Tribunal administratif de Paris, 23 décembre 2013, n° 1220101

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Conseil d'État N° 375704 ECLI:FR:CECHR:2017:375704.20171108 Publié au recueil Lebon 10ème – 9ème chambres réunies M. Richard Senghor, rapporteur Mme Aurélie Bretonneau, rapporteur public SCP BORE, SALVE DE BRUNETON, MEGRET, avocats lecture du mercredi 8 novembre 2017 REPUBLIQUE FRANCAISE AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS Vu la procédure suivante : L'association spirituelle de l'Eglise de Scientologie Celebrity Centre (ASES-CC) a demandé au tribunal administratif de Paris : – d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 17 septembre 2012 par laquelle l'Ecole nationale de la …

 
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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 23 déc. 2013, n° 1220101
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : 1220101

Texte intégral

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE PARIS

No 1220101/6-2

___________

ASSOCIATION SPIRITUELLE DE L’EGLISE DE SCIENTOLOGIE CELEBRITY CENTRE

___________

Mme David

Rapporteur

___________

M. Jauffret

Rapporteur public

___________

Audience du 10 décembre 2013

Lecture du 23 décembre 2013

___________

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Tribunal administratif de Paris,

(6e section – 2e chambre)

26-06-01-02

C

Vu la requête, enregistrée les 20 et 24 novembre 2012, présentée pour l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre, dont le siège est au XXX à XXX, par Me Jacquot ; l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre demande au tribunal :

1°) d’annuler la décision expresse du 17 septembre 2012 de l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) rejetant partiellement sa demande tendant à obtenir la communication des documents détenus par celle-ci dans le cadre de l’organisation de sessions de formation portant sur les mouvements sectaires entre 1998 et 2012 ;

2°) d’enjoindre à l’Ecole nationale de la magistrature de lui communiquer les documents sollicités dans un délai de 8 jours sous astreinte de « 10 000 francs » par jour de retard ;

3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que le montant de la contribution à l’aide juridique prévu par l’article R. 761-1 du même code ;

Elle soutient que :

— elle a droit à la communication du programme de formation sans occultation de l’identité des intervenants, des listes des inscrits et des participants, ainsi que des bulletins d’inscription, car les dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978, constituant une exception à la liberté d’accès aux documents administratifs, elles sont d’interprétation restrictive ;

— la formation de l’ENM constitue une ingérence de l’État dans les libertés de religion, d’expression, d’association garantis par les articles 9 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le droit au procès équitable ;

— elle a droit à la communication des autres documents demandés sous réserve des occultations rendues nécessaires par l’article 6 de la loi du 7 juillet 1978 mais sans que la restriction à l’accès aux documents administratifs demandés ne porte atteinte aux libertés garanties par les articles 9 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et au droit au procès équitable ;

Vu la décision attaquée et l’avis de la commission d’accès aux documents administratifs ;

Vu l’ordonnance en date du 27 mars 2013 fixant la clôture d’instruction au 29 avril 2013, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2013, présenté par le garde des sceaux, ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que :

— le refus de communiquer à la requérante l’identité des intervenants, les listes des inscrits et participants, ainsi que les bulletins d’inscription à la formation organisée par l’ENM aux magistrats judiciaires n’est pas contraire à l’article 6 de la loi du 7 juillet 1978 car révéler à un tiers leur identité porterait atteinte à la protection de la vie privée ;

— le refus de communiquer la documentation fournie lors des formations antérieures à 2012 est justifiée par le fait que celle-ci étant sensiblement la même d’une année sur l’autre, elle a vocation à être détruite ;

— s’agissant des correspondances échangées entre l’ENM et la Mission interministérielle de lutte contre les sectes et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, ainsi qu’avec le ministère de la justice, en particulier la « mission secte », elles ont un caractère logistique et leur communication n’est pas possible afin d’assurer le respect de la protection de la vie privée ;

Vu le mémoire, enregistré le 25 avril 2013, présenté pour l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Elle soutient en outre que :

— la formation des magistrats organisée par l’ENM sur initiative du pouvoir exécutif sur le sujet des dérives sectaires obérant leur impartialité et leur indépendance à l’égard de l’Eglise de la scientologie, le refus de communiquer les documents demandés méconnaît son droit à un procès équitable ;

