Tribunal administratif de Montreuil, 11ème chambre, 20 décembre 2023, n° 2205301

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Montreuil, 11e ch., 20 déc. 2023, n° 2205301
Juridiction : Tribunal administratif de Montreuil
Numéro : 2205301
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 23 décembre 2023

Sur les parties

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête n° 2205301 et un mémoire, enregistrés respectivement les 5 avril 2022 et 28 juillet 2022, M. B A, représenté par Me Traore, demande au tribunal, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d’annuler l’arrêté du 16 mars 2022 par laquelle le préfet de la Seine-Saint-Denis lui a retiré sa carte de résident ;

2°) d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis, à titre principal, de maintenir sa carte de résident, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation ; à titre plus subsidiaire, de lui délivrer un titre de séjour pluriannuel au titre de sa vie privée et familiale ;

3°) de mettre à la charge du préfet de la Seine-Saint-Denis la somme de 2 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

— elle méconnait les dispositions de l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, la fraude ne pouvant être caractérisée dès lors qu’il ignorait tout des agissements qui lui sont reprochés ;

— l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été méconnu ;

— il est éligible à une carte de résident.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mai 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’aucun des moyens soulevés par M. A n’est fondé.

Vu :

— l’ordonnance du juge des référés n° 2205766 du 11 août 2022 ;

— l’ordonnance du juge des référés n° 2205766 du 17 mai 2022 ;

— les autres pièces du dossier.

Vu :

— la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— le code du travail ;

— le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l’audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

A été entendu au cours de l’audience publique le rapport de M. Israël, premier conseiller, les parties n’étant ni présentes, ni représentées.

Considérant ce qui suit :

1. M. A, ressortissant chinois, né le 9 juillet 1959, s’est vu délivrer une carte de résident valable du 8 juin 2021 au 7 juin 2031. Par un arrêté du 16 mars 2022, le préfet de la Seine-Saint-Denis a procédé au retrait de la carte de résident de M. A, en application des dispositions de l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. M. A demande au tribunal d’annuler cet arrêté.

Sur les conclusions à fin d’annulation :

2. D’une part, aux termes de l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : « Tout employeur titulaire d’une carte de résident peut se la voir retirer s’il a occupé un travailleur étranger en violation des dispositions de l’article L. 8251-1 du code du travail ». Aux termes de l’article L. 8251-1 du code du travail : « Nul ne peut, directement ou indirectement, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France () ». La mesure de retrait de la carte de résident, telle que prévue par les dispositions précitées de l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, revêt le caractère d’une sanction dont la contestation conduit le juge à vérifier la proportionnalité à la gravité des faits reprochés.

3. D’autre part, aux termes des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ».

4. La sanction prévue à l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile a pour effet, sauf lorsqu’elle n’est pas assortie d’une obligation de quitter le territoire français et qu’elle s’accompagne de la délivrance d’un autre titre de séjour, de mettre fin au droit au séjour de l’étranger concerné.

5. Le préfet de la Seine-Saint-Denis n’ayant pas délivré de titre de séjour à M. A en l’invitant seulement à se présenter à un rendez-vous en préfecture afin d’examiner son droit au séjour, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales peut être utilement invoqué à l’appui d’un recours dirigé contre la décision en litige.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A était le gérant de la SARL ABC, située à Aubervilliers (93300) et spécialisée dans le secteur du bâtiment et des travaux publics, lorsqu’un contrôle a été effectué le 18 aout 2020 par les services de police et de l’Union de recouvrement des cotisations sociales et d’allocations familiales (URSSAF). A cette occasion, il a été constaté que l’entreprise employait deux ressortissants étrangers dépourvus d’un titre les autorisant à séjourner et à exercer une activité salariée en France. Toutefois, les faits litigieux sont intervenus lors de la crise sanitaire liée à la pandémie de la COVID-19, période de fort absentéisme des salariés. De plus, alors que M. A n’a jamais commis d’autres infractions de nature à justifier l’application de la sanction en litige, il n’est pas établi ni même allégué que l’intéressé aurait été poursuivi et condamné pénalement pour ces faits isolés. Par ailleurs, le requérant est entré en France en 1994 selon ses déclarations et y vit en situation régulière depuis le 16 juin 1998. Il est marié avec une compatriote installée sur le territoire depuis le 25 juin 1992 et titulaire d’une carte de résident depuis le 8 juin 2011. Le couple est parent de deux enfants majeurs mariés et grands-parents de cinq petits-enfants nés en France. Dans ces conditions, eu égard à la durée et aux conditions du séjour de M. A en France, du caractère isolé des deux embauches irrégulières qui lui sont reprochées, et compte tenu de son insertion sociale et professionnelle, l’application de la sanction prévue à l’article L. 432-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile présente des conséquences disproportionnées par rapport à la gravité des faits qui en fondent l’application et méconnait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales qui garantissent le droit au respect de sa vie privée et familiale.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A est fondé à demander l’annulation de l’arrêté par lequel le préfet de la Seine-Saint-Denis a décidé de lui retirer sa carte de résident.

Sur les conclusions à fin d’injonction :

8. Aux termes de l’article L. 911-1 du code de justice administrative : « Lorsque sa décision implique nécessairement qu’une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public prenne une mesure d’exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d’un délai d’exécution. / La juridiction peut également prescrire d’office cette mesure ».

9. Il résulte du motif d’annulation retenu par le présent jugement qu’il y a lieu, en application de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre au préfet de la Seine-Saint-Denis de restituer à M. A sa carte de résident dans un délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

Sur les frais liés au litige :

10. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de mettre à la charge de l’État (préfet de la Seine-Saint-Denis), qui est, dans la présente instance, la partie perdante, une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. A et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : L’arrêté du préfet de la Seine-Saint-Denis en date du 16 mars 2022 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Seine-Saint-Denis de restituer à M. A sa carte de résident dans un délai d’un mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 3 : L’État (préfet de la Seine-Saint-Denis) versera à M. A une somme de 1 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à M. B A et au préfet de la Seine-Saint-Denis.

Délibéré après l’audience du 28 novembre 2023, à laquelle siégeaient :

Mme Delamarre, présidente,

M. Israël, premier conseiller,

Mme Caldoncelli-Vidal, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 décembre 2023.

Le rapporteur,

M. Israël

La présidente,

Mme DelamarreLa greffière,

Mme C

La République mande et ordonne au préfet de la Seine-Saint-Denis, ou à tout autre préfet territorialement compétent, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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