Tribunal administratif de Pau, Reconduite à la frontière, 30 décembre 2022, n° 2201972

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Sur la décision

Référence :
TA Pau, reconduite à la frontière, 30 déc. 2022, n° 2201972
Juridiction : Tribunal administratif de Pau
Numéro : 2201972
Importance : Inédit au recueil Lebon
Type de recours : Excès de pouvoir
Dispositif : Satisfaction totale
Date de dernière mise à jour : 8 septembre 2023

Texte intégral

Vu la procédure suivante :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 2 septembre 2022 et le 3 octobre 2022, M. B A D, représenté par Me Bordes, demande au tribunal :

1°) d’annuler l’arrêté du 31 août 2022 par lequel la préfète des Landes l’oblige à quitter le territoire français sans délai à destination du pays dont il a la nationalité et lui interdit tout retour en France pendant trois ans ainsi que la décision du même jour par laquelle la même autorité l’assigne à résidence dans le département des Pyrénées-Atlantiques pour une durée de six mois ;

2°) de mettre à la charge de l’Etat une somme de 2 000 euros à verser à son conseil en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et de l’article 37 de la loi du

10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

— la décision est signée par une autorité incompétente ;

— le motif tiré de l’atteinte à l’ordre public est entaché d’une erreur de droit dans l’application de l’article L. 611-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile et d’une erreur d’appréciation dans la mesure où la seule garde à vue n’implique pas qu’il soit coupable ;

— il n’est pas majeur ; la préfète ne peut induire du seul arrêt de la cour de la Chambre des mineurs de la Cour d’appel de Pau qu’il est majeur ; cet arrêt n’est d’ailleurs pas définitif ; il produit son acte de naissance établi par le consulat du Cameroun à Paris, lequel fait foi de sa naissance le 7 avril 2005 ; cet état est corroboré par la carte d’identité consulaire ; le rapport établi par la direction interdépartementale de la police aux frontières sur ces documents constate leur mauvais état et le manque d’encre de certains tampons sans toutefois considérer qu’il s’agit de faux documents ; il ne s’agit que d’un avis défavorable ; en se fondant sur les seuls éléments relevés par le service de contrôle de la police, la préfète n’a pas procédé à l’examen particulier de sa situation et aurait dû saisir les autorités camerounaises afin de vérifier l’authenticité de ses documents ; le deuxième acte de naissance qu’il produit est établi par les autorités consulaires et comporte une certification de conformité à l’original que la préfète ne peut remettre en cause en conséquence du seul avis défavorable du rapport de contrôle qui ne démontre aucunement l’existence d’une falsification ; la présomption qui s’attache aux documents qu’il détient en vertu de l’article 47 du code civil n’est pas renversée ;

— la préfète commet également une erreur de droit en fondant la décision sur les dispositions de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dès lors que, étant mineur, il ne peut lui être reproché de ne pas avoir demandé le renouvellement de son titre de séjour ;

— à titre subsidiaire, la mesure d’éloignement est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard des effets qu’elle emporte sur sa situation individuelle, en raison de l’interruption brutale des études qu’il a entreprises, et méconnait les stipulations de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

— la décision n’est pas signée par la préfète des Landes ;

— elle est dépourvue de base légale dès lors que la mesure d’éloignement est irrégulière ;

En ce qui concerne la décision refusant un délai de départ volontaire :

— le signataire ne justifie pas d’une délégation de signature régulière ;

— elle est dépourvue de base de légale dès lors que la mesure d’éloignement est irrégulière ;

— elle est entachée d’une erreur de fait, d’une erreur de droit et d’une erreur d’appréciation dès lors que la menace pour l’ordre public n’est pas caractérisée, ni même le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement qui ne peut être déduit de la seule assertion selon laquelle l’intéressé n’a plus de famille au Cameroun ;

En ce qui concerne la décision d’interdiction de retour sur le territoire français :

— le signataire ne justifie pas d’une délégation de signature régulière ;

— elle est dépourvue de base de légale dès lors que la mesure d’éloignement est irrégulière ;

— elle est dépourvue de base de légale dès lors que la décision ne lui accordant pas de délai de départ volontaire est irrégulière ;

— la décision porte à son droit à sa vie privée une atteinte disproportionnée par rapport au but en vue duquel est prise la décision.

Par mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2022, la préfète des Landes conclut au rejet de la requête.

Elle soutient qu’aucun des moyens soulevés n’est fondé.

M. A D a été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

— l’accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République Unie du Cameroun, fait à Yaoundé le 21 février 1974 ;

— la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

— le code civil ;

— le code des relations entre le public et l’administration ;

— le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;

— la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

— le code de justice administrative.

La présidente du tribunal a désigné Mme C en application de l’article R. 776-13-3 du code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l’audience.

Après avoir entendu, au cours de l’audience publique du 4 octobre 2022 à 15h30 , le rapport de Mme C et les observations de Me Bordes, qui insiste sur le fait que le requérant établit sa minorité par les pièces d’identités qu’il verse au dossier, et après avoir communiqué à la préfète des Landes les pièces complémentaires produites par à l’audience.