— la formation inculquée aux magistrats est contraire aux principes de laïcité et de neutralité de l’État ;

Vu le mémoire, enregistré le 10 juin 2013, présenté pour l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre, qui reprend les conclusions de sa requête et les mêmes moyens ;

Elle soutient en outre que :

— le caractère non public des formations de l’ENM est sans incidence ;

— la divulgation du nom des intervenants de la formation ne porte atteinte à la protection de la vie privée, ceux-ci étant agents publics et l’identité d’une personne ne faisant de toute façon pas partie des éléments protégés au titre de la vie privée ;

— la communication de la liste des inscrits et participants aux sessions de formation et les bulletins d’inscription n’est pas susceptible de leur porter préjudice car ils doivent en toute circonstance justifier de leur indépendance et impartialité ;

— selon son directeur, la documentation transmise par l’ENM dans le cadre de la formation évolue chaque année et n’est pas invariable d’année en année ; il ne saurait donc être soutenu que la documentation des années antérieures à 2012 a été détruite ;

— l’ENM oppose un refus de principe à la communication des courriers échangés avec la Miviludes et la Direction des affaires criminelles qui ne se justifie ni par l’inexistence non démontrée de ces documents ni par la nécessité de protéger la vie privée de leurs auteurs ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public ;

Vu le décret n°72-355 du 4 mai 1972 relatif à l’Ecole nationale de la magistrature ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l’audience ;

Après avoir entendu au cours de l’audience publique du 10 décembre 2013 :

— le rapport de Mme David, rapporteur,

— les conclusions de M. Jauffret, rapporteur public ;

— les observations de Me Jacquot, avocat, pour la requérante ;

Et connaissance prise de la note en délibéré, enregistrée le 10 décembre 2013, présentée pour l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre ;

Considérant que l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre a, par courrier reçu le 2 mai 2012, demandé à l’Ecole nationale de la magistrature (ci-après ENM) communication des programmes de session de formation relatives aux mouvements sectaires de 1998 à 2012, sans occultation des noms des intervenants, la liste annuelle des inscrits ou participants à ces sessions, les bulletins d’inscription remplis par ces derniers, l’ensemble des documents remis par l’ENM aux participants lors de ces sessions, quelque soit le support utilisé, les exposés, synthèses, rapports, comptes-rendus ou notes produits par les intervenants pour ces sessions, copie de toutes les correspondances échangées entre l’ENM et la Mission interministérielle de lutte contre les sectes ainsi qu’entre l’ENM et la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (ci-après Miviludes) et entre le ministère de la justice, les services de formation continue et l’ENM portant sur les mouvements sectaires, quelqu’en soit le support, entre 1998 et 2012 ; qu’à la suite de la saisine de la commission d’accès aux documents administratifs le 5 juillet 2012, la commission a rendu le 26 juillet 2012 un avis défavorable à la communication de l’identité des intervenants de la formation, les listes des inscrits et des participants et les bulletins d’inscription pour risque d’atteinte à la sécurité des personnes et un avis favorable à la communication des autres documents sollicités sous réserve de l’occultation préalable des mentions dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée et au secret médical, portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ou faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice, ainsi que des mentions dont la communication serait susceptible de porter atteinte à la sécurité publique et à la sécurité des personnes, conformément aux dispositions des I et II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que la commission a, à cette occasion, précisé que la communication des documents établis par les intervenants pouvait intervenir sous réserve des droits de propriété littéraire et artistique ; que l’Ecole nationale de la magistrature a communiqué à la requérante, par décision du 17 septembre 2012, le programme de formation ainsi que la liste des documents pour la session du 2 au 4 mai 2012, quatre documents rédigés par un magistrat ayant trait aux sectes, quatre documents émanant de la Miviludes sur le sujet, une fiche du diplôme universitaire « Emprise sectaire et processus de vulnérabilité » de l’Université Paris-Descartes, le décret instituant la Miviludes ainsi que trois circulaires relatives à la lutte contre les dérives sectaires, un document sur les orientations du ministère de l’intérieur en la matière pour 2011 et la lettre Miviludes 2012 ; que l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre en demande l’annulation ;

Sur les conclusions à fin d’annulation :

En ce qui concerne le caractère communicable des documents demandés :

Considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 1er de la loi du 17 juillet 1978 susvisée : « Le droit de toute personne à l’information est précisé et garanti par le présent titre en ce qui concerne la liberté d’accès aux documents administratifs. / (…) » ; qu’aux termes de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 : « Sous réserve des dispositions de l’article 6, les autorités mentionnées à l’article 1er sont tenues de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande (…) » ;

Considérant qu’aux termes de l’article 1 du décret du 4 mai 1972 relatif à l’Ecole nationale de la magistrature : « L’Ecole nationale de la magistrature est un établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du garde des sceaux, ministre de la justice. » ; qu’aux termes de son article 1er-1 : « L’Ecole nationale de la magistrature a pour missions : / a) La formation initiale et continue des magistrats de l’ordre judiciaire français ; (…) » ; qu’aux termes de son article 50 : « L’Ecole nationale de la magistrature assure l’exercice par les magistrats de leurs obligations de formation continue selon les modalités définies aux articles suivants et au règlement intérieur. » ; qu’aux termes de son article 51 : « Le programme annuel des différentes actions nationales de formation continue proposées aux magistrats est arrêté par le conseil d’administration sur proposition du directeur de l’Ecole nationale de la magistrature. (…)» ; qu’aux termes de son article 51-1 : Les magistrats adressent chaque demande de participation aux actions nationales de formation à l’Ecole nationale de la magistrature ainsi qu’une copie à l’autorité chargée de l’évaluation de l’activité professionnelle, qui peut faire connaître, dans le délai de quinze jours, son avis à l’école sur les besoins de formation du magistrat tels qu’ils ont été éventuellement définis dans le cadre de la procédure d’évaluation dont celui-ci a fait l’objet. Les magistrats sont appelés à participer à ces actions par décision du directeur de l’école. La désignation des participants à chaque action est effectuée en tenant compte des vœux exprimés par les magistrats, des formations antérieurement suivies ainsi que des fonctions exercées. (…) » ; qu’aux termes de son article 51-2 : « (…) Sur proposition du ou des magistrats délégués à la formation ou du coordonnateur régional de formation et après approbation par le conseil de la formation continue déconcentrée, le premier président de la Cour de cassation et le procureur général près ladite cour arrêtent l’état prévisionnel, établi suivant un ordre de priorité, des besoins et des actions de formation continue déconcentrée des magistrats et l’adressent à l’école. Les chefs de cour d’appel établissent et adressent à l’école dans les mêmes conditions l’état prévisionnel relatif aux magistrats de leur ressort. (…) » ;

Considérant qu’il résulte des textes précités et n’est pas contesté en défense que les documents sollicités par l’Eglise de la Scientologie relatifs à la formation continue organisée par l’ENM sur les dérives sectaires sont des documents administratifs dont la communication est régie par les dispositions précitées de la loi du 17 juillet 1978 ;

S’agissant des noms des intervenants de la formation organisée par l’ENM sur les dérives sectaires, de la liste annuelle des inscrits ou participants à ces sessions, des bulletins d’inscription remplis par ces derniers :

Considérant qu’aux termes de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée : « (…) II. Ne sont communicables qu’à l’intéressé les documents administratifs : / – dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical (…) ; – faisant apparaître le comportement d’une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice. (…) III. Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du présent article mais qu’il est possible d’occulter ou de disjoindre, le document est communiqué au demandeur après occultation ou disjonction de ces mentions. » ;

Considérant que le premier ministre soutient que les documents en cause comportent des éléments touchant à la vie privée des intervenants ou des participants aux sessions de formation organisées par l’ENM et faisant apparaître un comportement susceptible de leur porter préjudice au sens des dispositions du II de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que, toutefois, la communication des noms des intervenants, des listes des participants et des bulletins d’inscription est insusceptible par elle-même de révéler des comportements dont la divulgation pourrait porter préjudice aux intervenants ou aux participants compte tenu de la nature des informations en cause ; qu’en revanche, eu égard à l’argumentation de l’association requérante qui soutient que la participation des magistrats judiciaires à la formation sur les dérives sectaires est par elle-même de nature à leur ôter toute neutralité et impartialité dans le traitement des affaires mettant en cause l’Eglise de la Scientologie, la communication de l’identité des participants comme des intervenants à cette formation est susceptible, dans les circonstances de l’espèce, de porter atteinte au respect de leur vie privée au sens de la loi du 17 juillet 1978 ; que, par suite, l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre n’est pas fondée à soutenir qu’en refusant de leur communiquer ces documents, l’ENM a méconnu les dispositions de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée ;

