Tribunal administratif de Melun, 4ème chambre, ju, 30 décembre 2022, n° 2002561

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Melun, 4e ch., ju, 30 déc. 2022, n° 2002561
Juridiction : Tribunal administratif de Melun
Numéro : 2002561
Type de recours : Plein contentieux
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 19 mars 2020, la SCI SPAN, représentée par la SCP Lussan, demande au tribunal :

1°) de condamner l’État à lui verser une somme de 2 171 314,43 euros, en réparation des préjudices résultant du refus du préfet de Seine-et-Marne de lui apporter le concours de la force publique pour l’exécution d’une décision de justice, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2019 ;

2°) de mettre à la charge de l’État la somme de 5 000 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur le principe de responsabilité :

— par une ordonnance du 17 octobre 2014 le juge des référés du tribunal de grande instance de Melun a ordonné l’expulsion de Mme D, occupante des biens appartenant à la SCI SPAN situés 9-11 route de Paris à Pontault-Combault, confirmé par la cour d’appel de Paris dans une décision du 1er octobre 2015 ;

— le concours de la force publique a été régulièrement sollicité le 25 novembre 2014, toutefois après avoir indiqué, par un courrier du 9 juin 2015, surseoir à statuer sur la demande, le sous-préfet de Torcy a sollicité des pièces complémentaires auprès de la SCI SPAN par un courrier du 21 janvier 2016 ;

— le concours de la force publique a été accordé par une décision en date du 22 avril 2016, l’expulsion a eu lieu le 17 juin 2016 ;

— l’exercice d’un appel contre l’ordonnance du 17 octobre 2014, laquelle est revêtue de la force exécutoire, ne saurait justifier le refus d’octroi du concours de la force publique, la responsabilité de l’État est engagée à compter du 25 janvier 2015 et jusqu’au 17 juin 2016 ;

Sur les préjudices :

— la SCI SPAN a subi une perte de loyers qui s’élève à 358 937,96 euros ;

— la SCI SPAN s’est vue exposée à un placement en liquidation judiciaire en raison de la perte des revenus liés à la location ou la vente des biens immobiliers occupés, la SCI SPAN a été par la suite contrainte de vendre ses biens à une valeur substantiellement inférieure (1 600 000 euro) à leur valeur réelle (2 748 000 euros) entrainant une perte de 1 148 000 euros ;

— le retard dans l’octroi du concours de la force publique a empêché la SCI SPAN d’exploiter son bien, ce qui a entrainé une perte de jouissance qui doit être indemnisée à hauteur de 600 000 euros dès lors qu’elle aurait pu réaliser un bénéfice mensuel de 10 000 euros ;

— la SCI SPAN a subi un préjudice financier au regard des frais de procédures qu’elle a été contrainte d’engager qui s’évaluent à 50 000 euros.

Par un mémoire en défense enregistré le 23 juin 2022, le préfet de Seine-et-Marne doit être regardé comme concluant au rejet de la requête.

Il soutient que la société requérante a omis de mentionner les arrêts de la Cour de cassation du 30 mars 2017 et de la cour d’appel de Paris du 20 septembre 2018, lesquels ont infirmé l’ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Melun du 17 octobre 2014, dès lors aucun titre ne fondait l’expulsion de l’occupante, la demande d’indemnisation est donc dépourvue de base légale.

Par ordonnance du 4 octobre 2022, la clôture d’instruction a été fixée au 3 novembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de procédure civile ;

— le code des procédures civiles d’exécution ;

— la loi n° 91-650 du 9 juillet 1991 portant réforme des procédures civiles d’exécution ;

— le décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 instituant de nouvelles règles relatives aux procédures civiles d’exécution ;

