Tribunal administratif de Nancy, 14 décembre 2018, n° 1803326

  • Justice administrative·
  • Conservation·
  • Procréation médicalement assistée·
  • Décès·
  • Juge des référés·
  • Liberté fondamentale·
  • Assistance·
  • Destruction·
  • Santé publique·
  • Liberté

Chronologie de l’affaire

Commentaire1

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

www.dagorne-avocats.com

TA Nancy, référé, 14 décembre 2018, n° 1803326 Les juges des référés du tribunal administratif de Nancy refusent d'enjoindre à un CECOS de prendre toutes les mesures utiles pour conserver les gamètes d'un époux décédé dans l'attente d'une éventuelle autorisation d'un transfert vers un établissement à l'étranger autorisant les fécondations in vitro post mortem. Après avoir appris qu'il était atteint d'un cancer, l'époux d'une femme avait fait un dépôt de gamètes auprès du CECOS de Nancy en vue d'une future fécondation in vitro. Mais il est ensuite décédé sans que la fécondation in vitro …

 
Testez Doctrine gratuitement
pendant 7 jours
Vous avez déjà un compte ?Connexion

Sur la décision

Référence :
TA Nancy, 14 déc. 2018, n° 1803326
Juridiction : Tribunal administratif de Nancy
Numéro : 1803326

Sur les parties

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE NANCY

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

N° 1803326

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Mme R
Mme A Y

La présidente du tribunal administratif et les juges Mme B C-E des référés, statuant dans les conditions prévues au M. D X

Juges des référés dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative

Ordonnance du 14 décembre 2018

www.p ME

[…]

54-035-04

61-05-05

C+

Vu la procédure suivante :

3Par une requête enregistrée le 5 décembre 2018, Mme R représentée par Me

Lignot demande au juge des référés, sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative :

1°) d’enjoindre au centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme (CECOS) de Nancy de prendre toutes les mesures utiles nécessaires à la conservation des gamètes de

M. R décédé, dans l’attente qu’il soit statué sur le transfert ou non des paillettes ; 3

2°) de mettre à la charge du centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de Nancy les entiers dépens, en application de l’article R. 761-1 du code de justice administrative;

3°) de mettre à la charge du centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de Nancy la somme de 1 502,70 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S’agissant du caractère urgent de la mesure :

- cette procédure est le seul moyen de s’assurer que les gamètes ne soient pas détruites avant que l’administration voire la juridiction administrative prennent position au fond dans ce dossier ; aux termes de l’arrêté du 3 août 2010 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques, le sperme est conservé après la première année sous condition de


2 N° 1803326

recueillir annuellement l’accord du patient sur cette conservation, ainsi, les gamètes pourraient donc être détruites à partir de février 2019;

S’agissant de l’absence d’obstacle à l’exécution d’une décision administrative : l’agence de la biomédecine n’a pris aucune décision s’agissant de l’éventuelle exportation des gamètes de M. R décédé, vers un établissement de santé autorisé à 3

pratiquer les procréations médicalement assistées post-mortem ;

S’agissant de l’utilité de la mesure :

- cette mesure va lui permettre de préserver ses chances d’obtenir ultérieurement une décision favorable qui l’autoriserait à pratiquer une procréation médicalement assistée post mortem ; il n’est pas exclu qu’elle parvienne à convaincre l’agence de la biomédecine d’exporter les paillettes vers un autre établissement de santé autorisé à pratiquer une procréation médicalement assistée post-mortem ; avec son défunt époux, ils avaient formé ensemble le projet de donner naissance à un enfant avant et après avoir découvert la maladie de M. R ce qui est confirmé par leur 3

entourage ;

- M. R aurait souhaité que son épouse poursuive ce projet même après son décès ; la destruction des gamètes lui porterait une atteinte manifestement excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale, ce qui serait contraire à la liberté fondamentale de construire une famille prévue par les dispositions européennes qui sont supranationales, même si cette atteinte résulterait de l’application de dispositions législatives.

Par un mémoire en défense enregistré le 11 décembre 2018, le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy, représenté par Me Marrion, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu’il ne conteste pas l’urgence de la mesure et prend acte qu’aucune décision n’est intervenue; s’agissant de l’utilité de la mesure, il rappelle que le droit français prohibe l’insémination post-mortem et que les dispositions légales françaises ont été jugées compatibles avec l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales sous réserve de conditions exceptionnelles, qui ne sont pas réunies ici, en l’absence de projet finalisé de la part de la requérante.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu: la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés

-

fondamentales;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a décidé que la nature de l’affaire justifiait qu’elle soit jugée, en application du dernier alinéa de l’article L. 511-2 du code de justice administrative, par une formation composée de trois juges des référés et a désigné Mme C-E et M. X, présidents, pour statuer avec elle sur la demande de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.