S’agissant de la documentation fournie par l’ENM dans le cadre de la formation :

Considérant que pour justifier le refus de communiquer la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011, le garde de sceaux, ministre de la justice, fait observer en défense que « la documentation étant sensiblement la même d’une année sur l’autre, si la documentation de l’année précédente est conservée, la documentation la plus ancienne a vocation à être détruite » ; que, cependant, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport n° 480 du Sénat de la commission d’enquête sur l’influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé en date du 3 avril 2013, relatant l’audition du directeur de l’ENM, que la formation comprend à la fois des éléments fondamentaux et des thèmes d’actualité et que le sujet de l’année 2012 comme celui programmé pour l’année 2013 concernait les dérives sectaires et la santé ; qu’en outre, le directeur de l’ENM a précisé à la commission d’enquête, que dans le cadre de la demande de communication faite par l’Eglise de la Scientologie, « nous avons refusé de leur communiquer nos archives, la documentation utilisée » et « nous avons fourni (…) quelques pièces du dossier documentaire » ; que, dans ces conditions, la destruction de l’ensemble de la documentation transmise aux participants aux sessions antérieures à 2012 ne peut être regardée comme établie ; qu’en vertu de l’article 9 de la loi du 17 juillet 1978, la communication des documents administratifs s’effectue dans le respect des droits de propriété littéraire et artistique ; que, dès lors, il appartient au garde des sceaux, ministre de la justice de s’assurer que la communication de la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011, telle que demandée par l’association requérante, ne porte pas atteinte aux droits de propriété intellectuelle de leurs auteurs ; que l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre est fondée, sous cette réserve, à soutenir qu’en refusant de leur communiquer ces documents, l’ENM a méconnu les dispositions de l’article 2 de la loi du 17 juillet 1978 susvisée ;

S’agissant des courriers officiels échangés par l’Ecole nationale de la magistrature avec d’autres administrations concernant la formation sur les dérives sectaires organisée à l’intention des magistrats judiciaires :

Considérant qu’il incombe au juge administratif de requérir des administrations, ou d’une personne de droit privé chargée d’une mission de service public, la production de tous les documents nécessaires à la solution des litiges qui lui sont soumis à la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi ; qu’en outre, si le caractère contradictoire de la procédure exige la communication à chacune des parties de toutes les pièces produites au cours de l’instance, cette exigence est nécessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l’objet même du litige ;

Considérant que le garde des sceaux, ministre de la justice soutient que la communication de ses échanges avec la Mission interministérielle de lutte contre les sectes, avec la Miviludes et avec la « mission secte » de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère entre 1998 et 2012 porterait atteinte à la protection de la vie privée au sens de l’article 6 de la loi du 17 juillet 1978 ; que l’état de l’instruction ne permet pas au tribunal d’apprécier le bien fondé du motif invoqué par le garde des sceaux, ministre de la justice pour justifier son refus de communication ni si, dans cette hypothèse, des considérations feraient obstacle à l’application des dispositions précitées du III de l’article 6 ; que, dans ces conditions, il y a lieu d’ordonner, avant-dire droit, tous droits et moyens des parties demeurant réservés, la production, par l’ENM et le garde des sceaux, ministre de la justice, dans un délai de deux mois suivant la date de notification du présent jugement, des documents achevés et non préparatoires échangés par l’EMN avec la Miviludes, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes et le ministère de la justice concernant la formation des magistrats judiciaires en matière de dérives sectaires, sans que communication de ces pièces ne soit donnée à l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre pour être ensuite statué ce qu’il appartiendra sur les conclusions des requêtes ;

En ce qui concerne la violation des stipulations des articles 6, 9, 10 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales :

Considérant, en premier lieu, qu’aux termes de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) / Toute personne accusée d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie » ;

Considérant qu’il résulte du texte même de l’article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales que l’ensemble de ses stipulations n’est applicable qu’aux procédures contentieuses suivies devant les juridictions lorsqu’elles statuent sur des droits et obligations de caractère civil ou sur des accusations en matière pénale ;

