Tribunal administratif de Mayotte, 22 décembre 2016, n° 1500009

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Mayotte, 22 déc. 2016, n° 1500009
Juridiction : Tribunal administratif de Mayotte
Numéro : 1500009

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE MAYOTTE

N° 1500009

M. L. et autres

M. Aebischer Président-rapporteur

M. Séval Rapporteur public

Audience du 7 décembre 2016 Lecture du 22 décembre 2016 C

at

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le tribunal administratif de Mayotte,

(2 ème chambre)

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 8 janvier 2015, M. L., Mme L. et M. T., représentés par Me Kamardine, avocat, demandent au tribunal :

1°) de déclarer l’Etat responsable du décès de leur mère, Mme A., survenu le 29 mars 2011 dans les locaux de la gendarmerie à Pamandzi ;

2°) de condamner l’Etat à leur verser, en tant qu’héritiers de Mme A., la somme de 90 000 euros en conséquence des souffrances physiques et du préjudice moral subis par celle-ci avant son décès ;

3°) de condamner l’Etat à verser à chacun des requérants la somme de 50 000 euros en réparation du préjudice moral qu’ils ont subi du fait du décès de leur mère ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 3 500 euros sur le fondement de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

[…]

Par jugement avant dire droit du 23 juin 2016, le tribunal a ordonné un supplément d’instruction afin que soient produits par l’administration l’arrêté préfectoral n° 2008-14 du 25 mars 2008 portant instruction SECMAR à Mayotte, la note du 12 janvier 2010 relative à la « procédure particulière de secours aux naufragés de kwassas » et tous autres documents susceptibles d’éclairer le tribunal sur la manière dont étaient organisées en 2011 les opérations de sauvetage en mer et la prise en charge des rescapés de naufrage.

Par un mémoire enregistré le 30 septembre 2016, le préfet de Mayotte a produit l’arrêté du 25 mars 2008, la note du 12 janvier 2010 et des rapports du CROSS des 29 et 30 mars 2011 concernant l’opération de secours litigieuse.

Un mémoire du préfet de Mayotte a été enregistré le 6 décembre 2016 après clôture de l’instruction.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

— le code de la santé publique ;

— le code des transports ;

— le code général des collectivités territoriales ;

— le code pénal ;

— le code de procédure pénale ;

— le code de l’organisation judiciaire ;

— l’ordonnance n° 2000-373 du 26 avril 2000 ;

— le code de justice administrative ;

[…]

1. Considérant que l’embarcation de fortune dite « kwassa » sur laquelle se trouvaient 35 à 40 personnes, dont Mme A., ressortissante comorienne née en 1959, a fait naufrage le 26 mars 2011 au large des côtes mahoraises ; que Mme A. a pu, avec 22 autres survivants, reprendre place sur le kwassa après qu’il eut été retourné et vidé ; que, malgré l’absence de moteur, les rescapés ont pu, le 29 mars 2011 en fin de nuit, atteindre le lagon de Mayotte où ils ont été aperçus par des pêcheurs ; que, la gendarmerie et le poste de commandement de l’action de l’Etat en mer (PC-AEM) ayant été alertés, ils ont été pris en charge par la brigade nautique de gendarmerie ; qu’à leur arrivée au quai de Dzaoudzi à 9 heures 30, les rescapés, dont l’état d’épuisement était visible, n’ont fait l’objet d’aucune prise en charge médicale immédiate, deux d’entre eux étant toutefois transportés vers l’hôpital par les sapeurs-pompiers ; que les 21 autres rescapés, dont Mme A., ont été conduits vers les locaux de l’unité CETIM de la gendarmerie à Pamandzi ; qu’arrivée en ce lieu à 9 heures 45, Mme A. y est décédée vers 12 heures 30, alors qu’elle venait d’être transférée dans une cellule exiguë et surpeuplée ; que le rapport d’autopsie a conclu à une « mort naturelle en rapport avec la survenue de troubles hydro-électrolytiques et métaboliques majeurs, en particulier une déshydratation marquée avec probable déséquilibre de la glycémie, sur terrain fragilisé, dans des conditions de pénibilités particulières » ;

2. Considérant que, par un arrêt du 4 février 2014, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Saint-Denis a confirmé l’ordonnance de non-lieu rendue le 7 octobre 2013 par le vice-président chargé de l’instruction du tribunal de grande instance de Mamoudzou, en jugeant qu’individuellement, aucun des professionnels, sapeurs-pompiers ou gendarmes, ayant participé à l’interception, au transport et à la surveillance de Mme A., n’avait délibérément violé une obligation de sécurité ou de prudence ni commis délibérément, en pleine conscience du danger couru par l’intéressée, une faute caractérisée de nature à engager leur responsabilité pénale ; que, cependant, selon les motifs de cet arrêt, le décès de Mme A. « résulte d’inattentions et de négligences en chaînes, rendues possibles par des lacunes dans la mise en œuvre du dispositif de contrôle sanitaire des passagers de kwassas » et « il y a eu des erreurs d’appréciation, des manquements dans la transmission des informations et aussi dans l’organisation administrative de la prise en charge des rescapés de naufrage, susceptibles d’engager la responsabilité de l’Etat » ;

3. Considérant que, par leur requête déposée le 9 janvier 2015, qui se réfère à l’arrêt de la cour d’appel du 4 février 2014, M. L., Mme L. et M. T., enfants majeurs de Mme A., recherchent devant le tribunal administratif la responsabilité de l’Etat en soutenant que la dégradation de l’état de santé de leur mère durant sa prise en charge, puis son décès, sont imputables à des agissements fautifs des services de l’Etat ;

