œil droit a eu lieu le 9 janvier 2020 et apparait s’être déroulée en deux temps. La patiente indique que la première phase a fait intervenir un tiers, vraisemblablement une orthoptiste et qu’au cours de celle4 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 ci, elle a ressenti une vive douleur ; la seconde a donné lieu à la pose de l’implant par le Dr A qui aurait manifesté à son égard une attitude discourtoise. Elle est retournée au cabinet du Dr A les 11 et 13 janvier mais les douleurs toujours ressenties et la consultation d’un autre ophtalmologue estimant que sa bonne acuité visuelle de l’œil gauche ne nécessitait pas, en l’état, l’intervention que le Dr A avait fixée le 16 janvier, l’ont conduit à renoncer à la seconde opération. Estimant que le Dr
A avait commis plusieurs manquements déontologiques, elle a porté plainte devant les instances ordinales.
3. Le conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins s’est associé à ces deux plaintes que la juridiction disciplinaire de première instance a cru devoir joindre. Celle-ci a prononcé à l’encontre du Dr A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée d’un an dont huit mois assortis du sursis par une décision dont ce praticien et le conseil départemental font tous deux appel, ce dernier a minima.
Sur la procédure :
Sur le non-respect du principe du contradictoire et du procès équitable :
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que l’avocat du Dr A a pu répliquer à la communication du mémoire du conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins et des pièces qui y étaient jointes, qu’il a répondu à l’ensemble des moyens soulevés sans exprimer de réserve sur les droits de la défense et qu’il a pu faire valoir ses observations à l’audience en présence de son client. Il n’est par suite pas établi que le principe du contradictoire n’a pas été respecté et en conséquence que l’intéressé n’a pas bénéficié d’un procès équitable.
Sur la violation du secret professionnel :
5. Si le Dr A soutient que son dossier administratif a été produit par le conseil départemental de
Saône-et-Loire de l’ordre des médecins en première instance en son intégralité et que cette communication constitue une violation du secret professionnel, il ressort des pièces du dossier de cette instance qu’il a été fait état, non de l’ensemble de ce dossier, mais des précédentes plaintes reçues à l’ordre à l’encontre du praticien. Il s’ensuit que cette révélation faite pour les besoins de la procédure disciplinaire et concernant des faits dont l’intéressé avait nécessairement connaissance, et sur lesquels il a pu faire valoir sa défense, ne viole pas les règles du secret professionnel.
Sur le fond :
6. Aux termes de l’article L. 1111-2 du code de la santé publique : « I. – Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus (…) / En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l’établissement de santé d’apporter la preuve que l’information a été délivrée à l’intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen ». Aux termes de l’article R. 4127-2 du même code :
« Le médecin, au service de l’individu et de la santé publique, exerce sa mission dans le respect de la vie humaine, de la personne et de sa dignité ». Aux termes de l’article R. 4127-31 du même code : « Tout médecin doit s’abstenir, même en dehors de l’exercice de sa profession, de tout acte de nature à déconsidérer celle-ci ». Aux termes de l’article R. 4127-32 du même code : « Dès lors qu’il a accepté de répondre à une demande, le médecin s’engage à assurer personnellement au patient des soins consciencieux, dévoués et fondés sur les données acquises de la science, en faisant appel, s’il y a lieu, à l’aide de tiers compétents ». Aux termes de l’article R. 4127-33 du même code : « Le médecin doit toujours élaborer son diagnostic avec le plus grand soin, en y consacrant le temps nécessaire, en s’aidant dans toute la mesure du possible des méthodes 5 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 scientifiques les mieux adaptées et, s’il y a lieu, de concours appropriés ». Aux termes de l’article
R. 4127-34 du même code : « Le médecin doit formuler ses prescriptions avec toute la clarté indispensable, veiller à leur compréhension par le patient et son entourage et s’efforcer d’en obtenir la bonne exécution ». Aux termes de l’article R. 4127-35 du même code : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose (…) ». Aux termes de l’article R. 4127-36 du même code : « Le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas (… ) ». Aux termes de l’article R. 4127-40 du même code : « Le médecin doit s’interdire, dans les investigations et interventions qu’il pratique comme dans les thérapeutiques qu’il prescrit, de faire courir au patient un risque injustifié ». Aux termes de l’article
R. 4127-53 du même code : «. I. – Les honoraires du médecin doivent être déterminés avec tact et mesure, en tenant compte de la réglementation en vigueur, des actes dispensés ou de circonstances particulières./ Ils ne peuvent être réclamés qu’à l’occasion d’actes réellement effectués (…) ».