Considérant que la formation organisée par l’ENM sur les dérives sectaires ne se rattache à aucune procédure pénale ou répressive à l’encontre de l’association requérante, ne fait état d’aucune accusation en matière pénale à son encontre et ne peut servir de fondement à une procédure administrative ou judiciaire à l’encontre de celle-ci ; que, par suite, l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre ne saurait utilement soutenir que le refus de communication litigieux, pris sur le fondement de la loi du 17 juillet 1978, a porté atteinte à son droit à un procès équitable ;

Considérant, en deuxième lieu, qu’aux termes de l’article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales: « 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion (…). 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l’ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d’autrui » ; qu’aux termes de son article 11 : « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. (…)» ;

Considérant que si l’association requérante soutient que la formation organisée par l’Ecole nationale de la magistrature sur les dérives sectaires à destination des magistrats judiciaires constitue une atteinte grave aux libertés de religion et d’association telles que garanties par les articles 9 et 11 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, un tel moyen ne saurait en tout état de cause être invoqué à l’encontre du refus de l’Ecole nationale de la magistrature de communiquer les documents litigieux ;

Considérant, en dernier lieu, que selon l’article 10 de la même convention : « 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques (…) / 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire » ;

Considérant que si le refus de l’Ecole nationale de la magistrature de permettre à l’association requérante d’accéder aux noms des intervenants de la formation organisée par l’ENM sur les dérives sectaires, de la liste annuelle des inscrits ou participants à ces sessions, des bulletins d’inscription remplis par ces derniers, constitue une ingérence de l’autorité publique dans la liberté de recevoir ou communiquer des informations au sens de l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, cette mesure, eu égard aux garanties accompagnant sa mise en œuvre prévue par la loi du 17 juillet 1978, répond en tout état de cause à un but légitime et nécessaire dans une société démocratique au sens des stipulations du même article 10 et ne constitue pas une ingérence proscrite par cet article ;

Considérant qu’il résulte de ce qui précède que l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre est seulement fondée à demander l’annulation de la décision de l’ENM en tant qu’elle refuse de lui communiquer la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011, sous réserve des droits de propriété intellectuelle de leurs auteurs ;

Sur les conclusions aux fins d’injonction :

Considérant qu’il y a lieu, en application des dispositions de l’article L. 911-1 du code de justice administrative, d’enjoindre à l’ENM dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011, sous réserve des droits de propriété intellectuelle de leurs auteurs ; qu’il n’y a pas lieu d’assortir le prononcé de cette injonction d’une astreinte ;

D E C I D E :

Article 1er : La décision du 27 septembre 2012 par laquelle l’ENM a refusé de communiquer à l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011 est annulée.

Article 2 : Il est enjoint à l’ENM de communiquer à l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre la documentation remise aux participants lors des formations organisés entre 1998 et 2011 et non soumise aux droits de propriété littéraire et artistique dans un délai de deux mois, sans qu’il soit besoin d’assortir cette mesure d’une astreinte.

Article 3 : Les conclusions de la requête en tant qu’elles sont dirigées contre la décision refusant de communiquer les noms des intervenants de la formation organisée par l’ENM sur les dérives sectaires, la liste annuelle des inscrits ou participants à ces sessions, et les bulletins d’inscription remplis par ces derniers sont rejetées.

Article 4 : Est ordonnée, avant-dire droit, tous droits et moyens des parties sur lesquels il n’est pas expressément statué par le présent jugement étant réservés, la production par l’ENM et le garde des sceaux, ministre de la justice, au tribunal administratif de Paris, 6e section, 2e chambre, dans les conditions précisées par les motifs du présent jugement, des documents achevés et non préparatoires échangés par l’EMN avec la Miviludes, la Mission interministérielle de lutte contre les sectes et le ministère de la justice concernant la formation des magistrats judiciaires en matière de dérives sectaires. Cette production devra intervenir dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent jugement.

Article 5 : Le présent jugement sera notifié à l’association spirituelle de l’Eglise de Scientologie Celebrity Centre, à l’Ecole nationale de la magistrature et au Garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l’audience du 10 décembre 2013, à laquelle siégeaient :

Mme Régnier-Birster, président ;

Mme David, conseiller,

M. Jouanny, conseiller,

Lu en audience publique le 23 décembre 2013.

Le rapporteur, Le président,

C. DAVID F. REGNIER-BIRSTER

Le greffier,

K. BAK-PIOT

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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