Conseil national de l'Ordre des pharmaciens, Section E, Affaire 746 - Composition de la chambre de discipline, 12 septembre 2012, n° 1068-D

  • Indépendance des poursuites disciplinaires et pénales·
  • Cumul des sanctions disciplinaires et pénales·
  • Composition de la chambre de discipline·
  • Compétence de la chambre de discipline·
  • Matérialité des faits établie au pénal·
  • Respect du principe d'impartialité·
  • Principe du contradictoire·
  • Recevabilité de la plainte·
  • Facturations frauduleuses·
  • Médicaments non utilisés

Chronologie de l’affaire

Résumé de la juridiction

Le Conseil constitutionnel juge que les alinéas 2, 3 et 13 de l’article L. 4231-4 du code de la santé publique (CSP) méconnaissent le principe d’indépendance des juridictions, dès lors que le directeur général de la santé ou le pharmacien inspecteur de santé publique et le pharmacien du service de santé siègent au sein du CNOP, dans sa formation disciplinaire, en qualité de représentants respectivement du ministre chargé de la santé et du ministre de l’Outre-mer, et non en tant que membres nommés. Il prononce donc l’abrogation des dispositions contestées par le pharmacien poursuivi dans le cadre de sa question prioritaire de constitutionnalité. Si la date de l’abrogation est reportée au 1er janvier 2016, les représentants de l’Etat doivent néanmoins s’abstenir de siéger au sein de la chambre de discipline du CNOP jusqu’à la date d’entrée en vigueur d’une loi nouvelle ou au plus tard jusqu’au 31 décembre 2015. Il juge également que les décisions disciplinaires rendues avant la publication de sa décision, soit avant le 20 mars 2015, par le CNOP, ne peuvent être remises en cause sur le fondement de l’inconstitutionnalité constatée que si l’une des parties avait invoqué celle-ci à l’encontre d’une décision n’ayant pas acquis un caractère définitif au jour de la présente décision. Saisi initialement du pourvoi formé par le pharmacien poursuivi, le Conseil d’Etat juge que la décision rendue par la chambre de discipline du CNOP doit être annulée dans la mesure où les représentants de l’Etat ont siégé avec voix consultative dans la formation de jugement. L’inconstitutionnalité constatée est rendue applicable au présent litige. Il est ainsi admis que la décision d’appel rendue par la juridiction disciplinaire ne devient définitive que lorsque la voie du recours en cassation est épuisée.

La violation du principe du contradictoire soulevée par l’intéressé en appel est retenue dès lors que celui-ci n’a jamais eu connaissance d’une seconde version d’un courrier l’accablant, par lequel les plaignants transmettaient plusieurs témoignages à charge et repris dans les rapports d’audience. La décision rendue en première instance est par conséquent annulée.

Le dépôt d’une plainte formée par plusieurs personnes n’est pas interdit par l’article R. 4234-1 du CSP, dès lors que chacun des plaignants est habilité à le faire et a signé la plainte.

Il appartient à la chambre de discipline de veiller uniquement au bon déroulement de la procédure disciplinaire, et de garantir ainsi le respect des droits de la défense et du principe du contradictoire. Il ne peut être reproché aux conseillers ordinaux d’avoir recueilli, en qualité de plaignants, tous les éléments de preuve susceptibles d’étayer leur plainte formée à l’encontre de l’intéressé.

Il est rappelé que selon une jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l’homme, le principe d’impartialité posé par l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentale n’interdit pas l’exercice successif de fonctions juridictionnelles, au titre du même litige, sous réserve que la juridiction ne soit aucunement liée par sa première décision et réexamine l’affaire dans son intégralité.

Le moyen tiré de la violation du principe non bis in idem est rejeté au motif qu’un même fait peut donner lieu à deux actions distinctes, l’une devant les juridictions disciplinaires et l’autre devant les juridictions répressives, et au prononcé de sanctions disciplinaires et pénales.

En l’occurrence, l’intéressé a été condamné pour des faits d’escroquerie et de mise à disposition du public de médicaments à usage humain collectés auprès du public et inutilisés, à deux ans d’emprisonnement avec sursis assortis d’une mise à l’épreuve de trois ans. Ce jugement s’impose à la juridiction disciplinaire quant à la matérialité des faits.

