Tribunal administratif de Montpellier, 4ème chambre, 29 décembre 2023, n° 2306014

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Montpellier, 4e ch., 29 déc. 2023, n° 2306014
Juridiction : Tribunal administratif de Montpellier
Numéro : 2306014
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction partielle
Date de dernière mise à jour : 30 décembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu les procédures suivantes :

I. Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 octobre et le 17 novembre 2023 sous le n° 2306014, Mme A D épouse C, représentée par Me Bazin, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du préfet de l’Hérault du 7 juin 2023 portant refus de séjour, et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d’origine ;

2°) d’enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ;

3°) à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Elle soutient que :

Sur la décision de refus de séjour :

— elle est insuffisamment motivée puisqu’il n’est pas mentionné si son état de santé peut avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité ;

— le préfet a méconnu l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile car il ne précise pas si son état de santé est susceptible d’avoir des conséquences graves alors que les soins appropriés ne sont pas disponibles en Géorgie ;

— elle méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision d’éloignement :

— elle a été signée par une autorité incompétente faute de délégation régulière de signature ;

— elle méconnaît l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile au vu de son état de santé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2023, le préfet de l’Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par Mme C ne sont pas fondés.

II. Par une requête et trois mémoires enregistrés le 18 octobre, le 17 novembre, le

8 décembre et le 12 décembre 2023 sous le n° 2306015, M. E C, représenté par

Me Bazin, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du préfet de l’Hérault du 7 juin 2023 portant refus de séjour, et obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de son pays d’origine ;

2°) d’enjoindre au préfet de lui délivrer un titre de séjour ;

3°) à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 1 800 euros à verser à son conseil au titre des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

Il soutient que :

Sur la décision de refus de séjour :

— elle est insuffisamment motivée puisqu’il n’est pas mentionné si son état de santé peut avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité ;

— elle est entachée d’un vice de procédure car le défaut de communication de son dossier médical le prive d’une garantie ;

— le préfet a méconnu l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile car il ne précise pas si son état de santé est susceptible d’avoir des conséquences graves alors que les soins appropriés à son état de santé ne sont pas disponibles en Géorgie ;

— elle méconnaît les articles L. 423-23 et L. 435-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ainsi que l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Sur la décision d’éloignement :

— elle a été signée par une autorité incompétente faute de délégation régulière de signature ;

— elle méconnaît l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile au vu de son état de santé ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 novembre 2023, le préfet de l’Hérault conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. C ne sont pas fondés.

M. et Mme C ont été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par décisions du 18 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer ses conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Lesimple, première conseillère,

— et les observations de Me Bazin, représentant M. et Mme C.

Une note en délibéré, présentée par M. C, représenté par Me Bazin, a été enregistrée le 19 décembre 2023.

Considérant ce qui suit :

1. M. et Mme C, ressortissants géorgiens nés en 1980 et 1987, déclarent être entrés en France le 28 novembre 2022. Par arrêtés du 7 juin 2023, le préfet de l’Hérault a refusé de leur délivrer un titre de séjour en leur qualité d’étrangers malades et prononcé à leur encontre une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours à destination de leur pays d’origine. Par une requête enregistrée sous le n° 2306014 Mme C demande l’annulation de l’arrêté pris à son encontre et par une requête enregistrée sous le n° 2306015 M. C demande l’annulation de l’arrêté le concernant.

Sur la jonction des requêtes :

2. Les requêtes susvisées concernent la situation de membres d’une même famille et présentent à juger des questions semblables. Elles ont fait l’objet d’une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour qu’il y soit statué par un seul jugement.

Sur les conclusions présentées par M. C :

3. Aux termes de l’article L. 425-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « L’étranger, résidant habituellement en France, dont l’état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention » vie privée et familiale « d’une durée d’un an. La condition prévue à l’article L. 412-1 n’est pas opposable. La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l’autorité administrative après avis d’un collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat () ». Aux termes de l’article L. 611-3 du même code : « Ne peuvent faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français : () 9° L’étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d’une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d’un traitement approprié ».

4. Par ailleurs, la partie qui justifie d’un avis du collège de médecins du service médical de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII) venant au soutien de ses dires doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence ou l’absence d’un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d’un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l’autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d’apprécier l’état de santé de l’étranger et, le cas échéant, l’existence ou l’absence d’un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si l’état de santé d’un étranger justifie la délivrance d’un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

5. Par un avis du 24 mai 2023, le collège de médecins de l’OFII a estimé que si l’état de santé de M. C nécessitait des soins dont l’absence peut entrainer des conséquences d’une exceptionnelle gravité, il a également considéré que ce dernier pouvait recevoir un traitement approprié dans son pays d’origine.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. C est atteint d’une insuffisance rénale chronique terminale. Il suit actuellement trois dialyses hebdomadaires et le seul traitement alternatif possible consiste en une greffe de rein. Or, une attestation du ministère des affaires sociales de Géorgie confirme que la greffe de donneurs cadavériques n’est pas pratiquée en Géorgie et un certificat médical du requérant, établi le 14 novembre 2022 constate que ce dernier n’a pas de donneur vivant potentiel de rein alors que rien ne fait obstacle à son inscription sur une liste d’attente de greffe rénale en France. Par suite, dans les conditions très particulières de l’espèce, eu égard à l’impossibilité absolue dans laquelle se trouve M. C de pouvoir bénéficier d’une transplantation rénale en Géorgie alors qu’un tel acte constitue la seule chance d’amélioration de son état de santé et de ses conditions de vie, l’arrêté du préfet de l’Hérault doit être regardé comme méconnaissant les dispositions précitées.