4. Considérant que, par jugement avant dire droit du 23 juin 2016, il a été ordonné un supplément d’instruction afin que soient produits par l’administration l’arrêté préfectoral n° 2008-14 du 25 mars 2008 portant instruction SECMAR à Mayotte, la note du 12 janvier 2010 relative à la « procédure particulière de secours aux naufragés de kwassas », documents non publiés auxquels il était fait référence dans l’arrêt de la cour d’appel du 4 février 2014, ainsi que tous autres documents susceptibles d’éclairer le tribunal sur la manière dont étaient organisées en 2011 les opérations de sauvetage en mer et la prise en charge des rescapés de naufrage ;

5. Considérant qu’il résulte de l’instruction, telle que celle-ci a été complétée par les documents versés au dossier à la suite du jugement du 23 juin 2016, que l’évènement dont les agents de l’Etat en charge de la surveillance maritime et du sauvetage en mer furent alertés le 29 mars 2011 à 6 heures du matin avant d’en être les témoins directs le 29 mars 2011 à partir de 7 heures 40, était au nombre de ceux qui auraient dû provoquer la mise en œuvre d’un plan SECMAR à l’initiative du CMS (coordonnateur de mission de sauvetage) de permanence ; que, cependant, les gendarmes du PC-AEM et des autres unités ayant géré l’intervention sur les lieux ont négligé d’alerter le CMS de permanence, faisant ainsi obstacle à ce qu’un choix pertinent puisse être effectué à l’égard des moyens de sauvetage devant être utilisés ; que ce défaut d’information, qui n’a pas permis de faire appel immédiatement à des services de secours spécialisés, a plus particulièrement revêtu un caractère fautif à partir du moment où l’équipage du navire de gendarmerie Kondzo, arrivé en baie d’Acoua à 7 heures 40, s’est trouvé en situation de constater, au vu d’indices forts tels que la déshydratation et les brûlures des passagers, que le kwassa avait manifestement été victime d’un chavirage en haute mer avant de dériver longuement jusqu’au lagon de Mayotte ; que cette attitude négligente et fautive s’est prolongée et aggravée au moment du débarquement sur le quai de Dzaoudzi à 9 heures 30, lorsque les rescapés du kwassa descendant du navire Kondzo qui les avaient recueillis ont aussitôt été acheminés, sauf deux personnes prises en charge par les sapeurs-pompiers, vers des locaux ordinaires de garde à vue ; qu’à cet instant, l’état d’épuisement extrême de plusieurs autres personnes, dont Mme A., avait été constaté de manière flagrante sans que cela n’ait suscité la mise en œuvre organisée d’un dispositif de prise en charge médicale ; qu’enfin, il n’a été pris aucune initiative en vue d’une prise en charge médicale individualisée durant la rétention de Mme A. dans les locaux de la gendarmerie à Pamandzi, alors que son état très dégradé demeurait perceptible et aurait dû être analysé comme manifestement incompatible avec un enfermement dans une cellule exiguë et surpeuplée ; que, dans ces conditions, M. L., Mme L. et M. T. sont fondés à soutenir que les services ayant procédé à l’interpellation et à la « prise en charge » de leur mère le 29 mars 2011 ont commis des fautes de nature à engager la responsabilité de l’Etat ;

6. Considérant que s’il est établi que le défaut de prise en charge médicale lors de la matinée du 29 mars 2011 et, plus généralement, l’ensemble des agissements fautifs susmentionnés, ont largement contribué à la dégradation finale de l’état de santé de Mme A., le décès de cette personne, qui était déjà très affaiblie après les évènements vécus par elle depuis le 26 mars 2011 et qui, au surplus, s’était sciemment exposée à un risque important en faisant le choix de voyager entre Anjouan et Mayotte sur une embarcation de fortune, ne peut être regardé comme ayant pour seule cause la faute des services de l’Etat ; qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’affaire en fixant à 50 % la part de responsabilité incombant à l’Etat ;

7. Considérant que, compte tenu du partage de responsabilité mentionné ci-dessus et de l’évaluation susceptible d’être faite à l’égard du préjudice moral subi par M. L., Mme L. et M. T., du fait du décès de leur mère ainsi que, dans un moindre mesure, à l’égard du préjudice moral et des souffrances physiques endurés par Mme A. durant les dernières heures de son existence, il y a lieu de reconnaître à chacun des requérants un droit à indemnité à hauteur de 10 000 euros ;

8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que M. L., Mme L. et M. T. sont fondés à demander la condamnation de l’Etat à verser à chacun une somme de 10 000 euros et que le surplus de leurs conclusions indemnitaires doit être rejeté ;

9. Considérant qu’il y a lieu de faire application des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de condamner l’Etat à verser aux requérants une somme globale de 1 500 euros au titre des frais qu’ils ont exposés ;

D E C I D E :

Article 1 er : L’Etat est condamné à verser à M. L. une indemnité de 10 000 euros.

Article 2 : L’Etat est condamné à verser à Mme L. une indemnité de 10 000 euros.

Article 3 : L’Etat est condamné à verser à M. T., une indemnité de 10 000 euros.

Article 4 : L’Etat versera à M. L., Mme L. et M. T. une somme globale de 1 500 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

[…]

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Textes cités dans la décision

  1. Code de justice administrative
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