L’argument selon lequel à l’époque des faits, l’économie des officines du département avait été fragilisée par la publication d’un arrêté préfectoral fixant le prix des spécialités pharmaceutiques remboursables, n’est de nature ni à justifier les fautes commises par l’intéressé, ni à atténuer sa responsabilité disciplinaire. La remise en vente de médicaments inutilisés et rapportés à l’officine en vue de leur destruction s’avère non seulement contraire à la probité mais aussi de nature à compromettre la santé des patients dès lors qu’il est impossible de garantir la qualité desdits médicaments, sortis du circuit et conservés dans des conditions inconnues. Les fautes commises par le pharmacien sont d’une extrême gravité en raison de leur nature, de leurs conséquences possibles pour la santé publique et de leur persistance sur une période de trois ans. Au regard de l’ensemble de ces éléments, la sanction de l’interdiction définitive d’exercer la pharmacie est justifiée.

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Sur la décision

Référence :
ONPH, sect. e, 12 sept. 2012, n° 1068-D
Numéro(s) : 1068-D
Dispositif : Poursuivi : Pharmacien titulaire d'officine, Décision : Interdiction d'exercer la pharmacie, Durée sanction : Définitive, Sursis : NON ;
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Sur les parties

Texte intégral

ORDRE NATIONAL DES PHARMACIENS
CONSEIL CENTRAL de la SECTION E des Pharmaciens de GUADELOUPE – GUYANE
MARTINIQUE – REUNION — MAYOTTE
SAINT PIERRE & MIQUELON – WALLIS & FUTUNA 4 avenue Ruysdaël 75379 PARIS CEDEX 08
Décision 1068-D
DECISION
Prise par le CONSEIL CENTRAL DE LA SECTION E
Réuni en chambre de discipline le 12 septembre 2012
Affaire … — Mmes G, I, C, A et M. H c/ Mme B.
Plainte du 19 décembre 2011
Le Conseil central de la section E de l’Ordre national des pharmaciens constitué et réuni le 12 septembre 2012, conformément aux dispositions des articles L.4234-1 et L.
4234-4 à L.4234-6 du code de la santé publique, en chambre de discipline présidée par M. Michel BRUMEAUX, président assesseur à la Cour administrative d’appel de
Versailles, et composée de Mme Hélène DUPONT, Pharmacien Inspecteur Régional représentant à titre consultatif le Ministre de la Santé, Mmes Aline ABAULBALUSTRE, Brigitte BERTHELOT-LEBLANC, Liliane CAMOUILLY-LODEON,
Maggy CHEVRY-NOL et de MM. Jean BIGON, Serge MINASSOFF, Norbert
SCAGLIOLA, Alain VANNEAU et M’Hand LAAMEL.
Le quorum nécessaire pour statuer étant ainsi atteint, et les parties régulièrement convoquées, à savoir: Mme G, plaignante, inscrite au Tableau de la Section E de l’Ordre des
Pharmaciens sous le numéro …, en qualité de Pharmacien adjoint intermittent en officine, qui a comparu. Mme I, plaignante, inscrite au Tableau de la Section E de l’Ordre des Pharmaciens sous le numéro …, en qualité de Pharmacien titulaire d’une officine sise … — … — …, qui n’a pas comparu. Mme C, plaignante, inscrite au Tableau de la Section E de l’Ordre des
Ordre national des pharmaciens 1 Pharmaciens sous le numéro …, en qualité de Pharmacien titulaire d’une officine sise … — … qui a comparu. Mme A, plaignante, inscrite au Tableau de la Section E de l’Ordre des
Pharmaciens sous le numéro … en qualité de Pharmacien titulaire d’une officine sise … — … — … qui n’a pas comparu. M. H, plaignant, inscrit au Tableau de la Section E de l’Ordre des Pharmaciens sous le numéro … en qualité de Pharmacien responsable intérimaire d’un établissement sis, à l’époque des faits, … — … qui n’a pas comparu. Mme B, poursuivie, inscrite au Tableau de la Section E de l’Ordre des
Pharmaciens sous le numéro … en qualité de Pharmacien titulaire d’une officine sise … — … qui a comparu, assistée par Maître BLAESI.
Après avoir entendu :
- M. R qui a donné lecture de son rapport,
- Mme G,
- Me BLAESI,
- Mme B ;