Sur le grief tenant au défaut d’information et à l’absence de consentement éclairé :
7. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées des articles L. 1111-2, R. 4127-35 et
R. 4127-36 du code de la santé publique qu’il appartient au praticien d’établir avoir donné à son patient, préalablement à l’opération qu’il se propose de réaliser, une information, fut-elle orale, non seulement adaptée au type d’intervention considérée, en prenant en compte son éventuelle complexité ainsi que les risques spécifiques et les limites des techniques envisagées, mais encore suffisamment claire et précise pour permettre à celui-ci d’en avoir une pleine compréhension et d’exprimer un consentement éclairé. Si le Dr A soutient avoir donné cette information à l’un et l’autre de ses patients dans les conditions légales, les éléments qu’il produit et les explications embarrassées qu’il a fournies à l’audience de la chambre disciplinaire nationale ne permettent pas de la tenir pour établie.
8. S’agissant de M. C, s’il est constant que le Dr A a, lors de sa consultation, présenté au patient un schéma oculaire relatif à la cataracte, l’intéressé soutient qu’il n’a été assorti que d’explications brèves et techniques dont il n’a pas compris la teneur et qu’aucun document informatif complémentaire ne lui a été remis. Le Dr A se borne en réponse, dans ses écritures, à faire état de la durée de la consultation, au demeurant controversée, pour soutenir que ses explications ont été nécessairement détaillées, ce que l’absence de compte rendu de la consultation ne permet pas d’établir, sans justifier au surplus s’être assuré qu’elles ont été comprises, ni avoir remis de fiche informative.
9. S’agissant de Mme B, il ressort de l’instruction et des pièces du dossier confortées par les déclarations précises et circonstanciées de l’intéressée à l’audience de la chambre disciplinaire nationale que, d’une part, le schéma susmentionné a également été présenté à la patiente lors de sa consultation initiale et qu’elle aussi l’a jugé peu éclairant ; d’autre part, que son attention n’a pas été appelée, alors qu’un choix existait entre deux procédés opératoires, sur le fait qu’en cours d’intervention, une substitution d’un procédé à l’autre pouvait survenir, ce qui a été le cas. Il ressort, en outre, des mêmes éléments sur lesquels le Dr A n’a pas apporté de démenti convaincant à l’audience de la chambre nationale, que Mme B s’est vue remettre par le secrétariat du praticien, lors de son passage au centre médical, une feuille d’information et de consentement éclairé pour chaque opération en même temps qu’était sollicitée la remise immédiate de deux chèques en prévision de ces interventions, pratique qui apparait être usuelle ainsi qu’il ressort de l’attestation de Mme D dont le caractère mensonger n’est pas établi. La délivrance de ces documents stéréotypés hors la présence du Dr A qui ne s’est pas ménagé la possibilité d’en vérifier la compréhension par la patiente et n’a pas donné à celle-ci l’occasion de le questionner, dans un contexte sinon de pression du moins de célérité non justifié, ne permet pas de considérer, alors même que l’intéressée a retourné trois jours après au secrétariat les documents datés et signés, que le Dr A ait délivré une information 6 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 correspondant aux exigences légales telles que fixées par les articles R. 4127-34, -35 et -36 du code de la santé publique.
Sur le grief tenant à l’absence de diagnostic établi avec soin :
10. S’agissant de M. C, il ressort des pièces du dossier, d’une part, que si l’intéressé s’est étonné de la préconisation du Dr A de l’opérer de la cataracte des deux côtés alors qu’il avait pris rendez-vous pour un simple contrôle périodique auprès du praticien qui le suit depuis des années, le Dr A fait valoir que son diagnostic a été posé après un bilan complet de son patient qui lui a permis de constater une opacification du cristallin et une baisse de l’acuité visuelle sur les deux yeux ; d’autre part, que ce diagnostic a été soumis dans les semaines suivantes par le patient à quatre autres spécialistes, deux orthoptistes et deux ophtalmologues, dont les conclusions empreintes d’une certaine prudence, ne peuvent être interprétées ni comme une adhésion sans réserve ni comme un démenti scientifique formel. Il s’ensuit que la preuve ne peut être considérée comme rapportée que le Dr A a manqué à son obligation d’établir son diagnostic avec le plus grand soin.
