Tribunal administratif de Paris, 30 décembre 2023, n° 2329766

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Chronologie de l’affaire

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Sur la décision

Référence :
TA Paris, 30 déc. 2023, n° 2329766
Juridiction : Tribunal administratif de Paris
Numéro : 2329766
Dispositif : Rejet
Date de dernière mise à jour : 2 janvier 2024

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 29 et 30 décembre 2023, M. D demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de suspendre l’arrêté du 7 novembre 2023 du préfet de la Guadeloupe en tant qu’il prévoit à son encontre une interdiction de retour sur le territoire d’une durée de deux ans ;

2°) d’enjoindre au ministre de l’intérieur, en lien avec le consul de France à Haïti, d’organiser sans délai son retour sur le territoire national ;

3°) de mettre à la charge de l’État une somme de 1 500 euros en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

— la condition d’urgence est remplie dès lors qu’il a été éloigné le 4 décembre 2023 du territoire national en exécution d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français en dépit d’une demande de la CEDH au gouvernement français de suspendre l’exécution de cette décision jusqu’au 6 décembre 2023 ; en outre, la situation en Haïti est très dangereuse comme l’a reconnu la CNDA dans sa décision de grande formation du 5 décembre 2023 ;

— son droit de demander l’asile a été méconnu ; il a été maintenu illégalement en rétention ; il subit un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; il n’a pas bénéficié d’un recours effectif à effet suspensif ; le Gouvernement français n’a pas respecté la mesure provisoire ordonnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 39 de son règlement ce qui constitue une violation grave et illégale d’une liberté fondamentale.

Par un mémoire enregistré le 29 décembre 2023, La Cimade, service œcuménique d’entraide, intervient au soutien de la demande. Elle fait valoir que les dispositions des articles L. 761-2 et L.761-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, applicables en Guadeloupe, sont contraires au droit de l’Union européenne, en particulier l’article 46 de la directive 2013/32/UE et les article 8§3 et 9§3 de la directive 2013/33/UE, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 décembre 2023, le ministre de l’intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

— le tribunal administratif de Paris est incompétent pour connaître des conclusions qui concernent des décisions du préfet de la Guadeloupe ;

— la requête est dépourvue d’objet dès lors que la mesure d’éloignement visant M. C a été entièrement exécutée ;

— en tout état de cause, l’urgence n’est pas caractérisée, dès lors que M. C, qui se trouve en Haïti, ne justifie pas d’un droit à revenir sur le territoire français ;

— il n’existe pas en l’espèce d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale car la mesure d’éloignement ne l’expose pas à un traitement contraire à l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et cet éloignement n’a pas été exécutée en violation de son droit à un recours effectif, dès lors notamment qu’il a été matériellement impossible de mettre en œuvre la mesure provisoire ordonnée par la Cour européenne des droits de l’homme sur le fondement de l’article 39 de son règlement.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— le code de justice administrative.

Le président du tribunal a désigné M. Rohmer pour statuer sur les demandes de référé.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Ont été entendus au cours de l’audience publique tenue le 29 décembre 2023 à 14 heures :

— le rapport de M. Rohmer, juge des référés ;

— les observations de M. A, pour la CIMADE, qui reprend et développe ses écritures.

Considérant ce qui suit :

Sur l’intervention de La Cimade :

1. La Cimade présente, vu son objet statutaire, un intérêt à intervenir au soutien de la requête. Son intervention doit ainsi être admise.

Sur les demandes présentées au titre de l’article L. 521-2 du code de justice administrative :

2. Aux termes de l’article L. 521-2 du code de justice administrative : « Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures. »

3. Il ressort des pièces du dossier que M. C, ressortissant haïtien né le 15 mars 1989, est entré en France en 2013 par la Guadeloupe où il s’est maintenu dix ans sans demander ni l’asile ni titre de séjour. Il a fait l’objet le 7 novembre 2023 d’une mesure d’obligation de quitter le territoire français prononcée par le préfet de la région Guadeloupe. Il a demandé l’asile le 8 novembre 2023 et l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) a rejeté sa demande selon la procédure accélérée par décision du 21 novembre 2023, notifiée le 27 novembre suivant. Il a formé un recours devant la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) le 29 novembre 2023. Le 4 décembre 2023 la Cour européenne des droits de l’homme a demandé au gouvernement français de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement vers Haïti jusqu’au 6 décembre 2023 à 17h (heure de Strasbourg), sur le fondement de l’article 39 de son règlement. M. C a été éloigné vers Haïti le 4 décembre 2023.

