Tribunal administratif de Nancy, Chambre 2, 1er décembre 2022, n° 1902986

  • Centre hospitalier·
  • Préjudice·
  • Expertise·
  • Imagerie médicale·
  • Justice administrative·
  • Santé·
  • Gauche·
  • Faute commise·
  • Professeur·
  • Responsabilité

Chronologie de l’affaire

Commentaire0

Augmentez la visibilité de votre blog juridique : vos commentaires d’arrêts peuvent très simplement apparaitre sur toutes les décisions concernées. 

Sur la décision

Référence :
TA Nancy, ch. 2, 1er déc. 2022, n° 1902986
Juridiction : Tribunal administratif de Nancy
Numéro : 1902986
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Plein contentieux
Décision précédente : Cour administrative d'appel de Nancy, 2 juillet 2018
Dispositif : Expertise / Médiation
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 octobre 2019, 31 août 2020 et 22 février 2022, Mme H A épouse E, représentée par Me Behr, demande au tribunal :

1°) à titre principal d’ordonner une nouvelle expertise afin de fixer la perte de chance et d’évaluer les préjudices qu’elle a subis ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner le centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy à lui verser la somme de 1 741 311,11 euros ainsi qu’une somme annuelle de 318 euros, en réparation de l’ensemble des préjudices qu’elle estime avoir subis en raison de la faute commise par le CHRU de Nancy ;

3°) de mettre les dépens, en ce les frais d’expertise, et une somme de 5 000 euros à la charge du CHRU de Nancy en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

— la lecture erronée de l’IRM du 12 juin 2012 est constitutive d’une faute dont elle est recevable à demander réparation au CHRU de Nancy ;

— cette faute lui a fait perdre une chance d’éviter un nouvel AVC qui doit être fixée à 80% ;

— elle est fondée à demander la réparation intégrale des préjudices qu’elle a subi.

Par un mémoire en défense enregistré le 24 août 2020, le CHRU de Nancy, représenté par Me Dubois, conclut à titre principal au rejet de la demande de contre-expertise et à titre subsidiaire à une réduction des prétentions indemnitaires de Mme E.

Par un mémoire en intervention enregistré le 7 août 2020, le centre hospitalier (CH) Saint Charles de Toul, représenté par Me Gasse, conclut à sa mise hors de cause.

Par un mémoire en intervention enregistré le 11 février 2022, la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) de la Haute-Marne a demandé sa mise hors de cause.

La requête a été communiquée au centre d’imagerie Jacques Callot et au docteur G qui n’ont pas produit de mémoire en défense.

La requête a été communiquée à la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) du Puy-de-Dôme qui n’a pas produit d’observations.

Par une ordonnance du 10 juin 2021 la clôture de l’instruction a été fixée au 15 juillet 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de la santé publique ;

— le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique :

— le rapport de Mme Marini, rapporteure ;

— les conclusions de Mme Milin-Rance, rapporteure publique ;

— et les observations de Me Marrion, représentant le CHRU de Nancy.

Considérant ce qui suit :

1. Le 25 mai 2012, Mme E s’est présentée au CHRU de Nancy pour une suspicion d’accident ischémique transitoire (AIT). Le 29 décembre 2012, elle s’est rendue à nouveau au CHRU de Nancy en raison de l’apparition de paresthésies du bras droit et de la main droite. Le 3 janvier 2013, elle est adressée par son médecin traitant aux urgences du CH de Toul qui l’a redirigé en urgence vers l’unité neurovasculaire du CHRU de Nancy où une IRM mettra en évidence un accident vasculaire cérébral (AVC) ischémique. Mme E a saisi la commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux de Lorraine qui a ordonné une expertise. Les docteurs Chiras, neuroradiologue, et B, neurologue, ont déposé leur rapport le 6 novembre 2015 et la CRCI, dans un avis du 2 février 2016, a conclu à un partage de responsabilité entre le CHRU de Nancy et le docteur G, radiologue au centre d’imagerie médicale Jacques Callot ainsi qu’à une perte de chance de 50%. Mme E a saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy afin que soit ordonné une nouvelle expertise. Par une ordonnance du 7 mai 2018 du juge des référés du présent tribunal, confirmée par une décision du 3 juillet 2018 de la Cour administrative d’appel de Nancy, la demande de Mme E a été rejetée. La requérante a alors adressé une demande préalable d’indemnisation au CHRU de Nancy le 7 août 2019. L’absence de réponse du CHRU de Nancy a fait naître une décision implicite de rejet. Mme E demande au tribunal d’ordonner une nouvelle expertise et à défaut, de condamner le CHRU de Nancy à l’indemniser des préjudices qu’elle estime avoir subi.

Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire de Nancy :

2. Aux termes de l’article L. 1142-1 du code de la santé publique : « Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d’un défaut d’un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu’en cas de faute () ».

3. En premier lieu, dans la nuit du 24 au 25 mai 2012, Mme E a présenté des « fourmis » dans le tronc, la jambe et la face du côté droit. Elle a été adressée par son médecin traitant au CHRU de Nancy pour suspicion d’accident ischémique transitoire (AIT). Elle a quitté l’hôpital le soir même avec la prescription d’un bilan en ambulatoire. Le 12 juin 2012, elle a réalisé une IRM au centre d’imagerie médicale Jacques Callot où le docteur G conclut à une lésion inflammatoire en supra ventriculaire gauche paramédian dans la substance blanche et sans autre anomalie par ailleurs. Cette lésion est confirmée par le professeur D et le docteur J du CHRU de Nancy et le professeur D indiquera lors d’un examen le 31 octobre 2012 qu’il n’est pas possible de conclure formellement la cause des problèmes de Mme E qui suivra une cure de solumédrol. Le 29 décembre 2012, elle se présente au CHRU de Nancy en raison de l’apparition de parasthésies du bras droit et de la main droite. Mme E est consciente mais présente des troubles de l’élocution, cherche ses mots. Le professeur I trouve le tableau évocateur d’une atteinte inflammatoire centrale. Mme E rentre à son domicile le 30 décembre mais les symptômes persistent malgré la cure de solumédrol. Le 3 janvier 2013 elle se rend aux urgences du CH de Toul et elle est orientée vers l’unité neurovasculaire du CHRU de Nancy. Une IRM est réalisée le 4 janvier ainsi qu’un écho doppler des vaisseaux du cou qui montre une occlusion complète de la carotide interne gauche. Le diagnostic d’AVC ischémique semi-récent du territoire de l’artère cérébrale antérieure gauche et du territoire jonctionnel des artères cérébrales antérieure et moyenne gauches sur occlusion de l’artère carotide interne gauche est posé. Mme E quitte le service de neurologie le 22 janvier 2013 avec un déficit moteur du membre supérieur droit, des parasthésies et de l’allodynie de l’hémi tronc droit, une dysarthrie, une hypertonie du membre inférieur droit entravant la marche, un état dépressif. Elle est orientée vers le centre de rééducation de Lay-Saint-Christophe qu’elle quittera le 8 février 2013. Il résulte de l’instruction et notamment de l’expertise des docteurs Chiras et B que le docteur G du centre d’imagerie médicale Jacques Callot a fait une mauvaise lecture de l’IRM du 12 juin 2012 qui a été réalisée dans les conditions adéquates et a montré des anomalies évocatrices qui auraient dû permettre de poser le diagnostic d’AVC. La relecture faite par le professeur D et le docteur J n’a pas permis de corriger cette mauvaise interprétation. Dès lors, Mme E a présenté deux accidents déficitaires régressifs les 24/25 mai 2012 et 29 décembre 2012 considérés à tort comme traduisant une pathologie inflammatoire. Ces fautes sont de nature à engager la responsabilité du CHRU de Nancy et du docteur G.