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme B en application de l’article R. 222-13 du code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Le rapport de Mme B a été entendu au cours de l’audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La SCI SPAN a conclu deux baux avec Mme A C épouse D en 2005 et 2007 portant, d’une part, sur un bâtiment à usage d’hôtel-restaurant et, d’autre part, sur un bâtiment à usage commercial comprenant une salle de réception, un restaurant et un appartement, tous situés 9 route de Paris à Pontault-Combault. Par une ordonnance du 17 octobre 2014, le juge des référés du tribunal de grande instance Melun a constaté l’acquisition de la clause résolutoire de ces baux, a ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l’expulsion de Mme A C épouse D et a fixé le montant de l’indemnité d’occupation des lieux à un montant égal au loyer. Un commandement de quitter les lieux a été émis le 10 novembre. Le concours de la force publique a été sollicité le 25 novembre 2014. Par un courrier du 5 février 2015, le sous-préfet de Torcy a indiqué à la SCI SPAN sa décision de surseoir à statuer sur la demande de concours de la force publique en raison de l’exercice d’un recours contre l’ordonnance dont l’exécution est sollicitée. Le concours de la force publique en vue de l’exécution a effectivement été octroyé le 17 juin 2016, date de libération des lieux. A la suite de des différentes saisines de la cour d’appel de Paris et de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris par un arrêt du 20 septembre 2018 a infirmé l’ordonnance du 17 octobre 2014 et rejeté les demandes de la SCI SPAN tendant au constat de l’acquisition des clauses résolutoires des baux et l’expulsion de Mme D. La SCI SPAN a adressé au préfet de Seine-et-Marne une demande d’indemnisation du préjudice qu’elle estime avoir subi en raison du retard dans l’octroi du concours de la force publique en vue de l’expulsion de l’occupante de ses biens, qui a été réceptionnée le 24 décembre 2019. Par le présent recours, la SCI SPAN demande la condamnation de l’État à lui verser la somme de 2 171 314,43 euros augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2019.

Sur la responsabilité de l’État :

2. D’une part, aux termes de l’article L. 153-1 du code des procédures civiles d’exécution : « L’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation ». D’autre part, aux termes de l’article 514 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au litige : " L’exécution provisoire ne peut pas être poursuivie sans avoir été ordonnée si ce n’est pour les décisions qui en bénéficient de plein droit. / Sont notamment exécutoires de droit à titre provisoire les ordonnances de référé, [] « . Aux termes de l’article 524 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : » Lorsque l’exécution provisoire a été ordonnée, elle ne peut être arrêtée, en cas d’appel, que par le premier président et dans les cas suivants : / 1° Si elle est interdite par la loi ; / 2° Si elle risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ; dans ce dernier cas, le premier président peut aussi prendre les mesures prévues aux articles 517 à 522. / Le même pouvoir appartient, en cas d’opposition, au juge qui a rendu la décision. / Lorsque l’exécution provisoire est de droit, le premier président peut prendre les mesures prévues au deuxième alinéa de l’article 521 et à l’article 522. / Le premier président peut arrêter l’exécution provisoire de droit en cas de violation manifeste du principe du contradictoire ou de l’article 12 et lorsque l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives ".

3. D’une part, il résulte de l’instruction que, par une ordonnance du 17 octobre 2014, exécutoire à titre provisoire, le juge des référés du tribunal de grande instance Melun a ordonné, à défaut de libération volontaire des lieux, l’expulsion de Mme A C épouse D des biens situés 9 route de Paris à Pontault-Combault. Par ailleurs, si cette ordonnance a fait l’objet de recours, il ne résulte pas de l’instruction que l’exécution provisoire ait été remise en cause. D’autre part, il n’est pas contesté que le concours de la force publique a été régulièrement demandé le 25 novembre 2014 pour assurer l’exécution de cette ordonnance du juge des référés du tribunal de grande instance de Melun en date du 17 octobre 2014 et n’a été octroyé que le 17 juin 2016, date de libération des lieux. Par suite, compte tenu du délai normal de deux mois dont dispose l’administration pour exercer son action, la période d’indemnisation dont l’État est responsable s’établit du 25 janvier 2015 au 17 juin 2016.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne les pertes de loyers et charges :

4. Le montant dont l’État est redevable au titre de l’indemnité pour perte de loyers équivaut à la dette locative qui, pendant la période de responsabilité, a été contractée par l’occupant vis-à-vis du bailleur. Pour calculer cette dette, il convient de prendre en considération le cas échéant, les versements effectués par le locataire durant la période en cause, lesquels s’imputent toutefois en priorité sur le solde de sa dette à la date du début de la période de responsabilité.