4. D’une part, si la mesure conservatoire demandée par la Cour européenne des droits de l’homme mentionnée au point 3 faisait obstacle à l’exécution de toute procédure autoritaire de sortie vers Haïti décidée par les autorités françaises, c’était en l’absence d’exigence impérieuse d’ordre public ou de tout autre obstacle objectif empêchant le gouvernement français de s’y conformer et dont il aurait informé la Cour afin de l’inviter à réexaminer la mesure conservatoire prescrite. Il résulte de l’instruction, et notamment de la réponse détaillée de la ministre de l’Europe et des affaires étrangères au greffe de la Cour européenne des droits de l’homme, en date du 11 décembre 2023 et demandant à la Cour la levée de cette mesure conservatoire, que celle-ci n’a été transmise aux services de ce ministère que le 4 décembre à 11h44 heure de Guadeloupe/16h44 heure de Paris, alors que le décollage du vol sur lequel était embarqué M. C à destination de Port-au-Prince était prévu à 11h50 heure de Guadeloupe/16h50 heure de Paris. Dans cette réponse, la ministre des affaires étrangères indique avec précision la façon dont cette mesure conservatoire a été transmise dans les meilleurs délais possibles au ministère de l’intérieur, qui a saisi la préfecture de la Guadeloupe avec ordre de faire annuler la mission d’éloignement. Il ressort de ce courrier que malgré la diligence de la préfecture qui a saisi le centre de rétention administrative dès 12h10 heure de Guadeloupe/17h10 heure de Paris, il n’était plus possible d’empêcher à ce moment-là le départ de l’avion dans lequel se trouvait M. C, alors même que le décollage n’a finalement eu lieu qu’à 12h32 heure de Guadeloupe/17h32 heure de Paris. Eu égard à ces éléments, qui ne sont pas, en l’état de l’instruction, sérieusement remis en cause par le requérant, le défendeur établit qu’il existait un obstacle objectif qui a empêché le gouvernement français de se conformer à la mesure conservatoire ordonnée par la Cour européenne des droits de l’homme et que le gouvernement en a informé la Cour afin de demander la levée de cette mesure.

5. D’autre part, il y a lieu de relever que cette mesure conservatoire prenait fin le 6 décembre 2023 à 17 heures, et qu’elle n’aurait plus fait obstacle à un éloignement à compter de cette date. Le requérant, qui a pu former le présent recours depuis Port-au-Prince où il dit résider, n’allègue pas être dans l’impossibilité de poursuivre depuis Haïti les procédures qu’il a engagées devant la CNDA et la Cour européenne des droits de l’homme. Sa demande d’asile ayant été examinée par l’OFPRA selon la procédure accélérée, il n’avait plus droit au maintien sur le territoire français en application du 1° d) de l’article L. 542-2 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Enfin, la décision du 5 décembre 2023 de la CNDA reconnaissant l’existence d’une situation de violence aveugle de haute intensité en Haïti, qui lui est possible d’invoquer à l’appui de son recours devant la CNDA de même que les risques personnels qu’il encourt en Haïti, ne lui confèrent aucun droit au retour en France.

6. Il résulte de ce qui a été dit aux points 4 et 5 qu’en l’état de l’instruction, ni les éléments dont se prévaut le requérant, ni le moyen invoqué par l’intervenant tiré de ce que les dispositions des articles L. 761-2 et L.761-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, applicables en la Guadeloupe, qui écartent l’application de l’article L. 754-4 du même code, seraient contraires au droit de l’Union européenne et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ne sont de nature à caractériser une atteinte grave et manifestement illégale aux droits et libertés invoquées par M. C dans sa requête justifiant les mesures que ce dernier sollicite. Par suite, la requête, y compris les conclusions présentées au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative, doit être rejetée.

O R D O N N E :

Article 1er : L’intervention de La Cimade est admise

Article 2 : La requête de M. C est rejetée.

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B C, à la Cimade, au ministre de l’intérieur et des outre-mer, au préfet de la Guadeloupe et à la ministre de l’Europe et des affaires étrangères.

Pour les besoins de la notification, M. C n’ayant pas donné d’adresse en Haïti, il sera domicilié d’office à La Cimade.

Fait à Paris, le 30 décembre 2023.

Le juge des référés,

B. ROHMER

La République mande et ordonne au ministre de l’intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

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