7. Dès lors, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête présentée par M. C, il y a lieu d’annuler la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour et celle prononçant son éloignement.

Sur les conclusions présentées par Mme C :

8. Par un arrêté n°2023.05.DRCL.0174 du 3 mai 2023 publié au recueil des actes administratifs spécial n° 62 le 4 mai 2023, le préfet de l’Hérault a accordé à M. Frédéric Poisot, secrétaire général de la préfecture, une délégation à l’effet de signer « tous actes, arrêtés, décisions () relevant des attributions de l’Etat dans le département de l’Hérault (). / A ce titre, cette délégation comprend donc, notamment, la signature de tous les actes administratifs () relatifs au séjour et à la police des étrangers () ». M. B était donc habilité à signer l’arrêté en litige, pris à l’encontre de Mme C. Dès lors, le moyen tiré de l’incompétence du signataire de la décision manque en fait et doit être écarté.

9. Ainsi que le souligne la requérante, la décision en litige est motivée par le fait qu’un traitement approprié à son état de santé est effectivement disponible dans son pays d’origine, la Géorgie. Alors que le préfet n’a pas entendu lui opposer le défaut de gravité de son état de santé, la seule circonstance qu’il n’ait pas précisé que celui-ci nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir des conséquences d’une exceptionnelle gravité n’est pas de nature à caractériser un défaut de motivation ni une erreur de droit.

10. Par ailleurs, la requérante n’apporte aucun élément tendant à laisser présumer qu’un traitement approprié à son état de santé ne serait pas disponible dans son pays d’origine. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point 3 du présent jugement doit être écarté.

11. Aux termes de l’article L. 423-23 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " L’étranger qui n’entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1,

L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » d’une durée d’un an, sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1. Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d’origine. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République « . L’article L. 435-1 du même code prévoit que : » L’étranger dont l’admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu’il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention « salarié », « travailleur temporaire » ou « vie privée et familiale », sans que soit opposable la condition prévue à l’article L. 412-1 ".

12. La requérante déclare être entrée en France le 28 novembre 2022 et ne fait état d’aucune attache familiale ni d’intégration sociale ou professionnelle alors qu’elle a vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d’origine où résident ses deux enfants mineurs. Dans ces conditions, et alors au demeurant que sa demande de titre de séjour ne se fondait pas sur les dispositions précitées, c’est sans les méconnaître que le préfet a pu refuser de lui délivrer un titre de séjour.

13. En revanche, aux termes de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui ».

14. Il n’est pas contesté que la présence de Mme C constitue un soutien de son mari, étranger malade, dont le traitement actuel impacte ses conditions de vie quotidienne. Dans les circonstances très particulières de l’espèce, l’intérêt familial de la requérante est de pouvoir rester auprès de M. C. Dès lors que l’état de santé de ce dernier justifie la délivrance d’un titre de séjour, en édictant une obligation de quitter le territoire français à l’encontre de Mme C le préfet a méconnu les stipulations précitées. En conséquence, il y a lieu d’annuler la décision par laquelle le préfet de l’Hérault a fait obligation à Mme C de quitter le territoire français.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

15. Le présent jugement implique, eu égard à ses motifs, qu’il soit enjoint au préfet de l’Hérault de délivrer à M. C un titre de séjour en sa qualité d’étranger malade dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

16. En application de l’article L. 614-16 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, l’annulation de la décision d’éloignement prise à l’encontre de Mme C implique que lui soit délivrée une autorisation provisoire de séjour jusqu’à ce que l’autorité ait à nouveau statué sur son cas. Il est enjoint au préfet de l’Hérault de prendre, après cet examen, une nouvelle décision dans un délai de deux mois à compter du jugement à intervenir. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, d’assortir cette injonction d’une astreinte.

Sur les frais du litige :

17. Il n’y a pas lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’Etat, partie perdante dans la présente instance, les sommes demandées par les époux C au titre des frais exposés par eux en défense et non compris dans les dépens sur le fondement des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique.

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du préfet de l’Hérault du 7 juin 2023 portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français à l’encontre de M. C est annulé.

Article 2 : La décision du préfet de l’Hérault du 7 juin 2023 obligeant Mme C à quitter le territoire français est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l’Hérault de délivrer un titre de séjour à M. C en sa qualité d’étranger malade dans un délai d’un mois à compter de la notification de la présente décision.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de l’Hérault de délivrer une autorisation provisoire de séjour à Mme C et de prendre une nouvelle décision, après réexamen, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 5 : Le surplus des conclusions des requêtes est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. E C, à Mme A D épouse C, au préfet de l’Hérault et à Me Bazin.

Délibéré après l’audience du 14 décembre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Eric Souteyrand, président,

Mme Adrienne Bayada, première conseillère,

Mme Audrey Lesimple, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 décembre 2023.

La rapporteure,

A. Lesimple Le président,

E. Souteyrand

La greffière,

M-A. Barthélémy

La République mande et ordonne au préfet de l’Hérault en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Montpellier, le 29 décembre 2023.

La greffière,

M-A. Barthélémy

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