N° 1803326 3

Ont été entendus au cours de l’audience publique du 12 décembre 2018 à 10 heures :

- le rapport de Mme Y, les observations de Me Lignot, pour la requérante qui rappelle que la condition

-

d’urgence est remplie dès lors que les gamètes peuvent être détruites à tout moment, qu’elle est en train de finaliser son projet et, pour ce faire, est en contact avec un établissement en Belgique, susceptible de procéder à l’intervention, que sa démarche est utile, dès lors qu’elle veut préserver son droit à une vie de famille, et poursuivre ses démarches, dans l’attente éventuelle d’une modification des lois bioéthiques en 2019: et les observations de Me Marrion, pour le CHRU de Nancy, qui indique que la destruction des gamètes n’est pas une priorité pour l’instant, même si la loi lui permet d’y procéder immédiatement et souligne que le centre hospitalier doit respecter la loi qui prohibe la procréation médicale assistée post-mortem, sauf circonstances exceptionnelles qui, ici, ne sont pas réunies, l’objectif de la requérante étant de contourner le droit français.

La clôture de l’instruction a été prononcée à l’issue de l’audience à 10h30.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l’article L. 521-3 du code de justice administrative : « En cas

d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative ». Il résulte de ces dispositions que, saisi sur le fondement de l’article L. 521-3 du code de justice administrative d’une demande qui n’est pas manifestement insusceptible de se rattacher à un litige relevant de la compétence du juge administratif, le juge des référés peut prescrire, à des fins conservatoires ou à titre provisoire, toutes mesures que l’urgence justifie, notamment sous forme

d’injonctions adressées à l’administration, à la condition que ces mesures soient utiles et ne se heurtent à aucune contestation sérieuse.

s'est vu2. Il résulte de l’instruction que l’époux de la requérante, M. R diagnostiquer un rhabdomyosarcome des fosses nasales en février 2017, qui a induit la mise en œuvre d’une chimiothérapie. Mme R ayant fait une fausse couche après une grossesse spontanée en janvier 2017, M. R a demandé, le 25 février 2017, une mise en réserve de ses gamètes auprès du centre d’assistance médicale à la procréation du CHRU de Nancy. Le taux de réussite d’une fécondation in vitro ne dépassant pas, au cas précis, 20%, l’équipe médicale a différé la réalisation de cette intervention dans l’attente de conditions optimales, liées notamment à la réalisation de certains examens complémentaires concernant Mme R Mais parallèlement, l’état de santé de M. R s’est dégradé et il est décédé le 15 juin 2018.

Mme R demande au juge des référés d’enjoindre au CECOS de Nancy de prendre toutes les mesures utiles nécessaires à la conservation des gamètes de son époux afin de préserver ses chances d’obtenir ultérieurement une décision favorable qui l’autoriserait à pratiquer une procréation médicalement assistée post-mortem, éventuellement en Belgique où elle a pris contact avec un établissement susceptible de pratiquer cette intervention.

3. Aux termes de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique : « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. / L’homme et la



N° 1803326 4

femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre

l’assistance médicale à la procréation ». L’article L. 2141-11 de ce même code dispose :

< Toute personne dont la prise en charge médicale est susceptible d’altérer la fertilité, ou dont la fertilité risque d’être prématurément altérée, peut bénéficier du recueil et de la conservation de ses gamètes ou de ses tissus germinaux, en vue de la réalisation ultérieure, à son bénéfice, d’une assistance médicale à la procréation, ou en vue de la préservation et de la restauration de sa fertilité. Ce recueil et cette conservation sont subordonnés au consentement de l’intéressé et, le cas échéant, de celui de l’un des titulaires de l’autorité parentale, ou du tuteur, lorsque l’intéressé, mineur ou majeur, fait l’objet d’une mesure de tutelle ». Il résulte de ces dispositions que, d’une part, le dépôt et la conservation des gamètes ne peuvent être autorisés, en France, qu’en vue de la réalisation d’une assistance médicale à la procréation entrant dans les prévisions légales du code de la santé publique et, d’autre part, la conservation des gamètes ne peut être poursuivie après le décès du donneur.