**********
Le 19 décembre 2011, Mmes G, I, C, A et M. H ont déposé plainte à l’encontre de Madame B, titulaire d’une officine sise … — …. La plainte expose que Mme B aurait surfacturé des médicaments et des dispositifs médicaux et doublement facturé des prestations pour les patients en HAD. Il lui est également reproché la vente de produits périmés en officine et d’avoir contrevenu aux dispositions des articles R. 4235-3 et R. 4235-9 du code de la santé publique. M. R, désigné pour instruire cette plainte, a déposé son rapport le 30 juin 2012 et son complément le 25 août 2012.
Vu le mémoire enregistré le 5 septembre 2012 présenté par M. H ; il conclut à l’infliction d’une sanction sévère à l’encontre de Mme B, à hauteur des faits
Ordre national des pharmaciens 2 très graves qu’elle a commis, et qui ont été médiatisés à … ; ses agissements ont gravement porté atteinte à l’honneur et à la probité ; elle a été condamnée par le tribunal correctionnel de Saint-Pierre à une peine d’emprisonnement de deux ans avec sursis et à rembourser la somme de 1. 400. 000 euros à la CGSS de …; Mme B a méconnu les dispositions des articles R. 4235-3 et R. 4235-9 du code de la santé publique.
Vu les mémoires présentés par Mme B, enregistrés le 1er février 2012, 5 juin 2012, 3, 18 et 30 juillet 2012, et 6 septembre 2012 dans les services de l’Ordre ; elle n’a pas d’observations à formuler sur les principaux griefs retenus contre elle par la CGSS de …;
elle conteste en revanche la vente de produits périmés, car les produits en cause présentaient une double annotation à propos de la date de péremption ; à propos de cyclamed, il s’est agi d’une pratique exceptionnelle, sur des produits non utilisés et non périmés ; les quantités d’hormone de croissance ont toujours été délivrées au plus juste ;
les cartes « Vitale » des patients sont restituées après chaque délivrance de médicaments et ne sont pas gardées dans l’officine ; le logiciel impose de recompter les boites pour valider la facturation ; il n’y a jamais eu d’anticipation de renouvellement de prescription ni de vols dans les bacs des grossistes ; elle n’a jamais utilisé les produits « cyclamed» pour compléter des ordonnances ; la présence de quelques cartes « Vitale » a certes été relevée dans son officine mais trouve ponctuellement sa justification, avec l’accord des patients.
**********
A la barre Mmes C et G reprennent les termes de leurs plaintes et l’argumentation présentée dans leurs mémoires enregistrés dans les services de l’Ordre le 15 mai 2012, 6 juin 2012 et 13 juin 2012. Elles soutiennent que Mme B avait mis en place un système de fraude de grande ampleur, en changeant systématiquement tous les tarifs de remboursement des « LPP » – liste de produits et prestations – et affirment le caractère systématique de ces pratiques. Il s’agissait d’une véritable organisation interne en vue d’établir des facturations frauduleuses à grande échelle. Ces faits sont constitutifs d’une grave escroquerie. La pharmacienne poursuivie a revendu des médicaments non utilisés et rapportés par les patients, sans garantie de sécurité. Ces pratiques ont eu des effets négatifs sur les comptes des organismes de l’assurance maladie.
Mme B et Me BLAESI ne remettent pas en cause les griefs exposés par la CGSSR et qui ont conduit à sa condamnation pénale. En revanche Mme B conteste avoir vendu des produits périmés et admet la revente de produits inutilisés et rapportés à titre exceptionnel.
Ses agissements trouvent leur origine dans sa situation personnelle difficile, à la suite de son divorce. Elle a reconnu les faits qui lui sont reprochés dès sa garde à vue. L’effacement des dates de péremption sur les crèmes solaires Eucerin qui lui est reproché s’explique par une erreur de packaging. Les cartes « Vitale » retrouvées dans l’officine ne sont pas la preuve d’un trafic, mais résultent des oublis ou des dépôts des patients. Les falsifications d’ordonnances ne sont pas de son fait et ne sauraient lui être reprochées. Mme B et Me
BLAESI font appel au pragmatisme de la chambre de discipline : elle doit exercer sa profession pour rembourser la somme qu’elle a été condamnée à rembourser à la
CGSSR. Le procureur n’a pas requis l’interdiction d’exercice de sa profession.