4. En deuxième lieu, lorsqu’un dommage trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites, la victime peut rechercher la réparation de son préjudice en demandant la condamnation de l’une de ces personnes ou de celles-ci conjointement, sans préjudice des actions récursoires que les coauteurs du dommage pourraient former entre eux. S’il est constant que le praticien qui a procédé à la lecture de l’IRM de Mme E le 12 juin 2012 est intervenu dans le cadre de son activité libérale au sein du centre d’imagerie médicale Jacques Callot, comme il vient d’être dit, l’erreur de diagnostic est imputable de manière conjointe au docteur G et aux services du CHRU de Nancy. Dans ces conditions, Mme E est fondée à demander réparation de la totalité de ses préjudices au CHRU de Nancy. Compte tenu des fautes respectives commises par le docteur G et par les services du CHRU de Nancy, il sera fait une juste appréciation de la responsabilité du CHRU de Nancy en lui imputant 70% des conséquences dommageables subies par Mme E, 30% étant imputable au docteur G.

Sur la responsabilité du centre hospitalier de Toul :

5. Il ne résulte pas de l’instruction et n’est pas allégué qu’une faute serait imputable au centre hospitalier de Toul lors de la prise en charge de Mme E aux urgences le 3 janvier 2013. Par suite, Mme E n’est pas fondée à engager la responsabilité du centre hospitalier de Toul.

Sur la perte de chance :

6. Dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou du traitement d’un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d’obtenir une amélioration de son état de santé ou d’échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l’établissement et qui doit être intégralement réparé n’est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d’éviter que ce dommage soit advenu. La réparation qui incombe à l’hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l’ampleur de la chance perdue.

7. Selon l’expertise, le retard de diagnostic a fait perdre une chance à Mme E d’éviter le second AVC qui s’est produit le 4 janvier 2013 et qui est fixée à 50%. Pour contester ce taux, Mme E produit une note technique réalisée par le docteur C qui fixe la perte de chance à 80% considérant que si le diagnostic avait été correctement posé, il aurait été suivi d’un bilan étiologique et d’un traitement adapté. Mme E fait également valoir que le rapport d’expertise des docteurs Chiras et B contient des erreurs de date et ne tient pas compte de l’absence de prise en charge par le CHRU de Nancy le 29 décembre 2012 et de ses conséquences sur la perte de chance. Toutefois, contrairement à ce que soutient la requérante, le rapport d’expertise indique que l’accident déficitaire régressif du 29 décembre 2012 a été considéré à tort comme traduisant une pathologie inflammatoire et en a déduit la perte de chance induite. Par suite, la perte de chance de Mme E d’échapper à la survenue d’un second AVC doit être fixée à 50%. Compte tenu de ce qui a été dit au point 3, la perte de chance imputable au CHRU de Nancy doit être fixée à 35%.

Sur les préjudices :

8. D’une part, il appartient au juge administratif de prendre, en déterminant la quotité et la forme de l’indemnité par lui allouée, les mesures nécessaires en vue d’empêcher que sa décision n’ait pour effet de procurer à la victime, par suite des indemnités qu’elle a pu obtenir devant d’autres juridictions à raison des conséquences dommageables du même accident, une réparation supérieure au montant total du préjudice subi. Toutefois, il ne résulte pas de l’instruction que Mme E ait saisi la juridiction judiciaire d’une demande de condamnation du docteur G. Dans ces conditions, il n’y a pas lieu de limiter les sommes mises à la charge du centre hospitalier régional universitaire de Nancy.

9. D’autre part,il résulte de l’instruction que Mme E souffrait d’une spondylarthrite ankylosante avant ses AVC et l’état de l’instruction ne permet pas de déterminer si cet état antérieur a des conséquences sur l’évaluation des préjudices subis par Mme E. Par ailleurs, Mme E demande également l’indemnisation de préjudices sur lesquels l’état de l’instruction et notamment le rapport d’expertise ne permet pas au tribunal de se prononcer.