11. S’agissant de Mme B, il ressort des pièces du dossier que si l’opération de la cataracte de son œil droit apparaissait justifiée, la consultation d’un autre ophtalmologue ne permet pas de tenir pour établi que celle de son œil gauche l’ait été également, en tout cas à brève échéance, au regard d’une vision de 9/10 de cet œil sur un sujet âgé de 73 ans. En se bornant en défense à soutenir que cette seconde opération était nécessaire dans les meilleurs délais pour des raisons de confort visuel impliqué par une conduite automobile assidue, au demeurant non justifiée, de la part de l’intéressée et en faisant par suite de l’inconfort, le critère déterminant de l’opération de la cataracte de son œil gauche, sans prendre en compte les douleurs que la patiente continuait à ressentir à la suite de son opération à l’œil droit, le Dr A n’a pas posé son diagnostic avec le soin imposé par l’article R. 4127-33 du code de la santé publique.
Sur le grief tenant au risque injustifié :
12. Il découle de ce qui vient d’être dit au paragraphe 11 qu’en programmant une opération de la cataracte à brève échéance qui ne s’imposait pas sur l’œil gauche de Mme B, le Dr A a fait courir un risque injustifié à celle-ci, enfreignant ainsi les dispositions de l’article R. 4127-40 du code de la santé publique.
Sur le grief tenant à l’absence de soins consciencieux :
13. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier confortées par les déclarations détaillées et circonstanciées de Mme B à l’audience de la chambre disciplinaire nationale auxquelles le Dr A n’a pas apporté de démenti convaincant, que l’intervention pratiquée sur Mme B le 9 janvier 2020 s’est déroulée en deux étapes : l’intéressée, allongée sur une table d’intervention et n’étant plus à même d’exercer ses facultés visuelles, n’a perçu que des voix féminines avant qu’une intervention sur son œil droit lui cause une vive douleur ; après le déplacement du support sur lequel elle était allongée, elle a entendu la voix du Dr A qui a réalisé sur son œil une seconde intervention. La description ainsi faite correspond à la pratique du médecin attestée en particulier par Mme E, orthoptiste qui a secondé celui-ci pendant plusieurs années et selon laquelle l’opération de la cataracte était décomposée en deux phases lorsque le praticien recourait au robot laser
Femtosecond : la première, consistant en la fragmentation du noyau du cristallin du patient et en l’incision cornéenne, était réalisée par l’orthoptiste dans une première salle avant que le Dr A poursuive l’opération dans une seconde salle par la pose de l’implant oculaire, pratique qu’il justifiait pour optimiser le temps et opérer plus de patients au cours de la journée. Pour réfuter cette décomposition de l’acte médical et soutenir que la phase préparatoire ne consistait qu’en de simples réglages du laser, le Dr A fait état d’une amnésie temporaire de la patiente par suite de l’administration de 7 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 sédatifs qui lui aurait donné une perception erronée du déroulement de l’intervention, éléments qui ne sont mentionnés ni l’un ni l’autre dans le compte rendu opératoire. Il s’ensuit que la preuve doit être considéré comme rapportée que l’intégralité du geste opératoire n’a pas été effectuée par le
Dr A en méconnaissance de l’obligation de soins consciencieux.
14. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que les deux opérations de la cataracte de Mme B devaient être réalisées en recourant au robot laser Femtosecond mais que la seule intervention en définitive pratiquée l’a été de manière classique par procédé manuel. Si le Dr A soutient que ce changement a été opéré en cours d’intervention par suite de l’agitation de la patiente, aucune pièce du dossier ne vient conforter cette allégation. Il s’ensuit que la renonciation non justifiée au procédé laser ne peut être tenu comme répondant à l’exigence de soins consciencieux.
Sur le grief tenant aux honoraires et à la surfacturation :
15. S’il est regrettable que le Dr A ait pratiqué à l’égard des deux patients considérés des dépassements d’honoraires de consultation substantiels et qu’il ait facturé une visite postopératoire à Mme B quatre jours après l’opération alors que son remplaçant venait de le faire peu avant, l’absence de tact et de mesure dans la fixation de ses honoraires ne peut être tenue pour établie au regard, d’une part, de son expérience et du coût de son équipement et, d’autre part, des douleurs postopératoires ressenties par la patiente à son œil droit susceptibles de constituer des complications de l’intervention pratiquée justifiant une cotation spécifique.
16. En revanche, il ressort des pièces du dossier et des explications fournies par les parties à l’audience de la chambre nationale, que le Dr A a sollicité, avant la réalisation effective des interventions sur sa patiente, la remise de deux chèques, alors même qu’ils n’ont pas été encaissés immédiatement, de 780 euros chacun, montant qui impliquait l’utilisation du procédé technique du robot-laser Femtosecond mais que la seule opération pratiquée a été réalisée manuellement pour une facturation qui aurait dû être, conformément aux devis établis, d’un montant de 360 euros. Il ressort de ces mêmes pièces que le Dr A a non seulement encaissé, après l’opération de l’œil droit de sa patiente, l’un des deux chèques de 780 euros mais a refusé de ramener le montant de l’intervention à ce qu’il aurait dû être pour une intervention manuelle sans justifier être fondé à opérer cette rétention. Ce faisant le Dr A a doublement enfreint les prescriptions de l’article R. 4127-53 du code de la santé publique.