Ordre national des pharmaciens 3 **********
Considérant qu’aux termes de l’article R. 4235-3 du code de la santé publique :
« Le pharmacien doit veiller à préserver la liberté de son jugement professionnel dans l’exercice de ses fonctions. Il ne peut aliéner son indépendance sous quelque forme que ce soit. Il doit avoir en toutes circonstances un comportement conforme à. ce qu’exigent la probité et la dignité de la profession. Il doit s’abstenir de tout fait ou manifestation de nature à déconsidérer la profession, même en dehors de l’exercice de celle-ci. (…) » et qu’aux termes de l’article R. 4235-9 du même code : « Dans l’intérêt du public, le pharmacien doit veiller à ne pas compromettre le bon fonctionnement des institutions et régimes de protection sociale. Il se conforme, dans l’exercice de son activité professionnelle, aux règles qui régissent ces institutions et régimes. » ;

Considérant que par jugement correctionnel en date du 5 avril 2012 devenu définitif, Mme B… a été reconnue coupable d’avoir …, d’octobre 2007 à octobre 2010, trompé ou déterminé la Caisse générale de sécurité sociale de … à lui rembourser des factures de prestations effectués au profit des assurés sociaux pour des montants supérieurs aux sommes réellement dues, en modifiant le code informatique correspondant à la « liste des produits et prestations remboursables » ( « LPP »), en appliquant frauduleusement des codes LPP ouvrant droit à remboursement sur des dispositifs médicaux non codifiés et non remboursables, en surfacturant du petit appareillage médical et des préparations médicales remboursées ( « PMR ») et en facturant au titre des PMR des spécialités non remboursables, d’avoir obtenu double remboursement de prestations délivrées dans le cadre d’hospitalisations à domicile, enfin d’avoir distribué et mis à disposition du public des médicaments à usage humain collectés auprès du public et inutilisés, en incluant dans son stock et en remettant en vente des médicaments inutilisés collectés dans le cadre du protocole «Cyclamed» et de la « collecte des médicaments non utilisés » ; que, par le même jugement, Mme B a été condamnée, pour ces faits d’escroquerie, à deux ans d’emprisonnement, assorti d’un sursis total à l’exécution de cette peine et d’une mise à l’épreuve de trois ans ainsi qu’à la réparation du préjudice causé à la caisse d’assurance maladie de …;

Ordre national des pharmaciens 4 Considérant que ces agissements, dont la réalité matérielle est établie par ce jugement pénal devenu définitif, sont contraires à la dignité et à la probité de la profession et sont de nature à la déconsidérer ; qu’au surplus, en raison de l’ampleur des escroqueries mises en œuvre au détriment de la caisse de sécurité sociale de …, ils sont de nature à compromettre le bon fonctionnement des institutions et régimes de protection sociale ;
Considérant que la Chambre de discipline relève l’extrême gravité de ces faits;

Après en avoir délibéré
La chambre de discipline du Conseil central de la Section E de l’Ordre des
Pharmaciens, statuant en audience publique,
Vu les articles L 4234-1, L. 4234-4 à L. 4234-6 et R 4234-1 et suivants du code de la santé publique,
Vu le code de justice administrative ;

DECIDE :
Article ler : de prononcer à l’encontre de Madame B une sanction d’interdiction définitive d’exercer la pharmacie.
Article 2 : cette sanction prend effet à compter du ter décembre 2012
Article 3 : la présente décision sera notifiée à Mmes G, I, C, A, M. H Mme B, le président du Conseil central de la Section E, la Ministre de la Santé, la présidente du
Conseil national de l’Ordre des Pharmaciens.

Décision rendue publique par lecture de son dispositif le 12 septembre 2012 et par affichage dans les locaux de l’Ordre des pharmaciens le 8 octobre 2012.

Ordre national des pharmaciens 5 Signé
Michel BRUMEAUX
Président assesseur à la Cour Administrative d’Appel de Versailles
Président de la Chambre de discipline du Conseil central de la section E de l’Ordre des Pharmaciens
La présente décision peut faire l’objet d’appel dans un délai d’un mois qui suit sa notification (article R.4234-15 du Code de la santé publique).

Ordre national des pharmaciens 6

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