Considérant ce qui suit :

1. M. B A D, se déclarant de nationalité camerounaise et mineur, a été pris en charge par le service de l’aide sociale à l’enfance du département des Landes à son arrivée en France le 28 septembre 2020. Doutant de sa minorité, le président du conseil départemental des Landes a mis fin à cette prise en charge par une décision du 10 décembre 2020. Au vu des actes produits entre temps par M. A D, le tribunal pour enfant a annulé cette décision par un jugement du 13 mars 2021 que la cour d’appel de Pau a toutefois infirmé aux termes d’un arrêt du 13 octobre 2021 fondé sur le résultat défavorable de l’analyse documentaire qu’elle avait préalablement ordonnée. Il s’en est suivi que M. A D n’a plus été pris en charge par les services départementaux au titre de l’assistance éducative. Le 30 août 2022, il a été placé en garde à vue pour des faits de violence avec usage d’une arme. Par un arrêté du 31 août 2022, la préfète des Landes l’a obligé à quitter le territoire français sans délai, à destination du pays dont il a la nationalité en lui interdisant tout retour en France pendant trois ans. Par une décision du même jour, il a été assigné à résidence sur le territoire de la commune de Dax. Par la présente requête, M. A D demande au magistrat désigné d’annuler seulement l’arrêté du 31 août 2022.

Sur les conclusions à fin d’annulation des décisions attaquées :

2. Aux termes de l’article L. 611-3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : " Ne peuvent faire l’objet d’une décision portant obligation de quitter le territoire français : 1° L’étranger mineur de dix-huit ans ; () « .l’article L. 811-2 du même code précise que : » La vérification de tout acte d’état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l’article 47 du code civil. « . Et, aux termes de l’article 47 du code civil : » Tout acte de l’état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d’autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l’acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".

3. Aux termes de l’article 22 de l’accord de coopération en matière de justice entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République Unie du Cameroun, fait à Yaoundé le 21 février 1974 : " 1° Sont admis, sans légalisation, sur les territoires respectifs de la République française et de la République Unie du Cameroun les documents suivants établis par les autorités de chacun des deux Etats : les expéditions des actes de l’état civil tel qu’ils sont énumérés à l’article 21 () [au nombre desquels figure les actes de naissance]. / 2° Les documents énumérés ci-dessus doivent être revêtus de la signature et du

sceau officiel de l’autorité ayant qualité pour les délivrer et, s’il s’agit d’expéditions,

être certifiés conformes à l’original par ladite autorité. En tout état de cause, ils sont

établis matériellement de manière à faire apparaître leur authenticité. "

4. Si l’article 47 du code civil pose une présomption de validité des actes d’état civil établis par une autorité étrangère dans les formes usitées dans ce pays, il incombe à l’administration de renverser cette présomption en apportant la preuve, par tout moyen, du caractère irrégulier, falsifié ou non conforme à la réalité des actes en question et il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l’ensemble des éléments produits par les parties.

5. M. A D soutient qu’il était mineur à la date de la décision attaquée et qu’en conséquence, il ne pouvait faire l’objet d’une mesure d’éloignement. Pour l’établir, il se prévaut d’un acte de naissance établi au nom de Yan A D né le 7 avril 2005 à Douala, de nationalité camerounaise qu’il n’a pu produire à l’instance pour avoir été conservé par les services de la direction interdépartementale de la police aux frontières chargés d’une mission de contrôle de son authenticité. Il ressort du rapport établi par ces services le 21 juillet 2021 que les éléments constitutifs de l’acte de naissance sont estimés conformes aux informations de la base de données de la police aux frontières et que l’avis défavorable au caractère authentique repose sur le mauvais état du document, le manque d’encre des timbres humides rendant seulement l’un d’eux illisible. Ces seuls éléments, qui ne révèlent aucune incohérence du document ni n’émette de doute sur son auteur, ne suffisent pas renverser la présomption qui s’attache à l’acte de naissance établi par l’autorité de la République du Cameroun ayant qualité pour le délivrer. Il s’ensuit que, né le 7 avril 2005, M. A D était donc mineur à la date de la mesure d’éloignement, le 31 août 2022. C’est donc à tort que la préfète des Landes a pris à son encontre une mesure d’éloignement.

6. Il résulte de ce qui précède que M. A D est fondé à demander l’annulation de la mesure d’éloignement ainsi que celle des décisions subséquentes fixant le pays de renvoi, refusant de lui accorder un délai de départ volontaire et de la décision d’interdiction de retour en France pour une durée de trois ans, qui sont dépourvues de base légale.

7. Il résulte de tout ce qui précède que l’arrêté de la préfète des Landes du 31 août 2022 doit être annulé.

Sur les frais liés au litige :

8. M. A D a obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2022. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l’article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, et sous réserve que Me bordes, conseil de M. A D, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat à l’aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l’Etat le versement à cet avocat d’une somme de 1 200 euros.

D É C I D E:

Article 1er : L’arrêté de la préfète des Landes n°253/2022 du 31 août 2022 est annulé.

Article 2 : L’Etat versera à Me Bordes, une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l’article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu’il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l’Etat.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à M. B A D et à la préfète des Landes.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 décembre 2022.

La magistrate désignée,

Signé

V. C

La greffière,

Signé

M. E

La République mande et ordonne à la préfète des Landes en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l’exécution de la présente décision.

Pour expédition

La greffière,

Signé

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