4. Par ailleurs, aux termes de l’article R. 2141-17 du code de la santé publique : « I. La personne, dont les gamètes ont été recueillis ou prélevés et conservés dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation pour un projet parental en application de l’article L. 2141-1, est consultée chaque année par écrit sur le point de savoir si elle maintient cette modalité de conservation. (…) III.-Il est mis fin à la conservation des gamètes en cas de décès de la personne». Il résulte de ces dispositions que, depuis le décès de M. R le CECOS de 3

Nancy peut procéder, à tout moment, à la destruction des paillettes de ses gamètes, mettant ainsi fin définitivement à toute possibilité de procréation médicalement assistée au profit de la requérante. Les conditions d’urgence et d’utilité prévues par l’article L. 521-3 du code de justice administrative précité sont donc remplies.

5. En revanche, il résulte également de ces mêmes dispositions que le décès du donneur constitue un motif justifiant qu’il soit mis régulièrement fin à la conservation des gamètes, cette destruction légale résultant de l’impossibilité actuelle, prévue par la loi, de procéder à la fécondation in vitro post-mortem au bénéfice de l’épouse. Par suite, la demande de Mme R tendant à ce qu’il soit enjoint au CECOS de ne pas procéder à la destruction des gamètes de son époux se heurte à une contestation sérieuse résultant de l’application de la loi.


5 N° 1803326

convention qui résulte de la mise en œuvre de dispositions, par elles-mêmes compatibles avec celle-ci, n’est pas excessive.

7. Dans la présente affaire, ainsi qu’il a été dit au point 2, M. R a procédé, à titre préventif, à un dépôt de gamètes dans le centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme de Nancy, afin que son épouse et lui-même puissent, ultérieurement, bénéficier d’une assistance médicale à la procréation. Mais ce projet, tel qu’il avait été initialement conçu, n’a pu aboutir avant le décès de M. R Alors qu’il a été indiqué à M. R que la conservation des spermatozoïdes était strictement personnelle et qu’en cas de décès, il serait mis fin à cette conservation, celui-ci n’a jamais exprimé la volonté que ses paillettes soient utilisées en vue d’une éventuelle insémination artificielle post-mortem. Par ailleurs, Mme R qui est de

-

nationalité française, réside en France et n’a pas de lien particulier avec un pays autorisant le recours à cette pratique. Si elle indique poursuivre ses démarches en vue d’une insémination post-mortem et avoir pris l’attache d’un établissement en Belgique en vue d’une assistance médicale à la procréation après le décès de M. R elle ne conteste pas que son projet 3

d’insémination à l’étranger, au demeurant peu avancé, résulte de la recherche, par elle, de dispositions plus favorables à la réalisation de son projet d’insémination que la loi française. Il suit de là que Mme R ne démontre pas l’existence d’une circonstance particulière constituant une ingérence disproportionnée dans ses droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

8. Dans ces conditions, les conclusions à fin d’injonction de la requête de Mme R. se heurtent à une contestation sérieuse au sens et pour l’application de l’article L. 521-3 du code de justice administrative et ne peuvent qu’être rejetées ainsi que, par voie de conséquence, les conclusions présentées au titre des dispositions des articles R. 761-1 et

L. 761-1 du code de justice administrative.

ORDONNE:

er

Article 1 La requête de Mme R est rejetée.

Article 2: La présente ordonnance sera notifiée à Mme R et au centre hospitalier régional universitaire de Nancy.

Fait à Nancy, le 14 décembre 2018.

Le juge des référés, Le juge des référés, Le juge des référés,

V. C-E D. X P. Y

La République mande et ordonne à la ministre des solidarités et de la santé, en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.


1. F G H I

6. Si Mme R soutient que l’application de ces dispositions porte une atteinte excessive au droit au respect de sa vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, il y a lieu de constater que l’interdiction mentionnée à l’article L. 2141-2 du code de la santé publique relève de la marge d’appréciation dont chaque Etat dispose, dans sa juridiction, pour l’application de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et ne porte pas, par elle-même, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu’il est garanti par les stipulations de l’article 8 de cette convention. La compatibilité de la loi avec les stipulations de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ne fait toutefois pas obstacle à ce que, dans certaines circonstances particulières, l’application de dispositions législatives puisse constituer une ingérence disproportionnée dans les droits garantis par cette convention. Il appartient par conséquent au juge d’apprécier concrètement si, au regard des finalités des dispositions législatives en cause, l’atteinte aux droits et libertés protégés par la

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Nancy, 14 décembre 2018, n° 1803326