Sur les griefs tenant au non-respect de la dignité :
17. Il ressort des pièces du dossier et notamment des déclarations circonstanciées de Mme B, réitérées à l’audience de la chambre nationale et non sérieusement combattues par le Dr A, que celui-ci non seulement n’a pas fait preuve d’empathie devant les douleurs qu’elle ressentait mais s’est comporté envers elle d’une manière dénuée de toute considération, y compris lors de l’opération, en évoquant crument un alcoolisme et en l’interpelant en des termes ironiques voire insultants comme en témoigne le courriel qu’il lui a adressé le 28 janvier 2020. Les déclarations de l’intéressée sont d’autant plus crédibles que le conseil départemental de Saône-etLoire de l’ordre des médecins fait état de multiples doléances du même ordre émanant de patients de l’intéressé et que les attestations produites par Mme B soulignent le manque de respect de ce praticien envers sa patientèle. Il s’ensuit que le manquement par le Dr A au devoir de respecter la dignité de ses patients, rappelé à l’article R. 4127-2 du code de la santé publique, doit être tenu pour établi.
18. Il résulte de tout ce qui précède que le Dr A n’est pas fondé à se plaindre que la juridiction de première instance ait retenu à son encontre un manquement aux dispositions des articles R. 4127-2, -32, -34, -35, -36 et -53 du code de la santé publique. Celle-ci a toutefois fait une appréciation insuffisante de la gravité des manquements commis dans les circonstances de 8 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17 l’espèce, au regard notamment de leur nombre, de leur diversité et de l’existence de multiples plaintes déposées antérieurement à l’encontre de l’intéressé ; il sera fait une plus juste appréciation de ceux-ci en prononçant à l’encontre du Dr A la sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de deux ans dont un an assorti du sursis. La décision attaquée sera réformée en conséquence.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
19. Les dispositions du I de l’article 75 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu’il soit fait droit à la demande formée par le Dr A de versement in solidum par Mme B, M. C et le conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins, qui ne sont pas les parties perdantes en la présente instance, d’une somme au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge du Dr A le versement à Mme B de la somme de 2 000 euros et au conseil départemental de Saôneet-Loire de l’ordre des médecins de celle de 1 000 euros, au même titre.
PAR CES MOTIFS,
DECIDE:
Article 1er : La requête du Dr A est rejetée.
Article 2 : La sanction de l’interdiction d’exercer la médecine pendant une durée de deux ans dont un an assorti du sursis est prononcée à l’encontre du Dr A.
Article 3 : Le Dr A exécutera la partie ferme de la sanction mentionnée à l’article 2 du 1er janvier 2024 à 0 heure au 31 décembre 2024 à minuit.
Article 4 : La décision de la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne-FrancheComté de l’ordre des médecins du 4 décembre 2020 est réformée en ce qu’elle a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le Dr A versera à Mme B la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle en cause d’appel et non compris dans les dépens.
Article 6 : Le Dr A versera au conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins, la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui en cause d’appel et non compris dans les dépens.
Article 7 : La présente décision sera notifiée au Dr A, à Mme B, à M. C, au conseil départemental de Saône-et-Loire de l’ordre des médecins, à la chambre disciplinaire de première instance de Bourgogne-Franche-Comté de l’ordre des médecins, au directeur général de l’agence régionale de santé de Bourgogne-Franche-Comté, au procureur de la
République près le tribunal judiciaire de Châlons-sur-Saône, au conseil national de l’ordre des médecins, au ministre chargé de la santé et à tous les conseil départementaux de l’ordre des médecins.
9 CHAMBRE DISCIPLINAIRE NATIONALE
DE L’ORDRE DES MEDECINS 4 rue Léon Jost – 75855 PARIS CEDEX 17
Ainsi fait et délibéré par : Mme Chadelat, conseiller d’Etat honoraire, président ; Mmes les Drs Baland-Peltre, Bohl, Masson, M. le Pr Besson, MM. les Drs Boyer, Gravié, membres.

Le conseiller d’Etat honoraire, président de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des médecins
Catherine Chadelat
Le greffier en chef
François-Patrice Battais
La République mande et ordonne au ministre chargé de la santé en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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Conseil national de l'ordre des médecins, 18 septembre 2023, n° -- 14996, 14996