10. Par suite, il y a lieu d’ordonner une expertise complémentaire qui sera confiée au docteur B afin de déterminer l’étendue des préjudices subis par Mme E.

D E C I D E :

Article 1er : La responsabilité du CHRU de Nancy est engagée du fait des fautes commises lors de la prise en charge de Mme E.

Article 2 : La perte de chance d’échapper au dommage est fixée à 50%.

Article 3 : Avant de statuer sur la requête, il sera procédé à une expertise confiée à l’expert en présence de Mme E, du CHRU de Nancy, de la caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme, du docteur G et du Centre d’imagerie Jacques Callot. L’expert avertira les parties conformément aux dispositions de l’article R. 621-7 du code de justice administrative.

Article 4 : L’expert aura pour mission :

— de déterminer, évaluer et donner tous éléments permettant d’éclairer le tribunal sur les différents chefs de préjudice subis par Mme E résultant des fautes commises par le CHRU de Nancy et le docteur G en tenant compte de l’état de santé antérieur de l’intéressée et notamment de l’existence d’une spondylarthrite ankylosante. Il évaluera et fixera notamment, s’il y a lieu le taux et la durée du déficit fonctionnel provisoire, la date de consolidation et le taux du déficit fonctionnel permanent, les souffrances physiques et morales ainsi que les préjudices esthétiques temporaire et permanent en les évaluant sur une échelle de 1 à 7, le préjudice d’agrément et le préjudice sexuel ;

— de dire si l’état de santé de Mme E imputable à la faute précitée a entrainé et continue d’entrainer des dépenses de santé restant à la charge de l’intéressée et s’il nécessite une adaptation de son logement ;

— de dire s’il a eu et a toujours des répercussions sur son activité professionnelle en précisant s’il a nécessité une adaptation de l’emploi, un changement d’emploi, une réadaptation à une nouvelle activité professionnelle ou une cessation anticipée d’activité professionnelle ;

— de dire s’il a nécessité et nécessite toujours une assistance d’une tierce personne et si celle-ci a donné lieu ou donne lieu à une prise en charge financière en fixant éventuellement les modalités, la qualification et la durée de cette assistance à tierce personne ;

— de fournir, plus généralement, tous éléments susceptibles d’éclairer le tribunal sur les préjudices subis par Mme E.

Article 5 : L’expert sera désigné par le président du tribunal. Après avoir prêté serment, il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il disposera des pouvoirs d’investigations les plus étendus. Il pourra entendre tous sachants, se faire communiquer tous documents et renseignements, faire toutes constatations ou vérifications propres à faciliter l’accomplissement de sa mission et éclairer le tribunal. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l’autorisation préalable du président du tribunal administratif.

Article 6 : L’expert déposera son rapport au greffe du tribunal en deux exemplaires dans le délai fixé par le président du tribunal dans la décision le désignant. Il en notifiera une copie à chacune des parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s’opérer sous forme électronique. L’expert justifiera auprès du tribunal de la date de réception de son rapport par les parties.

Article 7 : Les frais d’expertise sont réservés pour y être statué en fin d’instance.

Article 8 : Tous droits, moyens et conclusions des parties sur lesquels il n’est pas statué par le présent jugement sont réservés jusqu’en fin d’instance.

Article 9 : Le présent jugement sera notifié à Mme H A épouse E, au centre hospitalier régional universitaire de Nancy, au docteur G, au centre d’imagerie Jacques Callot, à la caisse primaire d’assurance maladie du Puy-de-Dôme et à l’expert.

Délibéré après l’audience du 10 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

M. Marti, président,

M. Boulangé, premier conseiller,

Mme Marini, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er décembre 2022.

La rapporteure,

C. Marini

Le président,

D. Marti

La greffière,

M. F

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Extraits similaires
highlight
Extraits similaires
Extraits les plus copiés
Extraits similaires
Extraits similaires à la sélection
Inscrivez-vous gratuitement pour imprimer votre décision
Tribunal administratif de Nancy, Chambre 2, 1er décembre 2022, n° 1902986