5. Eu égard à l’ordonnance du tribunal de grande instance de Melun, et au montant des loyers fixés dans les baux, il y a lieu en l’espèce de condamner l’État à verser à la société requérante une somme de 163 516 euros correspondant aux diverses indemnités d’occupation et de charges réellement dues pour la période de responsabilité mentionnée au point 3.

En ce qui concerne les difficultés de vente des biens immobiliers :

6. La société requérante soutient que le retard dans l’octroi du concours de la force publique lui a causé un préjudice en raison de l’impossibilité de vendre ses biens en raison de leur occupation et l’a contrainte par la suite à vendre en urgence ses biens à un prix inférieur à leurs valeurs réelles.

7. D’une part, l’indemnisation du préjudice susceptible d’être né, pour le propriétaire, de l’impossibilité de vendre son local au cours d’une certaine période, lequel peut notamment résulter de la diminution de sa valeur vénale au cours de cette période, ou de l’impossibilité de tirer des revenus, pendant cette période, du placement de la somme attendue en paiement de la vente, ne saurait se cumuler à l’indemnisation d’un préjudice locatif pour cette même période.

8. D’autre part, si la société requérante soutient qu’elle a été contrainte de vendre ses biens à un prix d’un million six cent mille euros, inférieur à leur valeur réelle lui causant une perte financière d’un montant 1 148 000 euros, il ne résulte toutefois pas de l’instruction que le prix de vente en 2017 des biens à un prix inférieur à celui établi par un rapport d’expertise de 2015 soit en lien direct et certain avec le retard dans l’octroi du concours de la force publique, dès lors notamment que ce rapport d’expertise établit une estimation du prix de vente de l’hôtel avec son occupante à 2 145 000 euros. Par suite, la société requérante n’est pas fondée à demander l’indemnisation des préjudices résultant des difficultés de vente de ses biens immobiliers.

En ce qui concerne le préjudice de jouissance :

9. La société requérante soutient qu’elle avait entamé des démarches pour reprendre l’exploitation de l’hôtel-restaurant et qu’elle aurait ainsi pu réaliser des bénéfices mensuels à hauteur de 10 000 euros.

10. La société requérante étant indemnisée, ainsi qu’il a été dit au point 5, des pertes de loyers et charges, elle n’est pas fondée à solliciter l’indemnisation d’un préjudice de jouissance résultant d’une perte de chance de réaliser des bénéfices liés à l’exploitation de l’hôtel-restaurant pour la même période.

En ce qui concerne les frais engagés :

11. La société requérante sollicite, au titre du chef de préjudice pour frais de procédure, la condamnation de l’État au paiement d’une indemnité de 50 000 euros.

12. Les frais de procédure engagées ne peuvent être indemnisés que s’ils ont été exposés pendant la période de responsabilité de l’État. En l’espèce il y a lieu, au titre de ce chef de préjudice, de condamner l’État au paiement d’une somme de 1 552 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède qu’il y a lieu de condamner l’État à verser à la SCI SPAN une somme de 165 068 euros au titre des dommages subis du fait du retard de l’État dans l’octroi du concours de la force publique.

14. La SCI SPAN a droit au taux légal correspondant à l’indemnité de 165 068 euros à compter du 24 décembre 2019, date de réception par l’administration de sa première demande préalable d’indemnisation.

Sur la subrogation :

15. Le paiement de l’indemnité accordée par le présent jugement au titre des loyers et charges est subordonné à la subrogation de l’État dans les droits du propriétaire à l’encontre de Mme A C épouse D, occupante sans titre pendant la période de responsabilité de l’État.

Sur les frais liés à l’instance :

16. Dans les circonstances de l’espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l’État la somme de 1 200 euros à verser à la SCI SPAN au titre de l’article L. 761-l du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : L’État est condamné à verser à la SCI SPAN la somme de 165 068 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 24 décembre 2019.

Article 2 : Le paiement de l’indemnité accordée au titre des loyers et charges est subordonné à la subrogation de l’État dans les droits du propriétaire à l’encontre de Mme A C épouse D, occupante sans titre pendant la période de responsabilité de l’État.

Article 3 : L’État versera à la SCI SPAN la somme de 1 200 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent jugement sera notifié à la SCI SPAN et au préfet de Seine-et-Marne.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

La magistrate désignée,

N. MULLIELa greffière,

V. GUILLEMARD

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

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